Oh ! Les éveils des bourgades sous l’or des branches,
Où courent la lumière et l’ombre – et les roseaux
Et les aiguilles d’or des insectes des eaux
Et les barres des ponts de bois et leurs croix blanches.
Et le pré plein de fleurs et l’écurie en planches
Et le bousculement des baquets et des seaux
Autour de la mangeoire où grouillent les pourceaux,
Et la servante, avec du cru soleil aux manches.
Ces nets éveils dans les matins ! – Des mantelets,
Des bonnets blancs et des sarraus, par troupelets,
Gagnaient le bourg et son clocher couleur de craie.
Pommes et bigarreaux ! – Et, par-dessus la haie
Luisaient les beaux fruits mûrs, et, dans le verger clair,
Brusque, comme un sursaut, claquait du linge en l’air.
Emile VERHAEREN
Les plaisirs du dimanche
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Jeunes et vieux de leur demeure
S’empressent de déloger,
Et le même instant sonne l’heure
De la messe et du berger.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Réunis en grande famille,
Ce jour-là, nos bons lurons
Vont chanceler à la Courtille
Et tomber aux Porcherons.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Javotte, désertant la halle,
Court étaler à Clichy
Son déshabillé de percale
Que la veille elle a blanchi.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
L’ouvrier promène sa femme
Du Bon-Coin au Soleil-d’Or,
Du Soleil-d’Or au mélodrame,
Où le couple heureux s’endort.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Le laquais, dédaignant sa veste,
Se déguise en habit neuf ;
Et l’homme de bien, plus modeste,
Brosse son habit d’Elbeuf.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Le marchand, muni d’une assiette
Et d’un petit vin nouveau,
Pour déjeuner à la Muette,
Porte une langue de veau.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
A l’église on voit la grisette
Prier Dieu dévotement,
Pour que le beau temps lui permette
D’aller trouver son amant.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Le commis au tendron qu’il aime
Dépêche un billet galant ;
Et l’écolier fait de son thème
L’oreille d’un cerf-volant.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
À chaque porte de la ville
Le chagrin est consigné,
Et le débiteur, plus tranquille,
Ne craint pas d’être assigné.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Si quelquefois l’ennui conspire
Contre un désordre aussi beau,
Un refrain combat son empire,
Et le vin est son tombeau.
Vive, vive le dimanche !
Vieil enfant du Carnaval,
De la gaieté la plus franche
Ce beau jour donne le signal.
Marc-Antoine DÉSAUGIERS (1772-1827)
J’aime ce dimanche aux quatre coins de Paris ! Merci, Martine !
Dès le matin, par mes grand’routes coutumières
Qui traversent champs et vergers,
Je suis parti clair et léger,
Le corps enveloppé de vent et de lumière.
Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ;
C’est fête et joie en ma poitrine ;
Que m’importent droits et doctrines,
Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux ;
Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre,
D’être immense et d’être fou
Et de mêler le monde et tout
A cet enivrement de vie élémentaire.
Oh ! les pas voyageurs et clairs des anciens dieux !
Je m’enfouis dans l’herbe sombre
Où les chênes versent leurs ombres
Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu.
Les bras fluides et doux des rivières m’accueillent ;
Je me repose et je repars,
Avec mon guide : le hasard,
Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles.
Il me semble jusqu’à ce jour n’avoir vécu
Que pour mourir et non pour vivre :
Oh ! quels tombeaux creusent les livres
Et que de fronts armés y descendent vaincus !
Dites, est-il vrai qu’hier il existât des choses,
Et que des yeux quotidiens
Aient regardé, avant les miens,
Se pavoiser les fruits et s’exalter les roses !
Pour la première fois, je vois les vents vermeils
Briller dans la mer des branchages,
Mon âme humaine n’a point d’âge ;
Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil.
J’aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse
Et mes cheveux amples et blonds
Et je voudrais, par mes poumons,
Boire l’espace entier pour en gonfler ma force.
Oh ! ces marches à travers bois, plaines, fossés,
Où l’être chante et pleure et crie
Et se dépense avec furie
Et s’enivre de soi ainsi qu’un insensé !
[Verhaeren, Un matin]
ps : t’aurais-je inspirée lors d’un autre dimanche ? J’aime à nouveau beaucoup ta photo d’illustration.
Oh quel beau cadeau, ce poème, j’adore ! Merci, Mina ! Oui, tu m’as influencée 😉 et la photo a été prise dans le parc de mon école au printemps 2012.
Mais il est super beau le parc de ton école. Le poème un peu classique mais tout frais pour un beau dimanche ensoleillé.
Et encore, il paraît que ce parc n’est plus ce qu’il était 😉 Un peu de rafraîchissement grâce à Verhaeren, car hier il faisait étouffant !
Quand je commence à lire un poème, je me demande quelquefois quelle signature je vais trouver à la fin … Emile Verhaeren, je ne l’avais pas deviné. Le poème de Mina est aussi magnifique.
C’est un auteur source parmi les poètes belges.