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1
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En haut sur la cime
Le jardin entier est lune,
Lune d’or.
Plus précieux le frôlement
De ta bouche dans l’ombre
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2
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La voix de l’oiseau
Que la pénombre recouvre
On ne l’entend plus.
Tu marches dans ton jardin
Quelque chose, oui, te manque.
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3
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La coupe d’un autre,
L’épée qui fut une épée
Dans une autre main,
La lune de cette rue,
Dis-moi, n’est-ce pas assez ?
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4
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Il est sous la lune
Le tigre fait d’or et d’ombre
Il fixe ses griffes
Il ne sait pas qu’au matin
Elles ont tué un homme.
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5
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Triste cette pluie
Qui sur le marbre s’égoutte,
Triste d’être terre.
Triste, n’être pas les jours
De l’homme, le rêve, l’aube.
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6
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N’être pas tombé
Comme d’autres de ma race,
Au champ de bataille.
Être dans la vaine nuit
Seul à compter les syllabes.
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Jorge Luis BORGES, La proximité de la mer – Une anthologie de 99 poèmes, traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, Gallimard, 2010
J’ai choisi ce poème « classique » pour terminer cette semaine en Argentine, petit clin d’oeil au premier roman lu en avant-première, Le chanteur de tango, qui évoquait largement José Luis Borges. J’ai été ravie de voyager avec Marilyne qui vous présente aujourd’hui la poésie de Juan Gelman, je ne pouvais rêver meilleure compagne de voyage, merci à toi !
j’aime le Borges essayiste et du coup on oublie un peu le Borges poète
J’ai découvert de beaux textes en cherchant sur internet.
Je ne connais quasiment pas Borges poète non plus. Ces vers que tu as choisis sont vibrants.
Mille mercis à toi pour tout.
( nous repartons quand tu veux ) ( j’ai toujours des réserves, bizarre ;))
J’ai eu un coup de coeur pour la forme et le contenu ! Et je n’ai pas que de l’Argentine en réserve… un peu de Chili, un peu d’Argentine, un livre de Carlos Liscano aussi… c’est Bolivie ou Pérou, je ne sais plus…)
Chez moi aussi Carlos Liscano, je tarde à le présenter. Il est uruguayen.
Le Bonheur
Celui qui embrasse une femme est Adam. La femme est Eve.
Tout se passe pour la première fois.
J’ai vu une chose blanche dans le ciel. On me dit que c’est la lune, mais
que puis-je faire avec un mot et une mythologie ?
Les arbres me font peur. Ils sont si beaux.
Les animaux tranquilles s’approchent pour que je dise leur nom.
Les livres de la bibliothèque n’ont pas de lettres. Quand je les ouvre, elles surgissent.
Parcourant l’atlas je projette la forme de Sumatra.
Celui qui brûle une allumette dans le noir est en train d’inventer le feu.
Dans le miroir, il y a un autre qui guette.
Celui qui regarde la mer voit l’Angleterre.
Celui qui profère un vers de Liliencron est entré dans la bataille.
J’ai rêvé Carthage et les légions qui désolèrent Carthage.
J’ai rêvé l’épée et la balance.
Loué soit l’amour où il n’y a ni possesseur ni possédé mais où tous deux se donnent.
Loué soit le cauchemar, qui nous dévoile que nous pouvons créer l’enfer.
Celui qui descend un fleuve descend le Gange.
Celui qui regarde une horloge de sable voit la dissolution d’un empire.
Celui qui joue avec un couteau présage la mort de César.
Celui qui dort est tous les hommes.
Dans le désert, je vis le jeune Sphinx qu’on vient de façonner.
Rien n’est ancien sous le soleil.
Tout se passe pour la première fois, mais éternellement.
Celui qui lit mes mots est en train de les inventer.
José Luis Borges
Merci pour ce texte, Martine. Ca vaut la peine d’explorer les vers de Borges !
Je ne connais pas mieux que les autres (sauf Martine évidemment !), merci de me le faire découvrir ; je vais aller en chercher un peu plus.
Je n’y connaissais rien non plus, j’avais juste le souvenir qu’à l’école on nous présentait Borges comme THE écrivain sud-américain (avant qu’on ne découvre Marquez sans doute) et ça me faisait l’effet d’un vieux dinosaure… 😉
Je tenterais bien la réconciliation avec Borges par sa poésie, merci pour cette découverte inattendue (pas mieux que les autres, je ne le connaissais que nouvelliste…)
Tout pareil que moi (et j’ai moins d’excuses, je suis moins jeune !) 😉