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Quatrième de couverture :

Anvers, 1940. Wilfried Wils, 22 ans, a l’âme d’un poète et l’uniforme d’un policier. Tandis qu’Anvers résonne sous les bottes de l’occupant, il fréquente aussi bien Lode, farouche résistant et frère de la belle Yvette, que Barbiche Teigneuse, collaborateur de la première heure. Incapable de choisir un camp, il traverse la guerre mû par une seule ambition : survivre. Soixante ans plus tard, il devra en payer le prix.
Récompensé par le plus prestigieux prix littéraire belge, Trouble interroge la frontière entre le bien et le mal et fait surgir un temps passé qui nous renvoie étrangement à notre présent.

Quand j’ai entendu l’auteur en interview lors de la dernière Foire du livre (qui mettait les Flamands à l’honneur), la journaliste a fait référence à Guerre et térébenthine de Stefan Hertmans. Certes il y a bien le point commun de la relation entre un grand-père (ou arrière-grand-père ici) et son (arrière-)petit-fils mais le point de vue de Jeroen Olyslaegers est radicalement différent. L’aïeul de Stefan Hertmans a combattu toute la première guerre sur le front de l’Yzer, de façon tout à fait patriotique et c’est le petit-fils qui cherche les traces de son grand-père à travers souvenirs de famille et carnets du jeune soldat. Ici c’est l’arrière-grand-père parvenu à un âge avancé qui s’adresse à son arrière-petit-fils qu’il lui est interdit de voir désormais, on comprendra pourquoi au fil de la lecture. Wilfried Wils était policier à Anvers en 1940. Avec le recul, tout le monde sait bien que la police belge a collaboré avec l’occupant nazi notamment dans la traque des Juifs, bien présents à Anvers dans le commerce du diamant. Et donc, avec ce recul, on se dit que Wilfried Wils est un collabo. Mais ce n’est pas si simple et Jeroen Olyslaegers va s’employer de façon magistrale à semer le doute (le trouble) dans la tête de son héros et dans celle de ses lecteurs. Car Wilfried s’adresse directement à son arrière-petit-fils en « tu » et le lecteur est donc confronté d’office aux actes et aux pensées, aux doutes, aux incompréhensions, aux justifications de ce narrateur qui cache au fond de lui son double, un poète bien malmené en ces temps extraordinaires. 

Jeroen Olyslaegers a écrit un roman brillant, interpellant, un grand roman qui exhibe un pan de l’histoire belge par le biais de la fiction. Une fiction qui part d’un fait bien réel, un « incident » (que je vous laisse découvrir en lisant) lors de l’arrestation d’une famille juive qui habitait la même rue que l’auteur aujourd’hui et retrouvé aux archives par un de ses amis. Une fiction qui convoque le début de l’Iliade « Chante, ô Muse, le ressentiment… » et Margot la Folle pour expliquer les agissements d’une frange d’Anversois (et donc de Belges) sous l’Occupation. Une fiction qui montre à merveille les zones grises, la frontière souvent poreuse entre résistance et collaboration. Une fiction qui nous interpelle, nous bouscule sur nos choix, nos compromissions, nos motivations profondes. Car, si certaines scènes sont insoutenables, le lecteur peut sans peine s’identifier à Wilfried, c’est le brio de l’auteur, et s’interroger à son tour : qu’aurais-je fait en pareilles circonstances ? Qu’est-ce qui distingue un salaud d’un héros ? Qui sont les vrais salauds ? Qui est vraiment Wilfried ? Autant de questions qui se confrontent à l’actualité belge et qui roulent sous la plume gouleyante de Jeroen Olyslaegers (Nadège vous en propose plusieurs extraits dans son billet ici). A souligner aussi, la qualité de la traduction.

Ce sera certainement une des lectures les plus marquantes de ce mois belge et de cette année 2019.

Jeroen OLYSLAEGERS, Trouble, traduit du néerlandais (Belgique) par Françoise Antoine, Stock, 2019