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Quatrième de couverture :

1919. La Grande Guerre vient de se terminer en Europe. Après cette parenthèse éprouvante, certains Britanniques espèrent retrouver fortune et grandeur dans les lointains pays de l’Empire, et tout particulièrement en Inde. Ancien de Scotland Yard, le capitaine Wyndham débarque à Calcutta et découvre que la ville possède toutes les qualités requises pour tuer un Britannique: chaleur moite, eau frelatée, insectes pernicieux et surtout, bien plus redoutable, la haine croissante des indigènes envers les colons. Est-ce cette haine qui a conduit à l’assassinat d’un haut fonctionnaire dans une ruelle mal famée, à proximité́ d’un bordel? C’est ce que va tenter de découvrir Wyndham, épaulé par un officier indien, le sergent Banerjee. De fumeries d’opium en villas coloniales, du bureau du vice-gouverneur aux wagons d’un train postal, il lui faudra déployer tout son talent de déduction, et avaler quelques couleuvres, avant de réussir à démêler cet imbroglio infernal.

Ce titre m’a attirée en librairie et malgré mes velléités d’être raisonnable, je n’ai pu attendre la sortie poche et je l’ai lu très vite après l’avoir acheté (en même temps, depuis que je lis « sans contrainte », je mélange plus les achats récents et les livres de PAL).

Le capitaine Wyndham est un personnage complexe et donc très intéressant pour un polar : peu d’attaches en Angleterre, ancien de la Special Branch (Thomas Pitt, si tu nous regardes…), il s’est attaché à une femme libre et brillante pendant une de ses permissions de la Grande Guerre et l’a épousée ; il a été blessé peu avant la fin de la guerre et n’a pas retrouvé son épouse, morte de la grippe espagnole ; sa blessure le laisse accro à la morphine. C’est cet homme qui débarque dans la chaleur tropicale de Calcutta, appelé par un de ses anciens officiers supérieurs à la guerre, soucieux de lutter contre la corruption au sein de la police coloniale.

On est en 1919 et les mouvements de libération des colonies montent, qu’ils soient violents (terroristes selon les autorités britanniques) ou pacifistes (la non-violence de Gandhi est déjà en marche). Dans cette situation potentiellement explosive, un haut fonctionnaire anglais est assassiné, son corps est retrouvé non loin d’un bordel dans un quartier de la « Black Town » de Calcutta. Peu après un train est attaqué, vraisemblablement pour voler des fonds destinés à des groupes terroristes. Wyndham tente de faire le lien entre les deux faits, avec l’aide du sergent Banerjee, observateur, intelligent, mais qui a – pardonnez l’expression – le cul entre deux chaises, coincé entre son patriotisme indien et sa loyauté envers ses supérieurs britanniques. La relation entre les deux hommes fait partie intégrante de l’intrigue et est très amusante à observer.

Je dois avouer que j’avais un peu vu venir le nom de l’assassin du fonctionnaire mais la fin s’accompagne quand même d’une révélation inattendue (pour moi du moins) ; c’est une énigme assez classique, que j’ai beaucoup appréciée ; tout l’intérêt est dans la relation de la vie coloniale à Calcutta avec des jeux de pouvoir et d’influence occultes, les bâtons dans les roues qu’on place dans l’enquête du capitaine Wyndham et cette question qui commence à tarauder les autorités, une question qu’elles ne se formulent sans doute pas consciemment mais qui sera un enjeu majeur : comment une administration coloniale finalement assez réduite numériquement au vu du nombre d’administrés indiens peut-elle continuer à gouverner, à garder une légitimité si sa supériorité morale s’effondre ?

Autre argument en faveur de cette lecture, l’humour anglais qui m’a souvent fait sourire et dont je vous donne un extrait ci-dessous. L’auteur est Ecossais, d’origine indienne évidemment, et il paraît que ce roman est le premier d’une série de quatre déjà écrits en anglais, j’espère vivement que les éditions Liana Levi continueront à les faire traduire et à les publier !

« Nous nous arrêtons devant une entrée assez grandiose. Sur une plaque de cuivre vissée sur une des colonnes on peut lire Bengal Club, Fondé en 1827. A côté d’elle un panneau de bois annonce en lettres blanches :

ENTREE INTERDITE AUX CHIENS ET AUX INDIENS

Banerjee remarque ma désapprobation.

« Ne vous inquiétez pas, monsieur, dit-il. Nous savons où est notre place. En outre, les Britanniques ont réalisé en un siècle et demi des choses que notre civilisation n’a pas atteintes en plus de quatre mille ans.

-Absolument », renchérit Digby.

Je demande des exemples. 

Banerjee a un mince sourire. « Eh bien, nous n’avons jamais réussi à apprendre à lire aux chiens. » (p. 97)

Abir MUKHERJEE, L’attaque du Calcutta-Darjeeling, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle, Liana Levi, 2019