Après la lecture de Une vie pour rien et son personnage de vieille dame, j’ai enchaîné spontanément avec ce titre de Françoise Houdart, une autrice que je n’avais pas lue depuis un bout de temps.

…née Pélagie D. … Oui, Pélagie a porté un nom de jeune fille, Pélagie Depluvrée, mais on l’a connue la plus grande partie de sa vie sous le nom de madame Oscar Galant. Elle est passée de l’autorité e son père à celle de son mari en épousant Oscar. Oh elle n’a jamais été maltraitée mais c’était l’époque où les femmes vivaient dans l’ombre de leur mari, c’était l’ordre établi et Pélagie ne s’est jamais vraiment rebellée. Elle s’est occupée de ses deux enfants, de son mari jusque dans la maladie, elle a accompli son devoir.

Sauf quand elle a décidé de passer le permis de conduire, à l’âge de septante-deux ans, peu avant de devenir brutalement veuve.

Sauf que, depuis qu’elle feuilletait l’atlas de géographie à l’école de madame Cardinal, Pélagie rêve de passer la mer. Depuis longtemps, Pélagie collectionne les cartes postales de la mer. Surtout depuis qu’elle a découvert une vieille carte envoyée d’Ostende à sa mère en août 1923 par un certain Gaston Dekronck : « Voudrez-vous encore savoir que je vous aime ? »

Et voilà que, maintenant qu’elle est veuve, Pélagie accomplit son rêve : elle s’est acheté un billet de train jusqu’à Ostende et elle a pris le ferry qui mène en Angleterre. Quatre longues heures de traversée au cours desquelles Pélagie se remémore sa vie, les rêves de l’enfance, la vie adulte, son mari un peu pesant, les rêveries qu’elle s’octroyait devant sa collection de cartes postales, les désirs inavoués, un peu fous, un peu flous qu’elle sentait confusément au fond d’elle. Et la voilà sur la mer, voilà que la vieille dame passe la mer. Elle partage ses souvenirs avec un vieux monsieur un peu collant qui fait la traversée pour aller rejoindre sa fille à Londres.

Mais peut-on se détacher aussi facilement que cela de l’ombre si forte du mari, même décédé ? Pélagie peut-elle redevenir vraiment Pélagie Depluvrée, Pélagie « de plus vraie », avais-je envie de lire dans son nom de jeune fille ? Ou rester « née Pélagie D. » ?

Ce n’est que vers la fin de ma lecture que je me suis souvenue de l’étymologie du prénom Pélagie, ce prénom vraiment désuet choisi par Françoise Houdart pour raconter avec finesse les débats intérieurs de cette vieille dame. Comme toujours, l’écriture de la romancière est marquée de sensorialité et de sensualité : la joie de voir la mer se mêle aux souvenirs olfactifs, tactiles d’une vie de femme. Tous les non-dits se déploient dans la fin du roman, inattendue mais tellement compréhensible, oserais-je dire parfaite sous la plume délicate de Françoise Houdart.

Premières lignes :

« J’ai osé… ! Comme c’est curieux ! Comme c’est étrange de s’entendre prononcer ces mots-là… ! Les entendre dits de sa propre voix… différente pourtant, oui si profondément différente de celle qui m’habite depuis toujours, que je la sens étrangère à moi-même, étrangère à la voix qui me souffle les répliques, celle qui pose des mots sur mes gammes muettes, dans les bulles vides de mes dessins inanimés, mes apnées, mes absences. Je ne suis pas déçue, pas vraiment… N’est-ce pas ainsi que l’on découvre la voix de sa mère de ce côté-ci de la vie ? »

Françoise HOUDART, …née Pélagie D., Luce Wilquin éditrice, 1996

Rendez-vous féminin aujourd’hui et j’ai le trio gagnant : autrice, éditrice et personnage féminin 😉

Blague à part, la lecture de Une vie pour rien m’a entraînée à faire remonter dans ma PAL belge des titres qui mettent en scène des femmes, des personnes âgées, qui se centrent sur le(s) souvenir(s) et c’est ainsi que j’ai choisi ce titre pour cette journée au féminin. J’espère en présenter plusieurs autres durant ce mois belge.