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Archives de Catégorie: Des Mots au féminin

La maîtresse de Carlos Gardel

23 mardi Fév 2021

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des mots d'Amérique centrale

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Mayra Santos-Febres, Porto Rico, Zulma

Présentation de l’éditeur :

Micaela n’a rien oublié de ces quelques jours avec lui. Elle se revoit jeune fille, élève infirmière silencieuse et appliquée, nourrissant patiemment son rêve d’entrer à l’École de médecine tropicale. Elle se revoit aux côtés de sa chère Mano Santa, sa grand-mère meilleure qu’une mère, la plus grande guérisseuse de l’île. Elle se revoit, passionnée de botanique, en héritière du secret du cœur-de-vent, ce remède aux vertus exceptionnelles. Elle se revoit dans ses bras à lui.

Lui, c’est Carlos Gardel, l’icône du tango au sommet de sa gloire, qui, le temps d’une tournée – ou d’une chanson – a donné à Micaela le goût de saisir la vie à bras-le-corps. De ces quelques jours grisants comme une fugue enchantée, Mayra Santos-Febres a fait le roman superbe, ensorcelant, d’un grand destin de femme. Où l’on passe des bas quartiers aux hôtels de luxe, où les plantes font vivre ou mourir, où le tango prend corps et voix, où le désir est partout.

Nous sommes en 1935, à Porto Rico, une île pauvre parmi les pauvres des Caraïbes, sous administration américaine. A cette époque, les naissances ne sont évidemment pas contrôlées, les femmes pauvres mettent au monde de nombreux enfants qui finissent le ventre gonflé de vers (comme leurs mères) et les médecins formés aux Etats-Unis voient cette population grouillante comme « un nid de mouches ». De retour de New York, Carlos Gardel, qui mourra bientôt en juin 1935 dans un accident d’avion à Medellin en Colombie, a entrepris une grande tournée en Amérique latine et passe par Porto Rico. C’est là que vivent Micaela Thorné et sa grand-mère Mano Santa, une jeune étudiante infirmière et une guérisseuse, la meilleure de l’île, celle qui connaît le secret du coeur-de-vent, une plante « miraculeuse », mais qui a aussi fait de nombreux sacrifices pour que sa petite-fille fasse des études et sorte de son milieu. C’est à Mano Santa que va faire appel l’entourage de Gardel, incapable de chanter à cause de la syphilis qui le ronge.

Et c’est ainsi que Micaela, qui a accompagné sa grand-mère pour soigner Gardel, va être en quelque sorte réquisitionnée par le chanteur pour l’accompagner dans sa tournée portoricaine. Vingt-sept jours d’évasion, de désir brûlant, pendant lesquels Gardel va raconter sa vie à Micaela et où, surtout, la jeune femme va se demander ce qu’est être une femme à Porto Rico en 1935 : doit-elle répondre à l’exigence de procréer de son milieu pauvre, noir ? Peut-elle s’en affranchir et a-t-elle le droit de faire des études, d’intégrer l’univers de l’Ecole de médecine tropicale et de l’Office d’hygiène maternelle et de salubrité publique ? Comment se situer entre le docteur Romeu, forte de son savoir mais attirée par le savoir des plantes médicinales, et Mano Santa, gardienne du secret du coeur-de-vent ? Toutes ces questions, Micaela se les pose encore au soir de sa vie, quand elle est revenue vivre seule dans la maison de sa grand-mère.

Les pages sensuelles de ce roman rempli de plantes, de soleil et de tango se tournent toutes seules. Je ne sais pas si Carlos Gardel, le « Zorzal Criollo » (la grive chanteuse créole), le « Morocho de l’Abasto » (le brun de l’Abasto, le quartier de Buenos Aires où les tangueros se produisaient), si Gardel donc a vraiment eu la syphilis, en tout cas, après avoir triomphé à Paris et à New York, il a vraiment fait une tournée latino-américaine en 1935, qui devait le ramener en Argentine, pays auquel il était si attaché et qu’il ne reverra jamais. Ce prétexte pour une rencontre entre lui et Micaela donne un roman où deux thématiques, celle du tango et celle du féminin, celle de la tradition et celle de la modernité, se croisent et s’entrecroisent, non sans douleur ni trahison. Mayra Santos-Febres, poète et romancière née à Porto Rico en 1966, est l’image de l’émancipation de ces femmes dont elle conte si bien l’histoire.

« Les musiciens ont achevé d’accorder leurs guitares sur scène. Alors Gardel a chanté.

Miel épais. Densité du muscle. Les ondes de sa voix m’ont enveloppée, comme un bain d’onguents, la caresse d’un baume. Ce n’était pas l’égratignure lointaine qui faisait grésiller les disques sur les gramophones de Campo Alegre. Ce n’était pas non plus la voix radiophonique qui nous obligeait à nous concentrer sur les messages et les mélodies. Cette nuit-là au Paramount, la voix de Gardel était vivante. La réverbération de sa voix était robuste, mais claire, armée de dents et de griffes qui ne cherchaient ni à déchirer ni à dévorer, mais invitaient à poser le pied, tout le corps sur l’air, pour voyager très loin au fond de nous. Elle donnait envie de se laisser emporter jusqu’en ce lieu sombre et protégé, d’où on est sorti il y a des années et dont on se souvient à peine. Et cette voix était aussi le regret qui efface tout chemin dans la mémoire. On doit retourner à cet endroit vrai, à soi. On doit en revenir, brisé, en lambeaux, mais être de retour. Tel était le sens de sa voix. » (p. 98)

« La tristesse est cette note qui s’étire comme un bandonéon. Elle fait grandir l’appel quand la distance se relâche, grandir la voix quand l’objet du désir est loin. C’est de là que viennent ce soupir et cette cassure dans la voix. C’est vers ce lieu-là qu’il faut tendre, faire battre le cœur, pour que la nostalgie atteigne ce qu’on a perdu et le fasse revive dans la poitrine. » (p. 168)

« C’était bien cela, le repos de moi-même s’était achevé. Ces jours de fête avec Gardel m’avaient permis cela. Cesser d’avoir continuellement à me protéger du monde, de ma grand-mère qui ne comprenait pas ce que signifiait être la petite-fille de la plus célèbre sorcière de l’île, de Mercedes et de ses tentatives de se faire de l’argent a détriment de ma grand-mère, de dona Martha et ses grands ambitions médicales, qui dépendaient du secret de ma grand-mère, de l’Ecole où je n’avais pas ma place, où j’étais une fille, certes avec du potentiel, mais pauvre, noire et donc incapable de vraiment s’intégrer dans le monde de la science, de la médecine, et la vérité, du progrès. Entre les draps des hôtels où il fouillait en moi, Gardel m’avait un moment donné des vacances de ce monde, fait oublier qui était Micaela Thorné et qui elle prétendait devenir. » (p. 256-257)

Mayra SANTOS-FEBRES, La Maîtresse de Carlos Gardel, traduit de l’espagnol (Porto Rico) par François-Michel Durazzo, Zulma, 2019

Un Zulma par mois (petit bémol, j’ai tiqué sur la traduction à au moins trois endroits du roman)

Petit Bac 2021 – Prénom

Un mois en Amérique latine avec Ingammnic et Goran (c’est rare de pouvoir lire de la littérature de Porto Rico)

Sweet Sixteen

06 samedi Fév 2021

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots en Jeunesse, Des Mots français

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Annelise Heurtier, Casterman, droits civiques, ségrégation raciale

Quatrième de couverture :

Rentrée 1957.
Le plus prestigieux lycée de l’Arkansas ouvre pour la première fois ses portes à des étudiants noirs.
Ils sont neuf à tenter l’aventure.
Ils sont deux mille cinq cents, prêts à tout pour les en empêcher.

Cette histoire est inspirée de faits réels.

Annelise Heurtier s’est emparée de l’histoire vraie des neuf lycéens noirs qui ont accepté, en 1957, à Little Rock (Arkansas), de vivre l’intégration des étudiants noirs dans un lycée public jusque là réservé aux Blancs. La déségrégation scolaire avait été affirmée en 1954 par la Cour suprême des Etats-Unis. Malgré les résistances des états du Sud, puis du gouverneur de l’Arkansas et de nombreuses associations prétendant protéger les étudiants blancs de cette décision, l’intégration a effectivement lieu en 1957. Neuf lycéens, âgés de quatorze à dix-sept ans, ont accepté de se livrer à « l’expérience ». « Ces jeunes (…) n’y resteront qu’une année. », explique l’auteure dans l’introduction. « Une année d’une violence inouïe, qui nous fait mesurer le chemin qui a été parcouru depuis… et, surtout, le courage qu’iol leur a fallu pour le tracer. »

Annelise Heurtier s’est inspirée de la vraie Melba Pattillo pour créer le personnage de Molly Costello, quinze ans, qui fait donc partie des neuf courageux. En alternance avec ce que vit et ressent Molly, nous suivons aussi le personnage de Grace Anderson, lycéenne blanche jolie et populaire, qui a une bonne noire qu’elle adore mais dont elle ne connaît rien ou presque. La mère d’une des amies de Grace est la présidente de la Ligue des mères,  particulièrement active pour lutter contre l’intégration des étudiants noirs.

Pendant toute l’année scolaire, nous vivons les humiliations, les injures dont sont abreuvés les neuf noirs, même de la part de leur propre communauté, inquiète de subir des violences encore pires que d’habitude à cause d’eux. Heureusement, ils sont soutenus par des militants pour les droits civiques (la NAACP) et sont protégés, su intervention du président Eisenhower, par des soldats gardes du corps. Molly résiste au désespoir grâce à sa mère et à sa grand-mère. Ce qui devait être la merveilleuse fête de ses « sweet sixteen » n’aura pas du tout le goût attendu. Dans la même classe, face à elle, Grace va se laisser mettre en question… mais je ne vous en dis pas plus.

J’ai beaucoup aimé ce roman jeunesse, rythmé, réaliste et sensible à la fois, bien documenté, les années 50 et la vie étudiante sont bien rendues bien que ce ne soit pas le propos principal du roman. On ressent terriblement bien la violence que subissent Molly et ses camarades de classe mais aussi la violence du clan d’en face, une violence blanche qui, bien sûr, n’est jamais assumée comme telle ni punie comme elle devrait l’être.

Annelise HEURTIER, Sweet Sixteen, Casterman poche, 2014

50 états, 50 romans : Arkansas

Dans quelques jours, quand je l’aurai achevé, je vous présenterai le livre de l’historien et journaliste Thomas Snégaroff à propos de cette même histoire.

Rendez-vous Jeunesse aujourd’hui

Trouver l’enfant

02 mardi Fév 2021

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Rene Denfeld, Rivages noir

Quatrième de couverture :

Il y a trois ans, Madison Culver a disparu dans la forêt nationale de Shookum, Oregon. Elle aurait aujourd’hui huit ans. Certains que quelqu’un l’a enlevée, les Culver se tournent vers Naomi. Enquêtrice connue de la police comme « la femme qui retrouve les enfants », Naomi est leur dernier espoir. Elle comprend des êtres comme Madison parce qu’elle aussi a été portée disparue. Alors que Naomi suit la piste de l’enfant, les fragments d’un rêve sombre transpercent ses défenses, lui rappelant une perte terrible depuis longtemps refoulée.

Encore une lecture de saison (et décidément j’enchaîne les bonnes surprises en ce moment) avec ce roman à la fois policier et noir qui se passe en Oregon, un état immense du nord-ouest américain couvert de nombreuses forêts et dont le climat est particulièrement rude en hiver. Un pays de trappeurs et de forestiers aussi rudes que le temps.

C’est ici que Naomi, l’enquêtrice, « la femme qui retrouve les enfants », a ses racines, du moins sa famille adoptive et une amie très chère. Elle ne se lie pas avec grand monde, Naomi, elle n’accorde pas facilement sa confiance. On l’a appelée en désespoir de cause pour tenter de retrouver Madison, une petite fille de cinq ans disparue trois ans auparavant dans la forêt et dans la neige. Pour beaucoup de gens, il ne fait aucun doute que la gamine est morte de froid et qu’on ne retrouvera jamais son corps. Mais Naomi, à la fois réaliste et déterminée, se met sur la piste de la petite fille, qui adore les contes.

Bientôt, on demandera à la jeune femme de rechercher un autre enfant disparu dans la même petite ville, un bébé dont tout le monde croit que la mère, déficiente, l’a tué.

Parallèlement à l’enquête, le lecteur est transporté dans les rêves de Naomi, qui font peu à peu émerger un secret enfoui lié à sa propre disparition lorsqu’elle était enfant, dans la vie qu’elle a réappris à vivre à la ferme de Mrs Cottle, sa mère adoptive, avec Jerome, l’autre enfant adopté, et il est aussi amené à découvrir ce qui est arrivé à Madison depuis trois ans (et qui m’a un peu fait penser, à hauteur d’enfant, à Lettre à mon ravisseur).

Ces aller et retours entre passé et présent, rêve et réalité, ville et forêt, créent un rythme palpitant et ce roman, où la nature souvent hostile est omniprésente, est passionnant, les pages se tournent toutes seules. C’est à la fois sombre et lumineux grâce à la personnalité très attachante et mystérieuse de Naomi. J’ai hâte de connaître la suite (quand elle paraîtra en poche : La fille aux papillons), car on comprend bien à la fin que Naomi va partir sur les traces de son propre passé d’enfant enlevée et cela nous promet encore bien du suspense.

« Elle voyait de tout petits oiseaux à gorge rouge dans la neige. Elle entendait le bruit sonore du battement d’ailes d’un grand-duc dans les arbres noirs. Au-dessus de sa tête, des rapaces décrivaient des cercles, se déplaçaient si lentement qu’ils semblaient faire partie du ciel. A plusieurs reprises elle avait vu des aigles à la gorge aussi blanche que la neige en contrebas.
La forêt était vivante. »

« Parfois, au milieu des ténèbres, des éléments de la forêt venaient à elle. Des rameaux pénétraient son corps, s’insinuait en elle, dans les endroits les plus intimes. Son corps appartenait à la forêt et si, parfois, la forêt venait et s’insinuait en elle… c’était le prix à payer, non ?
A payer pour quoi? interrogeait son cœur.
A payer pour vivre, répondait son âme. »

« Longtemps elle avait pensé qu’il n’est pas de lieu sûr, même dans nos pensées. Même là, il peut exister des pierres. Au détour du chemin on peut trouver un secret qui moisit dans le noir tel un champignon vénéneux. Le rêve était tel un sombre démon qui traînait derrière lui des lambeaux du passé. Il était difficile de différencier ce qui était squelette qu’il fallait enterrer et trésor qu’il fallait révéler. »

« Tu dis ça pour que je t’accepte dans mon lit ? lui demanda-t-elle d’une voix débordant d’émotion.
– Non. » D’un ton affectueux.  » je dis ça pour que tu m’acceptes dans ton cœur. »

« Elle me dit que ce sont des gens comme nous qui sauveront le monde : ceux qui ont marché du côté du chagrin et qui ont vu l’aube. »

Rene DENFELD, Trouver l’enfant, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Bondil, Rivages/Noir, 2020 (Rivages, 2019)

L’avis de Kathel et d’Aifelle

Défi Un hiver au chalet, catégorie Attache ta tuque avec d’la broche ! (un livre à la couverture enneigée)

Challenge Petit Bac 2021, catégorie Etre humain

La Géante

30 samedi Jan 2021

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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La Géante, Laurence Vilaine, Zulma

Quatrième de couverture :

Noële a toujours vécu au pied de la Géante, la montagne immuable qui impose son rythme, fournit les fagots pour l’hiver, bleuet, bourrache, gentiane pour les tisanes et les onguents. Elle est un peu sorcière, a appris les plantes et la nature sauvage grâce à la Tante qui les a recueillis, elle et son frère Rimbaud qui ne parle pas mais chante avec le petit-duc. Elle sait qu’on ne peut rien attendre du ciel, et n’a plus levé les yeux vers le soleil depuis longtemps. Repliée dans cet endroit loin de tout, elle mène une existence rugueuse comme un pierrier. 

Soudain surgit dans sa vie l’histoire de deux inconnus. Elle découvre par effraction ce que peut être le désir, le manque, l’amour qui porte ou qui encombre. Elle s’ouvre au pouvoir des mots.

La Géante, c’est une montagne que Laurence Vilaine nous invite à découvrir, à parcourir, de sentier en sentier à travers la forêt ou sur les pentes escarpées, une mère montagne secourable où on peut trouver les fagots de bois, les fruits sauvages et les herbes qui vous nourriront, vous chaufferont, vous guériront, mais aussi une montagne qui peut se montrer rude et peu accueillante si vous ne connaissez pas ses secrets. Une montagne au nom féminin où vont se croiser deux femmes : Noële (oui, avec un seul L), qui y est arrivée enfant, qui y vit depuis longtemps, qui connaît presque tous ses coins et recoins grâce à l’initiation de la Tante, une femme dont l’existence est marquée par l’exil, la mort, l’âpre réalité de cette existence en altitude ; Carmen, « la femme qui monte », l’étrangère, l’inconnue qui vient frapper de ses poings et de pioche le sol glacé du village de Noële. Un lien inconnu de Carmen unit les deux femmes : les lettres que Carmen n’a cessé d’envoyer à Maxim, un journaliste venu se réfugier dans la Maison Froide, en face de chez Noële. Lui qui aime tant les mots, les lettres, lus, écrits, a éveillé quelque chose chez celle qui parle très peu.

Laurence Vilaine, que je découvre enfin avec La Géante, nous conte cette histoire avec poésie et simplicité, avec pureté, oserais-je dire, rien que de nécessaire pour entrer avec délicatesse dans la vie de Noële, dans la nuit de Maxim, dans l’attente de Carmen et dans la douceur de Rimbaud. Un caillou, une fleur têtue, un fagot de bois, un peu d’eau fraîche, vous n’aurez besoin que de l’essentiel pour apprécier ce petit bijou littéraire.

« Jamais la Géante n’a connu de cri de la sorte, jamais dans ses gorges, dans ses bois, dans ses grottes, jamais de ses milliards d’années d’existence ou bien ce cri peut-être venait-il de là, de ces milliards d’années-là jusqu’à cet instant, un long cri de guerre, celui-là même peut-être qui fait trembler les entrailles de la Terre, se dresser les montagnes et rugir les océans – le cri des hommes contre la mort. »

« Ça sent la terre profonde dans le bois, j’ai pensé aux bêtes sauvages, et aux femmes et aux hommes qui un jour sûrement sont passés là, des années, des siècles avant moi, je me suis dit que le bois n’avait pas voulu d’eux, ni de leurs ponts, ni de leurs chapelles, que la nature est plus forte que les humains qui passent leur vie à chercher leur place. »

« Je ne sais pas le cœur qui s’affole quand il espère ou combien le désespoir le resserre, je n’ai jamais perdu l’appétit à cause de la joie ou de la tristesse, je mange parce que la pendule dit que c’est l’heure, j’obéis à des aiguilles qui me rappellent le coucher et au jour qui, par la fente des volets, me somme de me lever. Quand mes jambes flageolent, c’est à cause des kilomètres et de la fatigue, mais jamais elles n’ont tremblé d’impatience ou de plaisir. Elles ne savent pas ce qu’est courir vers le bonheur, elles ignorent même ce qu’est l’attendre – ce sont les lettres, soir après soir, qui m’ont appris la voix qui tremble. »

Laurence VILAINE, La Géante, Zulma, 2020

Un Zulma par mois

Défi Un hiver au chalet, catégorie Promenade en raquettes (un roman où la nature tient une grande place)

Brexit Romance

26 mardi Jan 2021

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots en Jeunesse, Des Mots français

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Brexit, Clémentine Beauvais, Sarbacane

Quatrième de couverture :

Juillet 2017 : un an que « Brexit means Brexit » !

Ce qui n’empêche pas la rêveuse Marguerite Fiorel, 17 ans, jeune soprano française, de venir à Londres par l’Eurostar, pour chanter dans Les Noces de Figaro ! À ses côtés, son cher professeur, Pierre Kamenev.

Leur chemin croise celui d’un flamboyant lord anglais, Cosmo Carraway, et de l’électrique Justine Dodgson, créatrice d’une start-up secrète, BREXIT ROMANCE. Son but ? Organiser des mariages blancs entre Français et Anglais… pour leur faire obtenir le passeport européen.

Mais pas facile d’arranger ce genre d’alliances sans se faire des noeuds au cerveau – et au coeur !

Après Le coeur de l’Angleterre, et contrairement à tous mes plans de lecture (haha !), la lecture de Brexit Romance s’est naturellement imposée. Une lecture jeunesse, le point de vue d’une autrice française vivant depuis plusieurs années en Angleterre, un titre à la fois accrocheur et mystérieux, ça s’imposait, non ? Et je n’ai pas été déçue ! Déjà rien que parce que, dans le roman de Jonathan Coe, il y a une Coriandre et ici, une Cannelle 😉

Ceci dit, c’est très compliqué de parler de ce roman qui mêle comédie romantique, opéra tumultueux et humour so british ! La galerie de personnages est savoureuse, de la fraîche Marguerite, jeune soprano amoureuse d’une certaine image de l’Angleterre à la Jane Austen à l’entreprenante Justine créatrice de cette improbable start-up et accro aux réseaux sociaux en passant par le jeune lord Cosmo Carraway proche de l’extrême-droite anglaise et par Pierre Kamenev, le mentor de Marguerite, psychorigide nourri aux théories marxistes. Tout ce beau monde, et bien d’autres personnages secondaires tout aussi ébouriffants, va se retrouver à Londres (et ensuite dans la campagne anglaise, of course, au « nord de Londres ») dans un ballet de relations « vrai ou faux amour » dont il sera bien difficile de dénouer les intrigues. En quatre actes, Clémentine Beauvais nous fait passer de la banlieue au coeur de Londres, de ruptures en rencontres, de casse-tête amoureux en vrai procès à la Cour, des escalators vertigineux du métro à une virée en camionnette à glaces poussive, en n’oubliant jamais de prendre des photos et d’inonder de messages Facemachin et autre Instatruc. Sans oublier non plus d’ajouter un animal de compagnie, le mignon « Jeremy Corbyn ». Et à travers cette folle équipée pleine d’humour, l’auteure réussit à nous faire comprendre des problèmes très sérieux de l’Angleterre actuelle et du Brexit. Du grand art, servi notamment par des dialogues affutés et une langue qui se joue des bizarreries de l’anglais et du français (et des quiproquos) avec une délicieuse impertinence. Elle est balèze, Clémentine Beauvais, vraiment balèze, my love 😉

« Il est de notoriété publique que toute jeune personne Britannique en possession de ses capacités cérébrales doit, à la suite du Brexit, être à la recherche d’un passeport européen. Mais ironiquement, l’Europe est quant à elle pleine de jeunes personnes souhaitant venir résider en Grande-Bretagne, afin d’acquérir notre langue et de profiter de notre marché du travail. Ces deux désirs se rencontrant créent une situation favorable à l’établissement d’un contrat octroyant à l’un des conjoints le précieux document administratif, et à l’autre l’opportunité de séjourner dans le pays pendant plusieurs années. »

« Kamenev n’était âgé que de vingt-six ans, et il estimait que c’est état de fait était déplorable ; il s’évertuait à compenser en portant, en toute saison, des chaussures en cuir, des livres reliés cuir, une montre en cuir, et un air de dur à cuire. Le vouvoiement était son accessoire préféré. Il le brandissait au nez des gens comme on déploie brusquement un parapluie. »

« We’ve got to take the tube, I’m afraid ». Ah, ok ! c’est juste qu’on va devoir prendre le métro, traduisit Marguerite, ‘et elle a peur. – Elle a peur ? répéta Kamenev. ‘Bah ouais, avec les terroristes et tout’, hypothétisa Marguerite. »

« Je rentre en France ! Et vous vous démerdez avec votre Brexit à la con. Je m’en balec. »
Justine n’était pas trop sûre de ce que voulait dire « je m’en balec », mais elle dit très vite :
« Ne t’en balec pas, Cannelle, attends ! »

«  »Tellement de trac ! J’ai des papillons dans l’estomac, dit Matt. Enfin, l’équivalent français. C’est quoi, en français,  » J’ai des papillons dans l’estomac » ? demanda-t-il à Cannelle.
 » J’ai la gerbe ? tenta celle-ci. »

« Il faut que je vous explique le plan d’attaque, parce que c’est compliqué ces choses-là et ça demande de la stratégie. On va faire la feinte dite de Natacha- Bolkonsky. Vous savez qui c’est ?
 » Une joueuse de tennis ?
« Presque. Ce sont deux personnages de Guerre et Paix. »
« Ah ? « 
« Et donc , ils se fiancent, MAIS ils attendent une année avant de se marier. »
« Pourquoi? »
 » Ecoutez, vous le lirez et vous le découvrirez vous même, je ne vais pas vous le spoiler, c’est un bouquin très sympa. »

Clémentine BEAUVAIS, Brexit Romance, Sarbacane, 2017

Défi Un hiver au chalet catégorie Bonhomme de neige ! (un roman jeunesse) 

Les Pas perdus du Paradis

12 mardi Jan 2021

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin

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Catherine Deschepper, Editions de Beauvilliers, exil, maladie d'Alzheimer

Quatrième de couverture :

Nathan a seize ans. Un cerveau un peu trop encombrant, des amis triés sur le volet, des parents qui se disputent tout le temps, une grand-mère un peu dingue et une amoureuse qui a fui l’Erythrée. Nathan a seize ans et son univers s’écroule, un soir de pluie (les drames arrivent toujours les soirs de pluie), quand il apprend tout à la fois que Saïma a décidé de partir en « Youké » et que les fantaisies de sa grand-mère vont la condamner à la séniorie. L’une n’a plus d’endroit où loger, l’autre ne peut plus vivre seule dans sa petite maison de la rue du Paradis. La solution semble toute trouvée…

Catherine Deschepper a déjà écrit deux recueils de nouvelles publiés chez Quadrature, Un kiwi dans le cendrier et Bruxelles à contrejour et voilà qu’elle a trouvé un petit éditeur français pour publier son premier roman destiné aux grands ados. Je pense que celui-ci peut même carrément plaire aux adultes par les thématiques qu’il aborde.

Le narrateur est donc Nathan, seize ans, confronté à la détresse d’une famille venue d’Erythrée et qui a traversé l’enfer pour arriver en France (petit détail, je ne sais pourquoi, je me sentais plus en Belgique qu’en France en lisant ce roman). Il est tombé amoureux de Saïma, la fille aînée. Un jour, la mère et la petite soeur de Saïma sont arrêtées par la police et retenues en centre fermé. La jeune fille, qui a échappé par miracle à l’arrestation, veut réaliser le rêve de sa mère : atteindre le Royaume-Uni, le « Youké ». Et pour la cacher, en attendant le grand départ, Nathan (et ses potes, très importants dans l’histoire) trouvent la solution qu’ils pensent géniale : faire habiter Saïma chez Mamynou, la grand-mère de Nathan, dont l’esprit commence à divaguer joyeusement (ou dangereusement, selon le point de vue) depuis quelque temps et que les parents du garçon envisagent très sérieusement de placer. 

Deux thèmes assez lourds donc, l’exil et la maladie d’Alzheimer auxquels se greffent les amours adolescentes et l’amitié. Sur quatre saisons, Nathan et ses amis, Saïma vont grandir, la vraie vie va les presser d’avancer, d’évoluer, d’inventer des lendemains qu’on espère meilleurs. « C’est ça la vie ! » comme aiment à le répéter Saïma et Mamynou. Les adultes vont eux aussi apprendre de cette expérience inédite. Certes Mamynou m’a paru vraiment très à l’ouest dans ses délires et ces jeunes gens portent vraiment beaucoup sur leurs épaules, la fin m’a paru un peu abrupte mais la finesse psychologique que j’avais tant appréciée dans Un kiwi dans le cendrier, le traitement moderne des thèmes sont intéressants. Le roman est plein d’humour et d’espoir finalement, sous la plume élégante de Catherine Deschepper.

Catherine DESCHEPPER, Les Pas perdus du Paradis, Editions de Beauvilliers, 2020

P.S. J’espère que ce joli premier roman sera suivi d’autres textes qui seront mieux mis en valeur par cet éditeur (ou un autre, mais oui ?) : ne vous laissez pas arrêter par cette couverture très austère…

L’avis d’Argali

Challenge Petit Bac 2021 : Adjectif

Sous la glace

20 vendredi Nov 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des mots du Québec, Des Mots noirs

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Armand Gamache, Babel noir, Louise Penny

Présentation de l’éditeur :

Lorsque l’inspecteur Armand Gamache est chargé d’enquêter sur un nouveau meurtre survenu au sein de la petite communauté de Three Pines, il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que la victime ne manquera à personne. D’ailleurs, personne ne l’a vue se faire électrocuter en plein milieu d’un lac gelé lors d’une compétition de curling. Pourtant, il y a forcément eu des témoins… Un deuxième roman qui confirme que Louise Penny est l’héritière naturelle d’Agatha Christie.

Nous revoilà à Three Pines, ce charmant village des Cantons de l’Est, un peu avant Noël. Louise Penny prend le temps d’installer à nouveau ses personnages, la vie du village à l’approche des fêtes, jusqu’au lendemain de Noël, où une femme récemment installée dans la maison des Hadley (là où s’était terminée la première enquête) est assassinée pendant le traditionnel match de curling. Et il faut reconnaître que la méthode employée est inhabituelle et sophistiquée : CC de Poitiers a été électrocutée grâce à un stratagème soigneusement préparé mais personne n’a rien vu ni entendu parmi les clameurs des supporters de l’équipe locale. L’inspecteur-chef Armand Gamache est appelé sur les lieux avec toute son équipe, alors qu’il tentait de comprendre pourquoi une clocharde a été assassinée devant un grand magasin de Montréal. 

Nous retrouvons donc les collègues de Gamache, son adjoint Jean-Guy Beauvoir, l’agente Isabelle Lacoste et même la détestable Yvette Nichol qui débarque sans avoir été invitée. Un petit nouveau prometteur se joint aux enquêteurs, l’agent Lemieux qui essaye de profiter au mieux des leçons de Gamache. Celui-ci mène l’enquête comme à son habitude, en faisant parler les gens, en observant la vie du village, en marchant dans la neige pour réfléchir. Pourquoi CC a-t-elle tuée et surtout qui l’a tuée ? Cette femme arrogante, blessante, créatrice d’une méthode spirituelle qui veut bannir toute émotion, était aussi l’épouse d’un homme falot et une mère toxique que tout le monde détestait. Pourquoi a-t-elle tenu à venir habiter à Three Pines ? L’inspecteur-chef va peu à peu comprendre l’influence du passé sur le crime d’aujourd’hui et va nouer les fils entre le meurtre de CC et le meurtre de la sans-abri de Montréal.

J’avais déjà été conquise par le personnage de l’inspecteur-chef Gamache dans le premier tome de la série, mais là je suis définitivement séduite par sa personne, son équanimité, sa bienveillance, son humour discret, sa droiture qui le font tenir bon sans hésiter, même si nous sentons bien que l’ombre d’une ancienne affaire tragique plane sur toute l’équipe et que Gamache risque gros par rapport à sa hiérarchie. C’est un grand homme, ce monsieur Gamache, et je le retrouverai avec plaisir une prochaine fois, dans ce merveilleux petit village bien caché dans la forêt, qui m’a déjà fait ressentir l’ambiance de Noël en cette année compliquée. Merci, Madame Penny…

« Le bistro était son arme secrète pour traquer les meurtriers. Non seulement à Three Pines, mais dans chaque ville et village du Québec. Il trouvait d’abord un café, une brasserie ou un bistro confortable, puis il trouvait le meurtrier. »

« Armand Gamache savait ce qu’un grand nombre de ses collègues n’avaient jamais compris. Le meurtre est profondément humain ; la victime et le meurtrier. Décrire ce dernier sous un jour monstrueux ou grotesque, c’est lui donner un avantage injuste. Les tueurs sont des humains et chaque meurtre prend racine dans une émotion. » 

« Cette librairie faisait penser à une vieille bibliothèque dans une maison de campagne. Les murs étaient tapissés d’étagères de bois aux couleurs chaudes, elles mêmes couvertes de livres. Des tapis au crochet étaient éparpillés ici et là et un poêle à bois Vermont Castings trônait au milieu de la pièce, devant un canapé flanqué de deux chaises à bascule. Gamache, qui adorait les librairies, n’en avait pas vu de plus belle. »

« Comment savait-il qu’il y avait un ‘mais’ ? Beauvoir espérait que Gamache ne pouvait pas vraiment lire dans ses pensées, et ce n’était pas la première fois. Comme disait son grand-père : Ne va pas voir tout seul dans ta tête, mon petit garçon. C’est un endroit terrible. »

« Les gens me croient cynique à cause de mon travail, dit Gamache, mais ils ne comprennent pas. C’est exactement comme vous venez de le décrire. Je passe mes journées à examiner la pièce du fond, celle qu’on garde verrouillée et cachée, même à nos propres yeux. Celle qui contient tous nos monstres, fétides, pourrissants, qui attendent. Ma tâche consiste à trouver des gens qui ôtent la vie à d’autres. Et, pour y parvenir, à découvrir pourquoi. Pour cela, il faut que j’entre dans leur tête et que j’ouvre cette dernière porte. Puis quand j’en ressors – il ouvrit les bras dans un grand geste – , le monde est soudain plus beau, plus vivant, plus merveilleux que jamais. Lorsqu’on voit le pire, on apprécie le meilleur. »

« Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner,
Oubliez l’offrande parfaite,
Il y a en toute chose une fêlure
Par laquelle la lumière pénètre. »

Louise PENNY, Sous la glace, traduit de l’anglais (Canada) par Michel Saint-Germain, Babel noir, 2013

L’avis d’Aifelle

Québec en novembre – Catégorie La nuit qui tombe (polar, thriller, …) + LC Louise Penny ce 20 novembre

Le lièvre d’Amérique

17 mardi Nov 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des mots du Québec

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La Peuplade, Mireille Gagné, Premier Roman

Pour une fois je ne reproduis pas la quatrième de couverture qui, à mon avis, en dit trop. Et mon billet ne sera pas long, histoire de ne pas trop en dire sur ce premier roman de Mireille Gagné.

Cela commence par une description du comportement du lièvre d’Amérique. Puis nous faisons connaissance de Diane, qui se réveille d’une mystérieuse opération. Nous retournons ensuite dans le passé de la jeune femme, à l’Ile-aux-Grues, là ou elle a connu Eugène, un ado proche de la nature et de la mer. Nous revenons ensuite dans le monde du travail de Diane.

Chaque partie du roman, séparée par une double page illustrée que vous découvrirez si vous décidez de le lire, est ainsi constituée de quatre éléments qui sont comme des pièces de puzzle qui nous permettront de comprendre ce qu’ont vécu Eugène et Diane (le choix de ce prénom n’est pas indifférent, il m’a fait penser à Diane chasseresse) et quelle est la mystérieuse opération subie par la jeune femme. J’ai été touchée par ce qui est arrivé aux deux adolescents sur l’île, comment les blessures de jeunesse peuvent influer profondément sur les vies adultes. Un joli lexique à la fin du roman nous permet de saisir la beauté de l’Ile-aux-Grues. Et à la fin aussi, l’autrice nous livre une légende algonquienne qui donne un autre éclairage au récit. Le tout forme un objet littéraire intelligent et sensible, un premier roman original et réussi caché derrière une bien jolie couverture.

« Sur le pont, elle regarde le fleuve s’écouler en dessous d’elle. La marée descend, elle aussi. Elle se sent comme les eaux qui se retirent lentement après les grandes marées. Il restera beaucoup de débris, mais il fera beau demain. »

« Diane ne se souvenait pas de cette impression de faire entièrement partie du paysage, de la proximité des grandes oies des neiges, comme si elles piétinaient sa peau. C’est sûrement ça qu’elle avait oublié en partant subitement. L’appartenance. »

Mireille GAGNE, Le lièvre d’Amérique, La Peuplade, 2020

Les avis tout récents de Kathel et Karine

Québec en novembre – Catégorie On jase de toi (livre paru en 2020)

La curieuse histoire d’un chat moribond

13 vendredi Nov 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des mots du Québec, Des Mots en Jeunesse

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Hurtubise, Marie-Renée Lavoie

Quatrième de couverture :

Après avoir été trouvé dans la forêt par une petite fille qui pique-niquait, Ti-Chat se refait une vie dans une ruelle d’une ville du Québec, alors qu’il se croit en Australie. Le sauveront aussi du danger : Prémâché, le gros chat pas propre de la ruelle; l’USA, l’unité spéciale des araignées de sous-sol; Billy, le gentil voisin; et les parents de la petite fille, qui ont la chance incroyable d’être des bonshommes allumettes.

La drôle d’histoire d’un chat qui meurt souvent et ne grandit pas.

Après La femme qui fuit, il me fallait une transition pour éviter que le roman suivant ne souffre de la comparaison. J’ai donc sorti ce roman jeunesse de la PAL, c’était aussi l’occasion de retrouver Marie-Renée Lavoie dans une autre veine que La petite et le vieux. Et puis c’est vendredi 13, date idéale pour parler d’un petit chat noir 😉

C’est un roman jeunesse que l’éditeur conseille à partir de 10 ans (oui, il faut un peu de second degré pour apprécier) et mon âme d’enfant a adoré ce Ti-Chat qui, attiré par une mouche, a quitté les flancs maternels et s’est perdu pendant au moins deux mille jours dans la forêt d’où il a eu le courage de ressortir pour être – ouf ! – recueilli par une adorable petite fille qui va lui offrir tout son amour et une chouette famille. Sans compter tous les occupants de la maison et de la ruelle avec qui Ti-Chat va nouer des liens particuliers. Ti-Chat flanque régulièrement la frousse à sa famille car il a ramené de la forêt un drôle de truc qui l’empêche de grandir et lui fait faire de drôles de crises. Et c’est sans compter son goût inné pour les bêtises en tous genres qui mettent aussi sa vie en péril. Mais heureusement il peut compter sur ses amis pleins de ressources et il nous donne le sourire à chaque page. En plus les parents de la petite fille sont des bonshommes allumettes et Marie-Renée Lavoie s’amuse à nous dessiner des scènes de leur vie au fil des chapitres, un mini-roman dans le roman. Il y a une suite que je lirai avec plaisir… une autre fois.

« On dira ce qu’on voudra, il n’y a pas d’avenir possible pour un bébé chat tout seul dans les bois. Un tout petit mini riquiqui chat perdu dans la forêt, ça n’a aucune chance. Je sais de quoi je parle.

C’est un peu gênant à avouer, mais je me suis perdu à cause d’une grosse mouche moche aux pattes pleines de crottes avec des yeux de merlan frit. Je siestais gentiment dans la grange avec mes frères et soeurs quand elle s’est mise à me ziiiiziiiiter dans les oreilles. De quoi me rendre complètement fou ! J’ai dû la poursuivre jusque dans les tréfonds de la forêt pour qu’elle finisse par me laisser tranquille.

Après ça, quand j’ai voulu revenir chez moi, à la ferme, impossible de la retrouver. Pouf ! Envolée, la ferme ! Et plus je la cherchais, plus je m’enfonçais dans le labyrinthe tortueux des sentiers de la forêt. J’ai bien marché deux ou trois millions de kilomètres comme ça, sans m’arrêter. Je me suis retrouvé à l’autre bout du monde, assurément pas loin de l’Australie. J’étais même étonné de ne pas marcher la tête en bas. » (p. 7-8)

« -Nous sommes l’unité spéciale d’arachno-intervention, l’USA.

-C’est drôle, ça me dit quelque chose… Ce ne serait pas un acronyme pour autre chose ?

-Il y a des tas d’organisations qui essaient de nous copier, faut se méfier. » (p. 74)

Marie-Renée LAVOIE, La curieuse histoire d’un chat moribond, Hurtubise, 2014

Québec en novembre – Catégorie Tit-Cul (un roman jeunesse)

Ce livre a aussi traversé l’Atlantique et est édité en Belgique par les éditions Alice.

La femme qui fuit

10 mardi Nov 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des mots du Québec

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Anaïs Barbeau-Lavalette, Editions Marchand de feuilles, La femme qui fuit

Quatrième de couverture :

Anaïs Barbeau-Lavalette n’a pas connu la mère de sa mère. De sa vie, elle ne savait que très peu de choses. Cette femme s’appelait Suzanne. En 1948, elle est aux côtés de Borduas, Gauvreau et Riopelle quand ils signent Refus Global. Avec Barbeau, elle fonde une famille. Mais très tôt, elle abandonne ses deux enfants. Pour toujours.

Afin de remonter le cours de la vie de cette femme à la fois révoltée et révoltante, l’auteur a engagé une détective privée. Les petites et grandes découvertes n’allaient pas tarder.

Enfance les pieds dans la boue, bataille contre les petits Anglais, éprise d’un directeur de conscience, fugue vers Montréal, frénésie artistique des Automatistes, romances folles en Europe, combats aux sein des mouvements noirs de l’Amérique en colère; elle fut arracheuse de pissenlits en Ontario, postière en Gaspésie, peintre, poète, amoureuse, amante, dévorante… et fantôme.

La femme qui fuit est l’aventure d’une femme explosive, une femme volcan, une femme funambule, restée en marge de l’histoire, qui traversa librement le siècle et ses tempêtes.

Pour l’auteur, c’est aussi une adresse, directe et sans fard, à celle qui blessa sa mère à jamais.

Quelle lecture, mais quelle lecture ! C’est un coup de coeur ou plutôt un coup au coeur que nous envoie Anaïs Barbeau-Lavalette en prenant pour sujet d’écriture sa grand-mère maternelle, Suzanne Meloche ou Suzanne Barbeau, qu’elle n’a quasiment pas connue, sauf lors de brèves et rares visites. Et pour cause : Suzanne a quitté son mari et ses enfants lorsque ceux-ci avaient trois et un an, elle est partie sans se retourner ou presque. Le manque maternel a fait basculer dans la folie son fils François, adopté par des entrepreneurs en pompes funèbres, et a longtemps érodé le coeur de Mousse, sa fille aînée, qui a réussi à construire une famille unie, attachée, où on ne se quitte pas. 

Mais il faut revenir en arrière, à cette enfance de Suzanne (née en 1926) à Ottawa, où francophones et anglophones se confrontent, où la religion catholique et un gouvernement très conservateur (de ce que j’en ai compris à la lecture) corsettent la société. Suzanne observe sa mère abandonner ses rêves et s’épuiser dans les maternités à répétition. Dès qu’elle en a l’occasion, elle s’échappe de sa famille et part étudier à Montréal. Là elle se lie au mouvement des automatistes québécois, sous la houlette de Paul-Emile Borduas. Petit point d’info grâce à Wiki : « À l’encontre des surréalistes, les Automatistes préconisent une approche intuitive expérimentale non représentative conduisant à un renouvellement en profondeur du langage artistique. » Plusieurs des artistes qui le composent vont signer en 1948 le manifeste Refus global. Suzanne se retirera au dernier moment des signataires, sans doute déjà réfractaire à toute forme d’embrigadement, aussi légitime soit-elle. Face au pouvoir toujours très conservateur qui censure ce qui lui paraît immoral voire non conventionnel, autant dire que les peintres, danseuses, écrivains du groupe vont subir de lourdes conséquences : perte de travail, privation de liberté d’expression. Suzanne et Marcel Barbeau, qui se sont mariés dans ce mouvement, partent à la campagne avec d’autres compagnons et vivent un peu comme une communauté écolo avant l’heure, dans des conditions assez précaires. Les enfants arrivent, Suzanne a une relation très forte, fusionnelle avec ses enfants, Mousse (Manon) et François. Mais la misère, le sentiment d’enfermement sans doute, la difficulté d’exister en tant qu’artiste face à son mari, lui font tout quitter : le couple se sépare en 1952, ils laissent les enfants dans une « garderie », quelques mois pus tard ils les abandonnent officiellement (François sera adopté et Mousse sera élevée par ses tantes paternelles). A partir de là, Suzanne vivra ici et là, seule ou en couple, elle exerce divers métiers, elle ira jusqu’en Europe, à New York où elle côtoiera Jackson Pollock, elle accompagnera un mouvement de libération des Noirs jusqu’en Alabama. Elle peint, elle écrit mais après 1964 on n’entendra plus jamais parler d’elle sur la scène artistique, jusqu’à la réédition de son recueil de poèmes en 1980. 

J’ai conscience d’en dire beaucoup peut-être, mais cette femme est tellement intéressante et il me fallait vérifier si cette femme avait bien existé, ce qu’elle avait fait, qui étaient les artistes qu’elle a fréquentés. Peut-être aussi ce besoin d’informations était-il nécessaire pour contrebalancer les émotions de cette lecture, de ce texte qui m’a happée dès les premières pages. Au départ, on sent Anaïs Barbeau-Lavalette remplie d’amertume, de ressentiment envers cette grand-mère qui a abandonné sa fille (la mère d’Anaïs) et n’a jamais – ou si peu – cherché à renouer le contact, qui est morte seule dans son appartement d’Ottawa en 2009. Quand cet appartement est vidé, l’autrice récupère un carton de lettres, d’articles de journaux, à partir desquels elle va chercher à savoir qui était Suzanne Barbeau. Elle a même engagé une journaliste-détective pour compléter ses recherches : c’est très émouvant de lire la liste des personnes qu’elle remercie à la fin du livre. 

Au final, elle dresse le portrait d’une femme qui ne s’est jamais laissé enfermer et qui, pour cela, a fui régulièrement, une femme qui ne s’est jamais revendiqué comme féministe mais qui a voulu vivre ses aspirations intellectuelles, artistiques tout en vivant l’amour et la maternité, une femme qui a fui ces attaches-là en s’arrachant le coeur pour vivre libre et qui a payé au prix fort cette liberté. Une femme et après elle, une génération de femmes à laquelle je n’ai pu que m’attacher, même si elle m’a elle aussi déchiré le coeur à plusieurs reprises. Sans doute est-on plus facilement happé(e) dans ces pages qu’Anaïs Barbeau-Lavalette s’adresse directement à Suzanne, en « tu », et son écriture sensible fait le reste.

Coup au coeur donc, et sans aucun doute une de mes plus belles lectures de l’année.

« Dans le train, de retour vers Ottawa, tu as l’impression qu’il n’y a que toi qui bouges et que le reste est immobile. Une nuit épaisse rayonne dehors. Tu tiens l’encre aspirante de Marcel serrée dans ta poche. Tu as un geyser dans le ventre et rien autour ne semble capable de l’accueillir.

Tu ne savais rien de Montréal. Rie qu’Hilda Strike et des miettes de Duplessis.

Tu ne sais pas grand-chose de plus. Sauf une porte ouverte sur des corps mouvants, qui parlent fort dans un nuage de fumée, qui goûtent et partagent le vin en réfléchissant à des formes obscures et invitantes.

Tu sais aussi que ces gens-là te redonnent le goût de l’autre.

Tu étais une île, et tu sens que tu as peut-être un pays.

Tu reviens donc chez toi en ébullition. Les jours reprennent leur cours, mais tu les traverses autrement. Portée par le courant. Tu sais maintenant que tu as un ailleurs.

Ce que tu ne sais pas, c’est que tu en auras toujours un, et jamais le même. Ce sera ta tragédie. » (p. 86-87)

« Montréal a quelque chose de toi. La langue, peut-être, d’abord. Toi qui aimes tant les mots, tu es ici en ton pays.

Contrairement à ton bord de rivière, ici, la langue française fait l’objet d’encensement et de louanges de toutes sortes. On la célèbre dans des congrès, on fonde des sociétés pour sa défense, sa conservation, son épuration…

Ton père serait fier de te voir baigner en cette terre où la langue est un joyau. » (p. 97)

« Tu prends enfin la main de Mousse dans la tienne et y déposes la promesse brûlante de ton envol. En espérant qu’un jour, elle s’y abreuvera.

Mais Mousse a trois ans et c’est dans tes jupes et tes chansons qu’elle existe. C’est dans l’effluve rassurant de ton cou et l’antre  de tes bras refermés sur elle qu’elle trouve son souffle.

 Ce matin-là, sur une route de terre sans fin, tu lui passes la corde au coeur, tu lacères ce qui la relie au monde. » (p. 222)

« La soirée se poursuit. Tu n’y cherches qu’une alcôve pour t’y perdre une dernière fois dans le corps fragile de cet homme-là. Pour vous retrouver un temps dans la liberté terrifiante de ceux qui restent seuls. » (p. 236)

« Deux cent trente sept, 122 Street. Harlem est noir. Exclusivement. Tu le sais. Tu le sens, en y pénétrant. Et tu retrouves ton statut d’intrus. Cet état que tu connais en profondeur. Ce sentiment de non-appartenance. Tu le portes depuis l’enfance. Tu le connais si bien qu’il te rassure. Tu te sens en terrain connu : différente. » (p. 271)

« Tu as déserté. Tu as tiré sur tes racines. Ça saigne. Mais tu ne panses rien. Tu iras jusqu’au bout de ton sang et nageras dedans. » (p. 273)

Anaïs BARBEAU-LAVALETTE, La femme qui fuit, Editions Marchand de feuilles, 2015

L’avis de Karine

Québec en novembre – Catégorie Grand champion (prix des libraires 2016) et J’aurais voulu être un artiste

Le livre a aussi traversé l’Atlantique et est édité au Livre de poche.

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