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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Catégorie: Des Mots nord-américains

Jeu blanc

20 samedi Mai 2023

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains

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Editions Zoé, Richard Wagamese

Quatrième de couverture :

Il faut que Saul Indian Horse raconte son histoire, qu’il se remémore son enfance rythmée par les légendes ojibwés, la récolte du riz et la pêche ; son exil l’hiver de ses huit ans et son adolescence, passée dans un internat où des Blancs font tout pour effacer en lui son indianité. C’est pourtant au cœur de cet enfer qu’il trouve son salut, grâce au hockey sur glace. Joueur surdoué, Saul réussit à rejoindre l’élite du sport national, mais c’est sans compter le racisme qui règne dans le Canada des années 1970.

Richard Wagamese (malheureusement décédé assez jeune en 2017, à l’âge de 61 ans) appartient à la nation amérindienne ojibwé, originaire du nord-ouest de l’Ontario. Sa propre expérience l’a sans doute inspiré pour se mettre dans la peau du narrateur de ce roman, Saul Indian Horse, qui, au début, est interné dans un centre de désintoxication pour alcooliques et qui ne parvient pas à verbaliser son expérience et ses émotions : il est donc invité par un soignant à écrire son histoire, celle que nous allons découvrir au cours de ce roman construit sur 250 pages.

Saul raconte son enfance ojibwé jusqu’à ses huit ans, la famille déjà acculée à des marches pénibles par les Blancs mais guidée par la grand-mère qui connaît la vie en forêt, les déplacements bénéfiques suivant les saisons, les plantes à utiliser pour soigner, le contact avec les esprits de la famille et de la nature ; les parents de Saul, déjà déconnectés de cette vie dans la nature, marqués par l’alcool, « la boisson des Zhaunagush » (hommes blancs) et par la perte de deux enfants enlevés et emmenés dans des pensionnats blancs ; le grand frère de Saul, Benjamin, qui parvient à s’en enfuir mais en revient avec une tuberculose mortelle ; la dislocation de la famille suite à cette mort. Saul restera avec sa grand-mère qui le guidera et le protégera tant qu’elle peut, jusqu’à l’épuisement. Le garçon connaîtra à son tour le pensionnat de St Jerome’s et son lot de souffrances physiques et psychologiques, des traitements inhumains, dégradants dans ce qui n’a d’école que le nom.

Un jour, un nouveau religieux, le père Leboutilier, se met à initier les garçons au hockey. Il repère rapidement le talent inouï de Saul qui semble « voir » le jeu et s’y adapter à merveille. Dans les matches entre écoles, l’enfant, encore petit et maigre, est vite repéré ; il s’entraîne durement et progresse rapidement. Il est envoyé par le prêtre dans une famille dont les parents ont eux-mêmes été à St Jerome’s et dont le père est entraîneur et joueur. Saul, de plus en plus repéré, est amené à jouer en dehors des réserves indiennes, jusqu’à une équipe de Blancs où il subira le racisme « ordinaire » envers les Indiens. Et plus il progresse dans les échelons de ce sport, moins il s’y sent heureux, car le racisme et la violence qu’on l’invite à exercer en retour rendent le hockey impur pour lui. Il finira par tout lâcher et partir sur les routes, travaillant au gré des occasions et tombant lui aussi dans l’alcoolisme. Il porte en lui une colère, une rage inexprimables, inguérissables. Jusqu’à ce qu’il trouve le chemin de la rédemption.

Ce roman m’a bouleversée. Je connaissais le fait historique mais je n’avais encore jamais lu de fiction sur ce phénomène des pensionnats de religieux et religieuses blancs faits pour extirper la « sauvagerie » dans les enfants indiens, en faire des gamins sans racines, sans aucun sens à leur vie, de parfaits petits esclaves dans ces soi-disant écoles. Richard Wagamese raconte cela avec une grande simplicité, et c’est implacable. Il raconte aussi le hockey sur glace sans fard mais même si vous ne goûtez pas ce sport, vous ne pouvez pas ne pas vous y intéresser grâce au talent de Saul. Il laisse aussi la place à la nature, celle à laquelle on a arraché le jeune Ojibwé, mais avec laquelle il parviendra à renouer, au lac de ses ancêtres.

Après la lecture de Les étoiles s’éteignent à l’aube, voilà – s’il en fallait une – la confirmation que Richard Wagamese est un immense auteur, incontournable.

« On dit que nos pommettes ont été taillées dans ces chaînes granitiques qui s’élèvent au-dessus de notre patrie. On dit que le brun profond de nos yeux a suinté de la terre féconde autour des lacs et des marécages. Les Anciens disent que nos longs cheveux raides viennent des herbes ondulantes qui tapissent les rives des baies. Nos pieds et nos mains sont larges, plats et forts comme les pattes d’un ours. »

« Quand on t’arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d’où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés comme arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C’est l’enfer sur terre, cette impression d’être indigne. C’était ce qu’ils nous infligeaient. »

« Nous étions comme du bétail. C’est ainsi que nous étions traités. Nourris, abreuvés, contraints de porter notre fardeau quotidien et rentrés à l’abri pour la nuit. Quiconque s’esquivait ou se plaignait était battu devant tous les autres. C’était peut-être cela le plus grand crime : nous rendre complices en faisant de nous des témoins silencieux et impuissants. »

« C’est à l’intérieur que j’avais mal. M’enlever à la forêt et à mon peuple, c’était comme d’avoir déchiré la peau du ventre. Chaque fois que je bougeais ou qu’on m’obligeait à parler, il rugissait son inconcevable douleur . C’est ainsi que j’en vins à m’isoler… Je compris que je pouvais aspirer en moi les limites de mon être physique , réduire l’espace que j’occupais pour devenir un grain , une poussière , un atome indifférent sur sa propre orbite. »

« Ce sport si bien ordonné et à la vitesse explosive, que j’apprenais à pratiquer, m’enthousiasmait. Je voulais atteindre de nouveaux sommets, être l’une des rares étoiles. Mais ils ne voulaient pas me laisser être tout simplement un hockeyeur. Il fallait toujours que je sois un indien. »

Richard WAGAMESE, Jeu blanc, traduit de l’anglais par Christine Raguet, Editions Zoé, 2017

C’est une lecture commune avec Ingamnic qui nous propose de lire cette année sur les minorités ethniques. Son avis est ici.

Beignets de tomates vertes

25 samedi Fév 2023

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Fannie Flagg, J'ai lu

Quatrième de couverture :

Au sud de l’Amérique profonde, en Alabama, un café au bord d’une voie ferrée …
Ninny, fringante octogénaire, se souvient et raconte à Evelyn, une femme au foyer à l’existence monotone, les incroyables histoires de la petite ville de Whistle Stop. Grâce à l’adorable vieille dame, Evelyn, qui vit très mal l’approche de la cinquantaine, va peu à peu s’affirmer et reprendre goût à la vie.
Une chronique nostalgique et tendre, généreuse et colorée, pleine de saveur et d’humour.

Cela fait très longtemps que ce roman traîne dans mes piles à lire. J’ai vu l’adaptation cinématographique (il y a tout aussi longtemps) et je n’en ai aucun souvenir sinon que c’était bien. Pour une fois je n’ai pas lu la quatrième de couverture avant de commencer le roman.

Le roman navigue sans cesse entre passé et présent, entre la vie à Whistle Stop, Alabama. Le temps passé où une gare de triage animait la petite ville, au temps où Ruth et Idgie ont ouvert le Whistle Stop Café, qui deviendra un lieu d’accueil et de convivialité, de respect et de blagues, d’entraide et d’amitié, particulièrement au temps de la Grande Dépression. Un lieu où les Noirs sont accueillis et nourris comme les autres, certes à la porte de derrière pour préserver ce service, mais les propriétaires ne manquent pas d’audace ni de générosité. Il faut dire qu’Idgie et Ruth forment un couple original pour l’époque. Autour d’elles gravite toute une galerie de personnages savoureux, membres de la famille, amis, membres du Club des Cornichons, et autres « gens de couleur » comme on disait à l’époque. Au présent, en 1986, dans une maison de retraite d’Alabama, Evelyn Couch savoure les histoires du Whistle Stop Café racontées par Mrs Threadgoode, belle-soeur d’Idgie, des histoires qui redonnent du goût à sa morne existence.

C’était une lecture sympathique et touchante. La narration sous forme de chroniques a failli me lasser au milieu du roman mais j’ai bien fait de continuer pour connaître le fin mot de certaines histoires et pour apprécier ainsi le sens de la construction du roman de Fannie Flagg ‘- et pour rire aussi, notamment devant la démonstration de force du révérend Scroggins). J’ai évidemment apprécié l’humanité qui se dégage de ce livre dont les personnages principaux sont surtout des femmes : mention spéciale à celles qui portent la vie, qui en prennent soin et à celles qui osent s’affranchir des conventions, des contraintes, des rôles assignés et célèbrent elles aussi la vie haut et fort.

Il y a des dizaines de citations sur la page Babelio du livre.

Fannie FLAGG, Beignets de tomates vertes, traduit de l’américain par Philippe Rouard, 1992

Lecture dans le cadre du Mois afro-américain chez Enna

J’ai r!u ce livre il y a longtemps dans le cadre d’un swap américain. Merci pour le cadeau !

Enfants de poussière

30 mercredi Nov 2022

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains

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Craig Johnson, Gallmeister, Un an avec Gallmeister

Quatrième de couverture :

Absaroka, dans le Wyoming, est le comté le moins peuplé de l’État le moins peuplé d’Amérique. Y découvrir le corps d’une jeune Asiatique étranglée est plus que déconcertant. Le coupable paraît tout désigné quand on trouve, à proximité, un colosse indien frappé de mutisme en possession du sac à main de la jeune femme. Mais le shérif Walt Longmire n’est pas du genre à boucler son enquête à la va-vite. D’autant que le sac de la victime contient une vieille photo de Walt prise quarante ans plus tôt, et qui le renvoie à ses souvenirs de la guerre du Vietnam.

Enfants de poussière entremêle passé et présent au gré de deux enquêtes dont les échos inattendus nous entraînent à un rythme haletant des boîtes de nuit de Saïgon aux villes fantômes du Wyoming.

Petit billet sur le Gallmeister du mois.

C’est la quatrième enquête du shérif Walt Longmire que je lis et j’ai trouvé celle-ci passionnante et attachante.

Enquête passionnante parce que le roman mêle deux époques et deux enquêtes de Walt Longmire dans un contexte historique sensible, celui de la guerre du Vietnam. Dès qu’on trouve le corps de la jeune Asiatique dans son comté, Walt reconnaît immédiatement une jeune Vietnamienne. La photo retrouvée dans le sac de la jeune femme renvoie le shérif en 1968 peu avant ce qu’on a appelé « l’offensive du Têt ». Walt était alors enquêteur pour les marines : ses investigations sur un très gros trafic de drogue lui font connaître une jeune prostituée que l’on retrouvera assassinée. Le jeune Walt n’échappera pas à l’enfer des combats pour résoudre ces énigmes. Cela nous permet donc de comprendre encore mieux le shérif dans son comté d’Absaroka et sa détermination à trouver le meurtrier de Ho Thi. Seul Henry Standing Bear, qui a lui aussi fait la guerre du Vietnam, est à même de comprendre les motivations profondes de Walt.

Enquête attachante pour cette amitié unique entre le shérif et « la Nation cheyenne », pour le souci que se fait Walt envers sa fille Cady, en pleine rééducation physique et mentale (voir L’Indien blanc) et pour le maelstrom sentimental dans lequel le secoue son adjointe Vic.

Et bien sûr, toujours autant d’humour, d’auto-dérision dans le chef de mon shérif préféré.

« La beauté, c’est le télépéage de la vie. Moi, j’avais la chance de pouvoir emprunter la bande d’arrêt d’urgence. »

« – Ta chemise aurait besoin d’être repassée, Walter.
Gêné, je lissai les poches de mon uniforme et essayai désespérément de me souvenir du nom de son mari.
– Oui, madame. Comment va George ?
– Il est mort.
Voilà ce qu’on gagne à demander des nouvelles de personnes âgées. »

« Il savait que nos chemins n’étaient pas si différents l’un de l’autre. Nous nous étions tous les deux enfuis le plus loin possible de la guerre, jusqu’aux franges de notre société, mais le Vietnam nous avait rattrapés..
Peut-être n’était-ce pas tant que nous étions hantés, mais c’était la manière dont nous choisissions de gérer ces échos dans notre vie et le moment que nous choisissions pour le faire qui faisaient de nous des êtres à part. peut-être que le combat que j’avais choisi de mener au Vietnam avait laissé des marques. C’était un héritage qui me liait plus fortement aux morts qu’aux vivants. C’était là, disait Ruby, mon défaut. »

« – Vic dit que la plupart des avantages à vivre dans le Wyoming sont inattendus.
– C’est une femme moderne et elle a de grandes attentes. »

Craig JOHNSON, Enfants de poussière, traduit de l’américain par Sophie Aslanides, Gallmeister Totem, 2014 (Gallmeister, 2012)

Un an avec Gallmeister – thème de novembre : On mène l’enquête

Petit Bac 2022 – Famille 4

Le nom des étoiles

25 mardi Oct 2022

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains, Non Fiction

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Gallmeister, Pete Fromm

Quatrième de couverture :

Confortablement installé avec les siens à Great Falls, une ville paisible du Montana, Pete Fromm a depuis longtemps troqué sa tenue de ranger contre celle de père de famille. Il pensait que ses expériences dans les espaces sauvages des États-Unis appartenaient définitivement au passé. Jusqu’à ce qu’on lui propose de s’installer un mois au cœur de la Bob Marshall Wilderness afin de surveiller la croissance d’œufs de poissons. Comment refuser pareille occasion de renouer avec ces grands espaces qui font partie intégrante de son être ? Plus de vingt ans après son séjour à Indian Creek, voici donc Pete Fromm au seuil d’une nouvelle aventure en solitaire.

Entre souvenirs d’enfance, anecdotes de ranger et confessions d’un père désireux de transmettre son amour de la nature à ses enfants, Pete Fromm confie avec une incroyable sincérité son parcours de vie et nous fait partager ses échappées dans les grands espaces américains.

Dans ce livre, Pete Fromm s’interroge sur la trace qu’il laissera à ses enfants, il se demande quelle « colonne vertébrale » suffisamment solide pour qu’il puisse la transmettre à ses enfants a construit sa vie. Son séjour dans la Bob Marshall Wilderness, vingt ans après les sept mois d’hiver passés à Indian Creek, qui avaient définitivement orienté sa vie, lui apporte les réponses : alors que ses deux garçons Nolan et Aidan n’ont pu être du séjour pour des raisons de sécurité, c’est bien ce goût pour la vie sauvage, ses expériences de travail comme ranger ou maître nageur en pleine nature, ses longues randonnées en montagne qui ont façonné son être. C’est cet amour pour la nature qu’il veut transmettre à ses enfants, tout comme ses propres parents le lui ont transmis, quand ils emmenaient leur famille en vacances ou quand ils l’ont laissé vivre des expériences périlleuses, précaires, peu rentables quand il avait décidé de lâcher ses études pour aller vivre avec des oeufs de saumon à Indian Creek.

Je ne tiendrais pas deux jours dans les espaces que Pete Fromm nous décrit avec une grande connaissance des plantes, des arbres, des animaux mais j’aime toujours le suivre dans ses expéditions. J’admire son courage, son humour, son sens de l’autodérision, je suis touchée par l’hommage qu’il rend à ses mentors dans la vie sauvage, par son attachement à sa femme Rose, qui lui laisse elle aussi la liberté de vivre ses aspirations à la nature, et par son indéfectible fibre paternelle.

« — Tu as vu les empreintes d’ours ? me demanda-t-il.
Je regardai derrière moi.
— Non.
— Les chevaux ont dû les effacer. T’en fais pas, t’en verras plein d’autres !
— Ours noir ou grizzly ?
— Grizzly. Apparemment, ils prennent souvent ce chemin pour aller de Gates à la rivière.
Le chemin que je prendrais tous les jours.
— Génial. »

« Voilà des années et des années, des décennies que je n’ai plus repensé à un seul de ces voyages, que ce désir d’être loin, d’être seul en pleine nature ne m’a plus traversé l’esprit. Peut-être, le jour où je leur ai téléphoné pour leur dire que je partais pour Indian Creek, n’ont-ils pas été aussi surpris que je le croyais. Mais à présent, alors que je suis éveillé et que je regarde par la fenêtre le noir absolu d’une nuit pluvieuse dans le désert, tout me revient et je me rends compte que ce n’est pas seulement une chose ou deux, pas simplement une fusée atterrie ou un job de surveillant d’oeufs de saumon, c’est une vie entière qui m’a conduit jusqu’ici. Mes parents ont ouvert les portes, ils ont autorisé un membre de la portée à devenir sauvage. »

« Ces occasions qui s’offrent. Tout a été le fruit du hasard, tout ce qui m’a amené jusqu’ici. Mon père qui m’a incité à avancer dans une mare. Rader près d’un tonneau, amouraché d’une fille qu’il ne reverrait pratiquement jamais. Un noyé de trop repêché dans un lac que je n’aurais jamais cru voir. Une fille s’approchant de mon fauteuil de maître-nageur pour me parler d’un emploi consistant à être le baby-sitter de saumons. Un supérieur qui croyait tout ce que j’écrivais sur mon formulaire de candidature. La chance extraordinaire d’une épaule cassée qui m’avait placé sous la férule de Sage. Mais, honnêtement, n’est-ce pas toujours comme ça ? Juste un truc qui conduit au suivant, et ainsi de suite ? Sérieusement, y a-t-il des gens qui prévoient ce qui va leur arriver ? »

Pete FROMM, Le nom des étoiles, traduit de l’américain par Laurent Bury, Gallmeister, 2216

Un an avec Gallmeister – thème d’octobre : Retour au Montana

Sexy

27 mardi Sep 2022

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots en Jeunesse, Des Mots nord-américains

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Gallimard jeunesse, Joyce Carol Oates, Pôle Fiction

Quatrième de couverture :

Darren est, à seize ans, un des espoirs de l’équipe de natation. Timide mais très séduisant, sa beauté lumineuse lui attire toutes les faveurs, y compris celles de son professeur d’anglais, Mr Tracy. Un jour, les amis de Darren adressent au proviseur un courrier anonyme accusant Tracy de pédophilie…

Derrière cette couverture aux tons frais et au titre racoleur (le même qu’en anglais), se cache un roman d’initiation aux accents souvent troubles. Darren est un adolescent de seize ans, très beau mais il vit plutôt mal cette attirance que lui attire sa beauté. Tout en préservant les apparences d’un bon copain, d’un équipier assez fiable dans l’équipe de natation de son lycée, Darren peine à trouver sa place : il est issu d’un quartier périphérique moins favorisé de sa petite ville du New Hampshire, il cherche ses marques entouré d’un père et d’un frère aîné très virils qui lui enseignent un système de valeurs et d’honneur « exigeant ». Il n’a pas vraiment de petite amie même s’il attire tous les regards et ne sait trop comment se comporter avec l’amitié enamourée de Molly Rawlings. Il travaille moyennement alors que tout le monde semble attendre beaucoup mieux que lui. Parmi ses profs, Mr Tracy qui fait un peu penser à Mr Keating du Cercle des poètes disparus dans son exigence d’excellence et d’originalité et qui, un soir de tempête de neige, oblige presque Darren à monter dans sa voiture pour le reconduire chez lui… Plus tard, des étudiants frustrés vont faire circuler des rumeurs de pédophilie à propos du prof d’anglais…

C’est un roman court que l’on peut qualifier de roman d’initiation, où Darren se débat avec ses problèmes d’ado à travers la vie estudiantine très codifiée aux Etats-Unis et ses problèmes de conscience par rapport au scandale de pédophilie qui touche son lycée. Joyce Carol Oates frôle le glauque, mais maîtrise parfaitement son scénario, comme toujours, sauf la fin que je trouve peu convaincante, plaquée. Un roman à conseiller plutôt aux grands ados (et aux adultes, bien sûr, même si, dans sa production jeunesse, j’ai nettement préféré Nulle et grande gueule et Un endroit où se cacher).

« Certains de ceux qui le regardaient, fixant des yeux affamés sur lui, n’étaient ni des filles, ni des jeunes femmes, mais des hommes. Il voyait ça dans leur regard à quoi ils pensaient, et ça le dégoûtait. Avoir ce pouvoir l’excitait et l’effrayait à la fois. Sauf que ce n’était pas vraiment son pouvoir. Sauf qu’il n’en voulait pas vraiment. Parfois les hommes ( Darren était écœuré quand il y pensait, réellement choqué) étaient des adultes qu’il avait déjà rencontrés, des habitants de la ville, des hommes qui connaissaient sa famille.
Sexe, sexy. Être sexuel.
Il avait appris à baisser les yeux. A ne jamais avoir de contact visuel. »

« On n’aurait pas pensé que son coeur battait à l’intérieur de sa poitrine sous ses muscles tendus, et qu’il avait la peur au ventre à l’idée de rater. Quand il était avec ses copains, il paraissait confiant, souriant et sûr de lui. Même sur le plongeoir le plus haut, il avait une expression calme, imperturbable. C’était probablement l’impression que Darren Flynn donnait de lui aux autres. Il fallait cacher tellement de choses ! »

« Il me regarde comme s’il voyait quelqu’un d’autre, et pas moi. Un fils différent. Plus intelligent, meilleur athlète.
Quelqu’un qui ne le décevra pas. »

Joyce Carol OATES, Sexy, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Diane Ménard, Gallimard Jeunesse, collection Pôle Fiction, 2019

Le mois américain 2022 en solitaire avec Pativore et Belette2991

Avec ce titre, j’inaugure une série de billets consacrés à des lectures jeunesse.

La couleur de l’eau

23 vendredi Sep 2022

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains, Non Fiction

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Gallmeister, James McBride, Un an avec Gallmeister

Quatrième de couverture :

“Enfant, je n’ai jamais su d’où venait ma mère.” Arrivé à l’âge adulte, James McBride interroge celle qui l’a élevé et dont la peau est tellement plus claire que la sienne. Il découvre l’histoire cachée de Ruth, fille d’un rabbin polonais qui a bravé tous les interdits pour épouser un Noir protestant en 1942. Reniée par sa famille, elle élève James et ses onze frères et sœurs dans la précarité, le chaos et la joie. Pour elle, peu importe la couleur de peau. Seul compte l’avenir de ses enfants. Ils feront des études, et ainsi choisiront leur vie. Tressant leurs souvenirs, James McBride raconte, plein d’amour et de fierté, une femme forte et secrète, lucide et naïve, imperméable aux préjugés : sa mère.

Derrière cette magnifique couverture colorée se dévoile l’hommage d’un écrivain, d’un musicien à sa mère. Ruth, à l’origine Rachel Shilsky, est la fille d’un rabbin polonais émigré en Amérique, un homme dur, sans amour, qui a atterri en Virginie, où il se lancera avec succès dans le commerce, avec sa femme handicapée et ses trois enfants. L’enfance et l’adolescence de celle qui changera son prénom en Ruth n’a pas été rose du tout mais la jeune fille en sort sans préjugés de race, alors qu’elle vit dans une pette ville et un état marqués par le racisme. après avoir connu ‘amour avec un jeune Noir de Suffolk, elle quitte définitivement sa famille pour New York où sa rencontre avec Andrew McBride lui apportera l’amour et de nombreux enfants, dont le huitième, James, connaîtra à peine son père, emporté par la maladie. Ruth surmontera tant bien que mal son chagrin et se remariera avec Hunter Jordan, qui lui donnera encore quatre enfants et que James considérera comme son père. Après sa mort, le jeune homme risque de virer drogué, délinquant mais c’est sans doute la musique et l’art qui le sauveront. Toute sa vie, Ruth tirera le diable par la queue pour élever ses enfants, avec une débrouillardise qui force l’admiration, car elle a pour ambition que tous ses enfants fassent des études universitaires pour réussir dans la vie. Et on peut dire, en lisant le récit de James McBride, qu’elle a réussi sa vie malgré les embûches et les épreuves.

Le récit alterne les souvenirs de Ruth, que son fils n’a pas obtenus sans peine, et ceux de James, entre l’état de Virginie et la ville de New York. James a en effet longtemps été « perturbé » dans son identité face à cette mère à la peau claire, la seule Blanche ou presque de leur quartier et qui était un modèle d’ouverture. C’est un texte plein de vie, de couleurs (si j’ose dire), d’anecdotes, d’énergie et surtout plein de l’amour d’un fils pour sa mère. Une lecture très recommandable, qui me donne envie de découvrir les romans de James McBride.

« Enfant, je me demandais souvent d’où venait ma mère, comment elle était arrivée dans ce monde. Quand je l’interrogeais, elle répondait : « C’est Dieu qui m’a faite », et changeait de sujet. Si je m’étonnais qu’elle soit blanche, elle haussait les épaules : Non , j’ai la peau claire ». Puis, elle parlait à nouveau d’autre chose. Exposer son histoire personnelle ne faisait pas partie du programme d’éducation qu’elle appliquait à ses douze enfants café au lait, curieux et indociles. »

« – Mais moi, suis-je noir ou blanc?
– Tu es un être humain. Travaille à l’école, sinon tu deviendras un moins que rien.
-Un moins que rien noir ou blanc?
-Pour un moins que rien, la couleur n’a aucune importance. »

« Mais cela n’en restait pas moins étrange. D’après mon expérience, les gens heureux ne pleuraient pas comme Maman. Ses larmes semblaient provenir d’un monde ailleurs, d’un endroit lointain, situé dans son passé où elle ne laisserait jamais pénétrer aucun de nous, ses enfants. Je sentais que cela cachait une blessure secrète. Je pensais qu’elle aurait voulu être noire comme tout le monde à l’église, car Dieu préférait sans doute les gens de couleur. Un autre après-midi, en revenant de l’église à la maisons, je lui demandai si Dieu était noir ou blanc.
– Ni l’un ni l’autre, répliqua-t-elle agacée. Dieu est pur esprit.
– Mais qui préfère-t-il, les Noirs ou les Blancs?
– Il aime tout le monde. C’est un esprit, je te dis.
– C’est quoi un esprit?
– Un esprit est un esprit.
– De quelle couleur est l’esprit de Dieu?
– Il n’en n’a pas. Dieu a la couleur de l’eau. C’est-à-dire aucune.
Je n’avais rien à opposer à cet argument massue qui aujourd’hui encore me paraît sans réplique. »

James McBRIDE, La couleur de l’eau, traduit de l’américain par Gabrielle Rolin, Gallmeister, collection Totem, 2020

Le mois américain 2022 en solitaire avec Pativore et Belette2991

Petit Bac 2022 – Couleur 3

Un an avec Gallmeister – hors thème de Septembre qui est « Un mois avec… » (comme je n’en lis qu’un par mois…)

Le Poète

13 mardi Sep 2022

Posted by anne7500 in Des Mots noirs, Des Mots nord-américains

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Le Livre de poche, Michael Connelly

Quatrième de couverture :

Chroniqueur judiciaire, Jack McEvoy ne peut croire au suicide de son frère jumeau. Si Sean, inspecteur de police, s’est bien tiré une balle dans la bouche, que vient faire ce Hors de l’espace, hors du temps d’Edgar Allan Poe écrit sur le pare-brise de sa voiture ? Et pourquoi Rusher, un indic qu’il devait voir ce jour-là, reste-t-il introuvable ? En s’immisçant dans une base de données du FBI pour les besoins d’un article, McEvoy découvre avec stupéfaction que beaucoup de policiers se suicident et que le FBI mène l’enquête sur la mort de son frère. Il comprend alors que cette affaire est en passe de lui fournir son plus gros scoop sur des meurtres en série. Mais il pressent aussi qu’il est devenu la prochaine cible du suspect…

« La mort, c’est mon truc. » Voilà un début de roman inoubliable, qui marque aussi ma découverte (enfin !) de l’écrivain Michael Connelly. Ce n’est pas son premier roman mais c’est, comme il l’explique dans la préface, le premier publié en tant qu’écrivain pur. Auparavant il travaillait comme journaliste spécialisé dans les affaires criminelles, et c’est avec Le Poète qu’il lâche ce premier métier pour se consacrer uniquement à l’écriture.

Jack McEvoy, le narrateur et héros de ce roman, journaliste et auteur d’au moins un roman pas encore publié, est sans doute un double de l’auteur, rien que ce jeu de miroirs est déjà intéressant. Autre jeu de miroirs : la relation avec son jumeau, désormais lourdement marquée de culpabilité suite à l’assassinat de celui-ci. Les autres personnages du roman sont eux aussi marqués d’ambiguïtés, de secrets, à commencer par le fameux Gladden dont les « péripéties » entrecoupent le récit de Jack, mais aussi les enquêteurs du FBI, dont fait partie Rachel Walling, l’élément féminin de l’enquête et du roman.

On ne s’ennuie pas une minute avec Michael Connelly : les pages se tournent rapidement, les révélations et rebondissements s’enchaînent, les motivations encore nébuleuses du tueur en série assombrissent à souhait l’intrigue, les liens avec Edgar Allan Poe donnent de la profondeur au sujet et lorsqu’un suspect semble neutralisé plus de cent pages avant la fin, on pressent que celle-ci sera bien tordue (en effet, je ne l’avais pas vue venir…).

Une excellente découverte donc et un très bon pavé pour l’été !

Michael CONNELLY, Le Poète, traduit de l’anglais par Jean Esch, Le Livre de poche, 2017 – 759 pages

Le Pavé de l’été chez Brize

Petit Bac 2022 – Art 3

Je viens de découvrir un Mois américain alternatif parce que hélas, pour des raisons de « hameçonnage » sans-gêne, Titine ne l’organise plus : Le mois américain 2022 en solitaire perpétué par Pativore et Belette2991. Je noterai donc cette référence dans mes prochains billets.

Cet été-là

09 vendredi Sep 2022

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains

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10/18, Lee Martin

Quatrième de couverture :

Ce soir-là, dans une petite ville de l’Indiana où tous se connaissent, Katie Mackey, neuf ans, est partie rendre ses livres à la bibliothèque. Elle n’en est jamais revenue. On n’a retrouvé que son vélo.

Trente ans plus tard, quatre voix s’élèvent pour raconter. Tous se confessent, car tous ont quelque chose à se reprocher. Gilley, le frère de Katie ; Raymond R., ‘homme qui a été fortement soupçonné du kidnapping ; Clare, sa femme, tellement reconnaissante que Raymond l’ait choisie et l’ait empêchée de finir ses jours seule. Et le gentil M. Henry Dees, singulier professeur de mathématiques qui vouait à Katie une adoration trouble.

Une disparition d’enfant, des recherches, des battues, l’identification de suspects probables… Une histoire malheureusement déjà vue. Sauf que nous sommes dans une petite ville imaginaire de l’Indiana, « un des trois états que l’on survole (l’Illinois, l’Indiana et l’Iowa) » comme l’explique l’auteur à la fin du roman. Celui-ci s’est inspiré de la ville où il a passé son enfance et son adolescence pour créer Cet été-là. Une petite ville où tout le monde se connaît, où les différences sociales sont bien marquées par les quartiers de résidence : les plus aisés, dont la famille de Katie Mackey, habitent les Heights tandis que les moins favorisés habitent Gooseneck, non loin de la verrerie dirigée par le père de Katie. C’est dans ce quartier pauvre que vivent Clare et Raymond R. Wright (une veuve qui s’est remariée avec un homme plus jeune qui l’a facilement séduite dans sa solitude) et Henry Dees, professeur de mathématique qui donne des leçons particulières durant l’été. Raymond, Clare, Henry Dees et Gilley, le frère aîné de Katie, voilà les quatre points de vue par lesquels nous découvrons, trente ans plus tard, l’histoire de l’enlèvement de Katie.

Dans ce roman polyphonique, tous les personnages qui gravitent autour de Katie portent une souffrance cachée, une solitude profonde, un désespérant besoin d’être aimé. Au coeur de cet été étouffant, les événements vont s’enchaîner, dont ils seront responsables à des degrés divers. Chacun aura quelque chose à se reprocher dans cette tragédie mais les personnages ne sont pas manichéens : ils sont à plaindre de par leur histoire personnelle mais ils sont détestables aussi par leur naïveté mal placée ou par leur arrogance. Les pages se tournent toutes seules tandis que l’on avance vers l’épilogue du drame auquel on ne peut qu’assister impuissant.

« Nous n’étions qu’une minuscule ville de l’Indiana, dans la grand plaine au-delà des collines ondoyantes de la forêt Hoosier – une ville qui abritait une verrerie, proche de la White River qui serpentait vers le sud-ouest avant de se jeter dans la Wabash et de s’écouler jusqu’à la rivière Ohio. Ce jour-là, un mercredi, la température avait atteint les trente-quatre degrés, et l’humidité qui s’était installée avait assommé tout le monde. L’air était chargé de l’odeur des fumées des fours de la verrerie, de la puanteur de poisson mort de la rivière, des sons de la vie de tous les jours : glaçons qui s’entrechoquaient dans les verres, pots d’échappement qui produisaient un bruit de ferraille, portes-écrans qui grinçaient, mères qui appelaient leurs enfants pour rentrer à la maison. »

« Vous devez savoir combien l’été peut être merveilleux dans cette partie de l ‘ Indiana. Du moins, le début de l’été, avant qu’il ne commence à faire trop chaud et que l’ai devienne lourd. Des colins s’appellent dans les prairies, et les tourterelles tristes roucoulent. Les fleurs de chicorée forment des taches bleues au bord des routes, et les rudbeckias à trois lobes revêtent leurs soleils jaunes . Les monarques viennent se nourrir sur le laiteron, et les colibris volètent au dessus des clochettes rouge orangé des trompettes de Virginie. C’est assez , disait ma mère, pour vous faire chanter à vos fourneaux. »

« Peut-être croyez-vous déjà connaître la fin. Peut-être avez-vous décidé qui est bon et qui est mauvais. Mais si c’est le cas – si vous êtes ce genre de personne – , que Dieu vous aide. Demandez à quiconque s’est trouvé au cœur de cette affaire et il vous dira : ça n’avait rien à voir avec le bien et le mal, il ne s’agissait que d’amour. »

« Quand une personne qu’on aime disparaît, c’est comme si la lumière faiblissait, et on se retrouve dans la pénombre. On essaie de faire ce que nous disent les autres : mettre un pied devant l’autre ; relever la tête ; s’abandonner aux secondes, aux minutes et aux heures. Mais il y a toujours cette petite lumière – cette vie qu’on vivait auparavant. Elle est un peu estompée et embrumée, comme un croissant de lune par une nuit d’hiver, quand l’air est plein de glace et de nuages, mais elle est tout de même présente, flottant juste au-dessus de notre tête. On pense qu’elle n’est pas loin. On pense qu’à n’importe quel moment on pourra l’attraper. »

Lee MARTIN, Cet été-là, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau, 10/18, 2018 (Sonatine éditions, 2017)

Petit Bac 2022 – Ponctuation 3

La traversée de l’été

06 mardi Sep 2022

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains

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Le Livre de poche, Truman Capote

Quatrième de couverture :

Grady McNeil a dix-sept ans et l’âme passionnée. Alors que ses riches parents vont passer l’été en Europe, elle se retrouve seule dans un New York vibrant sous la canicule. Délaissant le luxe de la Cinquième Avenue, elle tombe amoureuse de Clyde, gardien de parking à Broadway. Ils s’aiment, mais de façon différente. La fierté provocante de Grady et la nonchalance de Clyde vont peu à peu les entraîner vers de dangereux précipices. (…)

Ce court roman, écrit par Truman Capote au tout début de sa carrière d’écrivain, travaillé et retravaillé, mais qu’il n’a jamais voulu publier, est réapparu en 2004 dans un lot d’archives qui devaient être mises en vente par Sotheby’s. On sait qu’il est inachevé en quelque sorte mais il se tient tel quel et après une série de négociations, l’avocat et ami de Truman Capote a décidé de le publier.

C’est donc un texte court traversé de passion. L’héroïne, Grady McNeil, a seize ans. Elle se démarque des traditions propres à sa condition bourgeoise, comme le bal des débutantes. Elle peut compter sur son ami de toujours pour couvrir ses frasques. Elle a déjà passé un été brûlant en étant – sans jamais rien manifester ni être payée de retour – amoureuse d’un homme marié. Une passion retombée avec la fin de l’été et remplacée par un amour tout aussi hors-normes pour un gardien de parking dont elle ne connait pas grand-chose. Les deux mondes dont ils sont issus n’ont rien en commun mais la jeune femme tente de les rapprocher. Cela conduira tout ce monde vers une fin qu’on ne peut que pressentir dramatique.

En lisant ce roman, j’avais en tête la silhouette de Marlon Brando qui aurait pu interpréter le personnage de Clyde. C’est dire l’électricité qui règne entre les corps dans l’air caniculaire. Truman Capote sait évoquer la passion, l’attraction des corps et l’incommunicabilité des âmes. Il se glisse dans la tête et le coeur de cette jeune femme avec finesse. Son style est flamboyant et quand on sait qu’il a écrit ce texte à dix-neuf ans, ce n’en est que plus prenant.

« Le plus clair du temps, la vie est si monotone que cela ne vaut pas la peine d’en parler, et elle n’évolue guère avec l’âge. Quand nous changeons de marque de cigarette, déménageons, achetons un autre journal, entamons de nouvelles amours ou en brisons d’anciennes, c’est pour nous révolter, de manière à la fois frivole et grave, contre le train-train quotidien. Hélas les miroirs sont plus traîtres les uns que les autres et finissent toujours par révéler l’envers de la médaille. »

« – Pendant tout ce temps, moi je pensais que tu me fuyais, murmura Clyde.
– On ne fuit pas les gens, on se fuit soi-même, répondit Grady. Mais tout va bien maintenant.
– Bien sûr; dit-il. Tout va bien. »

« La chaleur ouvre le crâne de la ville, exposant au jour une cervelle blanche et des noeuds de nerfs vibrant comme les fils des ampoules électriques. L’air se charge d’une odeur surnaturelle dont la puissance âcre imbibe les pavés, les recouvrant d’une sorte de toile d’araignée sous laquelle on imagine les battements d’un cœur. »

Truman CAPOTE, La traversée de la nuit, Roman traduit de l’anglais par Gabrielle Rolin, Le Livre de poche, 2021

Jours de juin

02 vendredi Sep 2022

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Editions des Deux Terres, Julia Glass

Quatrième de couverture :

Jours de juin est construit sous la forme d’un triptyque où se succèdent trois étés dans la vie des McLeod. A la mort de sa femme, Paul entreprend un voyage en Grèce. Là-bas, il s’éprend d’une jeune artiste peintre. Son fils aîné, Fenno, a fui l’Ecosse pour New York où il tient une librairie. Fenno noue une amitié particulière avec son voisin, Mal, critique musical, flamboyant gay atteint du sida. La perte douloureuse qui s’ensuivra transformera sa vie. Jours de juin tisse sa trame entre le passé et le présent, soulignant la fragilité des personnages, leurs moments de grâce et leur quête d’un pays où ils espèrent échapper aux pièges de l’existence et à la solitude.

Il y a longtemps que ce livre est dans ma PAL, sans doute ai-je découvert l’autrice Julia Glass grâce aux blogs (ça fait déjà douze ans !) et ce premier roman était parfait pour le Pavé de l’été (et ausi pour le challenge Gallmeister).

Oui, c’est un premier roman, ce pavé de 655 pages divisé en trois parties dont la première, Collies, a d’abord été publiée comme une nouvelle. Trois parties, trois points de vue qui tournent autour de la famille McLeod et qui ne cessent de faire des aller et retours entre passé et présent.

La première partie plante le décor de cette famille, quelques mois après le décès de la mère, Maureen. Paul, le père, a décidé de partir en Grèce en voyage organisé ; au terme du voyage, on comprend qu’il rêve de s’établir dans une île grecque, laissant ainsi en Ecosse le journal qu’il dirigeait et surtout la maison de famille où il a vécu avec Maureen, une femme originale qui a fait de l’élevage de chiens collies son métier et avec leurs trois fils, l’aîné Fenno et les jumeaux David et Dennis. Une famille où l’on s’aimait sans bien savoir l’exprimer ni se comprendre vraiment.

La deuxième partie, Droit, la plus longue, est racontée du point de vue de Fenno, le fils aîné, homosexuel établi à New York et devenu libraire. Il revient en Ecosse pour les funérailles de son père mais revient aussi dans le passé, dans les années 80 où la communauté homosexuelle était décimée par le sida. Fenno se souvient de son ami Mal, le critique musical à la plume acérée, touché par la maladie, il évoque d’autres amis gays, sa vie à New York, sa librairie… Tout cela se mêle à ses retrouvailles avec ses frères David et Dennis et leurs épouses, marquées par le deuil, les souvenirs de famille, la tendresse envers ses nièces et une étrange demande.

La fin du roman, Les garçons, se passe un peu plus tard, dans une maison au bord de l’océan. Une bande de copains s’y retrouve, dont Fenno et Dennis, Tony et Fern, une jeune femme enceinte déjà croisée dans la première partie, dont nous découvrons l’histoire.

Dans ce roman, les personnages se croisent, se cherchent, s’aiment sans nécessairement se comprendre (et pas seulement dans la famille McLeod). ils cherchent le bonheur et se heurtent aux épreuves de la vie, à ma mort. Ils cherchent et apprennent à trouver leur place dans la vie. Une mention particulière à Fenno et à Mal dont Julia Glass dresse un portrait tout en contradictions et en finesse. Pour un premier roman, c’est époustouflant. Il y règne une mélancolie douce-amère, une certaine folie, un humour un peu noir qui cache les sentiments.

J’ai vraiment beaucoup beaucoup aimé ce roman (sans doute aussi grâce à la qualité de la traduction) et je relirai Julia Glass avec plaisir !

« Le temps joue comme un accordéon, il se resserre et se déploie de mille manières mélodieuses. Les mois passent comme l’éclair, dans une suite accélérée d’accords, ouverts-fermés, unis-séparés ; puis vient une seule semaine mélancolique, qui est peut-être le pivot de l’année, une longue note soutenue. Le jour de mon retour est resté gravé dans ma mémoire comme une fugue, avec un ton parfaitement clair, mais des mois qui suivirent, l’automne et l’hiver qui précédèrent la mort de ma mère, ne me restent que quelques bribes d’une musique légère. »

« Avaient-ils un rapport avec ma solitude innée, mon étrange satisfaction de me croire incompris, mon hésitation à reconnaître l’amour là où il s’offrait à moi ? »

« Je me prépare, gaiement cette fois, à évoquer d’autres souvenirs, à boire encore du vin – trop, beaucoup trop – et à penser au moment où j’ouvrirai la porte de l’endroit où je vis vraiment, de l’endroit que j’ai choisi, où j’entrerai dans cette ridicule pièce outrageusement rouge, déposerai mes bagages, retrouverai mon oiseau et mon chien, et débrancherai mon téléphone. Non par refus d’entendre la voix de mes amis, mais parce que j’aurai besoin de dormir des heures et des heures avant de m’éveiller pour regarder la vie qui m’attend, pour apprendre à vivre tout simplement. »

Julia GLASS, Jours de juin, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Damour, éditions des Deux Terres, 2006

655 pages dans cette édition pour participer au Pavé de l’été chez Brize

Ce livre a été réédité par Gallmeister et ce sera ma lecture du mois d’août pour Un an avec Gallmeister – thème d’août : Hors USA. Certes une partie du roman se passe à New York mais il y a en aussi grande partie la Grèce et l’Ecosse.

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