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Archives de Tag: Babel

Lectures d’été 2

30 lundi Août 2021

Posted by anne7500 in Des Mots autrichiens, Des Mots français

≈ 20 Commentaires

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10/18, Babel, Eric Maneval, Folio, Julie Wolkenstein, Le Castor astral, Michael Köhlmeier, René Guy Cadou

Encore quelques lectures d’été à ajouter à ma jolie moisson. Celles-ci étaient un peu moins captivantes…

Quatrième de couverture :

Un jour, s’étant échappés d’une fête hollywoodienne, Charlie Chaplin et Winston Churchill se promènent ensemble sur une plage de Californie et se confessent mutuellement un secret bien gardé : leurs crises de mélancolie et leurs tendances suicidaires. À cette occasion, ils décident que, chaque fois que l’un d’eux sera la proie de ce qu’ils nomment leur “chien noir”, il appellera l’autre au secours.
À travers les rendez-vous réguliers, tout au long de leur vie, de ces deux monstres sacrés, Michael Köhlmeier fait se rencontrer des univers à première vue incompatibles : Hollywood et l’Angleterre avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Touchant ces hommes exceptionnels au plus intime, il retranscrit les interrogations qui ont été les leurs, qu’elles concernent l’art du mime et du cinéma pour Chaplin, ou la peinture et l’écriture pour Churchill.

Le titre peut faire penser à l’été, aux vacances mais à nouveau, c’est tout à fait trompeur : je ne vais pas répéter l’excellente quatrième de couverture, tout est dit.

Je savais déjà que Churchill souffrait depuis toujours de crises de dépression, qu’il appelait son « black dog » mais j’ignorais tout de l’amitié particulière entre lui et Charlie Chaplin et de la même dépression dont souffrait celui-ci. Les deux hommes se sont rencontrés et ont reconnu leur mal commun en Californie, sur une plage de Santa Monica, en 1931. A ce moment-là, Churchill semblait fini sur le plan politique, Chaplin se débattait dans la création très compliquée d’un film, en butte aux critiques et aux attaques incessantes à Hollywood, suite à son divorce. Ils se jurent de faire appel l’un à l’autre si le chien noir vient les tirer au bord du précipice du suicide. Le roman se place donc du point de vue de cette maladie de la dépression, mais aussi de la création de chacun des protagonistes : Chaplin était non seulement acteur et réalisateur mais aussi compositeur des musiques de ses propres films, Churchill passait son temps libre à peindre à écrire (il a reçu le prix Nobel de littérature en 1953). Tout comme le début de leur rencontre est marqué par la difficulté et l’échec, la fin du roman les voit lutter chacun à leur manière contre le nazisme, avec ô combien plus de succès (mais pas sans échapper au black dog) : Churchill est celui qui a su triompher de Hitler et Chaplin réalise Le Dictateur.

Le père du narrateur (il s’agit bien d’une fiction même si la majorité des faits rapportés est bien réelle) a recueilli le témoignage du secrétaire particulier de Churchill et le narrateur se base aussi sur une longue confession que Chaplin a accordée à la fin de sa vie. Le roman est extrêmement bien documenté mais il m’a semblé assez froid, il m’a manqué de la chaleur humaine, de l’émotion. Mais peut-être cela risquait-il de noyer l’essentiel du propos.

« Peu importe ce qu’on pouvait raconter sur lui, Churchill s’en fichait. Et quand bien même il serait la vile crapule que décrivaient au monde entier Lita, ses avocats et leurs complices de la presse, Churchill s’en fichait. Leurs opinions politiques diamétralement opposées ; le fait que l’un voie en Gandhi un fakir insignifiant, et l’autre un grand homme politique qui pouvait mettre l’Empire à rude épreuve ; le fait que l’un pense que le communisme pourrait faire disparaître l’injustice, tandis que l’autre le décrivait comme une machine de répartition égalitaire de la misère ; le fait que l’un ait ordonné, il y a un an à peine, de briser la grève générale des ouvriers britanniques, alors que l’autre assurait les syndicats de sa solidarité par un télégramme envoyé d’Amérique ; le fait que l’un soit le chancelier en exercice de Sa Majesté, et l’autre l’acteur le plus célèbre de tous les temps – tout cela, ils s’en fichaient. Ils avaient un ennemi commun, et celui-ci se trouvait en eux ; il ne les guettait pas dans la salle de restaurant vanille et or du très mondain hôtel Biltmore, ni à Hollywood, monde avide de scandales, ni dans le cerveau de quelque journaliste idiot, dans un cabinet d’avocats ou derrière le bureau d’un juge, ni au sein d’un parti ou dans une tranchée hérissée de barbelés – il était en eux, et c’est contre cet ennemi qu’ils formaient un pacte ; le reste n’était pas à l’ordre du jour, et ne le serait jamais. »

Michael KOHLMEIER, Deux messieurs sur la plage, traduit de l’allemand (Autriche) par Stéphanie Lux, Babel, 2017 (Actes Sud, 2015)

Petit Bac 2021 – Etre humain 4

Quatrième de couverture :

Gilles, déchiré entre la solitude de la grande ville et le mirage de la vie simple et rustique, se trouve confronté à la question mythique : peut-on retrouver le lieu de la pureté ?

Initialement paru en 1955, La Maison d’été est l’unique roman de René Guy Cadou. Une prose colorée, inventive, frémissante. Un livre où la poésie s’invite à chaque page.

Dans ce récit aux accents autobiographiques, testament spirituel et sorte de nouveau Chant du monde, on retrouve le souffle lyrique du chantre du pays nantais.

René Guy Cadou (1920-1951), instituteur rural, a été l’un des animateurs de l’école de Rochefort, mouvement littéraire fondé en 1941. Disparu prématurément à l’âge de 31 ans, il reste cependant l’un des rares poètes du XXe siècle à conserver aujourd’hui une réelle aura populaire.

Ce roman met en scène Gilles, un jeune homme dont on devine le parcours en ville (à Paris) marqué par la fascination et la pauvreté. Il décide de retourner à la campagne, chez sa vieille nourrice, et se met au service d’un fermier du coin. On est sans doute dans les années trente, car les paysans du coin parlent des séquelles de la Grande Guerre vingt ans après. Le travail est dur, mais les hommes sont solidaires et rudes à la tâche. Les femmes sont à leur service, et quand les moissons et les vendanges sont terminées, la fête se fait sensuelle grâce aux mets abondants, au vin et aux regards des filles. C’est ainsi que Gilles se laisse « happer » par Bertine, une fille que l’on dit facile. « Je me croyais plein d’immenses possibilités, voisin des arbres et comme une présence végétale sur la terre, je croyais à l’amour et voilà ce que j’ai fait de l’amour : une saloperie avec une fille. » Gilles retourne alors à sa solitude en ville. Il reviendra plus tard à la maison d’été avec Agna.

Ce roman où coulent la poésie, le soleil et le végétal à chaque page, n’est pas sans rappeler Le grand Meaulnes, il a aussi des accents autobiographiques : René Guy Cadou avait des liens forts avec la campagne de Brières il eut du mal à supporter la vie en ville ; l’amour entre Gilles et Agna fait évidemment penser à l’amour fusionnel que vécurent René Guy et Hélène Cadou, au point qu’on les appelait « Renélène ». C’est un court et unique roman où se côtoient le tourment et la sérénité, la faute et la rédemption, où la nature accompagne intimement l’humain. Une petite pépite découverte grâce au Furet du Nord.

« Je vois les campagnes comme elles sont au printemps avec leurs forêts et leurs jonquilles, le toit de la grange est couvert de fleurs blanches, un train passe au loin et un peu de fumée se mêle au plumage du ciel.
Des hirondelles sont venues se poser sur les fils.
Amélie, Carnage, la chatte qui a fait des petits, le coq qui chante.
Décidément, il y a de beaux jours à venir. »

« Courbé sur les ceps, les mains déjà violettes, des mains d’écolier tachées d’encre, j’eus malgré moi un frisson. Alors le soleil sortit de son oeuf, jaune encore, un peu ébouriffé, embarrassé dans ses plumes et un nouveau frisson, doux comme une caresse, passa sur moi. »

René Guy CADOU, La Maison d’été, Le Castor astral, 2020

Quatrième de couverture :

Antoine a 8 ans. C’est la fin du mois d’août dans la Creuse. Il joue dans une rivière dangereuse lorsque des troncs d’arbre portés par le courant l’assomment. Il se réveille dans un fourgon en compagnie d’un inconnu qui lui apprend qu’il vient de lui sauver la vie. L’homme le dépose à l’hôpital de Limoges et disparaît. Vingt ans plus tard, Antoine est veilleur de nuit dans un centre pour ados. A la télévision, on reparle de l’affaire du « découpeur » suite à la découverte de nouveaux témoignages. Lors de la reconstitution de l’enquête, Antoine reconnaît dans un portrait-robot l’homme qui lui a sauvé la vie dans la rivière.

En arrivant à la fin de court roman noir, je me suis dit qu’il faudrait le relire pour essayer de comprendre ce que j’avais loupé à la première lecture : comment l’auteur en est-il arrivé à cette fin ?? Elle est surprenante, frustrante, inexpliquée… Est-elle acceptable, vraisemblable… ? A chacun de se faire sa propre idée. Le lecteur y sera arrivé au terme d’un texte court (initialement publié en 2009 aux éditions Ecorce et lauréat du prix du polar lycéen d’Aubusson) qui, après tout, commence de façon très mystérieuse aussi, par ce défi que se lance seul Antoine, un gamin de 8 ans, qui se jette dans une rivière en crue, est grièvement blessé par un arbre et est sauvé par un inconnu inquiétant.

« – Écoute-moi bien, Antoine. Tu as eu de la chance que je sois là. Tu comprends ?
Oui.
– Je t’ai sauvé la vie. Regarde-moi dans les yeux : je t’ai sauvé la vie, Antoine. Mais si tu veux te faire du mal, je peux te faire du mal. Je peux le faire à ta place. Tu comprends ?
Non.
– Tu as peur ?
Oui.
– Tu as peur de moi, mais tu n’as pas peur de plonger dans une rivière en crue ? T’es un drôle de numéro toi. Tu vois la bouteille que j’ai dans la main ? C’est de l’alcool à 90°. Je vais en mettre sur tes blessures. Ça va faire très mal. Ça va te brûler et tu vas hurler. C’est moi qui vais te faire mal. N’oublie pas ça : moi je peux te faire du mal. Tu t’en souviendras la prochaine fois que tu voudras mourir. »
(p. 11-12)

Un accident qui nourrit encore les cauchemars d’Antoine, devenu gardien de nuit dans un centre pour ados en difficulté, placés là par les services sociaux ou le juge de la jeunesse. Antoine se sent bien dans la nuit, certains jeunes profitent de cette « relâche » pour se confier à lui, même si cela n’entre pas dans ses attributions et si cela risque de se révéler dangereux, notamment avec la jeune Ouria.

Une nuit, alors qu’il regarde la télé pour se tenir éveillé, passe un numéro de Faites entrer l’accusé dans lequel Antoine reconnaît l’inconnu qui lui a sauvé la vie vingt ans plus tôt. Un homme soupçonné de crimes atroces et toujours en liberté, alors qu’un innocent emprisonné et condamné pour un de ces crimes continue à clamer son innocence. Le veilleur de nuit va alors contacter le journaliste qui a consacré une grande partie de son énergie à cette affaire. A partir de ce moment, les événements vont se précipiter dans la vie d’Antoine et celle du centre social, les questions et l’angoisse vont aller crescendo… jusqu’à une fin qui correspond bien au titre : le noir va en s’opacifiant et la fin nous laisse avec bien des questions sans réponses…

Eric MANEVAL, Retour à la nuit, 10/18, 2016 (La Manufacture de Livres, 2015)

Petit Bac 2021 – Voyage 5

Et toujours en été par Wolkenstein

Quatrième de couverture :

« Un escape game, c’est comme la vie. Surtout lorsque cette vie (la mienne) est d’abord un lieu, une maison aux multiples pièces, chacune encombrée de souvenirs et peuplée de fantômes. »

Dans sa maison de Saint-Pair-sur-Mer, la narratrice remonte le temps. De l’été 1980 à des époques plus lointaines, elle part à la recherche des deux grands absents de sa vie : son père, puis son frère disparu soudainement.
Les pièces, les meubles, les objets de toutes sortes forment un drôle de puzzle à reconstituer. À mesure qu’elle progresse, les indices assemblés font apparaître l’histoire d’une famille, ses failles et ses secrets.

(Vous avez remarqué le lien entre les deux dernières livres de cette chronique et les notes du jeudi en ce moment…)

Pour terminer ces lectures d’été, partons en Normandie, à Saint-Pair-sur-Mer, pas loin de Granville, dans la maison de famille et de vacances de Julie Wolkenstein. Elle nous fait visiter cette maison comme si nous étions dans un escape game : elle nous donne le mode d’emploi du jeu dans son premier chapitre, puis s’amuse à nous faire passer de l’entrée à la bibliothèque, en passant par la cave et la cuisine, sans oublier les chambres ou le salon. Comme dans un vrai escape game, le lecteur est invité à collecter des objets hétéroclites qui lui serviront à passer de pièce en pièce, parfois même à retourner en 1980 pour revenir à 2017, l’année de la mort accidentelle de son frère aîné. Chaque lieu de la maison est décrit avec précision et fait remonter la mémoire des vacances familiales et l’ombre des deux morts, le père et le frère, toujours très présents dans les souvenirs de cette maison. La maison a vécu, elle a failli succomber à la mérule, elle est défraîchie voire délabrée mais la force des souvenirs et l’attachement l’emportent sur le reste.

En général, j’aime les romans où une maison particulière tient un rôle très fort. Ici, le choix narratif de l’escape game a engendré des descriptions parfois longues, des répétitions un peu ennuyeuses à la longue (heureusement le roman ne fait que 206 pages) et a – du moins pour ma part – tenu l’émotion bien réelle liée à cette maison (bien réelle, elle aussi) à distance. Sans doute était-ce une manière de tenir le chagrin de l’auteure à distance lui aussi mais c’était un eu dommage…

De Julia Wolkenstein, je me souviens avoir beaucoup aimé – il y a de nombreuses années – L’heure anglaise. J’ai encore dans mes étagères Adèle et moi, qui parle de son arrière-grand-mère et où cette maison est, paraît-il, déjà présente. Ce sera peut-être le pavé d’un prochain été…

« Mais puisqu’il s’agit, même lorsqu’on explore un archipel, de résoudre des énigmes pour se déplacer d’un lieu à un autre, ou d’une époque à une autre, et que ces lieux sont, avant la résolution de ces énigmes, des lieux clos, je campe sur mes positions : ouvrir successivement les pièces de ma maison, franchir un à un ses seuils et libérer chaque fois un pan de sa mémoire, relier ces fragments d’histoire entre eux, pour moi, c’est un escape game. Sans doute parce que j’écris ce livre pour me sortir d’une autre sorte de cage, de prison où m’enfermait la crainte de ne plus aimer écrire, ni cette maison. » (p. 159)

« Le jardin attendra ; la plage, de l’autre côté de la maison, à l’ouest, attendra aussi : ils ont attendu pendant des années, de la fin de l’enfance à la fin de l’adolescence, quand j’aimais mieux lire dans ma chambre qu’aller « jouer dehors », comme le préconisaient avec insistance les grandes personnes pourtant favorables à la lecture : « va jouer dehors, il ne pleut pas », ou « pas beaucoup » ou, plus rarement, « il fait un temps sublime ». Comme le réclamaient avec encore plus d’insistance les copines invitées là à passer des vacances, et plus sensibles au charme de la pêche aux coques qu’aux romans, ces très longs romans parfaits à lire en vacances, justement, et qui me clouaient sur mon lit, réduisant les copines en question à la compagnie d’enfants plus petits ; tous, grandes personnes, copines et enfants plus petits finissaient l’été nettement plus bronzés que moi ces années-là. »

Julie WOLKENSTEIN, Et toujours en été, Folio, 2021 (P.O.L., 2020)

Petit Bac 2021 – Météo 5

Ce qui était perdu

09 mardi Juin 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots britanniques

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Babel, Catherine O'Flynn

Présentation de l’éditeur :

Birmingham, 1984. Kate, dix ans, rêve d’être détective et passe son temps libre dans le nouveau centre commercial de Green Oaks à observer les gens. Un jour, elle disparaît sans laisser de traces. Vingt ans plus tard, elle resurgit mystérieusement sur les écrans de contrôle du centre commercial de Green Oaks…

Comme cette présentation le fait pressentir, ce premier roman de Catherine O’Flynn oscille entre 1984 et 2003 en prenant bien le temps d’installer ses personnages et de distiller le suspense. Le tout dans un décor qui est à lui seul un personnage.

La jeune Kate Meaney est une enfant à part : elle n’a plus de parents et vit avec sa grand-mère, elle est très réservée, secrète et fait équipe avec O’Malley, son chimpanzé en peluche pour mener à bien ses activités de détective privé, que son père défunt l’a encouragée à vivre. Elle observe, elle suit les gens le plus discrètement possible, elle prend des notes, dans son quartier proche et surtout dans le centre commercial de Green Oaks, avec ses nombreux niveaux, galeries, ascenseurs, ses restaurants, ses boutiques, un lieu clinquant qui se prétend avoir vocation à englober tous les aspects de la vie de ses clients et qui a évidemment tué ou presque le petit commerce de proximité. Le seul adulte à qui la petite fille se confie, c’est Adrian Palmer, un jeune homme solitaire comme elle. Mais le jour où elle doit présenter un examen d’entrée à Redspoon, une école de haut niveau, Kate disparaît. Et les soupçons se tournent vers Adrian, le dernier à avoir été vu en sa compagnie. Adrian sera relâché, mais il disparaît à son tour. La gamine ne sera jamais retrouvée.

Vingt ans plus tard, dans le même centre commercial, Lisa, manager d’une boutique de disques et Kurt, agent de sécurité, traînent leur ennui et leur mal-être. Un mal-être qui remonte à l’enfance et qui a orienté leurs choix de vie adulte. Avec eux, le lecteur découvre l’envers du décor de Green Oaks : le peu d’espace et de confort accordé aux employés, les kilomètres d’allées grises derrière les boutiques et dans les sous-sols, l’abrutissement lié au bruit, aux clients insatisfaits, à l’extension permanente du centre. Une nuit, Kurt, qui a souffert d’hypersomnie, voit passer sur ses écrans de contrôle une petite fille qui disparaît aussitôt. Lisa trouve une peluche poussiéreuse à l’entrée d’un couloir de service. Le « hasard » va faire se rencontrer Kurt et Lisa qui vont se lancer à la recherche de l’enfant et avec elle, de leur enfance perdue.

Catherine O’Flynn tisse patiemment sa toile, en nous dévoilant petit à petit les liens entre ses personnages, avec des personnages secondaires bien campés, avec un bon sens du suspense et une grande sensibilité. Les personnages de Kurt, Lisa et bien sûr Kate, sont touchants, chacun à leur manière. Dans une construction parfaite, les fils se nouent et se resserrent jusqu’à la révélation finale (que je n’avais absolument pas vue venir). Pour un premier roman, c’est un coup de maître et je vais guetter d’autres livres de l’autrice.

Catherine O’FLYNN, Ce qui était perdu, traduit de l’anglais par Manuel Tricoteaux, Babel, 2015 (Jacqueline Chambon, 2009

Le Mois anglais – Journée Romancières

Mon Pouchkine

07 vendredi Fév 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots russes, Non Fiction

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Alexandre Pouchkine, Babel, Marina Tsvetaïeva

 

Quatrième de couverture :

En février 1937, alors qu’une nouvelle vague de terreur fait disparaître sous la torture des millions de personnes, le pouvoir soviétique célèbre le centenaire de la mort de Pouchkine. “Notre Pouchkine”, “Pouchkine le révolté”, “Pouchkine le révolutionnaire”, tels sont les titres des journaux qui se partagent la une avec les annonces des grands procès. Dans le même temps, en France, toute l’émigration russe se réunit et fête aussi Pouchkine, mais un autre Pouchkine, celui de la Russie orthodoxe, la Russie dite éternelle.

Face au “nous” soviétique et au “nous” orthodoxe, seule, Marina Tsvetaïeva dit “je”. Son essai est l’un des plus grands textes jamais écrits sur l’enfance et la littérature. Cette tentative désespérée de rendre du vivant à la vie devait sceller son isolement et son destin tragique.

Dans la foulée de ma lecture de Songe à la douceur et Eugène Onéguine, j’ai sorti de ma PAL ce récit de Marina Tsvetaïeva, dont la vie de femme et de poétesse a été imprégnée dès la petite enfance par Alexandre Pouchkine. Toute petite déjà, ses journées étaient rythmées par les promenades et les jeux à la Statue-Pouchkine, non loin de chez elle à Moscou. Le poète était présent dans la maison familiale, dans la chambre de sa mère, avec le tableau Le Duel d’Aleandre Pouchkine avec Georges d’Anthès de Naumov (photo de couverture) et a inscrit une poésie viscérale chez la petite fille. L’apprentissage de la lecture, la découverte de la mer (liée à la maladie de sa mère) sont intimement liées aux oeuvres de l’écrivain mort en 1837. 

Marina Tsvetaïeva a découvert Eugène Onéguine à l’âge de six ans. Six ans ! Et elle tombe amoureuse pas seulement d’Eugène mais du couple Eugène et Tatiana :

« Pas d’Onéguine, maman, mais d’Onéguine et Tatiana (et plus de Tatana peut-être), des deu ensemble – de l’amour. Jamais plus tard, je n’ai écrit un de mes textes sans être amoureuse des deux ensemble (d’elle – un peu plus), et pas des deux, mais de leur amour. De l’amour. (…)

Ma première scène d’amour détermina toutes les autres, cette passion pour l’amour malheureux, impossible – à sens unique. Dès cet instant, j’ai refusé toute idée de bonheur – et je me suis vouée au non-amour.

C’était ça, l’essentiel – et elle, elle l’a aimé ainsi – rien que pour ça, et lui entre tous, lui et pas un autre, parce qu’elle savait, au plus profond, qu’il ne pouvait répondre à son amour. (Cela, je le dis aujourd’hui, mais à six ans je le savais déjà. Aujourd’hui, j’ai appris à le dire.) Ceux qui possèdent le don fatal de l’amour malheureux – l’amour sans la réponse, l’amour pris pour soi seul – ont le génie des dissemblances.

Pas que cela – Eugène Onéguine détermina bien autre chose. Si pendant toute ma vie, jusqu’à aujourd’hui même, j’ai toujours écrit – la première, toujours )- tendu la main – au diable tous les juges – la première, c’est qu’à l’aube de mes jours, Tatiana dans son livre, à la lumière de sa chandlle, la natte détressée sur la poitrine, l’avait, sous mes yeux – fait.

Plus tard, quand ils partaient (ils sont toujours partis), je n’ai jamais tendu les mains, je ne me suis jamais retournée : c’est que dans le jardin, alors, Tatiana étaitrestée fiée. Statue.

Leçon de courage. Leçon de fierté. Leçon de fidélité. Leçon de destin. – Leçon de solitude. » (p. 42-43)

« Oui, jeunes filles, avouez – les premières, et puis, écoutez les sermons, puis épousez des médaillés couverts de gloire, puis écoutez les confessions, et puis refusez-les – vous serez mille fois plus heureuses que l’autre héroïne, celle qui, ses désirs exaucés, n’a d’autre solution que de se coucher sur les rails. » (p. 44)

Le récit est complété par quelques poèmes de Pouchkine traduits en français par Marina Tsvetaïeva.

Marina TSVETAIEVA, Mon Pouchkine, traduit du russe par André Markowicz, Babel, 2012 (Actes Sud, 2012)

Les avis de Marilyne (qui m’a fait connaître ce petit ouvrage de 108 pages) et de Tania

 

Songe à la douceur / Eugène Onéguine

17 vendredi Jan 2020

Posted by anne7500 in Des Mots français, Des Mots russes

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Alexandre Pouchkine, Babel, Clémentine Beauvais, Eugène Onéguine, Points, Songe à la douceur

Quatrième de couverture :

Quand Tatiana rencontre Eugène, elle a 14 ans, il en a 17. Il est sûr de lui, charmant et plein d’ennui, elle est timide, idéaliste et romantique. L’inévitable se produit, elle tombe amoureuse, et lui, semblerait-il, aussi. Alors elle lui écrit une lettre ; il la rejette, pour de mauvaises raisons peut-être. Dix ans plus tard, ils se retrouvent par hasard. Tatiana a changé, Eugène également. Vont-ils encore aller à l’encontre de leurs sentiments ?

Au départ (et cela date de plus d’un an), il y a la demande pressante de ma chef de section pour travailler le slam en classe avec un collègue de cours pratiques (je donne cours dans une section professionnelle qui a pour finalité les métiers de la publicité – et ma chef a à coeur de lier les cours généraux et les cours pratiques pour motiver nos élèves) Et moi rien que le mot slam, ça me fait écarquiller les yeux et ressentir un grand moment de panique. A part connaître le nom de Grand corps malade, je n’y entends que dalle… L’année se passe et on reporte ça à cette année scolaire. Et ô miracle, à la fin des grandes vacances 2019, je découvre le roman Signé Poète X d’Elizabeth Acevedo (traduit par Clémentine Beauvais), un roman écrit en vers, et ce roman de la traductrice du premier, Songe à la douceur. C’est aussi un texte écrit en vers, parfois rimés, surtout bien rythmés et dont la mise en page – calligrammes, blocs de textes, mots éclatés sur la page – épouse l’histoire, les émotions vécues par les personnages. L’histoire, c’est une réécriture moderne d’Eugène Onéguine, Clémentine Beauvais a gardé les noms des personnages principaux, Tatiana, Eugène, Lensky et Olga, et les plonge dans notre monde moderne, en utilisant toutes les ressources des moyens de communication des jeunes d’aujourd’hui. Eugène, c’est l’ado blasé, nihiliste, ami de Lensky, l’ado idéaliste, passionné, poète, amoureux d’Olga. La face claire et la face sombre des héros romantiques, en quelque sorte. Eugène se laisse aimer par la petite soeur d’Olga, Tatiana, quatorze ans, timide, réservée. L’été finit brutalement avec la mort de Lensky. Dix ans plus tard, Tatiana et Eugène se retrouvent par hasard : elle est étudiante et spécialiste du peintre Caillebotte, il a tracé un chemin de réussite apparente mais sans âme dans le monde adulte. Que va-t-il se passer, vont-ils céder enfin à un peu de la douceur annoncée dans le titre ? Je ne vous dirai pas tout, mais j’ai adoré suivre les doutes, les passions, les rêves et les réalités de ces personnages, j’ai adoré la manière dont Clémentine Beauvais joue avec le langage (elle a 31 ans, elle est prof en sciences de l’éducation et littérature anglaise à l’université de York, elle a déjà écrit de nombreux romans pour enfants et grands ados, elle est aussi traductrice, je suis époustouflée par le talent d’une si jeune personne). Si le roman est une réécriture, il est aussi truffé de références littéraires et poétiques. C’est le roman des amours adolescentes et de ce qu’elles deviennent à l’âge adulte. D’abord publié chez Sarbacane, il est maintenant en poche : bon, tous mes grands ados (surtout les garçons) n’apprécient pas la couverture un peu girly – ni même le roman tout court – mais je suis ravie d’avoir découvert cette jeune auteure et une base pour étudier le slam !

Clémentine BEAUVAIS, Songe à la douceur, éditions Points, 2018 (Sarbacane, 2016)

Quatrième de couverture :

“Placé du côté de la légèreté, du sourire, le roman de Pouchkine est unique dans la littérature russe : il n’apprend pas à vivre, ne dénonce pas, n’accuse pas, n’appelle pas à la révolte, n’impose pas un point de vue, comme le font, chacun à sa façon, Dostoïevski, Tolstoï, ou, plus près de nous, Soljénitsyne et tant d’autres, Tchekhov excepté…
En Russie, chacun peut réciter de larges extraits de ce roman-poème qui fait partie de la vie quotidienne. A travers l’itinéraire tragique d’une non-concordance entre un jeune mondain et une jeune femme passionnée de littérature, il est, par sa beauté, par sa tristesse et sa légèreté proprement mozartiennes, ce qui rend la vie vivable.”
A. M.
André Markowicz, qui s’applique depuis des années à faire connaître la richesse de la littérature classique russe, propose ici une remarquable traduction en octosyllabes rimés du chef-d’oeuvre de Pouchkine.
Né à Moscou en 1799, tué en duel en 1837 à Saint-Pétersbourg, Alexandre Pouchkine n’est pas seulement le plus grand poète russe, il est à l’origine de la langue russe moderne ; il a lancé tous les débats qui, à travers le XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, ont fondé la vie intellectuelle de la Russie.

Evidemment, je ne pouvais pas ne pas lire l’original (ça c’était du prétexte pour aller en librairie), qui est lui aussi un roman en vers, très difficile à traduire en français, paraît-il (les tétramètres iambiques du russe n’ont pas du tout la même rythmique que le français) et le chef-d’oeuvre d’Alexandre Pouchkine d’après la critique. C’est un roman qui laisse transparaître les idées libertaires de Pouchkine qui parle – comme en voix off – de son personnage principal sans que cela vienne perturber la lecture. J’ai trouvé celle-ci très fluide, alors que le format des strophes rimées pourrait laisser penser le contraire. Tatiana est la soeur aînée d’Olga, Eugène et Lenski sont ici aussi les deux faces du héros romantique mais Lenski est moins léger, la fin est très différente (Clémentine Beauvais s’est permis très subtilement de jouer avec cette fin dans la réécriture). C’est aussi le roman de la vie quotidienne russe au début du 19è siècle, à la ville et à la campagne. C’est aussi étonnant de lire comme une prémonition de sa propre mort dans le duel que Pouchkine met en scène entre les deux amis : lui-même mourra à l’âge de 38 ans, dans un duel contre l’amant de sa femme, Natalia Gontcharovna. Il paraît que l’auteur a beaucoup travaillé et fait évoluer la langue russe : presque deux siècles plus tard, la jeune Clémentine Beauvais suit ses traces en jouant elle aussi avec le langage dans sa réécriture. Une jolie boucle entre ces deux auteurs.

Alexandre POUCHKINE, Eugène Onéguine, traduit du russe par André Markowicz, Babel, 2008 (Actes Sud, 2005)

En faisant des recherches pour préparer mon cours, j’ai évidemment écouté des extraits de l’opéra adapté par Piotr Tchaïkovski. J’en ai même fait écouter à mes élèves (ils ont dû se dire que je suis complètement givrée). Ecoutez l’air de Tatiana, l’air de la Lettre, par Anna Netrebko.

Les grandes marées

20 mardi Nov 2018

Posted by anne7500 in Des Mots du Québec

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Babel, Jacques Poulin, Les grandes marées, Québec

Quatrième de couverture :

Seul sur une île au milieu du Saint-Laurent, un traducteur de bandes dessinées voit son havre de paix envahi par des individus loufoques et une jeune femme belle, mystérieuse et indépendante avec laquelle il se lie d’amitié. C’en est fini de sa solitude créatrice.
Déjà reconnu comme un classique de la littérature québécoise, ce livre dit avec force et dans une langue somptueuse que le paradis sur terre ne dure jamais longtemps.

Ce roman est plutôt une fable moderne aux caractères bien typés (et si elle date de 1995, son acuité est particulièrement percutante aujourd’hui). Le traducteur Teddy est un caractère original par son goût de la solitude au milieu d’un open-space. Son nouveau patron, qui veut rendre les gens heureux, l’envoie travailler sur une île déserte dont il sera aussi le gardien au milieu des oiseaux sauvages. Sur l’île Madame, il traduit minutieusement ses bandes dessinées, jouant avec les mots dans les dictionnaires, prenant le temps de choisir les plus justes. Les promenades, le tennis complètent cette vie simple. Le patron n’a sans doute pas la même conception du bonheur et amène une jeune femme sur l’île. Marie aime les livres, les mots et respecte le mode de vie de Teddy. C’est une sorte de paradis originel ; j’ai un peu pensé à Adam et Eve, je l’avoue, et le serpent, celui qui dans la Genèse divise et veut gommer les différences essentielles aux relations humaines, consiste sans doute ici à l’arrivée d’une série de personnages, certes tous très originaux (pas piqués des vers non plus…) mais qui vont définitivement casser la solitude bienheureuse de Teddy et Marie.

Sous des dehors simples et non dénués d’humour, Jacques Poulin touche à toute une série de thèmes qui parlent de et à notre époque : la solitude, le respect, la différence, la création, la lecture, entre autres, des valeurs qui sont bien souvent mises à mal dans notre monde. On ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux, ce bonheur est fragile comme un banc de sable qui accueille des oies sauvages en migration. Ce n’est pas mon roman préféré de l’auteur parce qu’il y manque un peu d’émotion à mon goût mais il est marquant, notamment par sa fin très cruelle et sans illusions.

 » Teddy partageait son temps entre la traduction, la surveillance de l’île et diverses occupations comme l’entretien des bâtiments et la réfection du court de tennis. La priorité allait évidemment à la traduction, sa tâche principale, qu’il accomplissait suivant un plan de travail très précis.
Or, certains jours, les mots ne lui venaient pas… Il ne les attendait plus, il se préparait à dormir et c’est alors qu’ils arrivaient, comme des invités qui ont oublié l’heure; ils le tenaient éveillé une bonne partie de la nuit.
Les mots tourbillonnaient dans sa tête. »

« Il y en a qui m’appellent ‘‘le poète de la Finance’’. Ça ne m’insulte pas du tout parce qu’ils ont compris que, maintenant que je suis riche, j’essaye de réaliser un vieux rêve. Je vous en ai déjà parlé la première fois qu’on s’est vus. Mon rêve, c’est de rendre les gens heureux. C’est pour ça que vous êtes ici, dans l’île. Et c’est pour ça que j’ai amené Marie. Evidemment, je ne me prends pas pour Dieu le Père et je ne me suis pas dit : ‘‘Il n’est pas bon que l’homme soit seul’’ ou quelque chose du genre, mais j’ai pensé que vous auriez plus de chances d’être heureux à deux. »

Jacques POULIN, Les grandes marées, Babel, 1995 (Leméac, 1978)

Rendez-vous classique aujourd’hui au Québec – Ysallysun a lu même roman.

 

Le Palais de glace

22 vendredi Déc 2017

Posted by anne7500 in Des Mots norvégiens

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Babel, Le Palais de glace, Norvège, Tarjei Vesas

Quatrième de couverture :

Dans un paysage de légende façonné par le froid et la glace, au coeur de l’interminable automne norvégien, deux fillettes se découvrent et se reconnaissent. Siss et Unn, Unn et Siss. De caractère apparemment opposé, elles s’attirent et se troublent, jusqu’au soir où, les yeux plongés dans un même miroir, elles scellent un pacte, un lien aussi indéfectible qu’inexplicable, ténu comme un cristal de givre et puissant comme le palais de glace figé au pied de la cascade. Le lendemain, Unn disparaît… Le Palais de glace, chef-d’oeuvre intemporel plein de poésie et de sensualité, approche avec une rare acuité l’intensité bouleversante des secrets et le sérieux insondable des émotions enfantines.

C’est grâce à Margotte, qui en a proposé une lecture commune dans le cadre du Challenge nordique, que j’ai découvert ce classique de la littérature norvégienne, paru en 1963 et redécouvert par les éditions Cambourakis.

C’est forcément une lecture de saison puisque ce mystérieux palais de glace se forme sur une cascade, à la fin de l’automne et d’une période de gel particulièrement puissant. Puissant et mystérieux comme le lien qui unit Siss et Unn, mystérieux comme la disparition de cette dernière, puissant comme le chagrin qui étreint Siss durant ce long hiver. L’auteur nous introduit au coeur des amours enfantines, aussi secrètes que les multiples chambres qu’abrite le palais de glace.

La langue de Tarjei Vesaas est poétique pour évoquer les couleurs de la neige, les reflets de la lumière hivernale, le grondement de la rivière, les dentelles de glace, le parfum de la terre qui se réveille au printemps. Dans ce texte qui tient du conte et du roman, la nature est omniprésente, les hommes sont reliés à elle, dépendants d’elle dans la puissance intemporelle de l’hiver. Le poids du secret que s’impose Siss après la disparition d’Unn pèse aussi lourd que la glace figée durant de longs mois. 

Un hiver pour apprendre à se délier d’une promesse, à dire adieu sans jamais oublier, à rejoindre le monde des vivants, pour laisser son coeur se dégeler peu à peu comme la glace fond sourdement, souterrainement. C’est une métaphore très forte, magnifique.

« A certains endroits, que l’eau avait abandonnés, l’oeuvre, terminée, était brillante et figée. Ailleurs, dans un nuage de vapeur, on voyait l’eau se souder en glace bleu-vert.
Un palais ensorcelé. Il fallait essayer d’y pénétrer si, toutefois, on pouvait trouver une entrée ! On y découvrirait sûrement une quantité de passages et de portails étranges. Il fallait y aller. Pour Unn, tout s’effaçait devant cette apparition. Elle n’avait plus qu’une idée en tête : pénétrer dans ce palais de glace.
Ce n’était pas facile d’y parvenir. Souvent, elle croyait trouver une ouverture, mais ce n’était qu’une illusion. Elle ne voulait, à aucun prix, abandonner. Finalement, elle trouva une petite fente par où l’eau coulait et qui était assez large pour lui laisser le passage. »

« Donc, pas moyen d’oublier Unn. Cela prit forme dans la chambre de Siss. C’est là que se forgea l’intangible promesse.
Au bout de huit jours, Siss eut le droit de se lever. Une semaine où, de sa fenêtre, elle vit tomber une neige incessante et où les nuits lui réservèrent quelques belles heures. Elle avait le sentiment que ces chutes intarissables avaient pour but d’effacer Unn. De l’effacer. Pour souligner qu’elle était partie pour toujours et qu’il serait inutile de la rechercher.
Dans ces moments, il lui arrivait cependant de se révolter. Les promesses prenaient toute leur force. Elles s’affirmaient davantage au fur et à mesure que les recherches se faisaient plus rares, lorsque les espoirs s’évanouissaient. 
Non, elle ne disparaîtra pas. Elle ne peut pas disparaître. Dans sa chambre, Siss se le répétait sans cesse. »

Tarjei VESAAS, Le Palais de glace, traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, Babel (Actes Sud), 2016 (Cambourakis, 2014)

 

Marcher (ou l’art de mener une vie déréglée et poétique)

12 mardi Sep 2017

Posted by anne7500 in Des Mots norvégiens

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Babel, Marcher, Norvège, Tomas Espedal

Quatrième de couverture :

Un beau jour, Tomas sort de chez lui et, poussé par une envie soudaine, décide de poursuivre son chemin. Laissant derrière lui sa femme et sa maison, avec pour seule feuille de route l’envie et le rythme, il s’embarque dans une promenade improvisée de plusieurs mois qui le conduit à travers la Norvège, au pays de Galles, à Paris, à Istanbul et dans les montagnes de la Transylvanie. Au fil de son escapade physique et spirituelle, le narrateur itinérant puise ses forces dans les oeuvres de nombreux écrivains marcheurs :  comme à un instrument philosophique : Whitman, Rousseau,  Kierkegaard, Hölderlin,  Rimbaud, Lawrence, Thoreau, Chatwin… la littérature jouant pour lui le rôle d’indispensable carburant.

Roman dénué d’artifice, quête des plaisirs simples, Marcher est un véritable hymne à la liberté, à la poésie et aux rencontres fortuites. Une vivifiante bouffée d’oxygène.

Ce livre de Tomas Espedal (auteur norvégien que je ne connaissais absolument pas avant de craquer pour ce titre et cette couverture) est un roman mais on peut en douter jusqu’aux dernières pages où on peut se demander si les voyages de Tomas ne se font pas uniquement en chambre, ce qui justifierait l’appellation de « roman ». Car tout au long des 246 pages sur 249, on croit accompagner le narrateur, Tomas, en Norvège dans la première partie et dans divers pays européens dans la seconde, comme dans un vrai récit de voyage.

Le voyage pour Tomas semble spontané : un beau jour il décide de partir d’une rue banale de sa ville (cela fait un peu penser au personnage d’Harold Fry ans le roman de Rachel Joyce). La simplicité de son matériel, son sens du détachement s’accompagnent d’un brin de fantaisie atypique : il voyage en complet, chaussé de bottes, un signe vestimentaire qui le fait distinguer des gens qu’il croise ou de ceux chez qui il s’arrête. S’il simplifie au maximum le contenu de son sac à dos, il n’oublie jamais des livres d’écrivains voyageurs, à commencer par Jean-Jacques Rousseau. Quand il s’arrête pour faire des provisions, il se fournit aussi en livres.

Il voyage seul à travers les fjords et montagnes de Norvège, et aussi en France où il suit les traces d’Eric Satie (qui parcourait chaque jour douze kilomètres pour aller boire dans un café où il arrivait déjà imbibé car il faisait plusieurs chapelles en route… et il en repartait donc dans un état assez avancé) et d’Arthur Rimbaud entre Charleville-Mézières et Paris, il évoque aussi les sculptures de Giacometti. Bon, il est vrai qu’il est déjà venu à Paris quand il était beaucoup plus jeune, en compagnie de sa petite amie et il raconte une scène torride dans un hôtel du Quartier latin (bon là, ok, c’est sans doute un peu romancé aussi).

Dans d’autres pays européens (le pays de Galles, la Grèce) et en Turquie,  il est accompagné de son ami Narve, l’un marchant devant l’autre à tour de rôle, pour que le premier exerce ses talents d’orientation et de décision et que le second puisse penser tranquillement en marchant. Les deux hommes font des rencontres à la fois banales et peu ordinaires (et pas seulement des humains) et l’alcool tient aussi une place non négligeable dans leurs pérégrinations. Au contraire de son ami, Tomas a une vision assez optimiste de la nature bien qu’il observe que l’intervention humaine gâche le paysage et l’écologie à long terme en Norvège, il sait qu’il trouvera (toujours plus haut dans la montagne) des lieux qui lui permettront de rêver.

Bon, il me faut avouer que je ne retiendrai sans doute pas grand-chose de ces voyages marqués de fantaisie et de multiples références artistiques mais la marche n’a pas été désagréable, sans doute aussi grâce à la qualité de la traduction.

« Le plaisir que vous procure une maison n’a rien à voir avec la satisfaction de posséder un logement, il est plus profond, il réside dans le fait d’avoir trouvé un lieu où se reposer, où il y a de la chaleur et de la lumière, où on peut s’asseoir près de la fenêtre pour regarder dehors; être dedans. Le plaisir de la maison, c’est le plaisir d’être dedans. Le plaisir d’être dehors découle du fait d’avoir trouvé une maison, elle n’a pas besoin de vous appartenir. » (p. 76)

« Mais en ce moment précis de ma vie je n’ai pas de chez moi. J’ai un endroit où habiter, j’habite seul, dans une chambre avec un matelas par terre, un bureau, une chaise, c’est tout. Une chambre d’attente. J’attends un changement, non, j’attends une transformation, quelque chose d’entièrement nouveau, une nouvelle vie ? J’attends quoi ? Cela commence aujourd’hui, la nouvelle vie, les nouvelles possibilités, il suffit de se lever, de se redresser, de secouer le sable et les rêves, d’enfiler son complet, d’endosser son sac et de s’en aller sur la piste ouverte. » (p. 137)

« Giacometti aimait marcher, il sillonnait les rues de Paris, il dessinait et prenait des notes. Pour lui, l’homme qui marche semble être une sorte d’archétype; une image originelle ou un modèle: l’être en mouvement, le personnage qui allonge le pas en balançant les bras, où va-t-il ? Que voit-il ? Nous le reconnnaissons, nous allons vers d’autres destinations, nous voyons autre chose, mais les sculptures de Giacometti illustrent et approfondissent deux états fondamentaux de la nature et de l’être humain: bouger et rester immobile. » (p. 156)

Tomas ESPEDAL, Marcher (ou l’art de mener une vie déréglée et poétique), traduit du norégien par Terje Sinding, Babel, 2015 (Actes Sud, 2012)

Troisième livre de voyage et une étape norvégienne pour le challenge de Margotte

La grosse femme d’à côté est enceinte

15 lundi Sep 2014

Posted by anne7500 in Des Mots du Québec

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Babel, Chroniques du Plateau Mont-Royal, La grosse femme d'à côté est enceinte, Michel Tremblay, Québec

Présentation de l’éditeur :

Au cœur du Plateau Mont-Royal, ce quartier populaire de Montréal qui prend des allures de véritable microcosme social, une femme de quarante-deux ans, enceinte de sept mois, devient le centre d’un monde réaliste et fantasmagorique. Dans la journée du samedi 2 mai 1942, alors que tourbillonnent émotions et drames de la vie privée, le romancier met en place, avec un grand bonheur d’écriture, les acteurs du premier tome du puissant cycle romanesque des Chroniques du Plateau Mont-Royal.

J’ai découvert Michel Tremblay en lisant ce premier tome des Chroniques du Plateau Mont-Royal et j’ai trouvé ça jubilatoire !

Le roman se déroule sur une journée, le 2 mai 1942, en un même lieu, le quartier Mont-Royal, et en particulier un appartement, où s’entasse une famille nombreuse, et le Parc Lafontaine, et aussi, on peut le dire, unité d’action : le livre commence et se termine avec les mêmes personnages et nous raconte les histoires croisées des habitants de la rue Mont-Royal qui vont se rejoindre à la fin de la journée. On pourrait même pousser le rapprochement avec la tragédie puisque l’un des acteurs meurt à la fin !

Mais de tragédie à l’antique, il n’en est pas vraiment question, plutôt de la vie avec ses joies et ses peines, ses drames et ses déceptions, la vie d’un quartier populaire, de gens ordinaires, d’origine modeste. Parmi eux, des vieilles femmes, des prostituées, des enfants, un chat volage, et surtout de nombreuses femmes enceintes, dont celle qui donne son titre au roman, la seule dont nous ne connaîtrons pas le nom et qui vit recluse dans sa chambre car elle ne peut plus se déplacer. D’ailleurs, en ce printemps naissant, en ce Canada de 1942 corseté par une morale religieuse bien prégnante, il n’est pas de bon ton d’étaler au grand jour sa grossesse, surtout quand on a décidé de faire encore un enfant à quarante ans passés et en étant aussi grosse. Michel Tremblay ne se prive pas de placer dans la bouche de certaines femmes de longs discours où elles expriment toute leur révolte devant la condition dans laquelle les maintiennent encore les hommes, les maris, les pères, les prêtres.

La vie, donc, et en cette année 1942, certains hommes, certains pères sont partis à la guerre mais plusieurs rechignent encore à s’engager, cette guerre est bien éloignée d’eux. Ceux qui restent font ce qu’ils peuvent pour donner des conditions de vie décentes à leur famille, se montrent particulièrement amoureux tandis que d’autres essayent de régler leurs difficultés relationnelles avec leurs femmes, avec leurs mères. Pendant ce temps, les enfants grandissent, s’initient à la vie, profitent du soleil qui brille enfin sur la ville en ce 2 mai.

Si on veut, il ne se passe pas grand-chose dans ce roman, mais au fur et à mesure que le jour s’avance, l’auteur nous raconte les destins individuels de la grosse femme, de Gabriel, Albertine, Edouard, Victoire, Josaphat-le-Violon, Thérèse et Marcel, Philippe et Richard, de Ti-Lou la louve d’Ottawa et tant d’autres, dont les portraits savoureux se dessinent sous nos yeux. Des personnages auxquels je me suis attachée et qui m’ont enchantée par leur parler tout aussi délicieux. Car les dialogues sont nombreux et le français du Québec fait chanter ses expressions du début à la fin. Soit dit en passant, cela veut dire que je redonnerai une chance au roman de Marie Laberge que j’ai abandonné l’année dernière – aussi par manque de temps – et où le « québécois » m’avait gênée. Ici, je ne sais pourquoi, sans doute grâce à la magie de conteur de Michel Tremblay, cela ne m’a absolument pas dérangée, au contraire, cela fait partie de la vie de ce quartier populaire. Et il y a même de petites ressemblances grammaticales avec le patois picard de mon coin, je trouve !

Pour finir, j’ai même réussi à trouver aussi du réalisme magique à la manière de Xavier Hanotte (si, si) puisque les personnages qui ouvrent le roman veillent mystérieusement sur leur rue et ses habitants, comme des anges gardiens, mais personne ou presque ne les remarque, sauf un petit garçon sensible et le chat Duplessis, un chat doté lui aussi de pensée !

Bref, la conclusion est simple : je pense bien que je vais chercher le tome 2 de ces Chroniques qui m’ont enchantée !

Michel TREMBLAY, La grosse femme d’à côté est enceinte, Leméac, 1978 (1e édition) et Babel, 1995

Sylire et Hélène Lecturissime l’ont lu aussi et ne sont pas aussi enthousiastes que moi.

Québec en septembre 2014

Petit Bac 2014

"Un seul soupir du chat défait tous les noeuds invisibles de l'air. Ce soupir plus léger que la pensée est tout ce que j'attends des livres."

Christian BOBIN, Un assassin blanc comme neige, Gallimard

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