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Archives de Tag: exil

Les Pas perdus du Paradis

12 mardi Jan 2021

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin

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Catherine Deschepper, Editions de Beauvilliers, exil, maladie d'Alzheimer

Quatrième de couverture :

Nathan a seize ans. Un cerveau un peu trop encombrant, des amis triés sur le volet, des parents qui se disputent tout le temps, une grand-mère un peu dingue et une amoureuse qui a fui l’Erythrée. Nathan a seize ans et son univers s’écroule, un soir de pluie (les drames arrivent toujours les soirs de pluie), quand il apprend tout à la fois que Saïma a décidé de partir en « Youké » et que les fantaisies de sa grand-mère vont la condamner à la séniorie. L’une n’a plus d’endroit où loger, l’autre ne peut plus vivre seule dans sa petite maison de la rue du Paradis. La solution semble toute trouvée…

Catherine Deschepper a déjà écrit deux recueils de nouvelles publiés chez Quadrature, Un kiwi dans le cendrier et Bruxelles à contrejour et voilà qu’elle a trouvé un petit éditeur français pour publier son premier roman destiné aux grands ados. Je pense que celui-ci peut même carrément plaire aux adultes par les thématiques qu’il aborde.

Le narrateur est donc Nathan, seize ans, confronté à la détresse d’une famille venue d’Erythrée et qui a traversé l’enfer pour arriver en France (petit détail, je ne sais pourquoi, je me sentais plus en Belgique qu’en France en lisant ce roman). Il est tombé amoureux de Saïma, la fille aînée. Un jour, la mère et la petite soeur de Saïma sont arrêtées par la police et retenues en centre fermé. La jeune fille, qui a échappé par miracle à l’arrestation, veut réaliser le rêve de sa mère : atteindre le Royaume-Uni, le « Youké ». Et pour la cacher, en attendant le grand départ, Nathan (et ses potes, très importants dans l’histoire) trouvent la solution qu’ils pensent géniale : faire habiter Saïma chez Mamynou, la grand-mère de Nathan, dont l’esprit commence à divaguer joyeusement (ou dangereusement, selon le point de vue) depuis quelque temps et que les parents du garçon envisagent très sérieusement de placer. 

Deux thèmes assez lourds donc, l’exil et la maladie d’Alzheimer auxquels se greffent les amours adolescentes et l’amitié. Sur quatre saisons, Nathan et ses amis, Saïma vont grandir, la vraie vie va les presser d’avancer, d’évoluer, d’inventer des lendemains qu’on espère meilleurs. « C’est ça la vie ! » comme aiment à le répéter Saïma et Mamynou. Les adultes vont eux aussi apprendre de cette expérience inédite. Certes Mamynou m’a paru vraiment très à l’ouest dans ses délires et ces jeunes gens portent vraiment beaucoup sur leurs épaules, la fin m’a paru un peu abrupte mais la finesse psychologique que j’avais tant appréciée dans Un kiwi dans le cendrier, le traitement moderne des thèmes sont intéressants. Le roman est plein d’humour et d’espoir finalement, sous la plume élégante de Catherine Deschepper.

Catherine DESCHEPPER, Les Pas perdus du Paradis, Editions de Beauvilliers, 2020

P.S. J’espère que ce joli premier roman sera suivi d’autres textes qui seront mieux mis en valeur par cet éditeur (ou un autre, mais oui ?) : ne vous laissez pas arrêter par cette couverture très austère…

L’avis d’Argali

Challenge Petit Bac 2021 : Adjectif

Bagage

14 dimanche Jan 2018

Posted by anne7500 in Des Mots en Poésie

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exil, Kamel Zerdoumi, migrations, Poésie

Dans ma valise
la tombe de ma mère
les quartiers de mon enfance
un peu de cette terre
qui apaise mon errance
l’eucalyptus et l’hibiscus
pour exorciser
le marronnier et le platane
et leur tristesse qui damne
Dans ma valise
Les sourires et les voix
de la poignée de vivants
qui comptent pour moi
et figent le temps
la fin du vertige
marier passé et présent
Afrique et Europe
un même continent

Kamal Zerdoumi

Ce 14 janvier, c’est la journée mondiale du migrant et du réfugié.

Sous le ciel qui brûle

26 vendredi Mai 2017

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français, Non classé

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exil, Hoai Huong Nguyen, Sous le ciel qui brûle, Vietnam, Viviane Hamy

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Quatrième de couverture : 

« La veille du nouvel an 1954, l’oncle Chinh avait annoncé à sa femme sa décision de rejoindre l’armée populaire. Elle devait se réjouir d’entrer dans le camp de la Révolution – c’était l’éducation qu’il voulait pour son fils et sa fille : qu’ils se battent pour leur pays. Il était leur père, et rien ne lui interdisait de les emmener avec lui – il n’y avait nulle échappatoire.
Le jour de leur départ, dans un mouvement de désespoir, Tuân avait crié en français :
— Vous êtes un monstre, laissez-moi au moins dire au revoir à ma cousine. Son oncle le considéra de son regard glacé et lui répondit en vietnamien :
— Mày là thằng việt gian. (Tu n’es qu’un traître à la patrie. Et il ajouta 🙂 À cause de tes paroles, je la donnerai à un homme qui n’a pas été pourri par l’Occident, même si ce doit être un illettré.  »

Si le choix de la langue des colonisateurs fait de Tuân un « traître », il signe également son destin : son amour du français et de la poésie de Gérard de Nerval sera son refuge au cœur des atrocités qu’il va vivre dans un Vietnam exsangue, déchiré par la guerre et la partition.

Ce roman est une navigation enchantée entre les verts paradis des amours enfantines et un présent douloureux, qui convoque les parfums les plus subtils de l’Orient et compose une ode bouleversante à la puissance vitale des mots.

Au moment de commencer ce deuxième roman de Hoai Huong Nguyen (qui avait remporté le Prix Première en 2013 pour L’ombre douce, l’année où je faisais partie de ce jury de lecteurs), je ne vous cache pas que j’avais un peu d’appréhension : allais-je l’aimer autant que le premier ? D’autant que l’auteure a eu la grande gentillesse de me l’envoyer… la pression était forte. Et la magie a opéré dès les premières pages, grâce à la puissance évocatrice de l’écriture d’Hoai Huong…

Si le héros de Sous le ciel qui tombe se laisse approcher moins facilement au début du roman (normal, il est enfermé dans sa douleur d’exilé), on s’attache à lui quand on retourne avec lui dans son village natal, au sein de sa famille qui vit unie, sous la protection des dieux et l’autorité bienveillante du grand-père. Le plaqueminier au centre du jardin (un arbre à kaki) est le symbole de cette présence positive des esprits familiers. Mais un jour, les parents du jeune Tuân sont assassinés par des voleurs ; le grand-père prend le relais de l’éducation du garçon mais meurt quelques années plus tard, le laissant aux soins de sa tante Anh. L’adolescent poursuit ses études, axées sur le français, une langue (celle des colonisateurs) découverte grâce à son instituteur et dont il est tombé amoureux au travers de la poésie de Gérard de Nerval notamment. Les années d’insouciance sont cependant envolées, l’ombre de ses proches défunts poursuit Tuân et le pays est peu à peu miné par la révolte violente menée par le Viêt-minh contre les colons français. Le mari d’Anh, recruté par les communistes, emmène toute sa famille dans le Nord, vers un avenir incertain bien que proclamé glorieux. Une perte de plus pour Tuân.

Si la bataille de Dien Bien Phu était au centre du premier livre de la romancière, ici c’est à ses prémices et surtout aux années suivantes qu’Hoai Huong Nguyen s’intéresse : tandis que le Viêt-minh établit une collectivisation brutale et exécute tous les opposants possibles au Nord, le Sud reste instable malgré le soutien des Français puis des Américains. Le Nord du pays cherche à tout prix à conquérir le Sud : il y réussit presque en 1968, en attaquant la ville de Huê en pleine nuit du Têt (Nouvel an). C’est là que Tuân est pris au piège d’une bataille atroce, il est le témoin d’horribles massacres qui le touchent de très près. De retour à Saïgon, il obtient l’asile en France et s’exile pour toujours.

Le roman alterne entre la forêt de Chantilly, lieu prisé de Gérard de Nerval et donc de Tuân, qui s’y promène régulièrement, et le Vietnam de son enfance, de sa jeunesse. En ce jour de mars 1975 où Tuân cherche les premières jonquilles, les fantômes du passé se révèlent particulièrement douloureux. Mais les mots des poètes l’accompagnent aussi, des mots qui, tout au long de son existence, l’ont aidé à traverser le deuil, la séparation, la violence et dont il recherche toujours les meilleurs accords rimés, en quête d’une improbable résilience.

Ici encore, Hoai Huong Nguyen a l’art d’évoquer des événements déchirants avec une infinie délicatesse. Comme son héros, elle n’est jamais dans la haine, elle observe et convoque la nature, les arbres, les fleurs, l’eau, pour adoucir la peine et maintenir vivant le souvenir du pays natal. Son écriture est parfumée de réglisse, d’encens et d’épices, elle est même multi-sensorielle, nous invitant à nous laisser réconforter par le toucher de l’écorce d’un arbre, à deviner les lignes apaisantes des rizières et des collines, à suivre les silhouettes qui se dessinent dans la brume. Un aller-retour entre France et Vietnam dont je me plais à penser qu’il reflète le propre parcours et le même amour des mots de la romancière et poétesse, même si elle est née en France un an après le moment où commence le roman.

« Ce mot [affaires] semblait avoir traversé le temps, depuis l’âge classique jusqu’au siècle des Lumières, de la maison du grand Condé à l’ermitage de Montmorency, pour arriver sur sa feuille ; c’était comme un coquillage ballotté dans l’océan et déposé sous son regard : il pouvait en admirer l’enveloppe miraculeusement intacte, la spirale gracieuse, les stries nacrées, en goûter la saveur marine, et quand il le portait à son oreille, être absorbé par sa résonance. » (p. 77)

« Au bout du quai, Tuân s’appuyait sur un parapet. Sous ses yeux, l’eau s’animait d’une vie surnaturelle ; elle charriait des flots obscurs et emportait avec elle les songes des promeneurs. Ses pensées se mêlaient au flux des vagues et à leur murmure secret. Sur la rivière, le reflet des étoiles ressemblait aux fleurs pâles d’une tapisserie ancienne – à maints endroits, le tissu avait vieilli, l’or s’était altéré, le fil avait disparu, décousant les motifs autrefois tissés, rendant invisible l’image qui ornait le ciel ; mais, à travers ces traces, le regard pouvait rechercher dans le noir l’énigme des formes enfuies. » (p. 82-83)

Merci infiniment, Hoai Huong, pour votre douceur, votre amour de la langue française et de votre pays d’origine, et pour votre délicate attention à m’envoyer ce livre.

Hoai Huong NGUYEN, Sous le ciel qui brûle, Viviane Hamy, 2017

 

Le dernier gardien d’Ellis Island

20 mardi Sep 2016

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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exil, Gaëlle Josse, Le dernier gardien d'Ellis Island, Les éditions Noir sur blanc, migrations

Quatrième de couverture :

New York, 3 novembre 1954. Dans quelques jours, le centre d’immigration d’Ellis Island va fermer. John Mitchell, son directeur, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l’épouse aimée, et Nella, l’immigrante sarde porteuse d’un très étrange passé. Un moment de vérité où il fait l’expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d’événements tragiques. Même s’il sait que l’homme n’est pas maître de son destin, il tente d’en saisir le sens jusqu’au vertige.

À travers ce récit résonne une histoire d’exil, de transgression, de passion amoureuse, et de complexité d’un homme face à ses choix les plus terribles.

Je me sens incapable d’écrire un avis (à peu près) construit sur ce roman, dont on a beaucoup parlé à sa sortie. Je ne l’ai lu que cette année, à l’occasion du mois américain, parce qu’un documentaire vu cet été sur les immigrants d’Europe centrale et orientale vers les Etats-Unis m’a particulièrement intéressée  et parce que j’ai le dernier roman de Gaëlle Josse est au chaud dans ma PAL récente : je déteste l’idée de ne plus rien avoir à lire d’un(e) auteur que j’apprécie profondément. Je me souviens aussi de la rencontre avec Gaëlle au Bateau-Livre, que la libraire avait animée en faisant réagir la romancière sur des photos en lien avec Ellis Island et le livre, c’était très agréable.

Le dernier gardien d’Ellis Island est un roman prenant, sans aucun doute parce que Gaëlle Josse a elle-même été profondément touchée par sa visite des lieux et aussi parce qu’elle réussit à se glisser avec une surprenante empathie dans la tête de John Mitchell et parvient à rendre attachant ce personnage qui, s’il avait réellement existé, aurait été assez antipathique. Cet homme rigide, tatillon, incapable d’exprimer ses émotions (mais il n’était pas le seul à son époque) s’est pourtant laissé toucher par la grâce de Liz mais leur mariage a duré si peu de temps qu’il semble n’avoir porté aucun fruit et John semble incapable de surmonter ce deuil. L’arrivée de Nella et de son frère avec le Cincinnatti, en 1923, apporte du désordre et même une forme de sauvagerie dans le monde si structuré du directeur d’Ellis, qui ne sera plus jamais le même homme, jusqu’à la fermeture du centre en 1954.

Le lieu est évidemment un personnage à part entière du récit, cette petite île, ce centre de rétention qui a façonné la vie et la carrière de John Mitchell, qui réussit finalement à témoigner dans des pages où « il y a trop d’amour, trop de peine » (p. 161). Le style à la fois fluide et net de Gaëlle Josse a pour moi participé du plaisir de lecture, de l’intelligence (dans les deux sens du terme) du récit et m’a émue. J’ai retrouvé à la fois la ligne tendue, la douceur et l’infinie nostalgie des Heures silencieuses. J’ai sûrement laissé de côté des tas d’aspects de ce beau roman… Bravo, Madame.

« Pendant quarante-cinq années – j’ai eu le temps de les compter -, j’ai vu passer ces hommes, ces femmes, ces enfants, dignes et égarés dans leurs vêtements les plus convenables, dans leur sueur, leur fatigue, leurs regards perdus, essayant de comprendre une langue dont ils ne savaient pas un mot, avec leurs rêves posés là au milieu de leurs bagages. Des malles, des cantines, des paniers, des valises, des sacs, des tapis, des couvertures, et à l’intérieur tout ce qui reste d’une vie d’avant, celle qu’ils ont quittée, et qu’ils doivent, pour ne pas l’oublier, garder dans un lieu fermé au plus profond de leur cœur afin de ne pas céder au déchirement des séparations, à la douleur de se souvenir des visages qu’ils ne reverront jamais. Il faut avancer, s’adapter à une autre vie, à une autre langue, à d’autres gestes, à d’autres habitudes, à d’autres nourritures, à un autre climat. Apprendre, apprendre vite et ne pas se retourner. Je ne sais pas si pour la plupart d’entre eux le rêve s’est accompli, ou s’ils ont brutalement été jetés dans un quotidien qui valait à peine celui qu’ils avaient fui. Trop tard pour y penser, leur exil est sans retour. »

Gaëlle JOSSE, Le dernier gardien d’Ellis Island, Les éditions Noir sur blanc, 2014 (également en J’ai lu)

J’ajoute ce titre à ma mini-thématique de l’été sur l’exil.

Mois américain

Dans la mer il y a des crocodiles

19 vendredi Août 2016

Posted by anne7500 in Des Mots italiens, Non Fiction

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Dans la mer il y a des crocodiles, Enaiatollah Akbari, exil, Fabio Geda, Liana Levi, migrations, piccolo

Quatrième de couverture :

Dix ans, ou peut-être onze. Enaiat ne connaît pas son âge, mais il sait déjà qu’il est condamné à mort. Être né hazara, une ethnie persécutée en Afghanistan, est son seul crime. Pour le protéger, sa mère l’abandonne de l’autre côté de la frontière, au Pakistan. Commence alors pour ce bonhomme « pas plus haut qu’une chèvre » un périple de cinq ans pour rejoindre l’Italie en passant par l’Iran, la Turquie et la Grèce. Louer ses services contre un bol de soupe, se dissimuler dans le double-fond d’un camion, braver la mer en canot pneumatique, voilà son quotidien. Un quotidien où la débrouille le dispute à la peur, l’entraide à la brutalité. Mais comme tous ceux qui témoignent de l’insoutenable, c’est sans amertume, avec une tranquille objectivité et pas mal d’ironie, qu’il raconte les étapes de ce voyage insensé.

Fabio Geda est né en 1972 à Turin où il vit toujours. Éducateur, collaborateur de La Stampa, il a publié deux romans avant d’entendre Enaiatollah Akbari raconter son histoire il y a quelques années au Centre interculturel de Turin. Bouleversé par son récit, séduit par son authenticité, il prend le soir même la décision de bâtir un livre à quatre mains. Depuis sa sortie en avril 2010, Dans la mer il y a des crocodiles s’est vendu à près de 200 000 exemplaires en Italie et a été traduit en 27 langues.

Après Eldorado et Refuges, voici un troisième regard sur l’immigration en forme de récit authentique : celui d’Enaiatollah, un jeune garçon de dix ans seulement que sa mère a eu le culot, le courage, la force, l’inconscience (les quatre à la fois ?) de faire sortir d’Afghanistan et d’abandonner à Quetta (oui, la ville pakistanaise où a lieu un attentat sanglant il y a une quinzaine de jours) sans le prévenir qu’elle veut qu’il fasse sa vie ailleurs pour échapper à la discrimination que les Hazaras subissent.

A force de courage, de débrouillardise, d’instinct de survie, d’intelligence, de chance aussi, Enaiatollah réussit à trouver du travail, à toujours trouver un endroit pour dormir et de quoi manger ; de quoi gagner aussi de l’argent pour repartir, toujours plus à l’ouest. Le jeune garçon sent toujours le bon moment pour quitter un endroit ; il se met alors à la merci des passeurs, qui l’emmèneront du Pakistan en Iran, puis en Turquie, avant de traverser la mer pour atterrir en Grèce et enfin se poser en Italie, à Turin, où il savait pouvoir retrouver un ami afghan. Enaiatollah a été victime de rafles policières, de racisme, les conditions du voyage ont souvent été atroces (lire « en vrai » comment on vous fait voyager pendant des jours recroquevillé sous un camion et comment vous en sortez si vous survivez à l’aventure, ça a quand même un poids particulier par rapport à une fiction).

Le périple dure quatre ans, de la vallée de Nava jusqu’à Turin. Mais si le récit recueilli par Fabio Geda est bien réel, il se lit presque comme un roman d’aventures, tant Enaiatollah y met de vie et d’énergie incroyable. Il ne veut pas s’attacher aux émotions, au fait qu’un enfant de dix ans ne devrait jamais avoir à vivre ce genre de choses : il raconte simplement ce qui lui est arrivé, et s’il n’omet pas les coups durs et les mauvais jours, il met toujours en avant ceux qui l’ont aidé dans son exil, ceux qui l’ont conseillé, lui ont donné du travail ou de la nourriture, les bonnes personnes qui, en Grèce et en Italie, n’ont pas eu peur de lui payer un billet de train ou de bateau pour arriver à bon port. On sourit à certaines de ses anecdotes et on se laisse remuer le coeur et les tripes à l’écouter (oui, c’est comme s’il nous parlait en direct).

En lisant ce livre, j’ai pensé au roman Les cerfs-volants de Kaboul et au film Welcome. Le récit se termine sur un coup de téléphone qui m’a mis les larmes aux yeux. On ne peut s’empêcher d’espérer que tous les enfants qui vivent la même « traversée » qu’Enaiatollah arrivent eux aussi sains et saufs en Europe et que, comme lui, ils ne perdent rien de leurs rêves en chemin. On peut toujours espérer…

« Comment on trouve un endroit pour grandir, Enaiat? Comment le distingue-t-on d’un autre?

Tu le reconnais parce que tu n’as plus envie de t’en aller. Bien sur, il n’est pas parfait. Ça n’existe pas, un endroit parfait. Mais il existe des endroits où, au moins, personne ne cherche à te faire du mal. » (p. 157)

Enaiat est pourtant conscient du pouvoir des émotions transmises quand il se présente devant la commission qui pourrait lui accorder le statut de réfugié politique à Rome : « Quand tu t’adresses directement aux gens, tu transmets une émotion plus intense, même si les mots sont incertains, que la cadence est différente. Dans tous les cas, le message qui arrive ressemble plus à celui que tu as en tête, comparé à ce que pourrait répéter un interprète – non ?, parce que de sa bouche ne sortent que des mots, pas des émotions. Les mots ne sont qu’une coquille. » (p. 171)

Fabio GEDA, Dans la mer il y a des crocodiles – L »histoire vraie d’Enaiatollah Akbari, traduit de l’italien par Samuel Sfez, Liana Levi piccolo, 2012 (Première édition en 2011)

Troisième titre de ma mini-série « Exils », que je recommanderai particulièrement à mes élèves. J’ai encore un titre en lien avec ce thème mais je le présenterai en septembre, pour le Mois américain (une autre semaine thématique démarre la semaine prochaine).

Eldorado

15 lundi Août 2016

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Eldorado, exil, J'ai lu, Laurent Gaudé, migrations

Quatrième de couverture : 

« Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

Pour fuir leur misère et rejoindre l’« Eldorado », les émigrants risquent leur vie sur des bateaux de fortune… avant d’être impitoyablement repoussés par les gardes-côtes, quand ils ne sont pas victimes de passeurs sans scrupules. Le commandant Piracci fait partie de ceux qui sillonnent les mers à la recherche de clandestins, les sauvant parfois de la noyade. Mais la mort est-elle pire que le rêve brisé ? En recueillant une jeune survivante, Salvatore laisse la compassion et l’humanité l’emporter sur ses certitudes…

« Voyage initiatique, sacrifice, vengeance, rédemption : le romancier au lyrisme aride manie les thèmes de la tragédie antique avec un souffle toujours épique. » L’Express

Cet été 2016 (je rédige ce billet au tout début août), on n’entend guère parler dans l’actualité de bateaux chargés d’immigrants clandestins comme ce fut le cas en 2015, on ne parle plus de la charge subie par la Grèce avec tous ces candidats à l’exil. Normal, me direz-vous, les accords avec la Turquie ont découragé les gens de prendre cette route maritime ; et les attentats multiples commis cet été ont plutôt mis l’accent sur des faits de violence (isolés) mettant en cause des candidats réfugiés ou sur des terroristes en puissance qui ont passé les mailles du filet.

On dit que le passage méditerranéen entre le Nord de l’Afrique et l’Italie va « reprendre du service » : bien avant 2015, Laurent Gaudé a écrit et publié ce roman en 2006. Il y mettait en scène un capitaine de frégate italien chargé de repérer, d’arraisonner et éventuellement de porter secours aux barques, aux bateaux chargés de migrants, qui seront conduits dans un centre de rétention de Lampedusa et reconduits dans leur pays d’origine. Suite à la rencontre fortuite avec une femme « sauvée » des eaux, Salvatore Piracci sent ses lignes bouger. Tout ce qui faisait sens dans son métier de marin vacille devant ces dizaines de visages que l’espoir a désertés et qui le hantent désormais… Le capitaine va alors entamer une sorte de migration à l’envers, de l’autre côté de la mer.

En parallèle à ce voyage, Jamal nous conte le récit de sa migration vers l’Europe. Les passeurs, le prix à payer encore et encore, la séparation, l’errance, la trahison, le désespoir, une sorte de solidarité, un camp pas loin du mur de Ceuta (dont la description et l’organisation font penser à la jungle de Calais, un déplacement ou plutôt une multiplication, des années plus tard, de la misère et de l’attente) : Laurent Gaudé place son lecteur au coeur de l’exil grâce à ses descriptions imagées, ses accélérations de rythme et la riche palette d’émotions qu’il lui fait traverser.

« L’herbe sera grasse, dit il, et les arbres chargés de fruits. De l’or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbéreront les rayons du soleil. Les forets frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux la bas. Et la vie passera comme une caresse. L’eldorado commandant. Ils l’avaient au fond des yeux. Ils l’ont voulu jusqu’à ce que leur embarcation se retourne. En cela ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l’œil sec nous autres et nos vies sont lentes. » 

« Je me suis trompé. Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s’arracher la peau pour quitter son pays. Et qu’il n’y ait ni fils barbelés ni poste frontière n’y change rien. J’ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l’on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

Le capitaine Piracci et Jamal cherchent chacun leur Eldorado : le prix du passage sera lourd. Rester humain malgré tout, ôter ses masques un à un, se laisser dépouiller à l’extrême dans l’espoir de mener une vie nouvelle, oser (re)commencer, tenir, vivre et mourir, mourir et vivre.

Un grand, un très beau roman de Laurent Gaudé, âpre et sensible.

Laurent GAUDE, Eldorado, Actes Sud, 2006 (et J’ai lu, 2009)

Après avoir lu Le promeneur d’Alep, j’ai sorti trois titres de ma PAL sur l’exil et les réfugiés. Voici donc le premier d’une petite semaine consacrée à ce thème.

Le Russe aime les bouleaux

21 mardi Oct 2014

Posted by anne7500 in Des Mots allemands, Des Mots au féminin, Des Mots européens

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deuil, exil, Israël, Le Russe aime les bouleaux, Les Escales, Olga Grjasnowa

Présentation de l’éditeur :

« Immigré », « identité », « patrie »… Des mots qui ont le don d’énerver Mascha.
D’origine azerbaïdjanaise et juive, Mascha est arrivée avec sa famille à onze ans en Allemagne pour fuir la guerre et les massacres. Elle qui devient une « sans voix » prend aussitôt conscience du pouvoir que procure la maîtrise de la langue. Aujourd’hui, elle en parle cinq couramment et fait des études d’interprétariat. Son objectif : travailler au sein des Nations unies. À Francfort, en couple avec Elias, Mascha essaie d’oublier les horreurs vécues à Bakou, enfant… quand son petit ami meurt brutalement.
De désespoir, et sur un coup de tête, Mascha part pour Israël. Là-bas, les fantômes du passé la rattrapent, se mêlant à celui d’Elias et aux images terribles du présent.
Plus que jamais, Mascha va avoir besoin d’un endroit ou se sentir chez elle, pour surmonter les drames et faire la paix avec le passé. Mais ou le trouver ?

Après Le canapé rouge, je me suis jetée sur ce roman trouvé à la bibliothèque et dont le titre évoquait aussi la Russie. C’est Antigone qui m’en avait aussi donné envie et j’ai été ravie de le lire !

L’auteure incarne peut-être elle-même le mal-être de son héroïne puisqu’elle porte un nom aux consonances russes mais écrit en allemand. Comme Maria, Mascha, venue avec sa famille d’Azerbaïdjan pour se réfugier en Allemagne. Ses parents, surtout le père, ne se sont jamais vraiment remis de cet exil, Mascha, elle, s’est inscrite dans la vie étudiante, dans un groupe d’amis, dans des relations amoureuses marquées par le multiculturalisme : elle parle plusieurs langues, plusieurs de ses amis sont arabes et voyagent entre l’Allemagne et les Etats-Unis.

Quand son deuxième petit ami « sérieux », Elischa, meurt, Mascha est complètement perdue. Ce sont sa mère et ses amis qui la tiennent à bout de bras. Elle finira par accepter un poste, largement au-dessous de ses compétences d’interprète, en Israël, pays où une partie de sa famille (comme beaucoup de Juifs ruses, on le sait) a cru trouver la sécurité.

A l’heure où j’écris ce billet, j’ai conscience d’avoir du mal à en parler, à bien le présenter et pourtant j’ai envie de vous le faire aimer, rien que pour son titre déjà, inspiré d’une réplique des Trois soeurs, de Tchekhov, Ils incarnent un lieu où il fait bon vivre, et c’est ce que cherche Mascha, qui doit encore « apprivoiser » les fantômes de son passé. Elle a cru le trouver en la personne d’Elias, sans doute les mots des différentes langues sont-ils un refuge aussi, ou tout au moins un moyen sûr de s’adapter aux changements, aux déplacements, choisis ou forcés.

Et puis, Le Russe aime les bouleaux est un beau roman sur l’exil, le deuil, sur la guerre, sur le trouble, la tourmente dans lesquels vous êtes jetés par la mort d’un proche. A suivre Mascha jusqu’en Israël (pays de soleil, de chaleur, de névrose et de douceur de vivre, envers et contre tout), on vit tout cela intimement avec elle, le chagrin, la prostration, la culpabilité mais aussi des éclairs de vie et des élans d’amour auxquels on ne comprend parfois rien soi-même. Et la fin garde sa part de mystère sur l’avenir de la jeune femme…

En résumé, le sentiment que j’ai éprouvé à cette lecture dont les pages se tournaient toutes seules a été le plaisir et j’espère que vous vous laisserez prendre comme moi aux charmes (ou plutôt aux bouleaux…) de ce premier roman. J’espère aussi qu’Olga Grjasnowa n’en restera pas là !

« Il pensait que je ne lui faisais pas confiance mais je pensais simplement que ça n’avait aucune importance entre nous. Je ne voulais pas qu’un génocide soit nécessaire pour me comprendre. » (p. 166)

« Ce que je désirais surtout, c’était un lieu familier. En fait, je ne faisais pas grand cas des lieux familiers – la notion de pays, de patrie impliquait toujours pour moi celle de pogrom. Ce que je désirais, c’était être entourée de gens en qui avoir confiance, sauf que l’un d’entre eux était mort et que je ne supportais pas les autres. Parce qu’ils étaient vivants. » (p. 224)

Olga GRJASNOWA, Le Russe aime les bouleaux, traduit de l’allemand par Pierre Deshusses, Les Escales, 2014

Petit Bac 2014(Verbe)

"Un seul soupir du chat défait tous les noeuds invisibles de l'air. Ce soupir plus léger que la pensée est tout ce que j'attends des livres."

Christian BOBIN, Un assassin blanc comme neige, Gallimard

Les mots en cours

C'est dur de mourir au printemps

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Le Mois belge d'Anne et Mina
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