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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Tag: Prix Première

Nos mères

01 mardi Avr 2014

Posted by anne7500 in De la Belgitude

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Antoine Wautres, Nos mères, Prix Première, Verdier

Présentation de l’éditeur :

Dans un pays du Proche-Orient, un enfant et sa mère occupent une maison jaune juchée sur une colline. La guerre vient d’emporter le père. Mère et fils voudraient se blottir l’un contre l’autre, s’aimer et se le dire, mais tandis que l’une arpente la terrasse en ressassant ses souvenirs, l’autre, dans le grenier où elle a cru opportun de le cacher, se plonge dans des rêveries, des jeux et des divagations que lui permet seule la complicité amicale des mots.
Soudain la guerre reprend. Commence alors pour Jean une nouvelle vie, dans un pays d’Europe où une autre mère l’attend, Sophie, convaincue de trouver en lui l’être de lumière qu’elle pourra choyer et qui l’aidera, pense-t-elle, à vaincre en retour ses propres fantômes.
Ce texte, cruel et tendre à la fois, est avant tout le formidable cri d’un enfant qui, à l’étouffement et au renoncement qui le menacent, oppose une affirmation farouche et secrète de la vie. C’est ce dur apprentissage, fait d’intuition et de solitude, qui lui ouvrira plus tard des perspectives insoupçonnées.

Pourquoi ce livre ? Evidemment parce qu’il e reçu le Prix Première 2014, décerné par un jury de lecteurs auditeurs de la Première (radio RTBF) auquel j’ai participé en 2013, et parce que j’avais été frappée par le lien entre les deux romans primés ces deux dernières années : tous deux parlent de guerre et leurs auteurs sont aussi poètes. L’enthousiasme de mes libraires préférées, les présentations vues ici ou là (Antoine Wauters présente son roman sur le site de l’éditeur), l’avis en direct de Nathalie, jurée 2014 ont emporté mon adhésion. Autant dire que mes attentes étaient intenses par rapport à ce premier roman…

Le premier abord paraît expliquer les choses d’emblée : « Enfant, quand je faisais référence à toi dans les histoires que j’inventais pour me tenir compagnie, je ne disais jamais maman, ni ma mère, mais bien plutôt nos mères. Comme si j’étais plusieurs enfants et toi plusieurs mères à la fois, et si comme tout ce que je souhaitais finalement c’était ça : diluer nos souffrances en fragmentant nos vies. » Une citation déjà tranchante et touchante p.9 signée Jean Charbel. Et dans cette première partie, où l’enfant raconte sa vie dans ce pays en guerre (qui ressemble au Liban), dans ce grenier où il est confiné par « nos mères », où il veut « Parler de tout et de n’importe quoi », on découvre que Jean Charbel n’est autre que cet enfant, que ce héros malgré lui. Et il nous fait entrer dans sa vie de manière fragmentée comme elle, l’écriture est heurtée, peuplée d’échos et de répétitions, comme ces rafales de kalachnikov et ces grenades qui explosent sous les pieds des enfants qui jouent, criblée de mots doux et fous, les mots d’amour des mères impuissantes à retenir leurs enfants et leurs hommes… Si elle est heurtée, l’écriture d’Antoine Wauters n’en est pas moins poétique, il vient de là, il est du pays de la poésie qui donne chair et cherche sens à cette guerre, à cet amour, à ce pays que l’on voudrait ne pas quitter et que Jean laissera pourtant, bien malgré lui…

Nous le retrouvons dans la deuxième partie (« Tout ce que j’ai écrit ») de l’autre côté de la Méditerranée, dans un village qui ressemble à un coin d’Ardenne, adopté par une autre femme, Sophie, qui voudrait bien aimer Jean et que Jean l’aime aussi. Mais elle a bien du mal à saisir les douleurs de l’exil vécu par le garçon, elle peine à trouver les mots qui cerneront sa propre douleur. Ici l’écriture change, comme le décor, comme la nouvelle mère qui aimerait tant s faire appeler « maman » : si j’ai lu ce passage la boule au ventre, impuissante devant cette souffrance de l’arrachement, de la solitude vécue par Jean, il y a déjà malgré tout un sentiment de calme malgré le froid ardennais et l’absence de baisers, un sens de la responsabilité vis-à-vis de cette mère étrange, difficile à comprendre, un amour des mots, une tendresse qui m’a fait sourire grâce à Alice, c’est tout cela que l’écriture d’Antoine Wauters laisse affleurer avec grâce. « Un roman plein de résilience », a souligné Corinne Boulangier en lui remettant son prix et je ne peux que me permettre de reprendre cette expression (au point d’être une nouvelle fois surprise quand Jean réussit à établir des listes de choses à faire très réalistes, et bouleversée quand il réussit à lâcher prise…)

La troisième et dernière partie m’a d’abord laissée perplexe : je ne comprenais pas l’intérêt, la place de « Un souvenir de mon père, avais-tu dit ». Ici, il est question du père de Sophie, qui était instituteur de village. L’écriture est élégante, maîtrisée, comme ce que cet homme laissait à voir aux étrangers (et je vous laisse bien sûr découvrir comment il était au dedans). Il m’a fallu un certain temps pour donner une place à ce dernier chapitre : s’il témoigne de ce que Jean est devenu grâce à l’écriture, il me semble surtout être comme un contrepoint masculin à l’histoire de Jean Charbel et de ses mères puisqu’il est question de la relation d’une fille à son père et il y a de nouveau, je me répète, un va-et-vient entre le dedans et le dehors, une guerre plus intérieure, comme celle qu’affronte Sophie.

Ce premier roman révèle donc si besoin en était (car Antoine Wauters a déjà été reconnu par ma (petite) ville où il a reçu en novembre 2013 le Prix triennal de littérature de la ville de Tournai pour Césarine de nuit, déjà sur ma PAL, pas encore lu mais je sens que cela pourrait bien se faire pendant ce mois belge…), il révèle donc, disais-je, un auteur, une écriture, un sens de la construction étonnant, toujours surprenant mais jamais gratuit, construction qui, j’espère l’avoir bien fait percevoir, joue beaucoup sur les mots, l’amour des mots et de la littérature que Jean découvre avec bonheur et que son créateur (sans doute son alter ego adulte ?) manie avec tant d’attention, en une boucle à la fois savante et tendre.

Roman de l’intime et de l’exil, roman des mots et des rêves, de l’amour des mères et des enfants, livre de l’unique et des multiples, ce texte original m’a accroché le coeur, il me restera longtemps en bouche, mélange étonnant et savoureux de l’hommous oriental et d’une poêlée de champignons belges !

« Par chance, mes frères sont là et me crient dans l’oreille : le jeu et sa joie ! le jeu et sa joie ! le jeu et sa joie ! Et comme ils le disent, on le fait : on joue, on est heureux. 

Voilà comme nous tenons.

Tout haut : rien.

Tout bas : le jeu et sa joie.

En apparence : rien. En profondeur : le jeu et sa joie, et la tête qui nous tourne, un peu, un peu plus, au fil des jours… » (p. 29)

« Lorsque je sors du trou, que le pire de la migraine est passé, je trouve des cairns de peaux mortes à mes pieds. Mes mollets sont en sang, mes cheveux arrachés. Je m’assieds alors sur mon lit et, des heures entières, pensant à vous, vivant de vous, je vous écris, en me répétant qu’écrire est égal à survivre. 

Et me le répétant, quelques secondes, quelques instants, il advient. » (p. 88)

« Des mots qui ne sont pas dits, Alice, je lui souffle à l’oreille, des mots qu’on ne crie pas ou qu’on n’écrit pas, sont des mots morts, des demi-mots. Tu comprends, mon amour ? Et j’enchaîne : les mots, Alice, quand ils ne sont pas dits, nous tuent à petit feu. Voilà la vérité. A chaque fois que ce qui te brûle est passé sous silence, à chaque fois que tu as mal et que tu ne le dis pas, c’est une minute de ton coeur vibrant et brûlant qui s’envole pour toujours. Et pourtant, mon amour, si seulement on pouvait être heureux sans le secours des mots, hein, comme des idiots regardant tomber la pluie. » (p. 100)

Antoine WAUTERS, Nos mères, Verdier, 2014

Je suis plus que ravie de commencer ce mois belge avec ce roman dont vous découvrirez d’autres billets en lecture commune chez Les couleurs de la vie, Charline (Book-s now), et un peu plus tard chez Laeti et Nadège. Je mettrai les liens à jour au fur et à mesure !

Argali a aimé aussi !

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Le Prix Première a été attribué à…

08 vendredi Mar 2013

Posted by anne7500 in La vie des mots et des notes

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Foire du livre Bruxelles, Hoai Huong Nguyen, L'ombre douce, Premier Roman, Prix Première

Magnifque roman d’amour, d’histoire, rencontre entre Belle-Ile et Hanoi, retour tragique à Dien Bien Phu… le roman de Hoai Huong Nguyen, c’est tout cela, et bien plus encore, dans une écriture poétique, élégante, raffinée. C’est un premier roman qui n’a reçu que des éloges de la part du jury du Prix Première, c’était un coup de cœur évident pour moi… Et nous avons tous été ravis de primer une dame si douce, si humble, si discrète, une « belle personne », une grande dame qui a promis de soigner sa timidité naturelle et qui nous comblera encore de beaux textes, je l’espère !

Ce fut une journée pleine d’émotions que ce jeudi 7 mars : nous avons été invités à nous retrouver, journalistes et directeurs de la RTBF, personnes travaillant dans le monde de l’édition, membres du jury à l’Espace Yves Matagne, où l’effervescence médiatique était déjà bien présente avant même la proclamation, et où nous (je parle du jury quand je dis « nous ») avons bénéficié de petites attentions bien sympathiques qui nous ont, le temps d’un déjeuner, fait nous sentir dans la peau de VIP…  Et puis Corinne Boulangier (fraîchement promue directrice de la Première)  a révélé solennellement le nom du roman primé. Hoai Huong Nguyen était très émue… et nous aussi !

A table, j’étais placée entre le responsable du réseau des bibliothèques publiques de Wallonie-Bruxelles et… Luce Wilquin ! (Avis aux jalouses : je vous dirai tout à l’occasion ;-)) Je ne vous dis pas la conversation autour de son catalogue et de son travail d’éditrice !

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Jolie assiette, n’est-ce pas ? (Et bonne aussi…)

Ensuite, à peine le temps de déguster une entrée et un plat fins et joliment présentés (ce n’est pas une mauvaise cantine, Yves Matagne…) et nous voilà entraînés dans la Foire du livre, sur le studio de la RTBF où une émission spéciale passait sur la Première de 13h30 à 14h. Laurent Dehossay a interviewé la romancière, bien sûr, Viviane Hamy, son éditrice, Corinne Boulangier et les membres du jury qui voulaient bien parler dans le micro ! Même pas le temps d’avoir peur, tant Laurent nous mettait à l’aise avec des questions qui correspondaient bien à la personnalité, aux goûts de chacun : c’est son métier, certes mais il le fait vraiment très bien, avec beaucoup d’élégance et de profondeur.

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Hoai Huong Nguyen, l’auteure et Corinne Boulangier, la présidente du jury

Prix Première spéciale radio

De gauche à droite : Viviane Hamy, une des jurées, Laurent Dehossay, Hoai Huong et Corinne

Après l’émission, Hoai Huong Nguyen a été happée par le petit monde médiatique belge, tandis que nous retournions prendre le dessert (heureusement gardé au frais…) chez Yves Matagne. L’occasion de revenir sur les émotions vécues diversement par chacun… de se dire qu’il fallait se revoir… et puis, nous sommes retournés dans la Foire, où nous étions d’abord tout désorientés… collés ou presque au studio de la Première… incapables de nous quitter. Rassurez-vous, l’appel des livres a quand même été le plus fort et nous nous sommes dispersés dans les différents stands… je suis retournée discuter avec Luce Wilquin, je me suis laissé capter par la poésie des Carnets du Dessert de lune et son directeur à l’accent rocailleux du Sud-Ouest, je me suis laissé tenter par un libraire BD qui connaissait vraiment son affaire, et qui a prévu de vendre des piles et des pilles de ‘Les Ignorants’ (impressionnant, son stand) … j’ai pris des notes pour demain samedi, car oui, j’y retourne, vive les copines blogueuses !

Mais surtout je suis aussi allée sur le stand de Viviane Hamy, la belle dame à la voix mélodieuse, vêtue de rouge et de noir comme les livres qu’elle édite, pour enfin prendre le temps de faire dédicacer mon roman par Hoai Huong ! Un nouveau moment délicieux, plein de reconnaissance partagée… Je lui ai demandé si elle accepterait de répondre à une interview par écrit, que je publierais sur mon blog, et elle a spontanément dit oui ! Vous découvrirez donc encore mieux L’ombre douce et son auteure dans quelques jours, semaines…

DSCN1244 Voilà, cette fois, l’aventure du Prix Première est vraiment terminée… Ce fut une magnifique expérience, humaine et de lecture. Elle m’a fait connaître des gens généreux, raffinés, elle m’a permis d’affiner ma manière de lire… tous ceux qui aiment les premiers romans et la littérature francophone devraient pouvoir vivre cette aventure, disait Bruno hier. Partager ses avis de lecture, dans le cadre d’un jury, c’est une chance (discuter de livres à 13, vous vous rendez compte le bonheur !) et une responsabilité.C’est aussi une source de rencontres, de rires, de choix cornéliens, c’est une alchimie délicate et réussie !

Merci à Corinne, la belle première dame de la Première, à Laurent, la profondeur et la classe, à Eve, leur assistante aux petits oignons, à Bruno, Marie, Renée, Françoise, Viviane, Martine, Thomas, Marie, Sonia, Marie-Astrid et Maxime (avec une mention particulière à tes fleurs !)

Prix Première auteur(P.S. : Désolée pour les curieux et curieuses : je n’ai eu le temps de fignoler ce billet qu’en ce début de soirée, il y a eu du cafouillage dans sa parution au cours de la journée, mais cette fois, ça y est, il est complet, je pense !)

Aujourd’hui c’est le grand jour…

07 jeudi Mar 2013

Posted by anne7500 in La vie des mots et des notes

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Foire du livre Bruxelles, Prix Première

Aujourd’hui s’ouvre la

Du 7 au 11 mars, sur le site de Tours et Taxis, l’Espagne, la bande dessinée, les écrits meurtriers seront à l’honneur. Cliquez sur le logo pour tout savoir de cet évènement ! Il y aura des livres, des livres, des livres, des auteurs, des éditeurs, des médias, des blogueuses…

Et pour commencer les festivités, ce jeudi midi sera proclamé le Prix Première, un premier roman primé par un jury d’auditeurs de la radio publique francophone, présidé par Corinne Boulangier (la nouvelle directrice de la Première) et dont j’ai fait partie cette année. De 13h30 à 14h, une émission spéciale sera animée par Laurent Dehossay, l’autre journaliste culture de qualité qui nous a accompagnés durant toutes nos rencontres de jurés.

Je prépare donc mon carton d’invitation, mon appareil photos, mes bouquins à dédicacer et je vous donne rendez-vous demain soir (ou vendredi matin…) pour un billet qui vous dira tout (ou presque !) (vous ne croyiez tout de même que j’allais lâcher le morceau maintenant ?!!)

Un homme effacé

01 vendredi Mar 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Alexandre Postel, Premier Roman, Prix Première

Présentation de l’éditeur :

Damien North est professeur de philosophie dans une université cossue. Veuf, il mène une vie triste et solitaire. Mais un jour, il est embarqué par la police qui l’accuse d’avoir téléchargé sur son ordinateur des images provenant d’un réseau pédophile… L’affaire fait grand bruit, d’autant que Damien est le petit-fils d’Axel North, figure politique historique.
L’inculpé a beau se savoir innocent, chacun se souvient d’un geste, d’une parole qui, interprétés à la lumière de la terrible accusation, deviennent autant de preuves à charge. Même une banale photo de sa nièce, unique enfant de son entourage, ouvre un gouffre d’horribles suppositions. Le terrible engrenage commence tout juste à se mettre en marche.
Alexandre Postel décrit avec acuité la farce des conventions sociales, les masques affables sous lesquels se cachent le pouvoir, la jalousie ou le désir de nuire – et les dérives inquiétantes d’une société fascinée par les images.

Voilà un premier roman très intelligent, à plein dans l’actualité, et qui nous envoie à la figure des questions peu confortables.

Il me faut avouer que le thème de la pédophilie annoncé a failli me faire envoyer le livre aux oubliettes – mais c’était la dernière lecture de la série de nouveaux romans « à lire » – et s’il me faut avouer que, tout en accomplissant mon « devoir » de lectrice, j’ai gardé une distance protectrice vis-à-vis de lui – et je l’ai donc parfois un peu survolé, je dois aussi reconnaître toutes les qualités de ce roman.

Alexandre Postel met en scène un personnage peu sympathique, à la fois terne et agaçant, un homme très seul aussi : Damien North est « veuf », son frère ne lui parle qu’au téléphone, il entretient des relations très lâches avec ses collègues universitaires, et ses voisins sont poliment distants. Ce personnage peu attirant va se trouver entraîné dans un engrenage qui va l’engloutir irrémédiablement : accusé de pédo-pornographie, il est obligé de plaider coupable pour échapper à un jugement encore plus injuste. Condamné à quelques années de prison, il est soumis à un programme expérimental d’étude et de soin des pédophiles, qui ne fait que renforcer les clichés scientifiques. Quand il est enfin complètement blanchi, le jeu de l’hypocrisie sociale le détruit encore plus, si cela était possible.

L’intelligence de l’auteur, c’est de nous montrer de l’intérieur les accusations, l’enquête, la condamnation et la peine de prison totalement injustes, injustifiées (j’espère que les personnes accusées de ce genre de crime bénéficient d’une enquête moins bâclée) envers une personne qui n’est pas vraiment sympathique, et de nous montrer les rôles et tenus par tous les personnages qui tournent autour de Damien North, les moteurs qui les font agir dans ce dossier glauque : du commissaire de police à l’avocat, du gardien de prison au scientifique pilote d’expérience en passant par les collègues embarrassés, l’étudiante roublarde et les voisins bien intentionnés, personne n’échappe au regard acéré d’Alexandre Postel, qui réussit brillamment à nous mettre mal à l’aise, à nous demander évidemment comment nous réagirions si quelqu’un de plus ou moins proche était victime des mêmes accusations.

Ce jeune romancier renforce brillamment le propos en nous déstabilisant dans un univers qui ressemble au nôtre, mais qui ne l’est pas tout à fait, en donnant ironiquement des noms un peu farfelus à ses personnages, histoire de nous faire comprendre subtilement que ce genre d’histoire peut arriver n’importe où, n’importe quand. La construction est maîtrisée, jusqu’à une fin inattendue et bouleversante. On a alors envie de se dire : enfin un peu d’humanité chez ce personnage antipathique. Et c’est là que l’on comprend définitivement l’intelligence de l’auteur… et (peut-être) nos propres réactions instinctives pas toujours très avouables.

Du grand art. Un auteur à suivre !

Alexandre POSTEL, Un homme effacé, Gallimard, 2013

Défi PR1

Ce fut une messe… en forme de corrida

25 lundi Fév 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Premier Roman, Prix Première

Présentation de l’éditeur :

À travers un puzzle de genres, de registres et de tons, Juan Pedro, le vieil écrivain, essaie de comprendre les choix de Jesús, ce petit-fils tiraillé entre le rituel chrétien de la messe imposé par sa grand-mère et le rituel tauromachique imposé par son grand-père.
Assister aux différentes phases d’une corrida à travers les regards du grand-père et de son petit-fils, d’un photographe et de son ami peintre, d’un comédien et d’une militante anti-corrida, d’un torero et même… d’un toro, c’est comprendre qu’au-delà du spectacle autre chose se joue. La capacité de transgression pour trouver une véritable liberté, celle des artistes, toreros, peintres, photographes, écrivains… celle, aussi, de tous les hommes!

Si vous êtes fan de corrida, amateur de toros, aficionado des arènes, admirateur d’El Cordobès, si vous aimez la vue du sang sur le sable, l’odeur fauve des combats, la sensualité du rapport entre le matador et l’animal, et surtout si vous pensez que la vie entière est une corrida, alors ce livre est pour vous. Mais il vous faut savoir que ce thème sera traité dans tous les sens, sous tous les points de vue… et au final… tiré en longueur.

J’étais prête à me laisser embarquer, à découvrir l’univers de la corrida, qui m’est complètement étranger, à dépasser la sacro-sainte barrière de l’arène de la souffrance de l’animal (maintes fois rappelé par Joël Glaziou) pour comprendre ce monde de l’intérieur, par le prisme d’un passionné. Et il y avait un point de départ romanesque très intéressant, avec cet enfant tiraillé entre une grand-mère « folle de messe » et un grand-père fan de corrida. Mais la sauce n’a pas pris du tout : à partir de cette situation initiale, les chapitres se succèdent, décousus, certains donnent le point de vue de différents personnages, comme indiqué dans la quatrième de couverture, d’autres parlent de musique, de littérature, d’éducation, de nombreux domaines de la vie vus sous l’angle de la corrida. Le tout truffé de jargon espagnol (de corrida – je précise au cas où vous n’auriez pas compris…) et de références culturelles qui vont de Michel Leiris, Ernest Hemingway à la chanson de Cabrel (eh oui, rien ne nous est épargné). Et donc, à la longue (au bout de cinquante pages) ce collage, ce kaléidoscope devient lassant…

Si Joël Glaziou avait gardé la forme de la nouvelle dont il est manifestement très connaisseur d’après sa biographie, l’ouvrage eût été intéressant. Certes, le petit Jésus du début évolue au fil des pages, mais il n’est pas vraiment acteur de ses choix et n’apparaît que de loin en loin. Si les différents « acteurs » avaient la vedette d’une nouvelle chacun, ils toucheraient davantage. Mais ils ne font que lasser Ce livre est présenté comme un roman mais il ne l’est pas vraiment. Mais voilà, son propos s’est perdu au fil d’un roman sans réelle construction narrative, du moins sans réelle construction romanesque.

Autre reproche : le minimum d’honnêteté intellectuelle de la part de l’auteur aurait été de nous fournir une liste de ses références culturelles, très nombreuses, et un glossaire de la corrida, plutôt que nous prendre pour des imbéciles parfaits bilingues connaisseurs en nous gavant de mots espagnols très précis liés à la corrida.

Une très grosse déception donc que cette lecture (« imposée »). Il n’y a plus qu’à commander des mouchoirs (rouges) (de Cholet) pour pleurer.

Joël GLAZIOU, Ce fut une messe… en forme de corrida, Editions Luce Wilquin, 2013

Je le note quand même dans ces deux challenges :

Défi PR1   Challenge Luce Wilquin

L’ombre douce

22 vendredi Fév 2013

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Hoai Huong Nguyen, L'ombre douce, Premier Roman, Prix Première

Présentation de l’éditeur :

1954, c’est la guerre d’Indochine, l’armée populaire vietnamienne attaque les troupes françaises sans relâche.

À Hanoï, à l’hôpital Lanessan, Mai, une jeune Annamite, aide les équipes médicales en charge de remettre sur pieds les soldats français blessés. Yann, le jeune breton, a été atteint au thorax mais s’en sort… Pour elle, c’est bien un coup de foudre. La jeune femme va d’ailleurs faire preuve d’une imagination débordante pour empêcher qu’il soit renvoyé trop rapidement au front, allant même jusqu’à mentir au médecin sur son état de santé. L’énergie qu’elle déploie pour retarder son départ éveille l’attention et la curiosité du soldat qui, à son tour, tombe sous le charme.

Ah le merveilleux premier roman que voilà ! Et qu’il me sera difficile sans doute de vous en faire goûter la saveur tendre et poignante…

L’auteure, Hoai Huong Nguyen, dont le prénom signifie « se souvenir du pays », est née en France de parents vietnamiens. Elle vit et enseigne en France et j’ai découvert aussi sur le site de l’éditeur qu’elle a publié deux recueils de poésie, que j’aimerais bien trouver… Ce premier roman se situe au Vietnam mais il ne se contente pas de rappeler des souvenirs stériles, il fait vraiment mémoire de ce pays à travers une histoire d’amour très émouvante et une des batailles les plus célèbres du 20e siècle. C’est aussi un très beau portrait de femme…

Il y a d’abord cette rencontre entre Yann et Mai : lui est un jeune, très jeune soldat breton, originaire de Belle-Ile, enfant mal aimé qui a très vite quitté son île pour s’engager dans l’armée française. Nous sommes en 1953 : il atterrit en Indochine, est blessé, soigné à Hanoi, à l’hôpital Lanessan. Elle est comme lui orpheline de mère, elle a été élevée au Couvent des Oiseaux par des religieuses françaises et c’est ainsi qu’elle est amenée à travailler à l’hôpital français et y rencontre Yann. L’amour entre les deux jeunes gens s’éveille lentement, presque à leur insu… Mais le père de la jeune fille a d’autres projets de mariage pour elle. Elle osera se rebeller contre l’autorité paternelle, perdant alors toute sécurité ou presque. Le lien avec Yann n’en sera que plus fort : ces deux-là, dans leur fragilité, effleureront le bonheur pendant quelques heures avant que le jeune soldat reparte au front, dans la cuvette de Dien Bien Phu…

J’aimerais vous en dire plus mais je m’arrête là… Hoai Huong Nguyen a réussi à mêler histoire d’amour et histoire de violence, dans le récit d’une odieuse bataille qui se soldera par des accords de fin de colonialisme en Indochine, que les Français quittent piteusement en laissant le nord du pays aux mains du Viet-minh, sans compter le nombre de morts, de blessés et de prisonniers démolis dans la jungle. Mais c’est aussi une belle évocation d’un pays écartelé entre la douceur de vivre encore présente à Hanoi, pendant que la cuvette de Dien Bien Phu est noyée de sang et de mousson, et la crainte de l’arrivée au pouvoir des communistes. Yann et Mai sont pris eux aussi dans l’étau des jeux de pouvoir et d’une liberté qui se conquiert à un prix atrocement élevé. Cette jeune fille qui ose quitter sa famille sans entrer dans la voie toute tracée d’un mariage arrangé, ce jeune soldat français perdu dans la guerre, mais qui résiste à toutes les souffrances par amour, sont très touchants, leur histoire est triste et belle.

La force de ce roman, c’est qu’il nous fait revisiter, dans un pays qui paraît tellement éloigné de nous, une des pages les plus terribles de l’histoire du 20e siècle, mais sans acrimonie, sans haine. La jeune romancière a choisi de parler de la destruction de son pays à travers la nature, la terre, la mer, les oiseaux et les arbres, et à travers deux enfants éperdus d’amour, et elle parle en même temps de la présence coloniale française, sans jugement manichéen. Ce premier roman est joliment mené de bout en bout, à tel point qu’on ne sent pas le « premier roman », ses 155 pages sont parfaites ! C’est encore une fois la gorge serrée que j’ai lu ce récit à l’écriture précise et poétique, élégante, délicate et mélancolique. De courts poèmes émaillent le roman, de petites perles à savourer lentement, comme le livre dont la petite musique retentira encore longtemps dans ma mémoire de lectrice.

Le premier poème, en ouverture du livre :

« Vienne le vert été

– ne soyons

pas séparés

—

Joie si douce

de l’aurore

– son clair regard

—

Tes mains

couleur de miel

et du soleil mourant

—

Transperce

jonquille claire –

l’âme de la beauté »

—

« Il y a une petite consolation quand la nuit vous tient dans son étau : vous n’avez plus peur, car il n’y a plus rien à faire, il n’y a plus qu’à se laisser emporter par les forces de l’ombre et leur étreinte irrésistible. Ces forces avaient doucement pris la main de Mai, elles l’entraînaient dans une lente marche vers l’inconnu. La nuit était finalement une compagne pleine de compassion, elle avait compris que Mai était toujours la petite fille qui avait peur du vide, qu’il ne fallait pas se hâter ; dans la froideur glacée de minuit, ce ne serait pas possible, mais au matin… Patience, elle attendrait l’aube, car lorsqu’elle prend quelqu’un par la main, ce n’est plus possible de se dérober. » (p. 129)

Hoai Huong NGUYEN, L’ombre douce, Editions Viviane Hamy, 2013

Un premier roman remarquable !!

Défi PR1  logo La plume au féminin

Je n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre

19 mardi Fév 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Premier Roman, Prix Première

Présentation de l’éditeur :

Je n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre raconte une fugue. Celle d’un homme impatient, très secret, compulsivement organisé. Il quitte tout et part en voiture rejoindre 2 000 km plus au nord une jeune fille qui a froid. Son appartement est en ordre, son associée s’occupera de la galerie, ses amis croiront la ligne en dérangement. Il ne compte pas revenir. Il ne le fera pas. Avec la rigueur d’une épure, sec comme le claquement d’une arme, ce trajet sans retour, entre asphalte et bord de mer, pousse à bout le silence d’un homme qui ne se dit pas tout. Amour, jouissance, émotions : rien ne le relie au monde. Comme si la vie n’était que logiciels, et le Mal une apesanteur. Ce premier roman récuse avec une rare maîtrise notre nouvelle ère glaciale.

Bon, autant le dire tout de suite, encore une déception. Et pourtant, j’étais très curieuse de lire un nouveau titre de chez Alma éditeur, de tenir dans les mains un bel objet comme celui-là, à la mise en page très aérée et mystérieuse (certains chapitres ne font qu’une ligne ou un petit paragraphe).

Le titre, un peu ronflant, n’est autre qu’un vers de Racine, tiré de sa pièce Esther (une reine juive de la Bible, qui accepta des relations avec un étranger pour sauver le peuple juif, mais au prix d’une impureté aux yeux de la Loi des juifs) et à part le chagrin – bien caché – du héros, je ne vois pas le rapport entre le titre et le roman…

Ca commence bien, un homme observe ses semblables, le cercle de ses amis. Son cynisme devant les chassés-croisés amoureux qui animent leur groupe est un peu dérangeant, mas bon, si le livre est bien, on peut aimer un héros antipathique. Et puis l’homme se retrouve seul, encore un élément romanesque intéressant, il coupe tous ses liens pour partir à la recherche de quelqu’un dont on devinera bien plus loin que c’est une jeune fille (beaucoup plus jeune que lui…) qu’il a aimée et qu’il veut retrouver à tout prix. Il ira jusqu’en Ecosse pour cela et découvrira que la donzelle est avec un jeune homme de son âge…

Le voyage, sorte de road-movie émaillé de nombreuses citations de Paul Eluard, Philippe Jacottet et Nabokov, est intéressant en soi. Je me suis même dit, tout à coup, à la lecture des phrases de Nabokov, qu’il serait question d’un homme coupable d’inceste et que les retrouvailles avec la jeune fille seraient au minimum poignantes. Mais après… les longues citations en tête de très courts chapitres alourdissent et ralentissent la progression du roman. Et surtout, surtout… au moment où il la voit avec le garçon de son âge, ça tourne au coup de folie complètement inattendu. Pour moi ça tournait en eau de boudin… sanglante… (allez je ne vous en dis pas plus, j’ai pitié) et on a droit cette fois à des scènes sexuelles… aberrantes et totalement gratuites (non, non, vous ne croyez quand même pas que je vais vous les raconter, petits coquins, non mais).

C’est dommage. Tout ça pour ça… Une sorte de pétard mouillé, quoi. Et pourtant il y a de jolis moments d’écriture dans ces 92 pages. Mais je ne vous le conseille pas…

« Je veux croire, encore, en mon libre arbitre, pas de destin, rien d’écrit à l’avance. Jamais je n’ai voulu faire analyser les lignes de mes mains. Je n’ai jamais regardé de près, à l’intérieur. Je les ai lavées, frottées énergiquement, espérant que l’eau joue son rôle d’érosion. Qu’elle lisse tout ça, quitte à souffrir, mais ne plus avoir que des paumes polies. Et repartir. » (p. 27)

Sébaastien BONNEMASON RICHARD, Je n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre, Alma Editeur, 2013

Défi PR1   Défi 100 pages

Si j’y suis

18 lundi Fév 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

≈ 26 Commentaires

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Premier Roman, Prix Première

Présentation de l’éditeur :

« J’observai la mer et songeai au manque que la plupart des gens venaient combler ici, chaque année, à la même saison, en pratiquant des activités nouvelles, en contemplant les vagues, eux aussi, jusqu’à l’étourdissement. Et c’est en guettant cette ligne d’horizon que j’entendis la voix dans mon dos. »

Cet été-là, dévasté par la maladie de sa mère, Jacques part dans les Landes. La plage semble être un lieu de prédilection pour cet homme, un lieu de l’expérience, où tout se révèle à lui mais aussi où tout lui échappe.

Mélange de douceur et d’implacable lucidité, Si j’y suis parvient à condenser en quelques tableaux les enjeux d’une vie. Tout dans ce roman contribue à imposer la voix d’un nouvel écrivain.

Né en 1980, Erwan Desplanques a grandi à Reims. Il est journaliste à Télérama.

Si vous avez envie de lire ce roman, ne lisez mon avis qu’en diagonale parce que je ne l’ai guère apprécié et je risque de vous décevoir en révélant des éléments de la fin du roman…

D’abord il faut reconnaître que ce court roman (105 pages) est construit : il est divisé en trois parties « Là-bas », « Ici », « Ailleurs », la première et la troisième se passant principalement sur une plage, une sorte d’inclusion ouverte puisque le début est dans les Landes, la fin à Hanoi. Rien n’est fait au hasard, tout semble très maîtrisé sous la plume de l’auteur, qui est critique littéraire à Télérama.

Oui mais…

On peut penser que certaines oeuvres littéraires très connues valent la peine d’être revisitées, rajeunies par des auteurs contemporains, qu’elles peuvent devenir une source d’inspiration pour de jeunes écrivains. On peut penser aussi que les classiques sont suffisamment parlants par eux-mêmes, que leur statut de classiques leur a donné une notoriété, voire une perfection qu’il serait téméraire de vouloir imiter. Je suis peut-être trop classique, je respecte peut-être trop des oeuvres immensément connues : en tout cas, c’est la deuxième option que je choisis dans le cas de ce livre. D’autre part, j’ai peut-être été trop influencée par ma relecture en janvier de L’étranger de Camus. En tout cas, j’ai dès le début été perturbée par le fait que Erwan Desplanques semblait reprendre les thèmes et péripéties du premier roman d’Albert Camus, avec lequel il y a énormément de similitudes.

Il s’agit d’un homme dont la mère est en train de mourir, il assiste impuissant à la déchéance physique de cette femme et se réfugie quelques jours, sans savoir pourquoi, auprès de son ex-femme qui s’appelle Marion et dont on confond le prénom avec Marie, tout comme l’amie de Meursault dans L’étranger. Cet homme, Jacques, subit les évènements, se laisse porter au gré des désirs et décisions  des autres, il est spectateur de sa propre vie, comme Meursault. Quand sa mère meurt, il coupe tous les liens qui le retiennent en France et part à Hanoi (on ne sait pourquoi non plus) où il va se laisser entraîner dans une course vers une plage, un accident avec un chien va faire basculer le fragile équilibre qui était le sien, et le roman va se terminer abruptement, alors qu’il s’est laissé enterrer dans le sable par une fille qui le laisse seul devant la marée montante. Non sans avoir lu avant cela une séance de violence envers le chien assez insupportable et gratuite.

Le lien avec Camus est même carrément cité lorsque, dans la partie centrale, Jacques accompagne un collègue à un match et précise que Camus aimait le football. (Ce moment d’amitié entre les deux homme est d’ailleurs pour moi un des jolis moments du livre.)

Ce roman traite d’un deuil impossible, du lien entre une mère et son fils, la référence à la mort est très présente. Ce n’est pas cela qui me gêne, au contraire, mais plutôt l’impossibilité à coller au personnage, son « absence », le côté décousu des choses malgré une construction apparemment rigoureuse. Sans compter ces références à l’univers de Camus, qui me paraissent assez gratuites puisqu’elles ne servent aucun projet philosophique. J’ai conscience en écrivant cela de mon manque d’objectivité, mais Camus fait tellement partie de mon panthéon personnel que ce roman ne restera vraiment pas longtemps dans ma mémoire…

Erwan DESPLANQUES, Si j’y suis, Editions de l’Olivier, 2013

Défi PR1   Défi 100 pages

Mourir est un art, comme tout le reste

15 vendredi Fév 2013

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

≈ 35 Commentaires

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Mourir est un art, Premier Roman, Prix Première, Sylvia Plath

Présentation de l’éditeur :

Elle avait tout pour être heureuse. Jeune, ravissante, talentueuse. Une famille idéale, un mari beau et célèbre, Ted Hughes, deux enfants charmants, et un don d’écriture que la critique acclamait. Et pourtant, Sylvia Plath, le 11 février 1963, à l’âge de trente ans, a mis fin à ses jours. Et ni le roman autobiographique qu’elle avait publié, La Cloche de détresse, devenu un livre culte, ni ses poèmes douloureux et intimes, n’ont suffi à élucider l’énigme absolue qu’elle posait à ses contemporains et à ses propres yeux. 

Dans ce premier roman inspiré, Oriane Jeancourt Galigani traque cet ultime secret grâce à une confession imaginaire de l’écrivain, émaillée de ses plus belles images. Bien au-delà de l’égérie emblématique créée par les féministes d’outre-Atlantique, l’auteur dessine une figure singulière, bouleversante d’humanité et de contradictions – le portrait tout en clair-obscur d’une femme inoubliable.

Je commence ce billet par un aveu d’inculture : avant de lire ce livre, je ne connaissais Sylvia Plath que de nom, je savais aussi que le roman de Claude Pujade-Renaud Les femmes du braconnier s’inspirait de sa vie aussi (mais je n’ai pas lu ce livre – ça pourrait peut-être bien changer). J’ai donc commencé le bouquin avant-hier soir, trente pages avant de dormir, et hier, avant de reprendre la lecture, je me suis renseignée sur la dame en allant consulter Wikimachin. Cela m’a permis de mettre les pièces du puzzle en place, de situer chronologiquement la vie et l’oeuvre de Sylvia Plath. Et puis j’ai recommencé à lire et je ne me suis pas arrêtée. Lu d’une traite ce roman de 180 pages seulement, mais brûlant, glaçant, désespéré, hanté… comme son héroïne.

C’est donc surtout le sujet de ce roman qui m’a intéressée principalement. L’auteure précise bien à la fin qu’elle s’est emparée de ce personnage réel en toute liberté pour en tracer une « vie imaginaire », tout en s’appuyant sur la lecture de son œuvre et sur des écrits divers, dont l’article critique de George Steiner, Mourir est un art, qui donne en partie son titre au roman.

Sa construction est basée sur les retours en arrière : durant la dernière nuit qu’elle passe dans l’appartement gelé de Londres qu’elle occupe avec ses enfants, alors qu’elle a pris la décision de mettre fin à ses jours, Sylvia se souvient de son mariage avec Ted Hughes, de la naissance de ses enfants, de la maladie de son père, de ses séjours en hôpital psychiatrique aux Etats-Unis, le tout sans cesse mêlé de fragments de poèmes, de journaux intimes, baigné dans son travail d’écriture qui lui a été si douloureux et si libérateur à la fois.

La quatrième de couverture nous dit que Sylvia Plath avait tout pour être heureuse, et pourtant elle ne paraissait pas très douée pour le bonheur, et son entourage ne l’a pas vraiment aidée : méprisée par son père, elle faisait peur à sa mère ; trompée par son mari qui a peut-être étouffé ses aspirations littéraires de peur qu’elle lui fasse de l’ombre, elle a porté un amour malhabile, négligent à ses enfants, en raison de ses troubles bipolaires.

Tout le roman raconte les quelques moments de lumière, de lucidité, de bonheur avec Ted ou dans son jardin du Devon, mais surtout sa souffrance, ses hallucinations, ses obsessions, la solitude terrible dans laquelle elle a passé la dernière année de sa vie. Comme je l’ai déjà dit, tous ces épisodes sont entrecoupés de courts extraits des écrits de Sylvia, qu’Oriane Jeancourt Galignani glisse avec brio dans ses propres lignes. L’écriture est belle, qui tente de coller aux fulgurances et aux blessures bouleversées de Sylvia.

Un roman qui se lit la gorge serrée, devant le destin brisé d’une jeune femme affolée, qui aspirait à la vie, à la liberté, mais s’est auto-détruite après avoir subi les violences de « l’oiseau de panique » qui planait dans sa tête.

« Il y a ce don

De ton petit souffle, l’odeur d’herbe

Mouillée de ton sommeil. » (p. 60)

« La Volkswagen roule à fond sur la route du Connemara. La maison de Richard n’est qu’à quelques kilomètres de Cleggan. Le vent s’est levé, la pluie cogne contre les vitres, l’océan, comme un séisme dans la nuit, gronde sous leurs pneus. Sylvia, pelotonnée sur la banquette arrière, se colle à la fenêtre. Les mots reviennent, elle les écrira demain. La fin des terres : le bout des doigts, noueux et douloureux, crispés sur rien. Des falaises noires et moralisantes, et la mer qui explose sans fond, sans fin, sans rien à affronter, blanchie par les visages des noyés. Sous les voitures, la voiture titube. Sylvia ne craint pas l’embardée. Elle aime le vent, il courbe arbres et hommes dans la même direction : le monde prend soudain sens. » (p. 118)

Oriane JEANCOURT GALIGNANI, Mourir est un art, comme tout le reste, Albin Michel, 2013

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Potentiel du sinistre

14 jeudi Fév 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

≈ 21 Commentaires

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Actes Sud, Premier Roman, Prix Première, Thomas Coppey

Présentation de l’éditeur :

Jusqu’à présent, Chanard a mené la vie d’un ingénieur financier sans défauts, celle d’un employé compétent dans sa branche, porté par des valeurs de performance, d’excellence et d’innovation. Aussi, concevoir le schéma financier permettant de miser des capitaux sur les catastrophes naturelles ne lui semble pas extravagant. Devoir attendre qu’un sinistre survienne pour démontrer la pertinence du schéma n’a en revanche rien de confortable. D’autant qu’il faut une catastrophe colossale, qui batte tous les records. Il faut le désastre du siècle…
La force et la subtilité de ce roman résident dans la restitution d’un discours. L’auteur démonte avec brio quelques concepts chers au management. Il s’empare de toute une phraséologie d’entreprise, montrant sa froideur rationnelle et sa logique implacable aussi bien que sa propension à déborder du champ professionnel pour imprégner jusqu’à la vie intime des aspirants à la réussite.

Quel roman ébouriffant ! Encore un que je n’aurais sûrement jamais lu sans le j**y de la tsf belge, et j’ai même eu très peur qu’il ne pâtisse de ma lumineuse lecture de Nuage et eau, mais non : l’ambiance, les thèmes étaient tellement différents que je me suis laissé embarquer dans ce livre avec une stupéfaction mêlée d’horreur et… de rire.

La quatrième de couverture dit bien la technique employée par Thomas Coppey : restituer un discours, celui du management lié à celui de la haute finance, à travers le personnage de Chanard (il s’appelle ainsi, il n’a pas de prénom, tout comme les autres cadres du Groupe, désignés par leur nom de famille ou leur fonction dans l’entreprise – par contre, dans sa sphère privée, sa femme et sa fille ne sont désignées que par leur prénom, Cécile et Capucine). Dès le premier paragraphe du roman, ce discours stupéfiant est mis en place avec une redoutable efficacité :

« Si Chanard avait des doutes, si certaines de ses paroles sonnaient, lors des premiers entretiens, comme des tentatives pour se vendre, il s’est peu à peu approprié le discours du Groupe. Il fait sa profession de foi avec tact, prenant soin de ne laisser aucune incertitude quant à son humanité. Il admet qu’il y a parfois de la frustration à rentrer tard chez soi et à ne pouvoir consacrer plus de temps à Capucine, née il y a deux mois. C’est mon présent pour son avenir. Marwani, recruteur-manager en quête du profil qui apportera une réelle plus-value à l’équipe recherche du pôle Investment Banking, sait apprécier l’expression d’une telle faiblesse. Il applaudit, il valide puis libère Chanard et shoote un mail à la directrice des ressources humaines. Chanard a du potentiel. Il est smart et courtois. On va le staffer au plus vite et on verra à quel genre de performer on a affaire. Le manager dit bravo, nous augmentons notre Capital Humain. » (p.7)

Mélange d’anglais et de français, charabia spécifique, « potentiel », « Capital humain », « performer »… tout est déjà en place pour suivre la fulgurante carrière de Chanard au sein du Groupe. On pourrait dire que c’est un jeune loup dévoré d’ambition, mais il sait parfaitement se couler dans le discours feutré, policé de ses supérieurs, bien évidemment soucieux du développement professionnel et personnel de leurs collaborateurs pour le plus grand bien du Groupe (et de l’humanité). Et ça marche : il gravit les échelons à toute vitesse et à force de travail (bien évidemment, même le week-end, même pendant les vacances) il réussit à imposer la création d’un produit financier qui permet d’investir sur les catastrophes naturelles potentielles. (Ne me demandez pas d’expliquer, je n’ai rien compris à ce discours pompeux mais là n’est pas l’essentiel.)

Pendant que Chanard réussit au-delà de toute espérance, sa femme, elle, est reléguée à un niveau inférieur à celui qu’elle occupait au sein de la Société avant son accouchement : elle a eu le tort de vouloir un enfant et a réduit ainsi à néant toutes ses perspectives d’avancement de carrière, de promotion (c’est bien connu que la maternité détruit complètement toutes les facultés de réflexion et d’action chez une femme). Mais elle ne s’en tiendra pas là : à l’exemple de son mari tellement bien managé qu’il en réussit de manière éclatante, elle va utiliser les mêmes méthodes dans la gestion de son couple, de sa famille, de l’éducation de sa fille et dans son investissement personnel dans une Association à but social. Ce qui donne lieu à des scènes, des prises de décision et autres recours à des coaches que l’on lit les yeux écarquillés de surprise (quand on n’est pas, comme moi, de ce monde-là…)

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où la « catastrophe du siècle » emmène le système et le produit financier de Chanard au-delà des probabilités. C’est la goutte d’eau (si je puis me permettre le jeu de mot) qui va faire déborder le vase : Chanard est déstabilisé, fragilisé… un peu comme Vautier, le collègue devenu « ami », qui a osé manifester que le Groupe n’était pas tout pour lui… Mais Chanard est tellement formaté par son travail et ses méthodes de management qu’il ne parvient pas bien à identifier la source de son malaise ni à imaginer une autre manière de mener sa vie. J’ai pensé avoir deviné très vite que tout cela se terminerait de manière tragique, mais non : l’auteur a gardé le même sens de l’ironie et de la dérision jusqu’à la dernière page de son livre.

Méthodes de travail et de management modernes (inspirées, paraît-il, de l’armée), pouvoir suprême de la haute finance dans nos sociétés occidentales, formes subtiles de harcèlement au travail, rentabilité à tout prix, toute-puissance des « Ressources humaines » … les thèmes et harmoniques de ce livre sont bien dans l’air du temps. Dans le monde de Thomas Coppey, le langage est tordu, vidé de son sens, dans une subtile perversion qui se cache derrière une soi-disant « éthique » (encore un mot à la mode). Et la construction du roman, de la montée en puissance d’un cadre supérieur, de sa réussite « exemplaire » à sa chute, est terriblement efficace : il y a peut-être de petites longueurs, mais très vite le récit rebondit et nous happe dans sa spirale infernale.

L’auteur a aussi eu l’excellente idée de sembler détacher le monde de Chanard et consorts de la réalité : en appelant les diverses institutions « le Groupe », « la Société », « l’Ecole », « l’Ecole des Ecoles », « l’Association » et last but not least « la Structure », en ne citant pas nommément la grande ville où vit et travaille le héros (mais il y a fort à parier qu’elle ressemble à Paris), il nous place dans une distance qui ferait presque penser à un roman d’anticipation, procédé que renforce le langage froid et technocratique. Et pourtant, cette réalité de la vie économique et financière est loin d’être de la science-fiction…

Je ne parlerai pas vraiment de coup de cœur tant les pratiques décrites dans ce Potentiel du sinistre me répugnent, me sidèrent (mais je suis naïve, je sais, je ne suis qu’une petite prof du secteur non-marchand, aucun intérêt) mais il faut avouer que la mise en situation de cet homme à la fois acteur et victime du système est vraiment d’une efficacité implacable et… jubilatoire !

Thomas COPPEY, Potentiel du sinistre, Actes Sud, 2013

L’avis de Jostein, qui vous explique beaucoup mieux que moi le truc financier, et qui a bien aimé aussi !

Un premier roman remarquable !

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