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Quatrième de couverture :

Sally et Liss ne pourraient pas être plus différentes l’une de l’autre. La première, dix-sept ans, vient de fuguer. Anorexique, elle en veut à la terre entière. La seconde, la cinquantaine, travaille seule dans le silence des champs. En offrant l’hospitalité à Sally, Liss ouvre sans le savoir une page de sa vie. Quant à la jeune fille, qui ne devait rester qu’une nuit, elle trouve refuge auprès de cette femme qui ne ressemble pas aux adultes qu’elle a côtoyés jusque-là : pas de jugements hâtifs ni de questions suspectes. Tandis qu’elles récoltent les poires et soignent les abeilles, ces deux âmes blessées partagent ce qui les éloigne du monde et y cherchent leur place.

Sally et Liss sont très différentes, d’âge, de situation sociale, mais elles ont en commun de mal gérer ou de rentrer en elles leurs émotions et d’avoir beaucoup de mal à les exprimer. Elles vivent aussi chacune une forme de solitude : Sally refuse le poids des conventions, refuse d’être « normale » et le monde adulte ne lui offre que des hospitalisations à répétition pour soigner son anorexie ; seule dans sa ferme, Liss est mise à part par tout son village ou presque, on comprendra pourquoi au fil du roman. Mais quand leurs chemins se croisent par hasard, toutes les deux se comprennent sans paroles (même si Sally est encore très en colère) et pendant plusieurs jours, elles vont vivre et travailler ensemble sans beaucoup de mots, sans jugement, au rythme des travaux de la ferme.

Je l’avoue, la quatrième de couverture m’a fait craindre un roman « feel good » plein de bons sentiments mais j’ai finalement passé un très bon moment de lecture. Le rythme est lent et rapide à la fois : l’histoire avance avec les travaux agricoles, la récolte des pommes de terre, la cueillette des poires et la fabrication du schnaps, etc., il y a toujours quelque chose à faire mais les chapitres sont assez courts, les sentiments et les secrets enfouis se révèlent petit à petit et prendront un tour dramatique. Tous nos sens sont éveillés, sur fond d’images et de parfums délicieux dans les champs et les vergers, dans cette magnifique transition entre l’été et l’automne.

La fin est belle, touchante, une belle leçon de liberté intérieure.

« Au sommet de la route étroite qui montait entre champs et vignobles, l’air chaud vibrait sur l’asphalte. Liss, qui grimpait lentement la côte sur son vieux tracteur sans cabine, croyait voir de l’eau, une eau plus fluide que la normale ; plus légère et plus ondoyante. Une eau qu’on ne buvait qu’avec les yeux.
Sur les champs moissonnés où luisaient les chaumes, le blé était encore présent dans la puissante odeur de paille ; poussiéreuse, jaune, saturée. Le maïs commençait à sécher ; son bruissement dans la brise d’été n’évoquait plus le vert, il se transformait en un chuchotement rauque à la lisière du champ.
L’après-midi était torride et le ciel haut, mais quand on coupait le moteur on remarquait soudain que les chants d’oiseaux étaient moins nombreux et les stridulations des grillons plus sonores. L’été tirait à sa fin, Liss le voyait, le humait, l’entendait.
C’était une sensation agréable. »
(Première page)

« Elle retourna s’adosser au chambranle de la porte et regarda la pluie. C’était un jour où il fallait laisser le monde boire tranquillement. Où il fallait laisser les poules cavaler sans secouer la tête. »

« Mais ici il y avait tant de livres, et tellement de temps pour les lire, qu’ils venaient à vous d’eux-mêmes. Peut-être parce que les journées formaient une continuité indistincte. »

« C’étaient les odeurs qui lui manquaient le plus. Le moût de poire dans la cave à vin. Dehors, dans la cour, les effluves des vaches que le vent apportait parfois des étables du village à la tombée de la nuit. L’odeur des pommes de terre tout juste sorties du sol, et leur arôme une fois cuites, quand on les mange avec du sel. Et puis ce parfum ancestral de soleil et de poussière qu’ont la paille et le foin quand la porte de la grange est ouverte et qu’on est sur le seuil en train de lire. »

Ewald ARENZ, Le Parfum des poires anciennes, traduit de l’allemand par Dominique Autrand, Le Livre de poche, 2024 (Albin Michel, 2023)

Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Mai 2024