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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Tag: Premier Roman

Il fait bleu sous les tombes

20 mardi Avr 2021

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin

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Albin Michel, Caroline Valentiny, Premier Roman

Il fait bleu sous les tombes par Valentiny

Quatrième de couverture :

« Enfant, lorsqu’il était en vie, il se couchait dans l’herbe, le soir, pour observer le ciel. Aujourd’hui, depuis son carré d’herbe étanche à la lumière, il a beau plisser les yeux, il ne peut plus rien voir. »

Jusqu’il y a peu, Alexis était vivant. A présent, il ne sait plus. Il perçoit encore la vie alentour, le bruissement des feuilles, le pas des visiteurs, et celui, sautillant, de sa petite sœur qui vient le visiter en cachette.
Il se sent plutôt bien, mais que fait-il là ? Il ne sait plus. Ses proches n’y comprennent rien non plus. Quel est le mystère d’Alexis ? Qu’a-t-il voulu cacher à en mourir ?

C’est un premier roman que nous offre ici Caroline Valentiny, et elle n’a pas choisi un thème facile : le deuil, suite au suicide d’un fils de vingt ans. Accident ou suicide, d’ailleurs, les circonstances ne sont pas tout à fait claires et les questions sans réponses, les doutes empêchent Alexis de vraiment trouver le repos au fond de sa tombe. Dans sa gangue de terre, il se sent peu à peu se déliter mais quelque chose l’empêche de se libérer, de partir vraiment.

Accompagner Alexis après la mort, percevoir ses sensations, c’est déjà un point de vue original adopté par l’autrice qui nous introduit aussi dans le coeur et les pensées de Juliette, la petite amie, Madeleine, la mère, de Pierre, le père et de Noémie, la toute petite soeur de cinq ans. Juliette est en colère, contre Alexis et contre elle-même. D’abord sidérée, Madeleine éprouve le besoin d’une sorte de fuite en avant, elle lâche tout, famille, élèves, pour suivre les pas d’Alexis dans les derniers mois de sa vie. Pierre, médecin, s’abîme dans le travail et tente de rester debout. Noémie fait l’école buissonnière et vient régulièrement rendre visite à ce grand frère dont elle sent la présence et à qui elle parle en toute simplicité. J’ai été particulièrement touchée par ce personnage de petite fille et aussi par le parcours de la mère. Ces différentes voix dans le roman expriment les différentes manières de vivre le deuil, ce n’est pas un thème nouveau mais tout sonne juste sous la plume poétique de Caroline Valentiny, et bien sûr aussi le ressenti d’Alexis dans son cercueil. Qui n’a jamais tenté d’imaginer ce que pensent nos disparus, qui n’a jamais ressenti leur proximité ? Nous les imaginons encore bien humains, bien terriens, et c’est ce que donne à ressentir l’auteure avec beaucoup de douceur.

A ce thème du deuil et à la dimension un peu fantastique de la communication avec les morts, s’ajoute le thème de l’environnement et de l’anxiété face aux désastres écologiques. C’est ce qui préoccupait apparemment Alexis en tant qu’étudiant. Et avec le jeune homme, nous refaisons le parcours, nous marchons dans ses traces. Jusqu’à ce qu’Alexis lui-même ait « relu » sa vie et que ses proches aientt su trouver une forme d’apaisement sous le bleu des tombes.

Des textes pareils, aussi pleins d’intériorité, de vérité, de justesse, j’en redemande.

« C’était un bel après-midi de printemps. Les feuilles des arbres bruissaient légèrement sous la brise et le soleil accrochait ses rayons sur les pierres tombales comme si tout devait durer toujours. Il vint à peine à l’esprit de Madeleine qu’un tel endroit puisse recéler tant de beauté. Elle abandonna le prêtre à ses étranges paroles et laissa son esprit la porter jusqu’aux cimes des arbres. Là, il se pouvait que son fils ne fût pas mort. Elle s’appuya un peu plus fort sur le bras de son mari. D’une légère pression de la main il lui fit savoir qu’il la soutenait. Mais depuis quelques jours plus rien ne soutenait Madeleine.
Elle regarda distraitement la première pelletée de terre s’éparpiller sur le bois du cercueil. Elle songea à s’allonger près d’Alexis et à laisser la terre la recouvrir à son tour. Dieu sait pourquoi elle ne le fit pas. Sans doute ne raisonnait-elle plus très juste. Car il n’est pas juste qu’une mère continue à se promener à la surface du monde quand son fils dort dessous. »

« Il expirait sans fin. Doucement il se posait. Comme un baiser peut être, comme la note la plus basse que peut gémir un violoncelle. Son cœur ne battait plus. Le souffle de son désir s’échappait dans les graves. Ses yeux ne cherchaient plus. Le monde battait encore, mais en dehors de lui. Il l’entendait, alentour, sans plus rien dire, sans rien faire. En lui, petit à petit, montait le silence. »

« Évaluation de fin d’année, en maternelle. Qu’est-ce que c’était encore que cette invention-là. Qu’évaluait-on à cinq ans? La précision du picotage, lard du non-dépassage ? Il fallait que chaque enfant soit dans les temps, en avance sur le temps même, qu’il n’aille pas manquer une étape, celle des lacets par exemple, celle du pipi, celle de l’intégration sociale, de la capacité d’abstraction, de la première révolte, de… Cela valait bien la peine de se presser, si c’était pour finir dans une tombe à vingt ans. »

« S’il n’entend pas, s’il n’entend plus, elle chantera quand même, et ce chant d’amour pour son fils endormi ne s’épuisera jamais, même plus tard, quand elle sera vieille, elle continuera de chanter, elle sera mère à jamais d’un enfant, d’un jeune homme, elle restera prise dans ces commencements-là puisque aucune ride sur le visage d’Alexis ne viendra lui dire c’est bon, maman, tu peux te reposer, regarde, ça va, tu as bien fait ton travail. »

« Dans le cimetière de son village natale, six pieds sous terre comme il se doit, le corps d’Alexis poursuivait la lente décomposition qui allait le ramener à sa forme originelle. On débute en silence, sur terre, derrière le rideau des coulisses maternelles ; on termine en silence, sous des rideaux de terre, l’âme évanouie, distraite. »

Caroline VALENTINY, Il fait bleu sous les tombes, Albin Michel, 2020

Merci à Argali pour cette magnifique lecture !

Le Mois belge 2021 – catégorie Esperluète (il s’agit bien d’une histoire de famille dont les liens se modifient suite au deuil)

Petit Bac 2021 – Couleur

Meursault, contre-enquête

28 dimanche Mar 2021

Posted by anne7500 in Des Mots africains

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Actes Sud, francophonie, Kamel Daoud, Premier Roman

Quatrième de couverture :

Il est le frère de “l’Arabe” tué par un certain Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre roman du XXe siècle. Soixante-dix ans après les faits, Haroun, qui depuis l’enfance a vécu dans l’ombre et le souvenir de l’absent, ne se résigne pas à laisser celui-ci dans l’anonymat : il redonne un nom et une histoire à Moussa, mort par hasard sur une plage trop ensoleillée.

Haroun est un vieil homme tourmenté par la frustration. Soir après soir, dans un bar d’Oran, il rumine sa solitude, sa colère contre les hommes qui ont tant besoin d’un dieu, son désarroi face à un pays qui l’a déçu. Étranger parmi les siens, il voudrait mourir enfin…

Hommage en forme de contrepoint rendu à L’Étranger d’Albert Camus, Meursault, contre-enquête joue vertigineusement des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de l’identité. En appliquant cette réflexion à l’Algérie contemporaine, Kamel Daoud, connu pour ses articles polémiques, choisit cette fois la littérature pour traduire la complexité des héritages qui conditionnent le présent.

Ce livre est dans ma PAL depuis sept ans et je dois avouer qu’il me faisait un peu peur. Peut-être est-ce pour cela, pour le sortir de la PAL, que j’ai proposé une semaine Francophonie à Marilyne, tout en sachant qu’elle avait beaucoup aimé ce roman et que j’aborderais le clavier les doigts tremblants pour en parler. Et en effet, j’ai un peu traîné sur ma lecture alors que j’étais saisie par la force du texte et j’ai les doigts tremblants à l’instant où j’écris ce billet.

J’ai lu et relu L’étranger d’Albert Camus, j’adore ce roman et je trouve l’idée de Kamel Daoud à la fois bluffante et vertigineuse : imaginer d’écrire l’histoire du point de vue de « l’Arabe » tué par Meursault, ou plutôt de son frère Haroun, qui a dû porter sa vie durant l’histoire de ce frère assassiné sur une plage d’Alger, que Camus ne cite que comme « l’Arabe », en lui niant ? lui refusant ? une identité qu’Haroun va s’évertuer à lui reconstituer.

Haroun va raconter cette histoire dans un bar rempli de fantômes, où il assume son athéisme face à un personnage sans doute en train d’écrire une thèse. Comme Meursault, Moussa (et Haroun) ont une mère, Haroun a lui aussi été amoureux d’une femme nommée Meriem (l’équivalent en arabe de la Marie de Meursault), il porte lui aussi un crime sur la conscience, qu’il a commis sous l’influence de la lune tandis que Meursault était écrasé de la chaleur du soleil. Ce savant jeu de doubles m’a éblouie : puissance de la littérature qui fait d’une fiction une réalité qui devient elle-même fiction, mise en abyme construite en spirale, se nourrissant du récit pour avancer et aller jusqu’aux limites de l’absurde.

Mais ce premier roman brillant n’est pas qu’un hommage à Camus. On y sent à vif les blessures de la colonisation et de la décolonisation, on y devine l’évolution de la société algérienne jusqu’à une époque où la religion domine le mode de vie et où les femmes ne sont plus aussi libres que la Meriem d’Haroun. Haroun qui, comme Meursault face au prêtre dans sa prison, – autre jeu de doubles – est confronté, à la fin du récit, à l’iman de son quartier oranais.

Enfin, pour tenter de rendre justice à ce texte magnifique, j’ai particulièrement apprécié le style de Kamel Daoud. Je me suis souvent lu des passages à haute voix : le texte m’y appelait, par le choix du narrateur de s’adresser à un « tu » imaginaire, par le genre du plaidoyer et par le choix par Haroun du français comme langue pour comprendre l’histoire de ce frère disparu.

La première page : « Aujourd’hui, M’ma est encore vivante.
Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses. Contrairement à moi, qui, à force de ressasser cette histoire, ne s’en souviens presque plus.
Je veux dire que c’est une histoire qui remonte à plus d’un demi-siècle. Elle a eu lieu et on en a beaucoup parlé. Les gens en parlent encore, mais n’évoquent qu’un seul mort – sans honte vois-tu, alors qu’il y en avait deux, de morts. Oui, deux. La raison de cette omission? Le premier savait raconter, au point qu’il a réussi à faire oublier son crime, alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu’il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n’a même pas eu le temps d’avoir un prénom.
Je te le dis d’emblée : le second mort, celui qui a été assassiné, est mon frère. Il n’en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me présentera.
« 

« J’ai tué et, depuis, la vie n’est plus sacrée à mes yeux. Dès lors, le corps de chaque femme que j’ai rencontrée perdait très vite sa sensualité, sa possibilité de m’offrir l’illusion de l’absolu. A chaque élan du désir, je savais que le vivant ne reposait sur rien de dur. Je pouvais le supprimer avec une telle facilité que je ne pouvais l’adorer – ç’aurait été me leurrer. J’avais refroidi tous les corps de l’humanité en en tuant un seul. D’ailleurs, mon cher ami, le seul verset du Coran qui résonne en moi est bien celui-ci : « Si vous tuez une seule âme, c’est comme si vous aviez tué l’humanité entière. »

« J’ai toujours eu cette impression quand j’écoute le Coran . J’ai le sentiment qu’il ne s’agit pas d’un livre, mais d’une dispute entre un ciel et une créature. La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas. J’aime aller vers ce Dieu à pied s’il le faut, mais pas en voyage organisé. »

Kamel DAOUD, Meursault, contre-enquête, Actes Sud, 2014

Le très beau billet de Marilyne sur ce roman qui a obtenu le prix des Cinq continents de la Francophonie en 2014

Ainsi s’achève ma semaine Francophonie avec Marilyne qui vous propose de découvrir le roman Em de Kim Thuy. Merci de m’avoir accompagnée durant ce voyage immobile en littérature francophone !

Jonny Appleseed

04 vendredi Déc 2020

Posted by anne7500 in Des Mots canadiens

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Joshua Whitehead, Mémoire d'encrier, Premier Roman

Quatrième de couverture :

Travailleur du cybersexe, Jonny doit rentrer à la réserve dans une semaine pour assister aux funérailles de son beau-père. Pendant ces sept jours, Jonny se raconte : enfance, amitié, amour, sexe, alcool, maquillage, musique, fantômes, espoirs. Le fil des liens familiaux se retisse avec sa mère, sa kokum, ses tantes et oncles. Surgit tout un monde de tendresse.

Poète et romancier bispirituel, Joshua Whitehead est membre oji-cri/nehiyaw de la Première Nation de Peguis, au Manitoba. Jonny Appleseed est son premier roman.

Ce premier roman est sans doute nourri de la propre expérience de son auteur : il nous met dans la peau du narrateur, Jonny Appleseed, qui est parti assez vite de sa réserve pour oser s’épanouir et devenir l’homme bispirituel qu’il est intimement. (Un être bispirituel, c’est, au Canada, quelqu’un qui possède un esprit masculin et un esprit féminin, et aussi quelqu’un qui considère que son genre ne correspond pas à son sexe.) En effet, depuis l’âge de huit ans, Jonny sait qu’il est gay, c’est la première phrase du roman. Son récit commence alors que son beau-père vient de mourir et qu’il doit en quelques jours gagner l’argent nécessaire au voyage vers la réserve de Péguis (Manitoba) pour rejoindre sa mère et la soutenir. Jonny gagne sa vie dans le cybersexe et assume parfaitement ses pratiques sexuelles qu’il nous raconte dans un langage sensuel, fleuri, parfois cru.

Tout en narrant ces quelques jours avant le retour, Jonny se souvient et évoque son enfance à la réserve, l’amour inconditionnel de sa kokum (sa grand-mère), le lien fort et chaotique avec sa mère et la relation tout aussi forte avec son ami d’enfance Tias, qui a lui aussi quitté la réserve pour aller vivre à Winnipeg. Comme dans d’autres romans d’auteurs autochtones, Joshua Whitehead raconte les conditions de vie dans la réserve, le désœuvrement, l’alcoolisme, les bagarres, mais ce qui fait l’originalité de ce premier roman, c’est son narrateur, ce personnage de Jonny Appleseed  qui ose vivre sa sexualité sans complexe et qui déborde d’amour pour les femmes et pour l’ami qui lui ont permis d’être ce qu’il est au plus profond de lui-même. Son parcours est baigné d’émotions contradictoires et d’autodérision, ce qui le rend très attachant. Je suis contente d’avoir découvert ce livre, conseillé par ma dealeuse de Québec préférée, même si j’ai eu du mal à me concentrer sur la lecture (sans doute la morosité ambiante ???).

« Bon sang, j’ai joué les hétéros sur la réserve pour pouvoir être NDN, ici je joue les Blancs pour pouvoir être queer. On ne peut pas toujours tout avoir dans la vie. « 

« La tradition allait me suivre toute ma vie : on s’attend à ce que je coupe du bois pour les cérémonies plutôt que de frire la bannique, que j’apprenne à chasser avec mes oncles plutôt qu’à tricoter avec mes tantes, que je performe la danse des plumes alors que tout ce que je veux c’est faire la danse des clochettes. “Fais de toi un homme” a été le mantra de mon enfance et de mon adolescence, parce que la verge entre mes jambes était pas suffisante pour prouver que j’étais porteur de la masculinité NDN. Il y a des millions de cellules en moi qui se contredisent, des millions de particules qui signalent l’extravagance. À mes yeux la masculinité est un nom féminin .

Et tout se termine en beauté. » (P. 92-93 )

 « Ah les hommes, c’en est presque trop facile : ils sont tous un peu voyeurs et un peu explorateurs. Ils veulent moins jouer au docteur avec toi qu’être le Jacques Cartier de ta ceinture pelvienne. » (P. 177) 

 « J’ai perdu le compte du nombre de fois où on a dit “sacré calvaire” pendant le trajet. J’ai réfléchi au fait que si les NDN disent “sacré calvaire” aussi souvent, c’est sans doute parce qu’on a appris à vivre et à aimer dans le calvaire sacré de l’Apocalypse. » (P. 227) 

Joshua WHITEHEAD, Jonny Appleseed, Mémoire d’encrier 2019

L’avis d’Ingamnic

Le lièvre d’Amérique

17 mardi Nov 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots du Québec

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La Peuplade, Mireille Gagné, Premier Roman

Pour une fois je ne reproduis pas la quatrième de couverture qui, à mon avis, en dit trop. Et mon billet ne sera pas long, histoire de ne pas trop en dire sur ce premier roman de Mireille Gagné.

Cela commence par une description du comportement du lièvre d’Amérique. Puis nous faisons connaissance de Diane, qui se réveille d’une mystérieuse opération. Nous retournons ensuite dans le passé de la jeune femme, à l’Ile-aux-Grues, là ou elle a connu Eugène, un ado proche de la nature et de la mer. Nous revenons ensuite dans le monde du travail de Diane.

Chaque partie du roman, séparée par une double page illustrée que vous découvrirez si vous décidez de le lire, est ainsi constituée de quatre éléments qui sont comme des pièces de puzzle qui nous permettront de comprendre ce qu’ont vécu Eugène et Diane (le choix de ce prénom n’est pas indifférent, il m’a fait penser à Diane chasseresse) et quelle est la mystérieuse opération subie par la jeune femme. J’ai été touchée par ce qui est arrivé aux deux adolescents sur l’île, comment les blessures de jeunesse peuvent influer profondément sur les vies adultes. Un joli lexique à la fin du roman nous permet de saisir la beauté de l’Ile-aux-Grues. Et à la fin aussi, l’autrice nous livre une légende algonquienne qui donne un autre éclairage au récit. Le tout forme un objet littéraire intelligent et sensible, un premier roman original et réussi caché derrière une bien jolie couverture.

« Sur le pont, elle regarde le fleuve s’écouler en dessous d’elle. La marée descend, elle aussi. Elle se sent comme les eaux qui se retirent lentement après les grandes marées. Il restera beaucoup de débris, mais il fera beau demain. »

« Diane ne se souvenait pas de cette impression de faire entièrement partie du paysage, de la proximité des grandes oies des neiges, comme si elles piétinaient sa peau. C’est sûrement ça qu’elle avait oublié en partant subitement. L’appartenance. »

Mireille GAGNE, Le lièvre d’Amérique, La Peuplade, 2020

Les avis tout récents de Kathel et Karine

Québec en novembre – Catégorie On jase de toi (livre paru en 2020)

L’ombre de l’olivier

08 mardi Oct 2019

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots du Québec

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Mémoire d'encrier, Premier Roman, Yara El-Ghadban

Quatrième de couverture :

Une enfance palestinienne. Une voix se lève, convoquant la musique, la poésie, la guerre et la résistance. Yuryur aura bientôt dix ans. Née dans un pays de merveilles, bercée par les vagues du golfe Arabo-persique, elle vit à Dubaï une enfance heureuse o se mêlent le sel de la mer et la sauge du thé de Téta Hilweh, sa grand-mère avec qui elle passe les étés au camp de réfugiés dans une Beyrouth que la guerre défigurera.

Dans ce premier roman, Yara El-Ghadban donne la parole à Yuryur, jeune Palestinienne qui est sans doute le double romanesque de son auteure. D’une voix étonnamment mûre pour son âge (bientôt dix ans), Yuryur raconte sa vie à Dubaï où les Palestiniens vivent une « bonne vie » si je puis me permettre cette expression, mais qui reste précaire car les Palestiniens, s’ils peuvent travailler ans problème, n’ont pas de papiers, pas de statut. Les adultes ne veulent pas expliquer en détail leurs difficultés, aussi Yuryur s’est-elle inventé un ami imaginaire, l’Oiseau, qui lui permet de s’évader et de se questionner, de se souvenir et de réfléchir à sa vie d’écolière, à ses amis, à sa famille. L’été, pour échapper à la chaleur torride de Dubaï, la famille retourne chez les grands-parents, à Beyrouth, une ville marquée par la guerre et dont la paix fragile vole en éclat à la fin du roman : Yara El-Ghadban évoque (à hauteur d’enfant) les massacres de Sabrah et Chatila.

Mais le désir de la romancière est de raconter la vie de Palestiniens « ordinaires » en dehors de la guerre. Premiers amours, douceur de vivre, gastronomie, leçons de piano, complicité avec ses tantes, baignades ensoleillées, Yuryur nous raconte cette vie avec bonne humeur et dans une langue poétique et joyeuse à la fois. L’ombre de l’olivier, c’est l’évocation de la Palestine, dont l’olivier est l’emblème, ce sont les ombres sur le symbole de la paix, c’est aussi le très joli premier roman d’une auteure très souriante que j’ai eu la joie de rencontrer lors de la dernière Foire du livre à Bruxelles et que je relirai avec plaisir.

Voilà ce que livre Yara El-Ghadban sur le site de son éditeur Mémoire d’encrier :

« Lorsqu’il est question des Palestiniens, on évoque généralement la guerre, la souffrance, la mort, la violence. Coincé entre l’image de la victime et celle du terroriste, on a du mal à imaginer un Palestinien sourire, rire, rêver, fantasmer, partager un repas tranquille, discuter de musique et de poésie. L’amour et la tendresse, sans angoisse, ni amertume, la famille dans son intimité, mais surtout le bonheur, la magie, le rêve, l’innocence et le deuil de l’enfance qui font partie de l’univers de tout enfant. C’est ce que j’ai voulu écrire. »

(Yara EL GHADBAN, L’ombre de l’olivier, Mémoire d’encrier, 2011

Challenge Petit Bac – Littérature québécoise – Végétal

Le chagrin des vivants

31 mercredi Juil 2019

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots britanniques

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Anna Hope, Gallimard, Le chagrin des vivants, Première guerre mondiale, Premier Roman

Quatrième de couverture :

Durant les cinq premiers jours de novembre 1920, l’Angleterre attend l’arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France. Alors que le pays est en deuil et que tant d’hommes ont disparu, cette cérémonie d’hommage est bien plus qu’un simple symbole, elle recueille la peine d’une nation entière. 
À Londres, trois femmes vont vivre ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l’armée ; Ada, qui ne cesse d’apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d’anciens soldats sur la piste du Hammersmith Palais pour six pence la danse. 
Dans une ville peuplée d’hommes incapables de retrouver leur place au sein d’une société qui ne les comprend pas, rongés par les horreurs vécues, souvent mutiques, ces femmes cherchent l’équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les cœurs s’apaisent.

J’aime la couverture de ce livre : elle m’a sans doute attirée quand je l’ai acheté et après lecture, je la trouve particulièrement bien choisie.

Un portrait de femme, chapeau couleur aubergine et robe de satin couleur bronze dont les reflets apportent de la lumière à l’image : couleurs qui mêlent le deuil – ou plutôt le demi-deuil, quand il s’st écoulé une période de quelques mois après le décès d’un proche – et la lumière, l’espoir, la renaissance. Le visage est coupé, on ne voit que la joue et l’ovale du menton, on devine des lèvres qui ne sourient pas, le cou et le décolleté sont gracieux. Une image qui évoque évidemment les trois femmes que met en scène Anna Hope, Ada, Evelyn et Hettie, trois femmes qui portent à des degrés divers l’insupportable deuil lié à la Grande Guerre, trois femmes qui ne peuvent vivre pleinement. Si de nombreux (jeunes) hommes sot revenus amputés physiquement et psychiquement, elles le sont, affectivement. Personne – ou si peu – ne peut leur raconter comment sont morts ou blessés leurs fils, fiancé, frère. Le chagrin les enferme d’autant plus qu’il n’y a pas de corps à honorer et que beaucoup veulent effacer les traces encore bien palpables de la guerre. Les funérailles du Soldat inconnu, enterré à Westminster Abbey le 11 novembre 1920, permettra aux Britanniques d’exorciser en quelque sorte ce chagrin inexprimable.

Anna Hope construit son récit sur cinq jours, du 7 au 11 novembre 1920, dessinant par petites touches impressionnistes l’histoire d’Ada, Evelyn et Hettie. Tandis que les autorités déploient la cérémonie du Soldat inconnu, suivie depuis les falaises de Douvres jusqu’au coeur de Londres par des milliers d’Anglais, c’est la parole, balbutiante, timide d’abord, la colère aussi, qui libère peu à peu ces trois femmes du silence étouffant. Le chagrin prend alors une autre couleur, la vie peut renaître, comme le dit le titre original du roman Wake, à l’image de cette femme enceinte dans le cortège des anonymes qui suivent le cercueil du Soldat inconnu. Mais on ne peut s’empêcher de penser que vingt ans plus tard, cette génération qui prend le relais de la vie sera à nouveau emportée dans le tourment de la guerre.

Oui, cette couverture de livre est particulièrement belle. Ce roman est beau et douloureux. Merci, Anna Hope (et merci à la traductrice Elodie Leplat).

« Pourquoi ne peut-il pas passer à autre chose ? 
Pas seulement lui. Tous autant qu’ils sont. Tous les anciens soldats qui font la manche dans la rue, une planche accrochée autour du cou. Tous vous rappellent un événement que vous voudriez oublier. Ça a suffisamment duré. Elle a grandi sous cette ombre pareille à une grande chose tapie qui lessive la vie de toute couleur et toute joie.
D’un coup de pied, elle balance sa robe dans un coin de la pièce.
La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas tous passer à autre chose, bon sang ? » (p. 101)

« Elle n’ira pas. Elle le déteste de toute façon, ce jour de l’Armistice, cette nouvelle tradition qui dégouline déjà de vénération grasse : une nouvelle opportunité pour ceux qui ont du sang sur les mains de jouer à se déguiser dans leur costume de meurtriers et de traîner derrière eux leurs chevaux et leurs affûts de canon en paradant dans les rues de Londres. Comme s’il n’y avait pas d’autres moyens de rendre hommage aux morts. »

« Et pourtant maintenant elle l’a entendue, maintenant elle sait que quelque part dans cette ville, en amont du fleuve, se trouve son frère, cet homme qui a ordonné à Rowan de fusiller son ami. Maintenant que cette vérité est en elle, partie intégrante d’elle, elle n’est pas dure comme du diamant et étincelante comme devrait l’être la vérité, mais nébuleuse, givrée de peur, de sueur, d’obscurité et de crasse. Elle ne contient pas d’élévation, pas de réponses, pas d’espoir. » (p. 323)

« …Et quoi qu’on puisse en penser ou en dire, l’Angleterre n’a pas gagné cette guerre. Et l’Allemagne ne l’aurait pas gagnée non plus.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– C’est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours. »
Il trace un cercle en l’air avec sa cigarette : c’est comme s’il dessinait l’ensemble des guerres, si innombrables soient-elles, l’ensemble des guerres passées et l’ensemble des guerres à venir.
« C’est la guerre qui gagne, répète-t-il amèrement, et celui qui ne partage pas cet avis est un imbécile. » (p. 345)

Anna HOPE, Le chagrin des vivants, traduit de l’anglais par Elodie Leplat, Gallimard, 2013

Lecture commune avec Aifelle, Béa Comète, George, Ingannmic, Anne Mon petit chapitre, Jacky Grêle Osée

Challenge Voisins Voisines 2019 – Angleterre

La bête à sa mère

02 vendredi Nov 2018

Posted by anne7500 in Des Mots du Québec

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David Goudreault, La bête à sa mère, Premier Roman, Stanké

Quatrième de couverture :

« Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics. »

Le drame familial d’un homme seul. Et des chats qui croisent sa route.

C’est Nadège (oui oui ma coloc du mois au Québec) qui m’a fait découvrir ce livre lors de la dernière Foire du livre à Bruxelles : un chat sur la couverture et des chats à l’intérieur, ça ne pouvait que m’attirer tout comme elle. Et puis j’ai entendu David Goudreault, en compagnie de Nicolas Dickner, Stéphane Larue et un quatrième dont j’ai oublié le nom, dans une rencontre du Festival America : quatre héros souffrant d’addictions diverses, quatre jeunes romanciers contemporains qui renouvellent vraiment le genre au Québec. Sachez aussi que David Goudreault est travailleur social mais aussi poète ; il anime des ateliers d’écriture dans des écoles et des prisons et il a remporté la Coupe du monde de slam à Paris. Lors du débat, parlant de son livre, il nous a prévenus : « la réalité dépasse la fiction ». Oufti, comme on dit à Liège (petite expression belge contre savoureux langage québécois) : je ne m’attendais pas à prendre pareille claque dans la figure !

La bête du titre, c’est le personnage principal qui nous raconte son histoire, dont nous ne connaîtrons jamais le nom : mère suicidaire, placé dans des familles d’accueil puis des centres fermés, très vite émancipé (à vrai dire pour se débarrasser de lui), il a appris sur le tas et est devenu un petit délinquant accro aux amphétamines et aux joints, au sexe (porno évidemment), masturbateur de compétition, avec un rapport… particulier aux animaux, entre autres exploits. Il ne manque pas de lettres (« c’est documenté »), il est sans cesse en train de chercher des coups (de plus en plus foireux) pour nourrir ses addictions (et se nourrir tout court) mais surtout il a gardé l’espoir de renouer avec sa mère. Il croit la retrouver à Sherbrooke, s’y installe, se fait engager à… la SPA et réfléchit à la meilleure manière d’approcher sa mère. « Les liens du sang sont plus forts que tout, c’est documenté. » (p. 71) De son point de vue personnel donc, nous assistons alors à ce qui est en réalité une descente aux enfers, alors qu’il se voit presque comme un bienfaiteur de l’humanité.

Il y a des pages de ce roman qui peuvent au minimum vous faire les yeux ronds, voire vous soulever de dégoût, et il me faut bien avouer que je me suis parfois demandé pourquoi je continuais à le lire. Mais comme je me souvenais de l’avertissement de l’auteur, je l’ai lu au trente-sixième degré, goûtant l’humour sans limite de David Goudreault et appréciant au passage la critique sociale que son personnage nous renvoie à la figure. Un personnage qu’on finit par trouver attachant, si si… Je suis curieuse de lire la suite c’est une trilogie), j’espère qu’elle monte en puissance.

« Je n’ai jamais aimé les familles d’accueil. Tout le monde disait croire en moi, mais personne ne croyait ce que je disais. Un paradoxe parmi tant d’autres. Évidemment, je mentais, mais tout le monde ment. Tout le temps. À soi, aux autres, au gouvernement et à je ne sais qui encore. Tout le monde le fait mais quand tu es pris en charge par l’État et que tu dépasses un certain quota, c’est cuit, on ne laisse plus rien passer. C’est un engrenage. Une menterie doit couvrir un mensonge qui couvrait une menterie, et finalement tu te retrouves avec une collection de couvertures, mais tu dors assez mal. De toute manière, même quand je disais la vérité, on ne m’écoutait pas. J’étais un malentendu. » (p. 19)

« Les diplômes, c’est juste bon à insuffler de l’estime aux sans-talent. C’est du bourrage de crâne aux frais du contribuable et puis c’est tout. Einstein n’a jamais fait de doctorat en relativité. Aucun grand auteur n’a étudié la littérature. Même les saints n’avaient pas de formation en théologie. Dans la vie, tu l’as ou tu l’as pas. Moi je l’ai. »

« Même le café goûtait le bonheur ce matin-là.Il est toujours meilleur dans un verre de carton. On n’a même pas à laver notre tasse, juste à savourer le café et à jeter le verre à la poubelle. Si, en plus, tu peux être assis dans un gros camion en fumant des cigarettes, c’est le rêve nord-américain. Et si tu es un homme et que tu es blanc, tu n’as plus qu’à rugir, c’est le rêve planétaire. » (p. 170)

« « Si la montagne ne vient pas à toi, va à la montagne » écrivait Laurence Darabie, une poétesse maghrébine. » (p. 181)

« Le soleil de midi est violent pour le peuple de l’ombre. Il faudrait noter cette réflexion, c’était un titre de recueil de poèmes, ça. Ca devrait être bien payant de publier de la poésie, c’est un genre noble. Ca devait aller chercher dans les six chiffres, un bon poète au Québec. Il devait aussi exister une grande fraternité entre les poètes, et plein de femmes qui veulent poser nues pour les inspirer. Oui, j’allais faire de la poésie, entre deux albums de rap. Avec les revenus des machines en plus, aucun doute, j’allais me faire des couilles en or et passer à l’histoire. Tant qu’à être au monde, autant le marquer. » (p. 208)

David GOUDREAULT, La bête à sa mère, Stanké, 2015

RDV Littérature contemporaine aujourd’hui

Quand tu es parti

19 vendredi Oct 2018

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots britanniques

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10/18, Maggie O'Farrell, Premier Roman, Quand tu es parti

Quatrième de couverture :

Hospitalisée dans un coma profond, Alice se souvient : de l’amour fou avec John, un journaliste, fils d’un juif intégriste qui l’a renié ; de l’étrange enfant, puis de l’adolescente fragile et rebelle qu’elle a été ; de l’affection de sa grand-mère Elspeth et des heurts avec sa mère, Ann, beauté froide et énigmatique. Et tandis que toute la famille guette le moindre signe d’espoir, la genèse du drame affleure.

J’ai commencé à lire ce livre lentement, un peu au rythme d’Alice que l’on sent profondément triste et désorientée au début, sans bien savoir pourquoi. Et puis dès les premières pages, elle se jette sous les voitures à un passage pour piétons londoniens et se retrouve dans le coma. Dès lors la narration va se placer tantôt du point de vue interne, dans les pensées d’Alice, ou plutôt ses ressentis depuis les limbes où elle s’est « réfugiée », tantôt de divers points de vue externes, dans d’incessants aller et retour entre l’enfance, l’adolescence, la vie étudiante puis adulte d’Alice, entre Londres et North Berwick (Ecosse), jusqu’à son « accident ».

Alice est « l’enfant du milieu » dans une famille de trois soeurs, fille d’un Ecossais discret et d’une Anglaise qui ne s’est jamais vraiment faite à la vie d’une petite ville de bord de mer. Toute la famille vit dans la maison de la grand-mère paternelle, Elspeth. On sent bien le lien particulier qui unit Alice et sa grand-mère et le lien tout aussi particulier (très conflictuel) qui unit Alice à sa mère Ann. Enfant et ado rebelle, la jeune fille peine pourtant à s’affirmer tout en s’échinant à garder le contrôle de sa vie. Et puis un jour c’est l’amour fou avec John, la certitude d’avoir trouvé l’homme de sa vie. Malgré la douleur de voir le père de John, juif très pieux, refuser cette relation et couper les ponts avec son fils.

La force de ce (premier) roman, c’est sa narration éclatée, c’est la maîtrise avec laquelle Maggie O’Farrell mène son récit en distillant les révélations au compte-goutte. C’est aussi sa profonde capacité d’empathie avec un personnage principal auquel je me suis de plus en plus attachée au fil des pages. C’est un roman sur la famille, sur l’amour, sur le deuil, le chagrin qu’on boit jusqu’à la lie. Mais il n’y a pas pour autant de pathos manipulant les émotions du lecteur – sans doute grâce à cette narration éclatée qui nous pousse à lire toujours plus pour savoir ce qui s’est passé dans cette famille, dans ce couple, ou ce qu’on espère voir venir). La fin imaginée par Maggie O’Farrell est très fine, je trouve.

Vous l’aurez compris, j’ai vraiment aimé cette lecture. Après Isabelle Monnin et Craig Johnson, Maggie O’Farrell est la troisième auteure que je découvre cette année après avoir laissé croupir plusieurs de ses romans dans ma PAL et c’est une troisième très belle surprise.

Maggie O’FARRELL, Quand tu es parti, traduit de l’anglais par Marianne Véron, 10-18, 2003 (Belfond, 2000)

A part le fait que son auteure soit née en Irlande du Nord, ce roman n’a pas gand-chose d’irlandais. Marilyne est beaucoup plus dans la note avec Les disparus de Dublin de Benjamin Black.

Eux sur la photo

04 mardi Sep 2018

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Arléa, Hélène Gestern, Photographie, Premier Roman

Quatrième de couverture :

Une petite annonce dans un journal comme une bouteille à la mer. Hélène cherche la vérité sur sa mère, morte lorsqu’elle avait trois ans. Ses indices: deux noms et une photographie retrouvée dans des papiers de famille, qui montre une jeune femme heureuse et insouciante, entourée de deux hommes qu’Hélène ne connaît pas. 

Une réponse arrive: Stéphane, un scientifique vivant en Angleterre, a reconnu son père. Commence alors une longue correspondance, parsemée d’indices, d’abord ténus, puis plus troublants. Patiemment, Hélène et Stéphane remontent le temps, dépouillant leurs archives familiales, scrutant des photographies, cherchant dans leur mémoire.

Peu à peu, les histoires se recoupent, se répondent, formant un récit différent de ce qu’on leur avait dit.

Ma mini-série sur la photographie était l’occasion de sortir ce livre de ma PAL, où il reposait bien gentiment depuis longtemps (il a eu beaucoup de succès à sa sortie sur les blogs).

Le secret de famille, c’est un thème qui m’intéresse. Il se révèle ici d’une façon à la fois originale et familière : qui ne s’est jamais posé de questions devant les vieux albums-photos familiaux ? C’est par une petite annonce qu’Hélène Hyvert commence sa recherche. S’ensuit alors une correspondance entre elle et Stéphane Crüsten, dont les étapes se marquent par la description de différentes photos : autant de jalons de l’histoire de sa mère à elle et de son père à lui pour lever de plus en plus le vole sur la relation interdite qui a existé entre eux.

Des vieilles photos, des échanges de lettres (mais aussi de courriels), voilà des choses qui peuvent paraître désuètes aujourd’hui. Et de fait, le roman est empli de mélancolie sur ce qui a été, ce qui n’a pas été et aurait pu être, mais aussi plein de résilience sur la manière dont les descendants assument un secret de famille.

Ceci dit, j’ai trouvé ce premier roman un peu trop gentil, même s’il est très bien écrit et rythmé. On pourra encore dire que je suis un chameau sans coeur, mais il m’a manqué un peu de piquant, de sel pour garder une trace durable de cette lecture.

Premières lignes : « La photographie a fixé pour toujours trois silhouettes en plein soleil, deux hommes et une femme. Ils sont tout de blanc vêtus et tiennent une raquette à la main. La jeune femme se trouve au milieu : l’homme qui est à sa droite, assez grand, est penché vers elle, comme s’il était sur le point de lui dire quelque chose. Le deuxième homme, à sa gauche, se tient un peu en retrait, une jambe fléchie, et prend appui sur sa raquette, dans une posture humoristique à la Charlie Chaplin. Tous trois ont l’air d’avoir environ trente ans, mais peu être le plus grand est-il un peu plus âgé. Le paysage en arrière-plan, que masquent en partie les volumes d’une installation sportive, est à la fois alpin et sylvestre : un massif, encore blanc à son sommet, ferme la perspective en imprimant sur la scène une allure irréelle de carte postale.

Tout, dans ce portrait de groupe, respire la légèreté et l’insouciance mondaine. »

Hélène GESTERN, Eux sur la photo, Arléa, 2011

Quelques jours consacrés à la photo

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Notre Château

24 mardi Avr 2018

Posted by anne7500 in De la Belgitude

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Emmanuel Régniez, Le Tripode, Notre Château, Premier Roman

Présentation de l’éditeur :

Un frère et une sœur vivent reclus depuis des années dans leur maison familiale. Ils l’ont baptisée « Notre château ». Seule la visite hebdomadaire du frère à la librairie du centre-ville fait exception à leur isolement volontaire. Et c’est au cours de l’une de ces sorties rituelles qu’il aperçoit un jour, stupéfait, sa sœur dans un bus de la ligne 39. C’est inexplicable, il ne peut se l’expliquer. Le cocon protecteur dans lequel ils se sont enfermés depuis vingt ans commence à se fissurer.
 
On pourrait penser au film Shining de Kubrick ou au roman La Maison des feuilles de Danielewski. En reprenant à son compte l’héritage de la littérature gothique, Emmanuel Régniez réussit un roman ciselé et singulier, qui comblera les amateurs d’étrange.

J’ai refermé ce court roman avec un petit frisson délicieux : oh je ne suis pas morte d’angoisse mais j’ai trouvé l’auteur très malin de jouer ainsi avec les nerfs du lecteur et de limite lui donner envie de reprendre le livre à zéro pour savoir ce,que le romancier a caché à ses yeux.

En fait chaque mot est important : Emmanuel Régniez joue sur la répétition obstinée par le narrateur, Octave (le frère)de détails : « le bus n°39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines en passant par l’Hôtel de Ville », c’est le détail déclencheur, qui va déstabiliser complètement le monde qu’il s’est construit avec Véra, sa soeur, dans « notre Château ».

Hallucination d’Octave ? Univers kafkaïen ? Maison hantée ? Maison dotée d’un pouvoir ? Conte de fées dont Octave et Véra sont le Roi et la Reine ? Récit venu de l’au-delà ? Sans compter ce renversement de situation avec l’arrivée d’un troisième personnage inattendu, qui explique et complique l’histoire à la fois. Sans compter les multiples références aux romans gothiques qu’Emmanuel Régniez maîtrise parfaitement (il est l’auteur d’un ABC du gothique) et qui, il me faut l’avouer, m’échappent complètement vu mon vide abyssal en cette matière. Mais cela ne m’a empêchée de goûter l’étrange de ce premier roman. Qui, en plus, rend hommage aux livres de « notre Bibliothèque« .

Il ne me restera sans doute pas en tête longtemps mais il avait l’avantage d’être très différent de Guerre et Térébenthine que j’ai tellement aimé, il fallait quelque chose de spécial pour assurer la transition vers d’autres lectures…

« Je vais tout de suite dire quelque chose : ma sœur ne prend jamais le bus, ma sœur ne va jamais en ville. Elle déteste aller en ville. Elle déteste la ville. Elle déteste le bus et elle me dit chaque jeudi matin quand je pars pour la ville et que je vais prendre le bus : « Mais comment fais-tu pour prendre le bus ? Appelle un taxi. » Chaque jeudi matin, quand je quitte la maison pour me rendre en ville, ma sœur me rappelle son horreur du bus. Ma sœur me rappelle qu’elle n’a jamais pris le bus, qu’elle ne prendra jamais le bus. Ma sœur me rappelle qu’elle déteste le bus. Je sais pourquoi elle ne prend jamais le bus. Je sais pourquoi elle déteste le bus. Je sais aussi pourquoi elle ne comprend pas que moi je prenne le bus. J’y reviendrai. »

« Une maison qui contient beaucoup de livres est une maison ouverte au monde, est une maison qui laisse entrer le monde. Chaque livre qui entre est un fragment du monde extérieur et, tel un puzzle, quand nous posons ensuite le livre dans les rayons de Notre Bibliothèque, nous recomposons le monde, un monde à notre image, à notre pensée. »

« C’est difficile de ranger une bibliothèque. Quel ordre choisir? Comment faire pour s’y retrouver? Comment faire pour que les livres vivent bien ensemble? Peut-on séparer certains titres d’un même auteur? Peut-on mettre sur la même rangée de bibliothèque tel ou tel auteur ensemble? Qui doit être à la portée des yeux? Qui doit être à la portée de la main? Qui peut être caché? Qui doit être caché? C’est un art que celui de ranger une bibliothèque. »

Emmanuel REGNIEZ, Notre Château, Le Tripode poche, 2017 (1è édition en 2016)

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