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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Tag: Premier Roman

La bête à sa mère

02 vendredi Nov 2018

Posted by anne7500 in Des mots du Québec

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David Goudreault, La bête à sa mère, Premier Roman, Stanké

Quatrième de couverture :

« Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics. »

Le drame familial d’un homme seul. Et des chats qui croisent sa route.

C’est Nadège (oui oui ma coloc du mois au Québec) qui m’a fait découvrir ce livre lors de la dernière Foire du livre à Bruxelles : un chat sur la couverture et des chats à l’intérieur, ça ne pouvait que m’attirer tout comme elle. Et puis j’ai entendu David Goudreault, en compagnie de Nicolas Dickner, Stéphane Larue et un quatrième dont j’ai oublié le nom, dans une rencontre du Festival America : quatre héros souffrant d’addictions diverses, quatre jeunes romanciers contemporains qui renouvellent vraiment le genre au Québec. Sachez aussi que David Goudreault est travailleur social mais aussi poète ; il anime des ateliers d’écriture dans des écoles et des prisons et il a remporté la Coupe du monde de slam à Paris. Lors du débat, parlant de son livre, il nous a prévenus : « la réalité dépasse la fiction ». Oufti, comme on dit à Liège (petite expression belge contre savoureux langage québécois) : je ne m’attendais pas à prendre pareille claque dans la figure !

La bête du titre, c’est le personnage principal qui nous raconte son histoire, dont nous ne connaîtrons jamais le nom : mère suicidaire, placé dans des familles d’accueil puis des centres fermés, très vite émancipé (à vrai dire pour se débarrasser de lui), il a appris sur le tas et est devenu un petit délinquant accro aux amphétamines et aux joints, au sexe (porno évidemment), masturbateur de compétition, avec un rapport… particulier aux animaux, entre autres exploits. Il ne manque pas de lettres (« c’est documenté »), il est sans cesse en train de chercher des coups (de plus en plus foireux) pour nourrir ses addictions (et se nourrir tout court) mais surtout il a gardé l’espoir de renouer avec sa mère. Il croit la retrouver à Sherbrooke, s’y installe, se fait engager à… la SPA et réfléchit à la meilleure manière d’approcher sa mère. « Les liens du sang sont plus forts que tout, c’est documenté. » (p. 71) De son point de vue personnel donc, nous assistons alors à ce qui est en réalité une descente aux enfers, alors qu’il se voit presque comme un bienfaiteur de l’humanité.

Il y a des pages de ce roman qui peuvent au minimum vous faire les yeux ronds, voire vous soulever de dégoût, et il me faut bien avouer que je me suis parfois demandé pourquoi je continuais à le lire. Mais comme je me souvenais de l’avertissement de l’auteur, je l’ai lu au trente-sixième degré, goûtant l’humour sans limite de David Goudreault et appréciant au passage la critique sociale que son personnage nous renvoie à la figure. Un personnage qu’on finit par trouver attachant, si si… Je suis curieuse de lire la suite c’est une trilogie), j’espère qu’elle monte en puissance.

« Je n’ai jamais aimé les familles d’accueil. Tout le monde disait croire en moi, mais personne ne croyait ce que je disais. Un paradoxe parmi tant d’autres. Évidemment, je mentais, mais tout le monde ment. Tout le temps. À soi, aux autres, au gouvernement et à je ne sais qui encore. Tout le monde le fait mais quand tu es pris en charge par l’État et que tu dépasses un certain quota, c’est cuit, on ne laisse plus rien passer. C’est un engrenage. Une menterie doit couvrir un mensonge qui couvrait une menterie, et finalement tu te retrouves avec une collection de couvertures, mais tu dors assez mal. De toute manière, même quand je disais la vérité, on ne m’écoutait pas. J’étais un malentendu. » (p. 19)

« Les diplômes, c’est juste bon à insuffler de l’estime aux sans-talent. C’est du bourrage de crâne aux frais du contribuable et puis c’est tout. Einstein n’a jamais fait de doctorat en relativité. Aucun grand auteur n’a étudié la littérature. Même les saints n’avaient pas de formation en théologie. Dans la vie, tu l’as ou tu l’as pas. Moi je l’ai. »

« Même le café goûtait le bonheur ce matin-là.Il est toujours meilleur dans un verre de carton. On n’a même pas à laver notre tasse, juste à savourer le café et à jeter le verre à la poubelle. Si, en plus, tu peux être assis dans un gros camion en fumant des cigarettes, c’est le rêve nord-américain. Et si tu es un homme et que tu es blanc, tu n’as plus qu’à rugir, c’est le rêve planétaire. » (p. 170)

« « Si la montagne ne vient pas à toi, va à la montagne » écrivait Laurence Darabie, une poétesse maghrébine. » (p. 181)

« Le soleil de midi est violent pour le peuple de l’ombre. Il faudrait noter cette réflexion, c’était un titre de recueil de poèmes, ça. Ca devrait être bien payant de publier de la poésie, c’est un genre noble. Ca devait aller chercher dans les six chiffres, un bon poète au Québec. Il devait aussi exister une grande fraternité entre les poètes, et plein de femmes qui veulent poser nues pour les inspirer. Oui, j’allais faire de la poésie, entre deux albums de rap. Avec les revenus des machines en plus, aucun doute, j’allais me faire des couilles en or et passer à l’histoire. Tant qu’à être au monde, autant le marquer. » (p. 208)

David GOUDREAULT, La bête à sa mère, Stanké, 2015

RDV Littérature contemporaine aujourd’hui

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Quand tu es parti

19 vendredi Oct 2018

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots britanniques

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10/18, Maggie O'Farrell, Premier Roman, Quand tu es parti

Quatrième de couverture :

Hospitalisée dans un coma profond, Alice se souvient : de l’amour fou avec John, un journaliste, fils d’un juif intégriste qui l’a renié ; de l’étrange enfant, puis de l’adolescente fragile et rebelle qu’elle a été ; de l’affection de sa grand-mère Elspeth et des heurts avec sa mère, Ann, beauté froide et énigmatique. Et tandis que toute la famille guette le moindre signe d’espoir, la genèse du drame affleure.

J’ai commencé à lire ce livre lentement, un peu au rythme d’Alice que l’on sent profondément triste et désorientée au début, sans bien savoir pourquoi. Et puis dès les premières pages, elle se jette sous les voitures à un passage pour piétons londoniens et se retrouve dans le coma. Dès lors la narration va se placer tantôt du point de vue interne, dans les pensées d’Alice, ou plutôt ses ressentis depuis les limbes où elle s’est « réfugiée », tantôt de divers points de vue externes, dans d’incessants aller et retour entre l’enfance, l’adolescence, la vie étudiante puis adulte d’Alice, entre Londres et North Berwick (Ecosse), jusqu’à son « accident ».

Alice est « l’enfant du milieu » dans une famille de trois soeurs, fille d’un Ecossais discret et d’une Anglaise qui ne s’est jamais vraiment faite à la vie d’une petite ville de bord de mer. Toute la famille vit dans la maison de la grand-mère paternelle, Elspeth. On sent bien le lien particulier qui unit Alice et sa grand-mère et le lien tout aussi particulier (très conflictuel) qui unit Alice à sa mère Ann. Enfant et ado rebelle, la jeune fille peine pourtant à s’affirmer tout en s’échinant à garder le contrôle de sa vie. Et puis un jour c’est l’amour fou avec John, la certitude d’avoir trouvé l’homme de sa vie. Malgré la douleur de voir le père de John, juif très pieux, refuser cette relation et couper les ponts avec son fils.

La force de ce (premier) roman, c’est sa narration éclatée, c’est la maîtrise avec laquelle Maggie O’Farrell mène son récit en distillant les révélations au compte-goutte. C’est aussi sa profonde capacité d’empathie avec un personnage principal auquel je me suis de plus en plus attachée au fil des pages. C’est un roman sur la famille, sur l’amour, sur le deuil, le chagrin qu’on boit jusqu’à la lie. Mais il n’y a pas pour autant de pathos manipulant les émotions du lecteur – sans doute grâce à cette narration éclatée qui nous pousse à lire toujours plus pour savoir ce qui s’est passé dans cette famille, dans ce couple, ou ce qu’on espère voir venir). La fin imaginée par Maggie O’Farrell est très fine, je trouve.

Vous l’aurez compris, j’ai vraiment aimé cette lecture. Après Isabelle Monnin et Craig Johnson, Maggie O’Farrell est la troisième auteure que je découvre cette année après avoir laissé croupir plusieurs de ses romans dans ma PAL et c’est une troisième très belle surprise.

Maggie O’FARRELL, Quand tu es parti, traduit de l’anglais par Marianne Véron, 10-18, 2003 (Belfond, 2000)

A part le fait que son auteure soit née en Irlande du Nord, ce roman n’a pas gand-chose d’irlandais. Marilyne est beaucoup plus dans la note avec Les disparus de Dublin de Benjamin Black.

Eux sur la photo

04 mardi Sep 2018

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Arléa, Hélène Gestern, Photographie, Premier Roman

Quatrième de couverture :

Une petite annonce dans un journal comme une bouteille à la mer. Hélène cherche la vérité sur sa mère, morte lorsqu’elle avait trois ans. Ses indices: deux noms et une photographie retrouvée dans des papiers de famille, qui montre une jeune femme heureuse et insouciante, entourée de deux hommes qu’Hélène ne connaît pas. 

Une réponse arrive: Stéphane, un scientifique vivant en Angleterre, a reconnu son père. Commence alors une longue correspondance, parsemée d’indices, d’abord ténus, puis plus troublants. Patiemment, Hélène et Stéphane remontent le temps, dépouillant leurs archives familiales, scrutant des photographies, cherchant dans leur mémoire.

Peu à peu, les histoires se recoupent, se répondent, formant un récit différent de ce qu’on leur avait dit.

Ma mini-série sur la photographie était l’occasion de sortir ce livre de ma PAL, où il reposait bien gentiment depuis longtemps (il a eu beaucoup de succès à sa sortie sur les blogs).

Le secret de famille, c’est un thème qui m’intéresse. Il se révèle ici d’une façon à la fois originale et familière : qui ne s’est jamais posé de questions devant les vieux albums-photos familiaux ? C’est par une petite annonce qu’Hélène Hyvert commence sa recherche. S’ensuit alors une correspondance entre elle et Stéphane Crüsten, dont les étapes se marquent par la description de différentes photos : autant de jalons de l’histoire de sa mère à elle et de son père à lui pour lever de plus en plus le vole sur la relation interdite qui a existé entre eux.

Des vieilles photos, des échanges de lettres (mais aussi de courriels), voilà des choses qui peuvent paraître désuètes aujourd’hui. Et de fait, le roman est empli de mélancolie sur ce qui a été, ce qui n’a pas été et aurait pu être, mais aussi plein de résilience sur la manière dont les descendants assument un secret de famille.

Ceci dit, j’ai trouvé ce premier roman un peu trop gentil, même s’il est très bien écrit et rythmé. On pourra encore dire que je suis un chameau sans coeur, mais il m’a manqué un peu de piquant, de sel pour garder une trace durable de cette lecture.

Premières lignes : « La photographie a fixé pour toujours trois silhouettes en plein soleil, deux hommes et une femme. Ils sont tout de blanc vêtus et tiennent une raquette à la main. La jeune femme se trouve au milieu : l’homme qui est à sa droite, assez grand, est penché vers elle, comme s’il était sur le point de lui dire quelque chose. Le deuxième homme, à sa gauche, se tient un peu en retrait, une jambe fléchie, et prend appui sur sa raquette, dans une posture humoristique à la Charlie Chaplin. Tous trois ont l’air d’avoir environ trente ans, mais peu être le plus grand est-il un peu plus âgé. Le paysage en arrière-plan, que masquent en partie les volumes d’une installation sportive, est à la fois alpin et sylvestre : un massif, encore blanc à son sommet, ferme la perspective en imprimant sur la scène une allure irréelle de carte postale.

Tout, dans ce portrait de groupe, respire la légèreté et l’insouciance mondaine. »

Hélène GESTERN, Eux sur la photo, Arléa, 2011

Quelques jours consacrés à la photo

 Art

Notre Château

24 mardi Avr 2018

Posted by anne7500 in De la Belgitude

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Emmanuel Régniez, Le Tripode, Notre Château, Premier Roman

Présentation de l’éditeur :

Un frère et une sœur vivent reclus depuis des années dans leur maison familiale. Ils l’ont baptisée « Notre château ». Seule la visite hebdomadaire du frère à la librairie du centre-ville fait exception à leur isolement volontaire. Et c’est au cours de l’une de ces sorties rituelles qu’il aperçoit un jour, stupéfait, sa sœur dans un bus de la ligne 39. C’est inexplicable, il ne peut se l’expliquer. Le cocon protecteur dans lequel ils se sont enfermés depuis vingt ans commence à se fissurer.
 
On pourrait penser au film Shining de Kubrick ou au roman La Maison des feuilles de Danielewski. En reprenant à son compte l’héritage de la littérature gothique, Emmanuel Régniez réussit un roman ciselé et singulier, qui comblera les amateurs d’étrange.

J’ai refermé ce court roman avec un petit frisson délicieux : oh je ne suis pas morte d’angoisse mais j’ai trouvé l’auteur très malin de jouer ainsi avec les nerfs du lecteur et de limite lui donner envie de reprendre le livre à zéro pour savoir ce,que le romancier a caché à ses yeux.

En fait chaque mot est important : Emmanuel Régniez joue sur la répétition obstinée par le narrateur, Octave (le frère)de détails : « le bus n°39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines en passant par l’Hôtel de Ville », c’est le détail déclencheur, qui va déstabiliser complètement le monde qu’il s’est construit avec Véra, sa soeur, dans « notre Château ».

Hallucination d’Octave ? Univers kafkaïen ? Maison hantée ? Maison dotée d’un pouvoir ? Conte de fées dont Octave et Véra sont le Roi et la Reine ? Récit venu de l’au-delà ? Sans compter ce renversement de situation avec l’arrivée d’un troisième personnage inattendu, qui explique et complique l’histoire à la fois. Sans compter les multiples références aux romans gothiques qu’Emmanuel Régniez maîtrise parfaitement (il est l’auteur d’un ABC du gothique) et qui, il me faut l’avouer, m’échappent complètement vu mon vide abyssal en cette matière. Mais cela ne m’a empêchée de goûter l’étrange de ce premier roman. Qui, en plus, rend hommage aux livres de « notre Bibliothèque« .

Il ne me restera sans doute pas en tête longtemps mais il avait l’avantage d’être très différent de Guerre et Térébenthine que j’ai tellement aimé, il fallait quelque chose de spécial pour assurer la transition vers d’autres lectures…

« Je vais tout de suite dire quelque chose : ma sœur ne prend jamais le bus, ma sœur ne va jamais en ville. Elle déteste aller en ville. Elle déteste la ville. Elle déteste le bus et elle me dit chaque jeudi matin quand je pars pour la ville et que je vais prendre le bus : « Mais comment fais-tu pour prendre le bus ? Appelle un taxi. » Chaque jeudi matin, quand je quitte la maison pour me rendre en ville, ma sœur me rappelle son horreur du bus. Ma sœur me rappelle qu’elle n’a jamais pris le bus, qu’elle ne prendra jamais le bus. Ma sœur me rappelle qu’elle déteste le bus. Je sais pourquoi elle ne prend jamais le bus. Je sais pourquoi elle déteste le bus. Je sais aussi pourquoi elle ne comprend pas que moi je prenne le bus. J’y reviendrai. »

« Une maison qui contient beaucoup de livres est une maison ouverte au monde, est une maison qui laisse entrer le monde. Chaque livre qui entre est un fragment du monde extérieur et, tel un puzzle, quand nous posons ensuite le livre dans les rayons de Notre Bibliothèque, nous recomposons le monde, un monde à notre image, à notre pensée. »

« C’est difficile de ranger une bibliothèque. Quel ordre choisir? Comment faire pour s’y retrouver? Comment faire pour que les livres vivent bien ensemble? Peut-on séparer certains titres d’un même auteur? Peut-on mettre sur la même rangée de bibliothèque tel ou tel auteur ensemble? Qui doit être à la portée des yeux? Qui doit être à la portée de la main? Qui peut être caché? Qui doit être caché? C’est un art que celui de ranger une bibliothèque. »

Emmanuel REGNIEZ, Notre Château, Le Tripode poche, 2017 (1è édition en 2016)

Rendez-vous Mauvais genres aujourd’hui

 

Apprendre à lire

04 mercredi Avr 2018

Posted by anne7500 in De la Belgitude

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Apprendre à lire, Grasset, Le Mois belge, Premier Roman, Sébastien Ministru

Quatrième de couverture :

Approchant de la soixantaine, Antoine, directeur de presse, se rapproche de son père, veuf immigré de Sardaigne voici bien longtemps, analphabète, acariâtre et rugueux. Le vieillard accepte le retour du fils à une condition  : qu’il lui apprenne à lire. Désorienté, Antoine se sert du plus inattendu des intermédiaires  : un jeune prostitué aussitôt bombardé professeur. S’institue entre ces hommes la plus étonnante des relations. Il y aura des cris, il y aura des joies, il y aura un voyage.
Le père, le fils, le prostitué. Un triangle sentimental qu’on n’avait jamais montré, tout de rage, de tendresse et d’humour. Un livre pour apprendre à se lire.

Sébastien Ministru, auteur et acteur de théâtre, chroniqueur de radio, ajoute une corde à son arc en écrivant ce premier roman, sans doute un peu inspiré de ses origines sardes et de son vécu personnel, mais qui est bien une fiction. Son idée d’introduire un personnage de jeune prostitué pour apprendre à lire au père du narrateur est pour le moins originale. Il me faut avouer que j’ai bien aimé ce roman mais que je ne sais trop comment en parler…

J’ai aimé comment, au fur et à mesure que le vieil homme apprend à déchiffrer les mots, les phrases, son histoire et celle de son fils remontent à la surface alors que les deux hommes se sont éloignés l’un de l’autre par la difficulté, voire l’impossibilité de communiquer, par les non-dits, par le ressentiment. Ces souvenirs sont touchants, bien que ni le père ni le fils ne soient spécialement sympathiques : le vieux est acariâtre, indélicat, le fils est souvent cynique. C’est l’introduction du troisième personnage, le jeune homme qui se prostitue pour améliorer ses fins de mois tout en poursuivant ses études d’instituteur, qui fait évidemment bouger les lignes. Parallèlement le couple que forment Antoine (le narrateur)  et Alex évolue lui aussi. On sent bien l’influence du théâtre, milieu « naturel » de Sébastien Ministru, à travers ce procédé du triangle de personnages et à travers les dialogues incisifs. Mais il s’agit bien d’un roman, mené jusqu’à une fin qui le clôt élégamment. Il m’a manqué un peu d’émotion pour être vraiment emportée par ce premier roman mais ne manquez pas cette lecture fine et lucide, sans concessions.

« Sa vie et ses premières années passées à avoir peur seul dans la montagne n’avaient forcément rien d’héroïque, rien qui mérite qu’on puise la matière à construire un roman. Au plus profond de moi, je pensais que mon père ne pouvait pas intéresser les livres. »

Sébastien MINISTRU, Apprendre à lire, Collection Le courage, Grasset, 2018

C’est une lecture commune avec Marilyne – et mon quatrième billet qui commence par A 😉 Lisez aussi l’avis de Laeti.

   

 

 

Le fil des kilomètres

02 vendredi Fév 2018

Posted by anne7500 in Des mots du Québec

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Christian Guay-Poliquin, La Peuplade, Le fil des kilomètres, Premier Roman

Quatrième de couverture :

Un mécanicien décide de tout abandonner pour aller visiter son père malade, à l’autre bout du continent. Mais la route est longue à bord de la vieille bagnole et une étrange panne d’électricité, qui le poursuit, complique le trajet. Dans ce labyrinthe en ligne droite, le danger guette, l’essence se fait rare, la soif tenaille et les souvenirs montent des embuscades. En chemin, l’homme embarque une femme mystérieuse et un type excessivement volubile, qui provoqueront des détours inattendus. « La petite voiture rouge est bien chargée et vibre à toute allure sous le regard noir du soleil. » Pour toucher à son but.

Le fil des kilomètres est un voyage à la vitesse de la pensée où les accidents nous regardent droit dans les yeux.

Voilà un roman hypnotique, un road-movie sur fond de pré-apocalypse. Un homme roule, roule, roule, il déroule les kilomètres dans sa vieille voiture rouge, il veut absolument retrouver son père qu’il n’a plus vu depuis des années et qui est en train de perdre la tête à l’autre bout du continent. Une mystérieuse panne d’électricité touche tout le pays, entraînant désordre, panique, cambriolages, émeutes… à moins que ce ne soit des rumeurs. Dans le rétroviseur de l’homme, des lueurs d’incendie ou des lignes grises tandis que le soleil écrase sa voiture de chaleur. Les rencontres sont dangereuses sur cette route infinie, l’essence et la nourriture se font rares, tout se monnaye à prix d’or. Malgré tout l’homme (dont vous aurez compris que nous ne saurons pas le nom) embarque une femme puis un homme. Hasard ou coïncidence ?

221 pages égrenées en chapitres courts, au fil des kilomètres, comme un fil d’Ariane, où le style imagé, poétique entre en étrange alchimie avec le récit halluciné, hypnotique de Christian Guay-Poliquin. N’attendez pas de happy end au bout de la route mais vous aurez passé un voyage où la nature, le soleil, la forêt – la solitude – prennent le dessus sur un être humain bien fragile.

Ce premier roman nous offre une voix originale. J’ai hâte de découvrir la suite (qui peut se lire indépendamment), Le poids de la neige, qui a notamment obtenu le Prix France-Québec et est publié en France.

« En fait, même si, avec le temps, j’ai appris à faire parler les signes, à révéler le sens de certaines coïncidences, à converser avec les alentour,s ce dialogue avec le monde n’a jamais rien enlevé à l’opacité de ma solitude. Et je n’ai jamais su réellement nommer cet enchevêtrement des jours, ce martèlement géographique, ce tracé vaporeux qui fut le mien. Les explications m’ont toujours échappé. Et quand venait le temps de parler, je préférais me taire et me livrer aux voix déroutées qui gueulent dans la tête des naufragés. Les échanges avec mon père étaient brefs et on disait à peu près la même chose à chaque fois. On renouvelait les mêmes promesses en sachant qu’elles ne servaient qu’à amincir l’épais silence que nous partagions pourtant si bien. » (p. 62-63)

Christian GUAY-POLIQUIN, Le fil des kilomètres, La Peuplade, 2013

J’ai envie de lire un livre québécois par mois, le défi du Fil rouge m’y invite. En janvier, c’était un premier roman. Bon je suis un peu en retard mais je l’ai lu quand même…

 Objet

Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières

13 vendredi Oct 2017

Posted by anne7500 in Des Mots britanniques

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Barney Norris, Premier Roman, Rentrée littéraire 2017, Salisbury, Seuil

Quatrième de couverture :

« Le monde s’achève sans cesse autour de nous. Chaque mesure de notre partition appartient déjà au souvenir et à l’imagination au moment où nous la jouons. Autant l’écouter. »

C’est une soirée paisible à Salisbury. Quand soudain, non loin de la majestueuse cathédrale, un fracas de tôle froissée déchire le silence. Autour d’un banal et tragique accident de la route, cinq vies vont entrer en collision. Il y a Rita, gouailleuse et paumée, qui vend des fleurs au marché – et un peu d’herbe pour arrondir ses fins de mois. Il y a Sam, un garçon timide en proie aux affres des premières amours tandis que son père tombe gravement malade. George, qui vient de perdre sa femme après quarante ans d’une passion simple. Alison, femme de soldat esseulée qui sombre dans la dépression et se raccroche à ses rêves inassouvis. Et puis il y a Liam, qui du haut des remparts observe toute la scène.

Cinq personnages, comme les cinq rivières qui jadis se rencontrèrent à l’endroit où se dresse aujourd’hui la ville. Cinq destins, chacun à sa manière infléchi par le drame. Cinq vies minuscules, qui tour à tour prennent corps et voix pour se hisser au-delà de l’ordinaire et toucher au miraculeux.

Quand j’ai commencé ce roman, j’ai été immédiatement séduite par les premières pages sur la ville de Salisbury et conquise par l’histoire de Rita, qui m’a franchement fait sourire avant de tourner au tragique. Je me disais « Ah encore un Anglais qui sait raconter une bonne histoire ! ». Et cela a continué avec le deuxième et le troisième personnage, Sam un adolescent timide dont le père est en train de mourir d’un cancer et George, un vieil homme dont la femme vient de mourir. Rien d’amusant non plus dans la quatrième histoire, celle d’Alison, qui m’a d’abord paru très narcissique et bavarde mais dont je n’avais pas compris tout de suite la dépression. Barney Norris s’est glissé dans ces vies, ces personnalités si diverses avec une justesse et une empathie touchantes. Tous ces personnages se croisent de très courts moments, notamment lors d’un accident de la route qui cristallise tout. C’est aussi le dernier personnage, Liam, qui permet de boucler la boucle et de donner le sens global de ce roman. 

Il me semble que Barney Norris écrit avant tout un roman sur Salisbury, en mettant en scène cinq personnes qui correspondent aux cinq rivières qui se rejoignent dans la ville. A travers elles, il montre comment on s’inscrit dans un lieu, dans une époque, comment les lieux nous façonnent, tout autant que l’éducation que nous avons reçue, nos relations familiales et amicales, notre métier, nos occupations, nos valeurs. Pourquoi on en vient à quitter le lieu de nos racines et/ou à y revenir. Comment on peut s’enraciner dans un lieu pour (re)commencer notre histoire. J’ai l’impression que les cinq personnages de Barney Norris sont comme des gouttes d’eau qui se fondent dans les fameuses cinq rivières qui couleront bien longtemps après leur disparition, à l’instar de la cathédrale de Salisbury qui dressera encore longtemps sa flèche sur le paysage alentour. En même temps, chaque être humain a infiniment d’importance dans leur unicité et Rita, Sam, George, Alison et Liam nous offrent un cocktail d(humanité vue avec beaucoup de finesse et d’émotion.

J’ai donc passé un très bon moment avec ce premier roman !

Barney NORRIS, Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières, traduit de l’anglais par Karine Lalechère, Seuil, 2017

OMG mais on dirait que j’ai lu un deuxième roman de la rentrée ?!

J’habite la maison de Louis Scutenaire

21 vendredi Avr 2017

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin

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Louis Scutenaire, Pascale Toussaint, Premier Roman, Weyrich

Présentation de l’éditeur :

Louis Scutenaire est un de nos grands écrivains surréalistes belges. Ses amis, René Magritte, d’origine picarde comme lui, Paul Nougé, Marcel Mariën et beaucoup d’autres, étaient des familiers de la « Luzerne ».
Bien plus qu’une nouvelle biographie du poète, le roman ouvre un dialogue à travers le temps entre les occupants successifs de la maison schaerbeekoise.
On y découvre tour à tour la tendresse abrupte, l’impertinence débonnaire d’un personnage hors du commun et la complicité discrète dont l’auteure entoure l’évocation alternée de deux quotidiens entremêlés.

Cela fera trente ans le 15 août prochain que Louis Scutenaire est mort. Je ne le savais pas, c’est (presque) le hasard qui m’a fait choisir ce livre mais je suis contente de célébrer cet anniversaire ainsi. Signalons aussi que son grand ami, René Magritte, est mort le 15 août (la même date) 1967, un autre anniversaire qui se célèbre en Belgique cette année.

Il faut avouer que Scutenaire est bien moins connu que Magritte dans notre plat pays. Pascale Toussaint habite vraiment la maison que Louis Scutenaire et sa compagne Irène Hamoir habitaient à Schaerbeek, elle et son mari ont eu un coup de coeur pour « la Luzerne » et l’ont achetée aux enchères. Elle est située en face d’un hôpital psychiatrique, le Titeca. C’est là que Scut et sa femme ont entassé (surtout lui) les souvenirs d’une vie, des collections de livres, de journaux, de tableaux, d’objets chinés aux puces, au marché de la place du Jeu de balle. C’est là que le couple recevait les amis surréalistes belges, Paul Nougé, Marcel Mariën, Magritte bien sûr dont ils ont acquis des dizaines de toiles (beaucoup n’étaient pas du tout les « standards » les pus connus du peintre lessinois.) Ils s’amusaient à faire des farces, ils jouaient des saynètes filmées par Louis, ils imaginaient les titres des toiles de Magritte… Scut s’est mis à écrire pendant la guerre 40-45, une sorte de journal de bord qui sera publié plus tard (grâce à Paul Eluard) : Mes Inscriptions sont son oeuvre la plus connue (chaque titre de chapitre du roman est une Inscription) mais il a aussi écrit de nombreux poèmes. Il répugnait à se faire publier, n’aimait pas les cérémonies officielles, fuyait les personnalités, il vivait grâce à un emploi de fonctionnaire au ministère de l’intérieur où, le plus souvent, il dormait, écrivait ou… regardait par la fenêtre. Un personnage fantasque et attachant que Pascale Toussaint contribue à faire connaître en racontant sa vie et de multiples anecdotes savoureuses qu’elle entremêle (sans chercher de coïncidences forcées) avec le quotidien de sa propre famille. C’est peut-être un peu léger comme roman puisqu’il y a une grande part de biographie de Louis Scutenaire, le style est très simple, mais il y a l’avantage de la découverte de ce personnage haut en couleurs (et de sa femme). Et c’est un premier roman !

Une biographie de l’artiste ici.

Pascale TOUSSAINT, J’habite la maisonde Louis Scutenaire, Collection Plumes du Coq, Weyrich, 2013

Les éditions Weyrich ont quinze ans cette année !

Georges et les dragons

23 samedi Avr 2016

Posted by anne7500 in De la Belgitude

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Editions Luce Wilquin, Georges et les dragons, Jean-Pol Hecq, Le Mois belge, Premier Roman

Quatrième de couverture :

À l’été 1927, Maximilien Jelgersma débarque à Mons. Ce journaliste néerlandais prétend faire des reportages sur le Borinage, la reconstruction de l’après-guerre et la réalité sociale de la région montoise.
Sa motivation est toutefois plus personnelle : il recherche Georges, un de ses cousins disparu pendant la guerre. Au cours de son enquête, Max croise notamment le cinéaste Joris Ivens, en repérage pour son film Misère au Borinage, et Stefan Zweig, le célèbre écrivain autrichien. Il reçoit l’aide d’un sous-officier véreux, côtoie un drôle de psychiatre franc-maçon et la supérieure d’un couvent. Mais, surtout, il se lie d’amitié avec un homme paisible qui prétend avoir vu de ses propres yeux saint Georges voler au secours des Britanniques au plus fort de la bataille d’août 1914…
Qu’a réellement vu cet homme ce jour-là ? Et pourquoi y a-t-il tant de chevaux dans cette affaire ? Ils peuplent les cauchemars de Max, tirent le Car d’Or dans la Procession de la Trinité, sont les montures de saint Georges et des hommes du 2e régiment de Chasseurs à cheval ; ils forment les attelages des livreurs de bière… Peut-être sont-ils en fin de compte au cœur de l’énigme ?

Les traditions de Mons, la bataille de Mons des 23 et 24 août 1914, la légende des Anges de Mons… il n’en fallait pas plus pour me donner envie de découvrir ce premier roman, qui plus est publié par une maison dont j’apprécie le travail (et euh… bémol, j’ai repéré trois coquilles, je n’avais jamais vu ça chez Luce Wilquin).

Le contexte dans lequel Jean-Pol Hecq situe son roman est banal : bien des années après les faits, le narrateur/auteur prétend avoir retrouvé un cahier aux pages remplies d’une écriture serrée et des lettres dans une « cabane au fond du jardin » et il se fait un devoir de nous les restituer. Il s’agit donc d’un journal tenu par Maximilien Jelgersma lors d’un séjour à Mons à l’été 1927. Max recherche quelqu’un et on sent qu’il cache la véritable raison de cette enquête, il se fait passer pour un journaliste. Pour donner un peu de suspense (preuve s’il en était besoin que l’auteur a inventé toute son histoire), des rapports de police sont intercalés entre les pages du journal, qui demandent de surveiller les activités « d’éléments bolcheviques » dans la région montoise.

Au cours de ses recherches, Max rencontre des habitants du cru (et il ne comprend pas grand-chose au patois borain) mais aussi rien moins que l’écrivain Stefan Zweig, qui lui raconte notamment son amitié avec Emile Verhaeren, coupée nette par la guerre, et le cinéaste Joris Ivens (qui sera, bien après la deuxième guerre mondiale le mari de Marceline Loridan-Ivens, dont j’ai lu le bouleversant Et tu n’es pas revenu).

Max recherche donc un certain Georges, qui fut soldat dans l’armée belge et qui disparut lors de la bataille de Mons. J’ai craint que les rencontres et dialogues de Max ne soient que prétexte à raconter les traditions folkloriques de Mons (le Doudou, le combat de saint Georges contre le dragon, la montée du Car d’or sur la rampe de Sainte-Waudru) et cette fameuse légende de saint Georges apparaissant avec ses anges dans la nuit du 23 au 24 août 1914 pour permettre aux soldats britanniques encerclés par les Allemands de s’enfuir et de se regrouper au sud de la ville. Bien sûr, je connais déjà ces histoires et cela ne me dérange pas d’en apprendre quelques détails nouveaux, mais cela ne fait pas matière à un roman captivant.

Mais finalement, le dénouement de la quête de Max, un brin rocambolesque (je visualisais presque les scènes en format BD), et le dévoilement très touchant de l’identité réelle de Georges m’ont offert un petit pincement au coeur. Et j’ai trouvé l’explication psychanalytique de la légende des anges de Mons très intéressante (voire convaincante…)

Ce n’est pas le roman du siècle mais il m’a fait passer un bon moment et donné envie de me balader à Mons.

« Cette histoire est étrange. Il est fort possible que personne n’y accorde du crédit ou même que l’on m’accuse de supercherie ; j’en accepte le risque.
Après avoir longtemps gardé secret ce « dossier » constitué de bric et de broc, je me suis décidé à le dévoiler. Ce n’est ni de la littérature, ni une enquête policière. Tout au plus une échappée dans un défaut de la cuirasse du réel. Que celui qui lira les lignes qui suivent se forge sa propre opinion.
Cependant, pour commencer, je dois donner quelques explications sur la manière dont j’ai découvert cette affaire.
C’était il y a une vingtaine d’années, j’habitais alors un appartement situé dans le centre historique de Mons. » (Premières lignes)

Jean-Pol HECQ, Georges et les dragons, Editions Luce Wilquin, 2015

Billet spécialement programmé en la fête de saint Georges ce 23 avril

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Camille, mon envolée

22 vendredi Jan 2016

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Camille mon envolée, Philippe REy, Premier Roman, Rentrée littéraire 2015, Sophie Daull

Quatrième de couverture :

Dans les semaines qui ont suivi la mort de sa fille Camille, 16 ans, emportée une veille de Noël après quatre jours d’une fièvre sidérante, Sophie Daull a commencé à écrire.
Écrire pour ne pas oublier Camille, son regard « franc, droit, lumineux », les moments de complicité, les engueulades, les fous rires ; l’après, le vide, l’organisation des adieux, les ados qu’il faut consoler, les autres dont les gestes apaisent… Écrire pour rester debout, pour vivre quelques heures chaque jour en compagnie de l’enfant disparue, pour endiguer le raz de marée des pensées menaçantes.
Loin d’être l’épanchement d’une mère endeuillée ou un mausolée – puisque l’humour n’y perd pas ses droits –, ce texte est le roman d’une résistance à l’insupportable, où l’agencement des mots tient lieu de programme de survie : « la fabrication d’un belvédère d’où Camille et moi pouvons encore,
radieuses, contempler le monde ».

« Dans les jours d’après, nous distribuerons tes soixante-dix-sept peluches, une par une ou deux par deux, à des fossés dans les campagnes, à des clairières, à des rochers. C’est joli, ces ours, ces lapins, ces petits chats abandonnés sur les tapis de mousse, prenant la pluie sous les marguerites. »

—

Il m’a semblé logique d’enchaîner cette lecture avec celle de Chemin Saint-Paul, de Lise Tremblay : proximité de la mort, urgence d’écrire, de mettre des mots sur la souffrance.

J’ai lu ce livre assez vite, mais avec la nécessité de le reposer de temps en temps, tant j’avais une boule dans la gorge. J’ai lu ici ou là qu’il n’y avait pas de pathos, mais je dois avouer que j’ai souvent pleuré à cette lecture. Sophie Daull raconte l’agonie de Camille, ces quatre jours de fièvre terrible, à la maison, où ils reçoivent si peu d’attention des médecins, sauf le soir aux urgences où on continue à leur prescrire froidement du Doliprane, et ce dernier jour, les dernières heures, les dernières minutes où enfin, on s’acharne en vain pour la ranimer. Et puis les jours qui suivent, la sidération, le besoin immédiat d’écrire, les démarches épuisantes pour savoir, autoriser l’autopsie, organiser les funérailles de Camille. Le gouffre innommable qui s’est ouvert sous les pieds de son papa et de sa maman.

Mais attention, c’est vrai que le tragique est tenu à distance par un tas de détails : pas de charge contre le corps médical, juste un constat, et d’ailleurs, comme le dit Sophie Daull, ce n’est pas ça qui fera revenir sa fille ; certaines réactions maladroites, voire grotesques, que l’auteure n’a cessé d’observer et de rendre avec un sens de l’autodérision dont elle rirait encore avec Camille, puisque l’humour est leur marque de fabrique ; le cirque qu’est la tournée des pompes funèbres avant de trouver l’entreprise qui fera les choses dignement, simplement ; l’authenticité de Sophie Daull qui ne craint pas de raconter sans fard les « mauvaises pensées » ou les journées, les soirées qui ont suivi la mort de Camille, noyées dans les larmes, l’alcool et la fumée de marijuana, des soirées pour se mettre un peu de baume au coeur avec les copains. Leur infinie délicatesse aussi, ils attendent le soir de Noël pour prévenir leurs amis, pour ne pas leur plomber définitivement Noël, leur attention l’un à l’autre, entre père et mère. Autant de détails qui nous permettent, comme à elle, cette mère mise à nu, de garder la tête hors de l’eau, de reconnaître un sentiment, une émotion, d’être un peu surpris parfois et de toute façon, de nous sentir infiniment proches de Camille et de sa maman.

C’est du moins ce que j’ai ressenti, avant même de goûter la beauté de l’écriture, l’alternance entre les deux périodes d’écriture (qui participe aussi de l’effort de mise à distance), les images qui touchent, les sonorités qui rythment le récit de cette femme de théâtre. Je ne suis pas mère de famille mais je crois savoir pourquoi ce récit m’a tellement touchée. Vous me permettrez de le garder pour moi, je ne suis pas du genre à étaler ma vie privée, mais vous voudrez bien croire qu’il peut toucher le coeur de nombreux lecteurs. Et si vous n’avez pas (trop) peur de ce sujet, n’hésitez pas à vous plonger dans ce beau premier roman (sous cette magnifique couverture d’Eugène Boudin…) pour, à votre tour, continuer à faire vivre Camille.

« Dans cette maison, on s’aimait, on s’engueulait, on riait : on était délicieusement libres de s’aimer, de s’engueuler, de rire. Ton jeune sang et le nôtre, un peu plus épais formaient un fleuve intranquille où l’avenir battait pavillon.
C’est pour ça que je vivrai ta vie, que mon sang aura désormais toujours 16 ans. Tu me regarderas et me guideras selon ce que tu fus, ce que tu promettais, ce que tu aimais de moi. Je vais exister par en-dessous, par soustraction, par extension de toi, dans la copie de ta pudeur contre mon excentricité, de ta réserve contre mon exubérance, de ton repli contre mes tripes à l’air. » (p. 51)

« Mais je poursuis le récit, la mission. J’écris comme on dépollue les sols rendus infertiles par une catastrophe industrielle. » (p. 106)

« Tu sais, les gens sont terriblement gênés quand ils questionnent notre santé mentale.Ils ont des formules qui bégayent d’euphémismes maladroits. Ils disent: le « drame », la « tragédie », le « grand malheur qui vous est arrivé ». Ca donne des phrases comme: « Et tu arrives à dormir depuis le grand malheur qui vous est arrivé? » Alors de la même manière que je leur ai demandé de prononcer ton nom de temps en temps, je leur dis de simplifier, d’appeler les choses par leur nom, de dire: « La mort de Camille ». Ca donne: « Et tu arrives à dormir depuis la mort de Camille. Ce Grand Malheur s’appelle la Mort de Camille. Point barre. C’est aussi simple que ça. Je sens que ça leur paraît brutal, que ça déforme leur bouche. Mais tu n’es pas soluble dans les généralités. » (p. 176)

Sophie DAULL, Camille, mon envolée, Editions Philippe Rey, 2015

Sophie Daull a présenté son livre à la Grande Librairie en octobre 2015. (Je ne suis pas fan du tout de François Busnel mais qui peut mieux qu’elle parler de son livre, et j’ai bien aimé l’interaction avec Noëlle Châtelet et Yann Queffélec.)

L’avis d’Antigone, d’Eimelle et de Laure

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