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Archives de Catégorie: Des Mots français

Mille Mères

24 mercredi Mai 2023

Posted by anne7500 in Des Mots français

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nouvelles, Quadrature, Véronique Bitouzé

Quatrième de couverture :

Le département maternité d’une clinique, c’est un pêle-mêle de récits de vie. On y rencontre mille mères, des fières-comme-des-paons, des presque-mères, des désirantes, des abimées, des-je-fais-de-mon-mieux, des impatientes, des courageuses, des bébés-mères, des perdues, des éperdues.
Dans une maternité, la gravité et la légèreté se côtoient et nous font mesurer le prix de l’existence.

Chacune des courtes de ce recueil a pour titre le prénom d’un personnage, le plus souvent des femmes, des mamans ou des femmes qui aimeraient le devenir, qui peinent parfois à réaliser leur désir de maternité, et cela vaut aussi pour celles qui ont été jusqu’au bout de leur grossesse et ont du mal à nouer un lien avec leur bébé, pour diverses raisons. On rencontrera aussi des très jeunes femmes, l’une qui ne savait même pas qu’elle était enceinte, l’autre dont les parents vont gérer l’IVG comme si elle n’existait pas. Des femmes, des couples qui veulent des enfants, d’autres dont l’annonce d’une grossesse est presque une catastrophe. Il y a des hommes aussi, Teo le sagefemme, avec d’autres professionnels de la fertilité et de l’obstétrique, qui font de leur mieux – presque – pour accompagner ces femmes, ces couples. Et il y a Elisabeth Trautmann, la psychologue du service, qui écoute, absorbe les histoires, les émotions en mettant de côté les siennes.

Il y a beaucoup d’humanité dans ce service, de la joie et de la souffrance, du désir d’enfant qui peut devenir pathologique, des larmes et de l’espoir, beaucoup d’espoir et de foi en la vie. Véronique Bitouzé, elle-même psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité, s’est inspirée de son expérience pour nous livrer ces récits aux couleurs très variées. Les points de vue, le style d’écriture varient d’une nouvelle à l’autre. Souvent graves, émouvantes, elles peuvent se faire plus légères (une nouvelle à chute m’a fait éclater de rire).

Si le sujet ne vous paraît pas trop sensible, n’hésitez pas à faire connaissance avec Valentine, Jeanne, Mamie Brigitte, Rokia, Héloïse et les autres. Vous serez conquis.

Véronique BITOUZE, Mille Mères, Quadrature, 2023

La brigade de l’ombre 1 – La prochaine fois ce sera toi

12 vendredi Mai 2023

Posted by anne7500 in Des Mots en Jeunesse, Des Mots français, Des Mots noirs

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Gallimard jeunesse, Pôle Fiction, Vincent Villeminot

Quatrième de couverture :

À la tête de sa brigade de flics déjantés, Markowicz enquête sur des meurtres commis par d’effrayantes créatures. Parmi les cadavres, celui d’une adolescente atrocement mutilée sème le trouble: la victime était élève dans le même lycée que Fleur, la fille du commissaire…

Je ne sais pas si ce polar s’adresse bien aux ados, en tout cas je l’ai dévoré, avide de connaître la suite… comme les goules auxquelles s’attaque cette Brigade peu conventionnelle de flics tous mis sur la touche par leur hiérarchie. On peut penser à la bande de bras cassés de Poulets grillés mais ici, l’humour est noir, très noir, les membres de la Brigade sont chacun surdoué dans son genre et l’enquête policière est mâtinée de fantastique avec cette chasse aux goules. C’est tellement bien fait que je me suis demandé si ça existait vraiment (je sais, je suis bon public et bien naïve). Les personnages sont savoureux dans leur côté « borderline », les chapitres sont rythmés et l’auteur nous fait grâce d’un happy end, donnant ainsi bien envie de découvrir la suite de cette trilogie.

Vincent Villeminot dit s’intéresser à ce que la violence provoque chez ses personnages: une violence qu’ils ont subie ou fait subir avant d’entrer à la Brigade de l’ombre, une violence qu’ils observent et traquent au quotidien avec ces assassins attirés par la chair humaine, une violence qui touche aussi des êtres totalement innocents. Parmi la galerie de personnages, une mention spéciale au commissaire Markowicz, grand amateur de littérature classique et à sa plus jeune fille, Adélaïde, 10 ans, d’une intelligence hors du commun elle aussi.

Hâte de découvrir la suite !

« Adé avait beau avoir 10 ans à peine, des couettes auburn, une frimousse enfantine et des grands yeux de sucre candi sous ses lunettes d’écaille, elle adorait les tournures désuètes autant qu’elle haïssait le flou. Elle aimait aussi le passé simple, l’ensemble des subjonctifs, passer des heures à feuilleter le dictionnaire; elle parlait – et semblait penser – comme une vieille académicienne. »

« C’était comme des intuitions, qui le prévenaient de ce qui allait survenir. Markowicz n’avait jamais trouvé une description plus juste de ce que lui-même ressentait. – et qu’on appelait son instinct, son flair son « sixième sens ». Hier midi, dans la cour intérieure, devant le cadavre de la jeune fille éventrée et démembrée, il avait entendu la chanson de l’ennemi, et celle de la famille. Elles s’entremêlaient. Cela signifiait que quelqu’un en voulait à la famille – sa brigade, en l’occurrence, puisqu’il n’avait de facto plus de famille. »

Vincent VILLEMINOT, La Brigade de l’ombre 1 – La prochaine fois ce sera toi, Gallimard Jeunesse, Collection Pôle Fiction, 2019 (Casterman, 2016)

[Kokoro]

09 mardi Mai 2023

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Delphine Roux, Editions Philippe Picquier, Kokoro

Quatrième de couverture :

Seki pense que j’ai l’âge mental d’un gosse de dix ans, tout au plus, qu’il faudrait que je pense à grandir, à agir en homme.
Le mot homme a peut-être été inventé pour d’autres que moi.
Il ne fait pas partie de mon dictionnaire intime.

Dans ce roman se fait entendre une voix ténue et obstinée, attentive aux mouvements subtils de la nature et des âmes.
Koichi et sa sœur Seki n’avaient que douze et quinze ans lorsque leurs parents ont disparu dans un incendie. Depuis, ils ont le cœur en hiver.
Seki s’est réfugiée dans la maîtrise et la réussite professionnelle.
Corset diaphane à l’abdomen, stalagmites au cœur. Le début de l’ère glaciaire.

Koichi, lui, s’est absenté du monde, qu’il regarde en proximité.

Mais le jour où il apprend que sa sœur va mal, très mal, Koichi se réveille et pose enfin les actes qui permettront à chacun de renouer avec un bonheur enfoui depuis l’enfance.

Un Picquier francophone, ce n’est pas courant. Je l’ai choisi pour faire le lien avec le mois belge et les lectures francophones de ces dernières semaines, mais j’ai l’intention d’en lire un autre, japonais, d’ici la fin du mois de mai.

[Kokoro], cela veut dire coeur en japonais. Dans ce titre, ce coeur est enchâssé dans des crochets typographiques, comme tous les titres de chapitres constitués d’un mot japonais entre crochets et sa traduction. Je ne sais si c’est une habitude japonaise pour annoncer des traductions, en tout cas ces crochets ont pour moi une signification symbolique : ils enserrent le mot, tout comme le coeur de Koichi, le narrateur, est enserré dans les griffes du chagrin depuis le drame qui a tué ses parents. Le coeur de sa soeur Seki aussi, qui semble figé dans la glace.

Avec une grande simplicité, une économie de mots qui touche au coeur, Seki raconte le deuil, la séparation d’avec la maison familiale, la dureté de Seki qui ne sourit plus et veut tout contrôler de main de fer, la grand-mère à qui il est profondément attaché et qu’il a fallu placer en maison de retraite. En dehors de son travail qui lui permet de garder la discrétion et la réserve qui sont les siennes, Koichi se plaît dans sa solitude et ne fait pas grand-chose, à part observer la nature, pneser au passé, rendre visite à sa grand-mère avec des douceurs sucrées et à son ancienne maison. Malgré la froideur de sa soeur, il a gardé une connexion particulière avec elle, qui le réveille quand il comprend qu’elle est en difficulté.

De courts chapitres, des évocations déchirantes de douceur et de chagrin, la sensibilité de Koichi, la dureté de Seki, tout est passionnant dans ce court roman. Un coup de coeur plein de délicatesse !

« [Koudou suru, agir]

Seki a beaucoup d’activités en plus de son travail. Elle fait du yoga le mercredi midi, va au cinéma le mercredi soir et, chaque samedi matin, elle suit un cours de calligraphie à domicile.
Seki est une jeune femme moderne, dans l’écho des titres de magazines, dans la maîtrise du visible. Elle dit que je devrais faire comme elle, me bouger. Que je serais certainement mieux dans mes baskets. Ses conseils amplifient mon silence.
Mes baskets et moi, je crois, nous nous entendons joyeusement.
(p. 10)

« [omocha, jouet]

Mon salon est un terrain de souvenirs.
Sur les étagères, le canapé, la table basse, cohabitent train électrique, kokeshis anciennes, boîtes à musique, peluches.
Ces jouets sont ceux du passé, je n’en ai acheté aucun.
Ils m’appartenaient, appartenaient à ma sœur, à mes parents.
Tous gardent trace de récits oniriques, de doigts enfiévrés, de corps en mouvement. J’ai tout gardé. Seki voulait tout jeter. J’ai tout gardé. »
(p. 35)

« [negai, vœu le plus cher]

Un jour, alors que nous allions pique-niquer pour fêter Hanami, grand-mère m’offrit un Daruma. Suivant la tradition, je dessinai en noir une première pupille sur cette figure de papier mâché et fis le vœu de voir à nouveau sur le visage de ma grande sœur le sourire plein d’Okame.

Le Daruma est aujourd’hui sur ma table de nuit. Toujours malvoyant.

Mon souhait s’est perdu dans le vent des cyclones et les ondées d’orage. » (p. 53)

« Dans ton jardin secret, n’oublie pas un carré pour les mauvaises herbes. » (p. 77)

« Le parfum de la monitrice me rappelle les vacances à la mer.
Ma mère s’enduisait la peau de monoï. Le monoï a l’odeur de la joie, du sucre qui ravit. Le monoï est l’allié du ciel bleu, un liquide à bonheur. »
(p. 89)

« Sur les aires d’autoroutes, petit clan groggy de kilomètres, nous marchions pour dégourdir nos corps. Peut-être nos passés. Et puis il y avait les azalées en fleurs. Les corbeaux en quête de desserts abandonnés. Les bancs de pierre blanche sur les gazons galeux. Seki ne m’adressait la parole que pour l’essentiel. Je n’en désirais pas plus. Je savais qu’il faudrait du temps pour que les chocs de toutes ces années sourdes se muent en cicatrices douces au toucher. Je me disais qu’un jour viendraient les paroles libres, tranquilles. Seki savait que je savais. » (p. 106)

Delphine ROUX, [Kokoro], Editions Philippe Picquier, 2015

Un Picquier par mois en 2023

Tenir sa langue

25 samedi Mar 2023

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Editions de l'Olivier, Polina Panassenko

Quatrième de couverture :

« Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. »

Elle est née Polina, en France elle devient Pauline. Quelques lettres et tout change.

À son arrivée, enfant, à Saint-Étienne, au lendemain de la chute de l’URSS, elle se dédouble : Polina à la maison, Pauline à l’école. Vingt ans plus tard, elle vit à Montreuil. Elle a rendez-vous au tribunal de Bobigny pour tenter de récupérer son prénom.

Ce premier roman est construit autour d’une vie entre deux langues et deux pays. D’un côté, la Russie de l’enfance, celle de la datcha, de l’appartement communautaire où les générations se mélangent, celle des grands-parents inoubliables et de Tiotia Nina. De l’autre, la France, celle de la materneltchik, des mots qu’il faut conquérir et des Minikeums.

Polina Panassenko a fait un roman de son exil russe en France et de son « intégration » grâce au changement de prénom. En retrouvant son regard d’enfant, elle raconte l’appartement communautaire à Moscou où sa famille vivait avec les grands-parents, son attachement à son grand-père, compagnon de jeux et de promenades qui prennent du relief dans le souvenir, elle évoque les nuits blanches de sa grand-mère un peu mystérieuse mais pilier tacite de la maisonnée. Un jour l’Union soviétique implose et ses parents décident de partir. La famille atterrit à Saint-Etienne et la petite Polina découvre le français et ses bizarreries. Elle comprend que quand on lui dit « Ca va ? », on lui demande si elle va bien mais pourquoi les Français utilisent-ils le mot russe qui veut dire « hibou » pour demander si on va bien ? Quand on l’envoie à l’école, que sa mère lui vend comme la « materneltchik », avec le suffixe russe -tchik qui adoucit tout, la petite fille est baignée de force dans un univers et une langue inconnus, au point qu’elle se tait à longueur de journée scolaire. L’été, la famille retourne en Russie et passe les vacances à la datcha, où il ne faut pas se trahir et révéler qu’on habite en France.

Polina se construit ainsi entre deux langues, entre deux cultures, entre deux prénoms. Pauline et le français au dehors, Polina et le russe au dedans. Si la légèreté et l’humour sont bien présents dans ce premier roman, Polina Panassenko y a placé des sujets graves : l’exil, l’identité, l’intégration forcée (comme celle de ses grands-parents, Juifs forcés de changer leur nom), l’accueil de l’étranger (et la pseudo-ouverture aux autres cultures), le deuil, d’autant plus douloureux quand il est vécu à distance. A noter que ce roman intelligent est écrit en français, langue finalement adoptée par l’auteure.

« On me parle encore et encore de la langue qu’il me manque. La langue du français. C’est pour elle que je dois y aller. Je dois retourner à la materneltchik pour qu’elle me pousse. Tu la chanteras comme un oiseau, tu verras. Tchik-tchirik, fait le moineau. Mais j’ai déjà une langue. Qu’est-ce qui lui arrivera ? Tchik-tchik, font les ciseaux. Je pense aux queues des lézards que j’attrape à la datcha. Si on le touche, elles se détachent. On voit le moignon rose et les chairs à vif. La queue s’agite encore un peu et puis c’est fini. C’est une queue morte. On enferme le lézard dans le terrarium. Quelques jours plus tard une nouvelle queue lui pousse. C’est pour ça qu’il faut aller à la materneltchik. »

« Quand je me réveille, le mur est froid, j’ai une sensation étrange dans la bouche. Ça me gratte. La langue, la gorge, le palais. Ça me démange, comme la croûte du genou écorché. J’ai la bouche astringente. Ça vient d’en bas, de l’intérieur de la gorge. Une envie de la gratter au-dedans. Dans un dessin animé qui se passe dans la jungle, j’ai vu un ours gros et gros se gratter avec un palmier. C’est ça que je voudrais faire. Je tousse un peu, je grogne. Je pousse quelques sons aspirés, gutturaux ? ça soulage. C’est un trop-plein de russe resté coincé pendant la materneltchik ou bien c’est le français qui s’installe et se met à l’expulser ? J’ai la langue qui me gratte. » (p. 70)

« Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l’abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m’amène de nouveaux mots, vérifie l’état de ceux qui sont déjà là, s’assure qu’on ne n’en perd pas en route. Elle surveille l’équilibre de la population globale. le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français Gardienne d’un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules et glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les russes, parfois mêmes copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrape. » (p. 107-108)

Polina PANASSENKO, Tenir sa langue, Editions de l’Olivier, 2022

Le gang des vieux schnocks

22 mercredi Mar 2023

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots en Jeunesse, Des Mots français

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Florence Thinard, Gallimard jeunesse, Pôle Fiction

Quatrième de couverture :

Un jeune à capuche a arraché le sac de cette brave Rose-Aimée! Papi Ferraille le sait, il a tout vu. Alors avec Gisèle, une ex-coiffeuse au look improbable, et Victor, le vieux rebelle qui détourne les affiches publicitaires, ils décident de montrer à ce gamin de quel bois ils se chauffent! Jules, 14 ans, n’est pas près d’oublier la leçon que lui prépare le Gang des Vieux Schnocks…

Il y a les Vieux Fourneaux en BD et il y a le Gang des Vieux Schnocks en littérature jeunesse. Il est composé de Papi Ferraille, un exilé de la guerre civile espagnole, Gisèle, retraitée de la coiffure très à cheval sur la politesse et les principes, Victor qui tague les affiches publicitaires avec ironie et Rose-Aimée, délicieuse vieille demoiselle à la santé fragile. C’est suite à l’agression de celle-ci par un « yeune à capouche » que les quatre vieux se sont rencontrés et ne se quittent plus. Objectif numéro un : continuer à mener des actions contre cette société anti-vieux qui leur laisse à peine les moyens de survivre. Objectif numéro un bis : donner une bonne leçon au jeune agresseur qui, c’est sûr, reviendra chez Rose-Aimée se servir puisqu’il a volé ses clés. Oui mais voilà, le petit jeune à capuche qui débarque effectivement chez Rose-Aimée est un jeune ado paumé, en rupture scolaire, bien près de devenir un délinquant. Sa jeune mère célibataire, trop occupée à gagner de quoi vivre, le croit naïvement dans le droit chemin. Alors le quatuor de vieux schnocks se met en devoir d’occuper Jules pour qu’à la fois il paie sa dette à Rose-Aimée et obtienne son brevet des collèges. En attendant la fin de l’année scolaire, il y aura du travail, de la mécanique sur 4L, de la vaisselle, du travail, des moelleux au chocolat faits maison, le chien Youki, des règles de politesse, du travail, du travail et… beaucoup de tendresse.

De Florence Thinard, je connaissais déjà Un boulot d’enfer, où j’avais déjà apprécié l’humour et la tendresse de l’autrice sur un sujet difficile. On les retrouve ici, avec plus de légèreté mais les thèmes de la société de consommation, du rejet des vieilles personnes, de la précarité sont bien présents, et bien sûr les rencontres inter-générationnelles qui mettent du baume au coeur. La citation épigraphe m’a déjà fait rire, et pourtant on ne peut pas dire que son auteur soit un grand comique en littérature : « Ce n’est pas parce qu’on a un pied dans la tombe qu’on doit se laisser marcher sur l’autre. » (François Mauriac) Tout est dit, n’est-ce pas ?

« L’homme recula de trois pas pour juger de son œuvre et Gisèle put lire:
ASSURANCES OBSÈQUES :
LE SAPIN C’EST BIEN.
LE CHÊNE C’EST MIEUX.
Halte aux pubs mensongères! Signé: les vers.
L’homme peaufina le point d’exclamation, rangea son petit matériel et saisit son cabas. »

« – Il n’aboie plus , remarqua Victor.
– No, il a compris. il est très intelligenté, raconta Papi Feraille en tapotant le crane pelé du roquet. D’abord, yé lui ai donné ouné bonné soupé. eet quand il a aboyé, yé loui ai donné mon pied au coul. il a arrêté tout dé suite. »

Florence THINARD, Le gang des vieux schnocks, Gallimard Jeunesse, Collection Pôle Fiction, 2022 (Gallimard Jeunesse, 2019)

Une bonne lecture jeunesse en ce temps de vacances.

Le bureau d’éclaircissement des destins

15 mercredi Mar 2023

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Archives Arolsen, Gaëlle Nohant, Grasset

Quatrième de couverture :

Au cœur de l’Allemagne, l’International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d’investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu’elle élève seule depuis son divorce d’avec son mari allemand. 
A l’automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?

Avec ce roman, je découvre la plume – agréable – de Gaëlle Nohant. Ma libraire préférée m’a dit que son écriture est encore plus belle dans L’ancre des rêves, son premier roman. C’est normal : ici, l’autrice a choisi l’angle de l’enquête, de l’Histoire, des objets confisqués à des personnes déportées par les nazis.

Nous suivons donc Irène – au prénom tellement approprié – dans sa quête minutieuse, obsessionnelle pour retrouver les descendants des déportés à qui elle pourrait remettre une poupée de chiffons, un médaillon ou autres objets très modestes. Elle travaille pour l’ITS (International Tracing Service) basé à Arolsen dans le nord de l’Allemagne, un centre (qui existe vraiment et s’appelle en réalité le Centre d’archives d’Arolsen) qui a recueilli les archives de la déportation et des persécutions nazies sur 17 km de linéaire (ça aussi, c’est le chiffre réel). Dans cette mission de restitution des objets volés, elle va être amenée à voyager de Thessalonique à Varsovie, de l’Europe à l’Amérique du Sud en passant par le camp d’extermination de Treblinka et le camp de femmes de Ravensbrück. Elle va se focaliser particulièrement sur le destin de Lazar Engelmann, rescapé de Treblinka et de Wita Sobiecki, morte à Ravensbrück. Au cours de son enquête, nous (re)découvrons avec elle les persécutions les plus ignobles que les SS ont fait subir aux Juifs, aux femmes, à tous ceux qui n’entraient pas dans leur « idéal » aryen : transports en wagons à bétail, sélections, travail forcé, expériences médicales, résistance et destruction du ghetto de Varsovie, programme Lebensborn, sans oublier la fuite des bourreaux à la fin de la guerre, les entraves aux enquêtes, les témoignages glaçants des employés des camps et le difficile devoir de mémoire des Allemands.

Comme nous l’a expliqué Gaëlle Nohant, en tournée en Belgique ces derniers jours, l’écriture du roman s’est basée sur un important travail de documentation (fait notamment en ligne pendant le confinement, grâce aux archives numérisées d’Arolsen) et si toutes les personnes et les histoires individuelles qu’elle raconte sont fictives, elles auraient parfaitement pu exister. Certes on a déjà lu beaucoup sur la Shoah mais ici, le point de vue original est celui de ces enquêtes à partir d’objets. Et parfois, comme dans le roman, même si le passé saute parfois à la figure de descendants qui ne connaissaient rien ou presque de l’histoire de leurs aïeuls, se voir restituer ces maigres objets perdus leur permet de s’approprier leur passé familial, de l’apaiser quelque peu en en recueillant une trace tangible. L’autrice a pu participer à la restitution d’un objet par Georges Sougné, un bénévole belge qui aide le Centre d’Arolsen : nous avons pu aussi entendre avec Gaëlle Nohant le témoignage émouvant de ce monsieur.

Ce roman est vraiment très beau, très fort, par la richesse des personnages et des situations, par sa construction maîtrisée de bout en bout, par le magnifique personnage d’Irène, par le message positif apporté malgré l’horreur des camps et la difficulté à appréhender cette réalité sans l’avoir vécue. Gaëlle Nohant n’use pas de facilité pour nous tirer la larme, ce sont ses personnages qui nous touchent, nous émeuvent. Elle-même, comme Irène, a souvent été envahie par son sujet pendant l’écriture du livre. A sa lecture, bien qu’il soit passionnant, j’ai eu besoin de ménager quelques pauses pour « souffler » si j’ose dire. Cette lecture demande de l’attention car il n’est pas évident de retenir tous les noms des déportés et de leurs descendants mais elle en vaut vraiment la peine, même si vous avez l’impression d’avoir lu beaucoup sur le sujet.

L’autrice fait dire à un de ses personnages : « Ne pas laisser leur mort éclipser leur vie. » et « Quelquefois, en cherchant les morts, on trouve des vivants. » C’est un beau message pour nos démocraties. C’est un grand livre.

« Au fond du parc, les bâtiments modernes abritent des dizaines de kilomètres d’archives et de classeurs que l’on pourrait longer des heures sans entendre les cris, les silences qu’ils renferment . Il faut avoir l’oreille fine et la main patiente. Savoir ce que l’on cherche et être prêt à trouver ce que l’on ne cherchait pas. » (p. 11-12)

« Elle ne rencontre jamais les descendants qui viennent à Bad Arolsen. Elle confie à d’autres le soin d’accueillir ceux qui voudraient savoir mais tremblent d’être fixés. Qui ont grandi avec ce voile, cette nuit à l’intérieur. Elle se protège de leur désarroi, de leur reconnaissance. Ce n’est pas pour la mériter qu’elle se donne tant de mal. Irène obéit à un appel plus souterrain. Elle raccommode des fils tranchés par la guerre, éclaire à la torche des fragments d’obscurité. Sa mission terminée, elle s’efface. Elle ne veut pas entrer dans leur vie, ni qu’ils entrent dans la sienne. Il n’y a que les morts qu’elle n’arrive pas à tenir à distance. » (p.79-80)

« Le lendemain il fait encore nuit quand elle part pour Ludwigsburg:
Quatre heures plus tard, elle sonne à la porte d’un bâtiment qui se fond avec discrétion dans le paysage. De l’extérieur, nul ne peut soupçonner qu’il est protégé par des portes blindées et des coffrages d’acier, ni qu’il conserve près de deux millions de dossiers sur les criminels nazis. L’Office central d’enquête sur les crimes du national-socialisme a été créé ici en 1958. À l’époque, la majorité de leurs auteurs vivaient au grand jour sans être inquiétés, ou avaient été amnistiés après quelques années de prison. Ils avaient recouvré leur position dans la société, exigeaient qu’on leur paye leurs arriérés de pension. La population allemande ne voulait plus de procès nazis. L’Office central, comme on l’appelle ici, a été aussi fraîchement accueilli que l’International Tracing Service »
(p. 321)

« – On ne veut pas d’un musée où on pleure sur les victimes en s’achetant une conscience, précise la jeune fille. Nous, on veut faire réfléchir les gens à la continuité de l’histoire, aux nouvelles formes du fascisme. Aujourd’hui on brûle des foyers de migrants et les caravanes des Roms. On rejette les transgenres, les homosexuels, les juifs, tous ceux qui dérangent… Il est temps d’ouvrir les yeux. »

Gaëlle NOHANT, Le bureau d’éclaircissement des destins, Grasset, 2023

River

07 mardi Fév 2023

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots en Jeunesse, Des Mots français

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Claire Castillon, Gallimard jeunesse, Pôle Fiction, River

Quatrième de couverture :

River, c’est ma sœur. Ma sœur en moche, ma sœur en noir, ma sœur qui n’a rien à voir avec moi. On partage la même chambre, on respire le même air, mais je la plains et je m’en veux. Elle m’adore et je la comprends. Je suis la fille idéale de nos parents. Elle, comment dire… Vous connaissez le vilain petit canard ?

Sa soeur aînée raconte River, une ado de quatorze ans qui ne coche pas toutes les cases de la « normalité » : elle a du mal à gérer ses émotions, on se demande à la lecture de ses « exploits » si elle n’est pas schizophrène à moins qu’elle ne souffre de troubles autistiques. En tout cas, elle a bien réussi à semer le désordre dans sa famille qui fait tout pour l’aimer telle qu’elle est, surtout sa mère qui se dévoue corps et âme pour elle, et surtout sa différence la met à la merci d’une horrible bande de quatre garçons harceleurs et racketteurs qui la poursuivent constamment au collège. Evidemment, on ne dénonce pas des harceleurs, sous peine de subir encore pire. Heureusement, River a une connexion particulière avec sa grande soeur, qui l’aide à tenir et à résister tant bien que mal.

Je n’avais jamais rien lu de Claire Castillon avant ce roman jeunesse qui, en moins de 200 pages, aborde les thèmes de la différence, du harcèlement, de la famille, de l’amour entre soeurs dans une narration originale, tendue, qui ne m’a pas fait lâcher le bouquin tant il était prenant. Dans ma grande naïveté, je n’ai pas vu venir le twist final ou plutôt, c’est tout l’art narratif de l’autrice, justement, qui a créé pour moi cette surprise. Claire Castillon ne nous épargne rien de l’horreur du harcèlement subi par River et de l’impossibilité pour elle de dénoncer ses tortionnaires : Alanka et les trois T sont de véritables crapules à la mécanique bien huilée et on frémit à l’idée de ce que ces ados deviendront à l’âge adulte. Heureusement – on est quand même dans un roman jeunesse – la fin laisse entrevoir de l’espoir.

« River a une intelligence « particulière », ce qui signifie rapide et inconsciente, elle a un humour « à elle », parce qu’elle rit fort quand elle fait un bon mot généralement mauvais, le plus souvent pourri. Elle est aussi dotée d’un tempérament « bien entier », l’obligeant à osciller d’une humeur à l’autre aussi prestement qu’une balle rebondissante. Elle monte et elle descend, elle alterne entre un mal-être profond, voire insondable, et une gaieté quasi hermétique, autrement dit entre une « tristounesse » (mot magique de maman pour dépression) et une « joie en boucle » (mot magique de maman pour survoltage) » (p. 7)

« Si de grands bras lui manquent, elle approchera papa et le canapé, s’installera discrètement à côté de lui pour regarder le rugby. Il l’appellera « mon coeur » plusieurs fois parce qu’il aime bien quand elle se glisse dans sa vie comme dans un lit, muette, presque endormie, sans rien froisser. » (p. 36)

Claire CASTILLON, River, Gallimard Jeunesse, Collection Pôle Fiction, 2021 (Gallimard Jeunesse, Scripto, 2019)

Sur le thème du harcèlement, on peut lire le tout aussi excellent Miettes (Humour décalé) de Stéphane Servant.

La pointe du compas

18 mercredi Jan 2023

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots en Jeunesse, Des Mots français

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Actes Sud Junior, Anne Rehbinder, D'une seule voix

Quatrième de couverture :

« Ma mère m’a dévoilé la magnifique et exaltante autoroute des femmes : ‘Fais un métier pour aider les autres, les écouter, les soutenir, les comprendre. Accueille, câline, cajole, rassure, réconforte. Sois dine, sensible, belle, savant, inspirante, désirable… baisable.’ Mais non, c’est ma mère, évidemment elle ne m’a pas dit ‘baisable’. Ca, c’est même sa grande terreur. »

Tessa porte un jogging homme XXL, comme une carapace contre le monde et les diktats imposés aux filles. Elle veut vivre son genre comme elle l’entend.

A seize ans, Tessa a cessé de suivre le modèle de fille imposé par sa mère. Finis les vêtements ajustés, les mini-jupes, les épilations programmées, tout l’attirail destiné destiné à séduire la gent masculine. Ce faisant, elle rejette également les clichés, les « stéréotypes de genre » dont on rebat régulièrement les oreilles des filles. Mais il y a quand même une contradiction entre cette volonté maternelle d’exhiber le corps parfait de sa fille et sa trouille à l’idée que quelqu’un puisse en profiter malhonnêtement. Quel est le secret de ce paradoxe ?

Inutile d’en dire plus sur ce texte court, qui fait partie de la collection « D’une seule voix » d’Actes Sud Junior et est donc destiné à être lu, dit à haute voix. Le langage claque, l’humour, l’auto-dérision accompagnent les thèmes très actuels et les questionnements de Tessa. Il est question de genres, de rôles assignés, de libération féminine, un combat toujours à mener, et d’un autre thème que je ne tiens pas à « divulgâcher ». Il faut le lire aussi pour comprendre le sens du titre.

Miettes (Humour décalé) de Stéphane Servant aborde une partie de ces thèmes, du point de ve d’un adolescent et j’avoue que je l’ai trouvé plus percutant que ce texte-ci. Non que La pointe du compas manque d’intérêt mais je trouve que l’autrice a voulu aborder trop de thématiques super importantes et le format court m’a donné l’impression d’une association de thèmes un peu artificielle. Mais ce livre est hautement recommandable, surtout pour des ados qu’un long texte rebute.

Anne REHBINDER, La pointe du compas, Actes Sud Junior, Collection D’une seule voix, 2022

Thérèse Desqueyroux

15 dimanche Jan 2023

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Classique, François Mauriac, Le Livre de poche, Thérèse Desqueyroux

Quatrième de couverture :

A Argelouse, petit village entouré de landes et de pins, les mariages sont arrangés pour aller les familles et réunir les terrains. Thérèse Larroque devient ainsi Mme Desqueyroux, femme singulière d’un homme ordnaire, enfermée dans sa solitude, piégée par le poids du clan et des intérêts, les convenances et les rumeurs.

Ce roman envoûtant de Mauriac est celui d’une femme prisonnière, un être « coupé de tout, de tous les côtés », une héroïne sombre qui tentera ainsi, quoi qu’il en coûte, sans plus de scrupules, de se libérer du joug de son mariage et du destin qu’on lui impose.

Quand, il y a quelques semaines, Marilyne a proposé une lecture commune autour de l’auteur François Mauriac, j’ai sauté sur l’occasion pour relire ce roman au personnage assez fort pour lui donner son titre. Je l’ai lu il y a longtemps, en fin de secondaire, et j’ai pris beaucoup de plaisir à sa relecture. Je craignais qu’il ne soit vieilli, mais pas du tout, du moins à mes yeux. Bien sûr, il a été publié en 1927, à l’époque les jeunes femmes passent de la tutelle de leur père à celle de leur mari et il faut le lire ainsi, dans ce contexte social. Désolée pour ceux qui ne l’ont pas lu, je vais sans doute dévoiler des éléments importants de l’intrigue.

C’est un roman très court, 140 pages environ, où les choix narratifs et le traitement du temps son très intéressants. Dans la majeure partie du texte, un narrateur externe raconte la fin de journée et la longue soirée où Thérèse Desqueyroux vient de bénéficier d’un non-lieu pour la tentative d’empoisonnement de son mari Bernard et où elle rentre à Argelouse, en train et en carriole, pour retrouver son mari dans la maison familiale. Durant ce voyage interminable, Thérèse se souvient de sa propre histoire et dresse la confession qu’elle veut adresser à son mari. Jeune femme éduquée, intelligente, sans doute plus que les autres de son milieu, singulière – ne serait-ce que par les cigarettes qu’elle enchaîne régulièrement – elle a suivi les conventions de son milieu et a épousé Bernard Desqueyroux, lui apportant des pinèdes et des sources de revenus assez importantes. Très vite, elle va se lasser de cet homme aux goûts un peu frustes. Elle n’a pas non plus l’instinct maternel, sa jeune belle-soeur Anne semble avoir un meilleur contact avec sa propre fille. Une après-midi de canicule et d’incendie, elle saisit l’occasion d’empoisonner peu à peu Bernard à l’arsenic. Elle le fait apparemment sans affect particulier, avec détachement. Quand elle rentre à Argelouse, Bernard lui signifie sa décision : certes il a témoigné de telle sorte que le scandale soit étouffé mais il ne veut plus rien avoir d’intime avec Thérèse, qu’il garde pourtant sous surveillance étroite. Quelques pages pour narrer l’enfermement physique et mental de la jeune femme et quelques pages encore pour comprendre comment elle en sort.

Un roman très court donc, très ramassé, dont le personnage féminin est omniprésent et complexe, sans doute parce qu’elle ne comprend pas clairement elle-même ses propres aspirations ni comment les réaliser sans passer par le modèle tout fait proposé aux femmes de son milieu et de sa génération. J’ai lu dans la postface que Thérèse Desqueyroux est sans doute homosexuelle et qu’elle n’a même pas conscience de cette orientation sexuelle (on est dans les année 1920, rappelons-le). J’avoue que cette « explication » ne m’a même pas effleuré l’esprit mais c’est vrai qu’en contrepoint du couple formé par Thérèse et Bernard, il y a Anne, la soeur de Bernard, à qui Thérèse était très liée avant son mariage, et Jean Azévedo, un jeune homme dont Anne s’est entichée avec passion et que sa famille refuse de la voir épouser sous peine de mésalliance.

Pour me souvenir un peu du Mystère Frontenac, lu aussi en secondaire, je croyais que la religion tenait une grande place aussi dans ce roman , mais en fait pas vraiment, sinon que Thérèse n’a aucun scrupule, on la sent athée, elle suit simplement les convenances de sa belle-famille, en pressentant dans la solitude du jeune prêtre de la paroisse la même solitude que la sienne, le même enchaînement.

« Que peut-elle redouter ? Cette nuit passera, comme toutes les nuits ; le soleil se lèvera demain : elle est assurée d’en sortir, quoi qu’il arrive. Et rien ne peut arriver de pire que cette indifférence, que ce détachement total qui la sépare du monde et de son être même. Oui, la mort dans la vie : elle goûte la mort autant que la peut goûter une vivante. »

« Elle ne comprendrait pas que je suis remplie de moi-même, que je m’occupe toute entière. Anne, elle, n’attend que d’avoir des enfants pour s’anéantir en eux, comme à fait sa mère, comme font toutes les femmes de la famille. Moi, il faut toujours que je me retrouve; je m’efforce de me rejoindre… »

« Les êtres que nous connaissons le mieux, comme nous les déformons dès qu’ils ne sont plus là ! Durant tout ce voyage, elle s’était efforcée à son insu, de recréer un Bernard capable de la comprendre, d’essayer de la comprendre ; mais, du premier coup d’œil, il lui apparaissait tel qu’il était réellement, celui qui ne s’est jamais mis, fût-ce une fois dans sa vie, à la place d’autrui ; qui ignore cet effort pour sortir de soi-même, pour voir ce que l’adversaire voit. »

Merci à Marilyne d’avoir proposé cette lecture commune autour de François Mauriac, j’ai vraiment apprécié ma relecture et le style de l’auteur, son intelligence romanesque, son art de faire sentir l’enfermement intime de Thérèse en le liant à la nature environnante.

« Et c’était le silence : le silence d’Argelouse ! Les gens qui ne connaissent pas cette lande perdue ne savent pas ce qu’est le silence : il cerne la maison, comme solidifié dans cette masse épaisse de forêt où rien ne vit, hors parfois une chouette ululante (nous croyons entendre, dans la nuit, le sanglot que nous retenions). »

François MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, Le Livre de poche, 2022 (c’est la 95è édition au Livre de poche !) (Bernard Grasset, 1927)

Marilyne a choisi Le Noeud de de vipères. Voyons aussi les choix des autres participants.

Et maintenant j’aimerais vraiment relire Madame Bovary et Le grand Meaulnes.

En 2023, le Livre de poche fête ses 70 ans.

Gabriel Peri

04 mercredi Jan 2023

Posted by anne7500 in Des Mots en Poésie, Des Mots français

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Max Ernst, Paul Eluard

Un homme est mort qui n’avait pour défense 
 Que ses bras ouverts à la vie
 Un homme est mort qui n’avait d’autre route
 Que celle où l’on hait les fusils
 Un homme est mort qui continue la lutte
 Contre la mort contre l’oubli

Car tout ce qu’il voulait
 Nous le voulions aussi
 Nous le voulons aujourd’hui
 Que le bonheur soit la lumière
 Au fond des yeux au fond du cœur
 Et la justice sur la terre

Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits 
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amis

Ajoutons-y Péri
 Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
 Tutoyons-le sa poitrine est trouée
 Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
 Tutoyons-nous son espoir est vivant.

Paul ELUARD, Au rendez-vous allemand, Éditions de Minuit, 1945

Pour ce premier rendez-vous poétique avec Marilyne, qui vous propose de lire Jacques Prévert, j’ai choisi ce poème de Paul Eluard. Poème de la Résistance (Gabriel Peri était un journaliste apprécié des résistants et fusillé par les Allemands en 1941), il est toujours d’actualité.

Et bien sûr, le bonheur et les mots des deuxième et troisième strophes, je les prends à mon compte pour vous souhaiter une belle année 2023.

En contrepoint, une lithographie de Max Ernst, Un chant d’amour, 1958.

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"Un seul soupir du chat défait tous les noeuds invisibles de l'air. Ce soupir plus léger que la pensée est tout ce que j'attends des livres."

Christian BOBIN, Un assassin blanc comme neige, Gallimard

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