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Archives de Tag: Gallimard

Le coeur converti

24 vendredi Août 2018

Posted by anne7500 in De la Belgitude

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2018, Gallimard, Le coeur converti, Stefan Hertmans

Quatrième de couverture :

Lorsque Stefan Hertmans apprend que Monieux, le petit village provençal où il a élu domicile, a été le théâtre d’un pogrom il y a mille ans et qu’un trésor y serait caché, il part à la recherche d’indices. Une lettre de recommandation découverte dans une synagogue du Caire le met sur la trace d’une jeune noble normande qui, à la fin du onzième siècle, convertie par amour pour un fils de rabbin, aurait trouvé refuge à Monieux. 
La belle Vigdis est tombée amoureuse de David, étudiant à la yeshiva de Rouen. Au péril de sa vie, elle le suit dans le Sud, commence à prier son dieu et devient Hamoutal. Son père ayant promis une forte somme à qui la ramènerait, des chevaliers se lancent à sa poursuite.  (…)

(J’arrête là la quatrième de couverture, qui en dit beaucoup, je trouve.)

Quand Babelio m’a proposé de recevoir le deuxième roman traduit de Stefan Hertmans, je n’ai pas hésité une minute, vu le merveilleux souvenir de lecture que fut Guerre et térébenthine.

Dans ce roman, Stefan Hertmans s’intéresse à nouveau à l’histoire et il y a dans sa quête un lien personnel, mais cette fois il nous emmène au Moyen Age, à la fin du XIè siècle, sur les traces d’une jeune femme d’origine normande et chrétienne, convertie au judaïsme par amour pour le fils du Grand rabbin de Narbonne venu faire ses études à Rouen. La belle Vigdis Adelaïs deviendra donc une fugitive, elle deviendra aussi Hamoutal, nom que lui donne David Todros. Par amour, la jeune femme deviendra donc prosélyte dans la religion juive et toute sa vie en sera déterminée à jamais : on peut dire qu’elle ne connaîtra jamais le repos, à peine quelques mois de répit de temps en temps. Dans cette France à la fois hostile (nature sauvage, brigands et vagabonds de toutes sortes) et « étroite » (le réseau de chevalerie s’étend sur tout le territoire), elle va être régulièrement poursuivie parce qu’elle a commis la pire trahison possible en se convertissant au judaïsme. Les relations entre juifs et chrétiens sont tendues et en cette fin de siècle, les équilibres fragiles vont basculer avec l’appel à la première croisade lancé par le pape Urbain II.

C’est à Monieux, petit village au sud-est du mont Ventoux, que la violence va se déchaîner, arrachant à Hamoutal ce qu’elle a de plus cher. Monieux, c’est le lien entre l’auteur et son héroïne : c’est là que Stefan Hertmans passe les étés depuis de nombreuses années. Comme il l’écrit en exergue de son roman, « ce livre s’inspire d’une histoire vraie. Il est le fruit à la fois de recherches approfondies et d’une empathie créative. » L’empathie, c’est une qualité indéniable de monsieur Hertmans depuis son roman sur son grand-père. Ici il s’attache aux pas d’Hamoutal, à ses doutes, ses angoisses, ses questions, il la suit pas à pas de Rouen à Narbonne puis de Monieux à Fustat en Egypte, il observe les étapes du dépouillement total auquel elle sera soumise.

En même temps, il dresse un tableau extrêmement bien documenté de cette époque, de ce Moyen Age encore assez obscurantiste, il raconte les débuts de la première croisade dans des scènes pleines de couleurs et de violence, il nous introduit au plus près des coutumes, des rites et des prières judaïques Les thématiques de l’exil et de l’ouverture (ou non hélas) aux étrangers, aux différents, aux autres, tout simplement, sont toujours d’actualité. Tout en déroulant sa fresque, Stefan Hertmans nous parle aussi de ses recherches sur le pogrom de Monieux et sur cette femme à protéger, munie d’une (authentique) lettre de recommandation écrite par le rabbin Obadiah.

J’ai été emportée par l’histoire d’Hamoutal, j’ai particulièrement été touchée par le chamboulement intérieur total que vit la jeune femme par sa conversion : bien qu’instruite, elle ne peut s’en ouvrir à personne, pas même à son mari, sa solitude ira grandissant et c’est très émouvant. Mais peut-être l’auteur est-il tellement proche de son personnage que cela crée une petite distance avec le lecteur, c’est en tout cas ce que j’ai ressenti (j’ai un peu de mal à l’exprimer bien clairement – peut-être que c’est personnel aussi : j’ai tellement aimé Guerre et térébenthine, dont le sujet est plus proche dans le temps et dans l’espace, ça m’a tellement émue que je suis peut-être un peu plus sévère avec ce roman-ci). Cela dit, Le coeur converti est un très beau roman que je vous recommande pour son contexte historique, religieux, social, et pour ce destin de femme hors du commun.

« Sous le régime féodal, le fossé entre pauvres et riches s’est creusé ; les frustrations du peuple et la rancune contre les nantis, le clergé et la noblesse, se sont accumulées. Mais les chevaliers sont invincibles, aussi les gens du peuple et leurs prêtres choisissent-ils une cible plus facile pour exprimer leu mécontentement : les juifs qui se sont enrichis par les prêts, les intérêts et les remboursements, eux qui sont les assassins du Christ. Coiffés de vieilles marmites et de poêlons, dans une lamentable tentative d’imiter les chevaliers en armure, ils se regroupent avec pour seules armes leurs fléaux, leurs fourches à purin et leurs couteaux émoussés ; ils sont chaussés de sabots et leurs lanières de cuir mal jointes ; ils suivent les troupes bien ordonnées, éblouis par la splendeur des cuirasses, les parures bigarrées des chevaux, les plumes et les casques. Ils s’enivrent, abusent des femmes de la communauté et prient dans la journée pour une indulgence totale : plus ils tueront d’ennemis du Rédempteur, plus ils auront de chance de sauver leur âme. » (p. 174)

« Dans la fumée des foyers allumés pour brûler les ordures, je sens de l’encens et de la myrrhe, le feu du monde ancien. J’éprouve la curieuse envie de traîner ici, d’entrer quelque part, de m’asseoir pour ne plus me lever ; puis je me rends compte que je suis indiscret et dois poursuivre ma route. Mais ces quelques centaines de mètres à travers ce quartier très ancien me marqueront à jamais comme un voyage court, intense, à travers le temps, pendant lequel j’ai respiré, senti et vécu quelque chose qui m’a fait atterrir dans l’histoire après laquelle j’ai couru pendant tout ce temps. » (p. 281)

Stefan HERTMANS, Le coeur converti, traduit du néerlandais par isabelle Rosselin, Gallimard, 2018

Un très grand merci aux éditions Gallimard et à Babelio pour l’envoi de ce livre !

 

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Expo 58

02 samedi Juin 2018

Posted by anne7500 in Des Mots britanniques

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expo 58, Gallimard, Jonathan Coe

Quatrième de couverture :

Londres, 1958. Thomas Foley dispose d’une certaine ancienneté au ministère de l’Information quand on vient lui proposer de participer à un événement historique, l’Exposition universelle, qui doit se tenir cette année-là à Bruxelles. Il devra y superviser la construction du Pavillon britannique et veiller à la bonne tenue d’un pub, Le Britannia, censé incarner la culture de son pays. Le jeune Foley, alors qu’il vient de devenir père, est séduit par cette proposition exotique, et Sylvia, son épouse, ne voit pas son départ d’un très bon œil. Elle fera toutefois bonne figure, et la correspondance qu’ils échangeront viendra entrecouper le récit des nombreuses péripéties qui attendent notre héros au pays du roi Baudouin, où il est très vite rejoint par de savoureux personnages : Chersky, un journaliste russe qui pose des questions à la manière du KGB, Tony, le scientifique anglais responsable d’une machine, la ZETA, qui pourrait faire avancer la technologie du nucléaire, Anneke, enfin, l’hôtesse belge qui va devenir sa garde rapprochée… 
Coe embarque le lecteur dans une histoire pleine de rebondissements, sans que jamais la tension ne retombe ou que le ridicule ne l’emporte. Sous la forme d’une parodie de roman d’espionnage, il médite sur le sens de nos existences et dresse le portrait d’un monde disparu, l’Angleterre des années 1950, une société tiraillée entre une certaine attirance pour la liberté que semble offrir la modernité et un attachement viscéral aux convenances et aux traditions en place.

Pour le premier rendez-vous du Mois anglais, j’ai choisi ce roman de Jonathan Coe, ce qui me donnait un autre regard sur l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958. D’emblée, Jonathan Coe explique très pédagogiquement le pourquoi de cette expo, en deux pages au bout desquelles il introduit son héros Thomas Foley, un petit Anglais très ordinaire dont le monde va s’ouvrir avec excitation à l’occasion de ces six mois qu’il passera à Bruxelles, à la tête du pub anglais ouvert pour l’occasion. Au Britannia, Thomas sera témoin (à l’insu de son plein gré) du rapprochement (ou pas) entre les USA et l’URSS, en la personne d’Emily Parker, démonstratrice d’aspirateur et d’Andrey Chersky, journaliste soviétique. Il vibrera pour Anneke, la jolie hôtesse belge et fera de son mieux pour être un bon citoyen et sujet de Sa Majesté la Reine d’Angleterre. 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que sous des dehors de roman léger, Jonathan Coe est extrêmement bien documenté sur cette Expo universelle (il ne faut pas attendre sa longue liste de remerciements pour s’en convaincre) : il dit avoir été fasciné par l’Atomium et l’Expo 58 à la suite d’une interview par la radio flamande sur les lieux mêmes de la manifestation, qui aura duré six mois. Il glisse quantité de détails véridiques sur l’architecture des pavillons nationaux, les lieux de divertissement du parc, les personnes qui travaillaient sur le site, dans un récit enlevé et évidemment plein d’humour. Il s’amuse à parodier les romans d’espionnage, multipliant les références à Ian Fleming notamment et mettant en scène un couple d’espions, Wayne et Radford, sorte de Dupont et Dupond aux dialogues aussi improbables qu’hilarants. Son sens de l’observation est vif et mordant, comme toujours.

Chez Jonathan Coe, le diable est dans les détails : connaissez-vous les coussins coricides Calloway ? saviez-vous que dans les paquets de chips Smith de 1958, le sel était placé à part dans un petit sac spécial ? Ces purs produits de la technologie anglaise jouent un rôle non négligeable dans ce roman jubilatoire dont les pages se tournent toutes seules.

« – Euh… il y a cette perte, bien sûr, repris promptement Cooke, même s’il était clair que ce n’était pas ce dont il parlait au premier chef, vous avez notre sympathie quant à vos, vos débuts dans la vie, disons. Entre le pub, et les, les origines belges, vous avez dû vous sentir lourdement handicapé. »

« Que voulait dire être britannique, en 1958 ? On n’en savait trop rien. L’Angleterre s’enracinait dans la tradition, c’était un fait acquis : ses traditions, le monde entier les admirait et les lui enviait avec son panache et son protocole. Mais en même temps, elle s’engluait dans son passé : bridée qu’elle était par des distinctions de classe archaïques, sous la coupe d’un Establishment porté au secret et indéboulonnable, l’innovation l’effarouchait. Bref, à vouloir définir l’identité britannique, fallait-il plutôt se tourner vers le passé ou vers l’avenir ? »

« Les toilettes jouent un rôle crucial dans la vie quotidienne. C’est vrai, nous y passons tous, n’est-ce pas ? Nous faisons tous… – Il déglutit avec effort – … nous faisons tous, après tout.
– Nous faisons tous, Mr Sykes ? Nous faisons tous quoi ?
– Enfin… à quoi bon prétendre le contraire, n’est-ce pas, au fond ?
– Pour l’amour du ciel, de quoi parlez-vous ?
– Vous le savez bien, nous faisons tous la grosse commission.
– La grosse commission ?
– Précisément, s’écria Gardner, en se levant d’un bond pour arpenter le tour de la table. Skyes a mis le doigt dessus. Nous faisons tous la grosse commission, sir John, même vous !
(…)
En avez-vous fini, Gardner ? Puis, prenant son silence pour un acquiescement, il ajouta : « Puis-je faire observer que, à l’entrée du Pavillon que vous vous proposez de défigurer avec vos obscénités, les visiteurs trouveront un portrait de sa Majesté la Reine ? »

La citation qui risque de créer un grave problème diplomatique entre l’Angleterre et la Belgique 😉 « Le fait est que ces Belges sont plus andouilles que nature, ils connaissent rien à la bière, et d’ailleurs rien à rien. »

Jonathan COE, Expo 58, traduit (remarquablement) de l’anglais par Josée Kamoun, Gallimard, 2014

 Art

Un certain M. Piekielny

15 mardi Mai 2018

Posted by anne7500 in Des Mots français

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F.-H. Désérable, Gallimard, Romain Gary, Un certain M. Piekielny

Quatrième de couverture :

« »Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny… » 
Quand il fit la promesse à ce M. Piekielny, son voisin, qui ressemblait à « une souris triste », Roman Kacew était enfant. Devenu adulte, résistant, diplomate, écrivain sous le nom de Romain Gary, il s’en est toujours acquitté : « Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédéral de Berne à l’Élysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme », raconte-t-il dans La promesse de l’aube, son autobiographie romancée. 
Un jour de mai, des hasards m’ont jeté devant le n° 16 de la rue Grande-Pohulanka. J’ai décidé, ce jour-là, de partir à la recherche d’un certain M. Piekielny.

Si je cherche dans mes souvenirs de lectrice, j’ai déjà lu des romans comme Agatha Christie, le chapitre perdu qui imagine ce qu’a fait la romancière quand elle a disparu quelques jours en 1926, ou des romans mettant en scène des personnages bien réels, mais jamais un roman qui même aussi intimement son auteur et un autre auteur.

François-Henri Désérable aime et connaît profondément Romain Gary, cela se sent. C’est un concours de circonstances qui l’amène à Vilnius, au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, là où a habité celui qui s’appelait alors Roman Kacew. Et il est capable de se réciter de mémoire : « Au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilmo, habitai un certain M. Piekielny. » Cette phrase de La Promesse de l’aube que M. Piekielny, « la souris triste à la barbe roussie par le tabac », prenant au sérieux les rêves fous de Mina, la mère de Roman, demande au garçon de répéter devant tous les grands de ce monde qu’il rencontrera quand il sera célèbre.

Alors François-Henri, F.-H., entreprend une vaste enquête pour retrouver la trace de ce M. Piekielny, homme discret qui a fini une balle dans la nuque au bord d’une des centaines de tombes creusées par et pour les Juifs autour de Wilno (l’actuelle Vilnius). Et ce faisant il évoque forcément l’auteur Romain Gary, à la fois d’après ce qu’il raconte de lui dans La Promesse de l’aube et d’après des documents historiques. Et un auteur parlant d’un auteur parle forcément aussi de lui-même, de son rapport à la littérature, à l’écriture. Et en littérature, la frontière entre la fiction et la réalité est soit aussi épaisse qu’une feuille e papier à cigarette, soit aussi opaque qu’un écran de fumée bien entretenu…

Enquête littéraire, hommage à Romain Gary, célébration de la littérature, plongée dans le passé éclairant le présent, Un certain M. Piekielny, c’est tout cela à la fois et c’est un livre très plaisant à lire : la plume de François-Henri Désérable est vive, pétillante, pleine d’humour, elle sait aussi se faire grave et émouvante quand elle évoque la fin des Juifs de Wilno ou quand l’écrivain-enquêteur se heurte à des impasses. Mon seul petit point d’interrogation, c’est pourquoi on a qualifié ce livre de roman. Peut-être parce que F.-H. enjolive lui aussi la réalité, comme Romain et sa fabuleuse mère ? En tout cas cela donne envie de se replonger dans les romans de… Roman.

« Gary, on le voit, ne faisait pas la guerre. Qu’est-ce que c’est d’ailleurs que la guerre ? Le massacre de gens qui ne se connaissent pas, disait Paul Valéry, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. Un amplificateur d’héroïsme et de bassesse. La meilleure part de hommes, et la pire. La fureur de vivre décuplée par l’imminence de la mort. et aussi, pour les Français de Londres, un salon mondain sous les bombes. » (p. 109)

« C’est peut-être ça et rien de plus, être écrivain : fermer les yeux pour les garder grands ouverts, n’avoir ni Dieu, ni maître et nulle autre servitude que la page à écrire, se soustraire au monde pour lui imprimer sa propre illusion. »  (p. 121)

« C’était à Roger Grenier qu‘il fallait poser la question. Roger Grenier, quatre-vingt-quinze ans, écrivain, éditeur chez Gallimard où depuis 1949, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, il se rend à pied chaque jour que Dieu fait. Pendant longtemps, son rituel fut le même, immuable et sacré : levé a six heures, deux minutes plus tard il était sous la douche, à six heures douze il se rasait, à six heures vingt il enfilait un pantalon puis boutonnait sa chemise, entre six heures vingt-cinq et six heures cinquante il buvait son café en lisant les journaux, à sept heures moins cinq il passait autour de son cou une cravate qu’une minute après il avait fini de nouer, à sept heures moins une il chaussait ses lunettes, et a sept heures précises, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige il sortait de chez lui, rue du Bac, qu’il descendait d’un pas ferme sur lequel les habitants du VII‘ arrondissement réglaient leurs petites habitudes : le voyant qui passait devant ses fenêtres, le boulanger savait qu’il était temps de sortir son pain du four, la mère de famille de réveiller ses enfants, le facteur d‘enfourcher sa bicyclette et de commencer sa tournée. de sorte que, le 3 décembre 1980, au lendemain de la mort de son cher Romain. quand Roger Grenier. accablé de tristesse, dut garder le lit, il y eut des baguettes trop cuites, des enfants en retard à l’école et du courrier non distribué. L’anarchie. » (p. 136)

François-Henri DESERABLE, Un certain M. Piekielny, Gallimard, 2017

Le billet très attirant de Kathel

Après cete lecture, c’est décidé, je passe quelques jours avec Romain Gary.

Guerre et Térébenthine

20 vendredi Avr 2018

Posted by anne7500 in De la Belgitude

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Gallimard, Guerre et Térébenthine, Première guerre mondiale, Stefan Hertmans

Quatrième de couverture :

Quand Stefan Hertmans entreprend la lecture des centaines de pages de notes laissées par son grand-père, il comprend que cette vie-là vaut la peine d’être racontée. Une enfance très pauvre à Gand, le rêve de devenir peintre, puis l’horreur de la Grande Guerre dans les tranchées de Flandre sont les étapes d’une existence emblématique de tout un siècle. Mais l’histoire de cet homme nommé Urbain Martien ne se réduit pas à ce traumatisme et, grâce à son talent de conteur, Hertmans nous fait ressentir à quel point la peinture mais également un amour trop tôt perdu auront marqué l’existence de son grand-père. 
Ce récit restitue avec une grande sensibilité un parcours marqué par la césure indélébile que représente la Première Guerre mondiale dans notre histoire collective et individuelle. Stefan Hertmans nous donne à lire une poignante saga familiale et un panorama puissant du siècle dernier.

J’ai refermé ce roman avec beaucoup d’émotion…

Ce livre dense est divisé en trois parties : la partie centrale est constituée du cahier de mémoire de la guerre 14-18 écrit par Urbain Martien (« Mon nom se prononce ‘Martine’, pas ‘Martien’.C’est l’équivalent de Martinen Flamand, à vos ordres. ») et elle est entourée du récit que fait Stefan Hertmans sur la vie de son grand-père avant et après cette guerre. Le carnet de souvenirs personnels a la place centrale car c’est cette guerre qui détermine toute la vie de cet homme.

Mais avant, il y a la naissance en 1891 et l’enfance dans un quartier pauvre de Gand, Céline la mère venue d’un milieu bourgeois, qui s’est « déclassée » en épousant l’homme qu’elle aime, Franciscus, le peintre de fresques à la santé délicate, employé par des institutions religieuses. Le catholicisme marque profondément cette famille, Urbain en particulier, dans cette ville de Gand où on parle français (car à ‘époque, les francophones étaient dominants en Belgique, le flamand parlé dans les couches populaires n’était pas reconnu à égalité avec le français). L’enfance et l’adolescence d’Urbain sont marquées par son amour fervent pour ses parents, sa mère digne, maîtresse femme, son père avec qui il passe de longues heures à l’observer en train de peindre et dont il voit la santé se dégrader progressivement jusqu’à une mort prématurée. Ses rêves de devenir peintre à son tour s’effacent devant la nécessité du travail, très rude dans une fonderie, et finalement une formation militaire qui l’amènera aux portes de la guerre avec le grade de caporal.

Urbain raconte ensuite sa guerre : la résistance de l’armée belge démolie par la puissance de feu allemande, la déroute qui accule les Belges sur la rive gauche de l’Yser, l’inondation de la plaine et l’enterrement dans les tranchées avec toute la misère et le danger que l’on sait. Urbain est un personnage emblématique de la Belgique de l’époque : il a le sens de l’honneur et du sacrifice, des valeurs balayées par les exactions allemandes et l’horreur des tranchées ; mais le jeune homme fait obstinément son devoir, il se distingue courageusement et est blessé à trois reprises. (Il passera deux séjours de convalescence en Angleterre, où il découvrira par hasard le travail de son père lors d’un séjour à Liverpool.). Les années 1917 et 1918 sont marquées par des mouvements de rébellion dans les armées, d’autant que les « troufions » flamands sont souvent méprisés par les officiers francophones et que la bravoure flamande n’est pas reconnue à sa juste valeur. Et pourtant Urbain Martien (devenu premier sergent-major) vivra tout le reste de sa vie dans les valeurs et le sens du devoir d’avant 1914.

Après la guerre, il y a enfin la rencontre avec celle qui sera le grand amour de sa vie après sa mère, Maria Emelia elle aussi bien trop tôt partie. Et puis c’est une vie de devoir, de rigueur, de dignité, marquée notamment par le port du même costume noir strict  et de la lavallière, et en même temps d’une vie intérieure, intime  tellement secrète, impossible à exprimer sauf peut-être dans la peinture, dans les nombreuses copies de tableaux célèbres où Urbain excelle. Bien des années après sa mort, le petit-fils Stefan se mettra sur les traces de ce grand-père tant aimé en observant les toiles, en en trouvant de cachées, en se promenant sur les lieux où a vécu et combattu le jeune homme, en évoquant ses souvenirs les plus marquants (notamment celui de la montre du grand-père) et en leur donnant du sens. 

C’est un roman de mémoire, d’amour familial, le roman d’un grand-père et de son petit-fils, le roman d’un petit homme aux yeux de l’Histoire mais qui s’y est inséré avec grandeur, le roman d’une région, la Flandre, de ses traditions sociales et religieuses, de ses combats qui marquent toujours aujourd’hui le paysage politique belge, un roman de guerre, de peinture et de musique. C’est aussi un roman magnifiquement écrit (et traduit, forcément), avec ses phrases amples, ses évocations sensibles, sa pudeur émouvante. C’est un grand roman flamand. Un grand roman belge.

« Ma besace était raidie par la boue et la crasse ; près d’une ferme abandonnée, nous rinçâmes nos affaires. Je découvris mon matériel de dessin, que j’avais presque oublié, un fusain et un crayon ; les quelques feuilles que j’avais apportées de la maison étaient couvertes de taches de boue. La gorge serrée, je m’assis contre un tronc d’arbre et dessinai le paysage ravagé, les ruines, les cratères formés par les bombes, les corps, les souches d’arbres pulvérisées, le cheval mort que je vis suspendu à un orme brisé, tout droit, la tête ensanglantée à moitié arrachée, horriblement tordue, formant un contraste saisissant avec, dans l’arrière-plan, le ciel frais du matin, les pattes entremêlées comme des branches dans les restes de l’arbre. »

« Il y a dans l’ethos disparu du soldat à l’ancienne quelque chose qui, pour nous, contemporains d’attentats terroristes, de jeux vidéo violents, est encore à peine concevable. Dans l’éthique de la violence est intervenue une rupture de style. La génération de soldats belges qui fut conduite dans la gueule monstrueuse des mitrailleuses allemandes au cours de la première année de guerre avait encore grandi selon l’éthique exaltée du dix-neuvième siècle, avec un sentiment de fierté, un sens de l’honneur et des idéaux naïfs. Leur morale de guerre tenait pour vertus essentielles : le courage, la maîtrise de soi, l’amour des longues marches, le respect de la nature et de son prochain, l’honnêteté, le sens du devoir, la volonté de se battre, si nécessaire, d’homme à homme. […]
Toutes ces vertus d’une autre époque furent réduites en cendres dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale. » 

« Passion secrète, doctrine secrète qui ne nous apprend rien. Fidèle à ce qui n’était pas, mais qui déterminait tout, donnait forme, accordait une signification secrète. Le plus important, il ne pouvait le partager avec les autres. Alors il peignait des nuages, des arbres, des paons, la plage d’Ostende, une basse-cour et des natures mortes sur des tables à moitié débarrassées, un immense travail de deuil, silencieux, dévoué, pour apaiser les pleurs du monde jusque dans les choses les plus quotidiennes. »

Stefan HERTMANS, Guerre et Térébenthine, traduit du néerlandais (Belgique) par Isabelle Rosselin, Gallimard, 2015

L’avis de Marilyne

Quai des enfers

11 vendredi Août 2017

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français, Des Mots noirs

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Folio policier, Gallimard, Ingrid Astier, Paris, Quai des enfers, Seine

Quatrième de couverture :

Dans l’aube fantomatique de l’hiver parisien, la Brigade fluviale découvre une barque amarrée au quai des Orfèvres. A l’intérieur, le cadavre d’une jeune femme drapée de blanc et la carte de visite d’un célèbre parfumeur.

Le commandant Desprez de la Criminelle, aidé de la Fluviale, se trouve embarqué dans une enquête obsédante. Au fleuve sondé répond la mémoire remuée. La Seine, en ses méandres, charrie de noirs secrets. Alors, l’histoire peut dériver…

En juillet, j’ai passé deux jours à Paris, c’était l’occasion de sortir de ma PAL ce premier roman d’Ingrid Astier à la Série noire. Comme par hasard, il faisait très chaud ces jours-là et Quai des enfers m’a transportée dans une atmosphère de froid polaire sur les bords de la Seine : le dépaysement (et le rafraîchissement) peut prendre de multiples visages ! Tiens, des visages, il y en a de bien jolis parmi les mortes que charrie le fleuve : l’équipe du commandant Desprez est narguée sous ses propres fenêtres puisque le premier cadavre est découvert à l’aplomb des bureaux du 36 quai des Orfèvres. L’enquête va investiguer dans les milieux de la mode, de la parfumerie, de l’art contemporain et va croiser des personnages vénéneux des nuits parisiennes nourries de drogue et de heavy metal. C’est passionnant parce qu’on sent qu’Ingrid Astier aime la Seine et Paris, qu’elle s’est documentée très soigneusement sur la Brigade fluviale, les méthodes de la Crim’, la pêche, la parfumerie, l’art contemporain pour ne citer que ces thématiques. Elle offre aussi de nombreuses références historiques ou mythologiques. Elle prend son temps pour installer son histoire et son ambiance glaçante à travers le travail d’une équipe assez sympathique mais elle ne ménage pas son lecteur en lui offrant des rebondissements, tant prévisibles qu’inattendus. Ajoutez à cela un style travaillé, imagé et musical parfois – et pour ceux qui aiment ça, une play-list très actuelle et bien fournie – et vous aurez la recette d’un polar maîtrisé. A lire en hiver si vous préférez accorder la saison de lecture à l’intrigue.

« Quai de la Rapée.

Un drôle de nom où finissaient les morts violentes, subites ou suspectes. Des qualificatifs qui débutaient comme la vengeance, le venin, la vipère, le sexe, les sévices ou les supplices. La Rapée, on ne savait plus vraiment si c’était un commissaire des guerres civiles de Louis XV ou un vin de piquette qui grisait l’esprit : un vin de râpure autrement nommé rapé. En tout cas, avant les tremplins bétonnés et la dentelle métallique du pont, s’épanouissaient des vignes, des marronniers et même un étang : l’étang du Berci, quand l’eau se la filait douce depuis Montreuil avant d’embrasser la Seine. Un temps s’égaya une guinguette : la guinguette des Grands Marronniers, où l’on venait danser pour se goinfrer de matelote et de friture. Aujourd’hui, on était loin de l’orangerie et de la ménagerie du sieur de la Rapée. 

Pourtant, la morgue valait tous les cabinets de curiosités. » (p. 45)

Ingrid ASTIER, Quai des enfers, Gallimard, 2010 (Folio Policier, 2012)

Pour faire bonne mesure, j’ai enchaîné avec un livre en rapport avec le paradis. 😉

Le tort du soldat

16 mardi Mai 2017

Posted by anne7500 in Des Mots italiens

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Erri De Luca, Gallimard, Le tort du soldat

Quatrième de couverture :

Un vieux criminel de guerre et sa fille dînent dans une auberge au milieu des Dolomites et se retrouvent à la table voisine de celle du narrateur, qui travaille sur une de ses traductions du yiddish. En deux récits juxtaposés, comme les deux tables de ce restaurant de montagne, Erri De Luca évoque son amour pour la langue et la littérature yiddish, puis, par la voix de la femme, l’existence d’un homme sans remords, qui considère que son seul tort est d’avoir perdu la guerre…

Voilà un texte qui n’a rien de très attirant a priori mais c’est un double récit qui se déroule peu à peu et dévoile ses liens internes, ses valeurs, un désir de vie et de vérité. Ce mot de vérité, cette valeur est centrale : c’est le mot de la fin d’un livre en yiddish que le narrateur traduit, mais ce chapitre final n’est peut-être pas la vraie fin du livre en question… ; c’est une vérité de façade que l’ancien criminel de guerre tente de maintenir à tout prix pour échapper aux chasseurs de nazis, un mensonge qui cache la version de l’histoire qu’il souhaite entretenir. Lié à ce thème de la vérité, celui des mots, particulièrement les mots et la culture yiddish, entièrement disparus avec la shoah, que le narrateur a besoin de prononcer à haute voix pour les faire (re)vivre, respirer, tandis que le vieux criminel y cherche vainement l’explication paradoxale de l’échec du troisième reich. D’autres correspondances traversent c texte, comme celle de la nudité, mais je ne veux pas vous en dire trop, ce serait déflorer ce court récit de 89 pages. J’ai aimé y retrouver la sobriété et la profondeur du style d’Erri De Luca, qui aime toujours la montagne, comme en témoigne le second extrait que je vous propose.

« Les immigrés du ghetto tentaient de sauver les poètes, les écrivains. C’est ce que font les arbres encerclés par les flammes: ils projettent très loin leurs graines. Les poètes, les écrivains étaient les graines de leur plante et ils élevaient leur témoignage en chant. » (p. 24)

« En juillet, je m’installe dans les Dolomites. J’escalade des montagnes, je dis tout juste quelques bonjours, j’écris si j’ai de quoi. L’écriture reste pour moi une fête, pas une obligation.

Mon corps s’en va sur les parois, déplaçant ses quatre points de contact, et il passe sur la page ouverte de la roche. Je l’appelle ainsi car elle est ouverte et vide, mais le corps n’écrit pas dessus, et ne laisse aucune trace sur la surface traversée. 

Escalader est le lent déplacement du corps humain. Le poids sur chaque prise est une syllabe pensée, en gagnant des centimètres.

La peau de la pierre change selon le vent et la température. Elle change quand le nuage s’accroupit sur la montagne et s’effrite en une poussière de gouttes. Elle change au bruit du tonnerre qui avertit de loin et s’approche.

Parfois, je répète des voies déjà escaladées, je les refais en sachant où le passage est plus aisé, où la séquence des mouvements est plus serrée. Les mains ouvrent le chemin, goûtent la tenue de la prise, appellent le corps à le suivre.

A la fin d’une journée sur la paroi, je regarde mes mains qui m’ont guidé. Je pense qu’elles sont sourdes, muettes, aveugles, et pourtant elles avancent. Elles n’ont besoin que du toucher, le système de communication du corps le plus diffus. » (p. 25-26)

Erri DE LUCA, Le tort du soldat, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, 2014

C’est une petite participation au Mois italien organisé par Martine G.

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Sur les chemins noirs

24 vendredi Fév 2017

Posted by anne7500 in Non Fiction

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Gallimard, récit de voyage, Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson

Quatrième de couverture :

«Il m’aura fallu courir le monde et tomber d’un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j’ignorais les replis, d’un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides.
La vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs.
Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.»
Sylvain Tesson.

Après la très lourde chute qui lui a démoli le crâne, la cage thoracique et le dos, pour ne citer que quelques blessures (je me souviens l’avoir vu à Livrés à domicile pour un autre livre que celui-ci et il en portait encore les traces sur le visage), après un an d’hôpital et alors que les médecins voulaient l’envoyer dans une hypothétique rééducation, Sylvain Tesson a décidé de se soigner par la marche en traversant la France en oblique, du Sud-Est au Nord, et seulement par des chemins « de campagne » : non pas des sentiers de grande randonnée, qu’il estime trop « civilisés », trop fréquentés, plutôt des petits chemins répertoriés sur des cartes IGN et qui, parfois, ne sont plus entretenus quand ils n’ont pas été absorbés dans les champs par des fermiers indélicats.

Tout au long de son périple, Sylvain Tesson observe les paysages, les villages, les campagnes modelés par la main de l’homme, ou plutôt par les différents pouvoirs en place qui ont décidé de s’attaquer à ces zones dites « d’hyper-ruralité » (c’est-à-dire, selon les critères de l’équipement et des infrastructures, déficitaires en autoroutes, connexion 4G, zonings commerciaux et autres joyeusetés du progrès moderne). Il croise notamment des paysans qui payent les pots cassés de politiques incohérentes. Face à la vitesse, à l’hyper-connectivité, à la surconsommation, à l’épuisement des richesses, Sylvain Tesson ose la lenteur, le silence, une forme de contemplation qu’il compare à celle des moines cisterciens.

Bien sûr, on sent bien que l’ami Tesson résiste des pieds et des mains au progrès imposé, aux gens (des politiques, des technocrates) qui veulent faire votre bonheur malgré vous, il freine des quatre fers face au mouvement perpétuel qui nous est imposé et qui nous arrache à nous-mêmes : à ce titre, il pourrait passer parois pour très conservateur. Mais ce que j’ai apprécié, c’est que la marche finit non seulement par cette reconnaissance physique des chemins noirs mais aussi par l’exploration des chemins noirs de l’intériorité, de la méditation. Au bout de la route, émaillée de multiples rencontres, la mer et l’appel de nouveaux chemins noirs à dénicher pour Sylvain Tesson.

« La carte est le laissez-passez de nos rêves.
Ces tracés en étoile et ces lignes étaient des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisières, des viae antiques, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinaient de ces artères. C’étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n’y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage.. Certains hommes espéraient entrer dans l’histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître. »

« Je retardais mes compagnons à trop contempler les murets. L’art de la marqueterie bocagère avait atteint ici un haut degré d’accomplissement. La pierre accueillait la mousse. La mousse arrondissait les angles et protégeait des sociétés de bêtes. Oh ! comme il eût trouvé salvateur d’opposer une « théorie politique du bocage » aux convulsions du monde. On se serait inspiré du génie de la haie. Elle séparait sans emmurer, délimitait sans opacifier, protégeait sans repousser. L’air y passait, l’oiseau y nichait, le fruit y poussait. On pouvait la franchir mais elle arrêtait le glissement du terrain. À son ombre fleurissait la vie, dans ses entrelacs prospéraient des mondes, derrière sa dentelle se déployaient les parcelles. »

Sylvain TESSON, Sur les chemins noirs, Gallimard, 2016

 

Poussière rouge

27 vendredi Mai 2016

Posted by anne7500 in Des Mots africains, Des Mots au féminin

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Afrique du sud, Apartheid, Gallimard, Gillian Slovo, Poussière rouge, Scripto

Quatrième de couverture :

En 1995, l’Afrique du Sud tente de se remettre de l’apartheid. Il faut régler les comptes du passé pour construire l’avenir. Tel est le rôle de la Commission Vérité et Réconciliation. Les audiences se succèdent et confrontent les victimes aux bourreaux.
Dans la chaleur poussiéreuse de Smitsrivier, Sarah, jeune et brillant procureur, cherche à y voir clair.
Mais le droit suffit-il à la quête de la vérité? Et LA vérité existe-t-elle? Au-delà des causes politiques, il y a les individus avec leurs failles et leurs contradictions, leurs petites lâchetés et leurs grands sentiments…

Nous sommes en 1995, après l’apartheid, dans la petite ville imaginaire de Smitsrivier, emblématique de la bien réelle volonté du nouveau gouvernement d’Afrique du Sud de construire un nouveau pays et de la non moins réelle ambiguïté de la Commission Vérité et Réconciliation, chargée de gérer les demandes d’amnistie déposées par les anciens tortionnaires de l’apartheid (le billet de Sandrine vous propose les conditions exactes de ces demandes d’amnistie par d’anciens policiers qui ont torturé et parfois tué des membres de l’ANC). Si la Réconciliation était surtout prêchée par les autorités religieuses, la Vérité était recherchée par les nouveaux responsables politiques du pays. Mais quelle vérité ? Et était-il possible d’en faire apparaître une ?  Car il y avait bien deux camps totalement opposés, les Blancs et les Noirs, les gens au pouvoir et les opposants, les tortionnaires et les victimes, donc… forcément deux vérités, au moins.

Le roman de Gillian Slovo, fille de l’ancien avocat puis ministre de Nelson Mandela (et à l’origine de la Commission), se situe dans ce contexte, qu’il nous permet de saisir dans toute sa complexité et il va même plus loin en démontrant à quel point victimes et bourreaux sont intimement liés. A travers les personnages de Dirk Hendricks, ancien policier et Alex M’Pondo, rescapé qui voulait laisser son passé de militant ANC aux oubliettes, car il pense avoir une lourde responsabilité dans la mort d’un de ses amis dont le corps n’a jamais été rendu à ses parents, entourés de leurs avocats Ben Hoffman et Sarah Barcant, la romancière tisse une intrigue dense, bien menée, où vérité et mensonge jouent au chat et à la souris, jusqu’à la fin. La romancière montre bien que rien n’est manichéen, malgré tous les rêves ou illusions des uns et des autres. (Le roman aurait pu s’appeler La vérité et autres mensonges, comme le roman de Sascha Arago.)

J’ai eu un tout petit peu de mal à entrer dans ce roman, parce que chaque chapitre se focalise sur un personnage, les allers et retours dans le passé sont fréquents (c’est sûr, j’étais un peu fatiguée quand j’ai commencé ma lecture) mais une fois plongée dans le bain (brûlant de soleil et de poussière) de Smitsrivier, je n’ai quasiment plus lâché le roman. Ses personnages sont bien campés, on se laisse déstabiliser par les manoeuvres et les contradictions des uns et des autres. Jusqu’à la fin, les événements et les rapports humains se succèdent, s’emboîtent, s’éclairent, rivalisent dans une construction impeccable.

Un très beau roman, nécessaire.

« Le silence. Il leur avait été familier autrefois. Un silence né d’abord de la crainte que l’homme le plus âgé inspirait à Dirk et qui, graduellement, d’une compréhension mutuelle avait fini par devenir une véritable amitié. Un silence qui avait aussi trempé dans les jours de sang, une façon d’échapper à tous ces mots hurlés dans la fureur. Un silence qui n’était plus possible, parce que dans les sables mouvants des temps nouveaux, même si les mots étaient durs, les choses non dites qui rôdaient sous la surface étaient bien plus dangereuses encore. »

Gillian SLOVO, Poussière rouge, Scripto, Gallimard, 2006

Gillian Slovo est d’origine sud-africaine mais elle vit à Londres depuis l’âge de douze ans, en 1964. Le roman est écrit en anglais et publié à Londres, aussi je l’inscris dans A year in England.

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Je refuse

02 mercredi Mar 2016

Posted by anne7500 in Des Mots norvégiens

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Gallimard, Je refuse, Norvège, Per Petterson

Quatrième de couverture :

Jim et Tommy ne se sont pas revus depuis plus de trente ans. Tous deux ont grandi dans la même petite commune près d’Oslo : Jim couvé et protégé par une mère très pieuse, Tommy abandonné par sa mère, malmené par un père violent, puis séparé de ses trois sœurs placées dans des familles d’accueil et obligé de travailler dans une scierie. Pourtant, c’est bien Tommy qui fait carrière dans la finance, alors que Jimmy vivote, entre son travail de bibliothécaire et des arrêts maladie de longue durée. Quand ils se retrouvent par hasard, sur ce pont menant à la capitale où Jim s’est installé pour pêcher, les souvenirs resurgissent…
Je refuse est un roman poignant sur l’amitié entre deux hommes, qui sont aussi deux êtres cabossés par la vie. Leurs échecs sentimentaux, leur colère et leur volonté de survivre sont admirablement mis en scène dans un livre polyphonique d’une incroyable justesse.

Comme dans Pas facile de voler des chevaux, Per Petterson fait voyager ses personnages entre passé et présent, entre ombre et lumière. Il suffit d’une rencontre, d’une minute au petit jour, sur un pont, pour que Jim et Tommy remontent le fil du temps jusqu’à cette année 1966 où leur amitié adolescente était solide et leur permettait de transcender le quotidien. La mère de Tommy était partie sans prévenir, son père le battait, lui et ses soeurs, Jim ne connaissait pas son père et vivotait dans le cocon maternel. Un jour, de façon inattendue, Jim est interné au « Bunker », un hôpital psychiatrique. C’est à partir de là que l’amitié entre les deux garçons va se défaire. Tommy, qui semblait avoir moins de chance, retrouvera une figure paternelle dans sa vie et grimpera les échelons de la réussite. Au moment où ils se retrouvent par hasard sur ce pont, ils ne sont pas au mieux de leur forme et tous deux arrivent à un point crucial de leur vie, un choix s’impose à eux : avancer ou baisser les bras.

Le récit mené par Per Pettersen donne tour à tour la parole à plusieurs personnages, principalement Jim et Tommy, dont le mystère s’éclaircit progressivement mais pas complètement : des blancs, des questions sans réponse subsistent tout comme la fin reste ouverte, au lecteur de choisir la version pessimiste ou optimiste. Peut-être la noirceur du roman fera-t-elle pencher la balance. Il ne cesse de nous interroger sur le retentissement des choix de jeunesse jusque dans notre vie d’adulte, sur la valeur ou le poids du temps qui passe, mais nous fait aussi prendre conscience que ces choix ne peuvent nous retenir dans les liens du passé, sous peine de mort. Le titre emblématique, Je refuse, trouve d’ailleurs divers échos dans le roman.

« Le temps était-il un sac dans lequel on pouvait enfouir tout ce qu’on voulait ? Et s’il décrivait un mouvement circulaire au lieu de parcourir une ligne droite, nous ramenant sans cesse à notre point de départ ? » (p. 214)

J’ai apprécié de retrouver l’auteur et je continuerai à le lire avec plaisir mais Pas facile de voler des chevaux garde la première place dans mon coeur de lectrice en termes d’émotions.

Per PETTERSON, Je refuse, traduit du norvégien par Terje Sinding, Gallimard, 2014

Les avis d’Aifelle et de Jérôme

Un livre enfin disponible à la bibliothèque, qui me permet de commencer le Challenge nordique et dont l’auteur est aussi dans Lire le monde.

Lire-le-monde   Challenge nordique 2016

Plus haut que la mer

23 vendredi Oct 2015

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots italiens

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Francesca Melandri, Gallimard, Le Mois italien, Plus haut que la mer

Quatrième de couverture :

1979. Paolo et Luisa prennent le même bateau, chacun de son côté, pour se rendre sur l’Île. Mais ce n’est pas un voyage d’agrément, car c’est là que se trouve la prison de haute sécurité où sont incarcérés le fils de Paolo et le mari de Luisa. Ce dernier est un homme violent qui, après un meurtre commis sous le coup de la colère, a également tué un surveillant en prison, tandis que le premier a été reconnu coupable de plusieurs homicides politiques sur fond de révolution prolétarienne. L’homme et la femme ne se connaissent pas, Paolo est professeur de philosophie, mais il n’enseigne plus ; Luisa, elle, est agricultrice et élève seule ses cinq enfants. À l’issue du voyage et de la brève visite qu’ils font au parloir de la prison, ils ne peuvent repartir comme ils le devraient, car le mistral souffle trop fort. Ils passent donc la nuit sur l’Île, surveillés par un agent, Pierfrancesco Nitti, avec qui une étrange complicité va naître. Pour ces trois êtres malmenés par la vie, cette nuit constitue une révélation et, peut-être aussi, un nouveau départ.
Avec Plus haut que la mer, Francesca Melandri livre un deuxième roman incisif et militant, une superbe histoire d’amour et d’idées qui est aussi une subtile réflexion sur le langage, celui de la politique et celui du monde dans lequel nous vivons.

Ce roman vous saisit dès les premières pages par la beauté de la langue (et donc de la traduction, bravo à Danièle Valin) et par l’atmosphère de tragédie qui épouse et tranche à la fois avec la beauté de la nature environnante. La mer, une île, des parfums envoûtants (« Elle sentait le sel de mer, le figuier, l’hélichryse. » – p. 17), des oiseaux, un homme et une femme, un gardien. Le décor est planté. Et Francesca Melandri nous entraîne petit à petit sur les chemins de cette Ile qui « abrite » une prison de haute sécurité, les chemins qui mènent à cette île, les hommes qui y vivent. Elle nous livre aussi sa relecture des années de plomb en Italie, quand le terrorisme plongea les familles des victimes, des coupables, et le pays tout entier dans l’horreur.

Mais ce roman n’est pas essentiellement un documentaire sur ces faits et ceux qui les ont vécus. Comme je l’ai déjà écrit, ce sont les premières pages qui donnent peut-être la clé de lecture : cette île qui abrite de grands criminels récidivistes et des gardiens qui ne sont pas moins durs qu’eux offre en même temps une nature à la fois hostile et ensorcelante. C’est là que se joue l’essentiel du roman : la rencontre entre Paolo et Luisa, la rencontre entre deux souffrances, deux solitudes, sous le regard du gardien Pierfrancesco Nitti. Une rencontre qui va ouvrir quelque chose qui ressemble à de l’apaisement, comme les mots justes que l’on peut mettre sur les blessures. Ce sont peut-être les parfums de l’île qui ouvrent ce nouveau chemin. Qui permettent aux mots de se dire, de s’exprimer ou de se redresser dans le secret des consciences et des émotions.

Simplicité et justesse de ton caractérisent l’écriture et l’univers de Francesca Melandri. Il est difficile de parler avec justesse de son deuxième roman, alors tout simplement : lisez-le !

« Ni Paolo, ni Luisa n’avaient donc jamais imaginé leur propre corps nu à côté de celui de quelqu’un d’autre. Mais il y avait aussi autre chose qu’ils n’avaient jamais su. Qu’il pût exister un amour loin de la terre ferme du quotidien, à des milles et des milles de la côte des projets. Un amour qui, tel un bateau de haute mer, est seulement entouré d’une étendue infinie de caps possibles que pourtant, on le sait déjà, ni les circonstances ni le temps ne permettront d’explorer. Et cependant, il n’est pas moins réel, moins profond que les amours solidement ancrées au rivage.

Un amour de haute mer. » (p. 182-183)

Francesca MELANDRI, Plus haut que la mer, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, 2015

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