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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Tag: Gallimard

Lettres du pays froid

23 vendredi Avr 2021

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin

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Caroline Lamarche, Gallimard

Quatrième de couverture :

«La mort a deux visages. Un masque grouillant de tombe ouverte dont je me suis détournée avec horreur, laissant celui qui le portait dans une solitude absolue. Et l’autre, lumineux et précis, dont les traits délicats étaient constitués par les mots qu’Alexis choisissait pour m’écrire.»

Il ne s’agit pas d’un roman épistolaire mais l’intrigue de ce roman est basée sur les lettres que reçoit la narratrice d’un jeune homme suicidaire, Alexis, un être à qui la vie souriait mais que des amours malheureuses ont précipité dans une dépression profonde. La narratrice (dont nous ne connaîtrons pas le nom) est écrivain, elle vient de gagner un prix de poésie et est engagée pour écrire le scénario d’un téléfilm, grâce auquel elle croit qu’elle obtiendra enfin un statut d’écrivain reconnu. Coachée par Edith, une femme hautaine, elle se dépense sans compter dans ce travail mais la rencontre avec Alexis va bouleverser ses plans (et son scénario). Tiraillée entre Loup, son compagnon et mentor et Alexis, hypersensible mais totalement velléitaire, l’auteure ne cesse aussi de faire des liens entre sa vie, ses relations amoureuses avec celles de l’artiste Frida Kahlo et de l’actrice Dorothy Hale.

C’est difficile de parler de ce roman, il peut paraître froid comme son titre, mais j’ai eu du mal à le lâcher. Je dois avouer que cela m’a même paru bizarre de l’apprécier autant car en d’autres temps, je pense que le personnage d’Alexis m’aurait franchement insupporté. Mais ici, non, sans doute parce que tout le roman mêle création littéraire et mort dans une ambiance hypnotique, mystérieuse. Je suis contente d’avoir découvert un autre titre de Caroline Lamarche, dont j’avais lu il y a trois ans Le Jour du chien : ici les émotions sont également tenues à distance mais l’effet de la lecture n’a pas été le même. J’ai noté plusieurs extraits, car j’ai de nouveau apprécié l’élégance du style de Caroline Lamarche et j’ai particulièrement savouré la description de la librairie Tropismes à Bruxelles…

« Les mots qu’on m’écrit, je ne dois pas les lire. Il faut que je les jette. Vite. Jeter les lettres sans les ouvrir. Je me méfie de la beauté qui me vient par là, l’obsession née des mots, l’obscurcissement qui s’ensuit. Je dois m’en tenir à une vie terne et régulière, comme celle de la vieille dame au chien. » (p. 32)

« On se tue parce qu’on souffre trop. Il faut regarder le dessin d’Alexis pour comprendre. Il faut demander à sa mère qu’elle dresse ce dessin contre son propre visage et qu’elle marche, dans la rue, partout, pour témoigner que la mort, pour son fils, était juste, était une délivrance, et qu’elle a délivré ceux qui restent. Il faut dire à sa mère qu’elle nous oblige, chacun, à regarder, pour qu’en voyant l’autoportrait d’Alexis, nous découvrions le désir qui nous habite : bannir ce visage de la surface de la terre, le chasser du monde des vivants. Il faut que sa mère intercède pour notre désir criminel, qu’elle le fasse se lever, afin que nous sachions qu’aucun de nous n’est sincère. Seul est sincère celui qui ne peut interposer entre sa folie et lui une lame de rasoir. Les autres mentent, et ce mensonge les sauve. » (p. 84-85)

« Tout le monde, à Bruxelles, connaît la librairie dont je vais parler, ses miroirs, ses colonnes patinées à l’ancienne, ses chapiteaux ouvragés, la mezzanine pour les ouvrages d’art, le sous-sol pour les sciences humaines, le rez-de-chaussée pour la littérature mondiale. Tout le monde a été frappé d’un vertige doré à pousser la porte de ce lieu et à recevoir de plein fouet l’appel amoureux des livres, toujours muets, toujours à attendre qu’une porte, en réponse minuscule, s’entrouvre chez le visiteur, avec un chuintement que lui seul entend et répercute, de soi au livre et du livre à cette zone ventilée, entre deux côtes, où l’âme niche ce jour-là. Le soir, du dehors, on voit la librairie de loin, elle brille comme une maison de passe. Sans doute des gens y dorment-ils la nuit, l’élite, la crème des libraires de ce pays, tous érudits, tous diplômés de hautes écoles ou d’universités, payés au même tarif que des manutentionnaires de grande surface, comme il se doit dans les lieux de culture. La propriétaire de la librairie, riche de ses yeux transparents et de ses longs cheveux roux, y repose elle aussi, sur une table couverte de volumes, un lit d’ascète. Alexis aimait cette image, c’est lui qui me la donna en débutant son récit. Cette femme, je la voyais allongée sur un catafalque fait de romane, les titres imprimés à même la peau, une femme-livre, disait Alexis, la mère des plus belles pages, celles qu’on glisse en douce aux clients préférés, tenez, lisez moi ça. » (p. 99-100)

« Certains éléments nécessaires à la compréhension de cette histoire ne me sont parvenus que longtemps après. Je les consigne ici pour signaler combien j’adhérais à mon époque, une époque qui a rendu invisibles, à coups de lois, de thérapies remboursées, d’ordonnances, d’allocations, ceux qui ne marchent pas à son rythme. Nous aimons ne pas voir, nous aimons croire, par amour de l’ordre et souci de l’harmonie, que toute la société s’avance avec légèreté, d’un seul élan, vers le bien-être. Et lorsque les moyens techniques ne suffisent pas, nous aimons remplacer la conscience de notre aveuglement par celle de notre dévouement. » (p. 159-160)

Caroline LAMARCHE, Lettres du pays froid, Gallimard, 2003

Le Mois belge 2021 – catégorie Editions du Sablon (ça se passe en partie à Bruxelles et dans le Brabant wallon, une ville nommée L. Lasne ? Louvain-la-Neuve ?)

Petit Bac 2021 – Lieu

Patricia

06 mardi Avr 2021

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin

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Gallimard, Geneviève Damas, Le Mois belge 2021

Quatrième de couverture :

Au Canada, Jean Iritimbi, un Centrafricain sans papiers, rencontre, dans l’hôtel où il travaille au noir, Patricia, une cliente blanche qui s’éprend de lui. Pour le ramener avec elle à Paris, elle vole le passeport d’un Afro-Américain. Mais Jean Iritimbi n’a pas dit à Patricia qu’il a une famille au pays, une femme et deux filles. Il apprend en les appelant qu’elles sont en route pour le rejoindre. Hélas, le bateau qui les transporte fait naufrage. On annonce peu de survivants.

Roman en trois parties qui donnent successivement la parole à Jean Iritimbi, Patricia et Vanessa, la fille cadette de Jean, Patricia aborde la question de l’exil et des migrants qui traversent la Méditerranée.

Jean a choisi de quitter la Centrafrique pour Montréal mais son désir de liberté et d’une vie meilleure était insuffisant aux yeux de l’administration pour qu’il obtienne des papiers. Il a échoué dans un hôtel près des chutes du Niagara où il travaille au noir depuis dix ans et même s’il continue à envoyer de l’argent et à avoir des contacts avec sa femme et ses deux filles restées au pays, il sent bien la distance qui le sépare désormais de ses proches. Aussi, quand il capte l’attention d’une cliente de l’hôtel, il se laisse faire et accepte l’amour et tout ce que cette femme est prête à faire pour lui. Elle le ramène chez elle, à Paris, où il profite de son appartement et de son argent. Elle, c’est Patricia, une bibliothécaire discrète, voire effacée, dont la vie était « en vacance » avant de rencontrer Jean. Quand celui-ci comprend que sa femme et ses filles ont quitté leur village pour venir à leur tour en France, et que le bateau qu’elles ont emprunté pour traverser la Méditerranée a chaviré, il lâche tout pour les retrouver au fin fond de l’Italie. Et c’est malgré tout sur Patricia qu’il ose s’appuyer pour prendre soin de sa cadette, Vanessa, douze ans.

Le vécu de Jean en exil peut sembler un tant soit peu égoïste, mais Geneviève Damas fait bien ressentir l’ambivalence des sentiments qui le traversent. Ce sont surtout les parties consacrées à Patricia et à Vanessa qui m’ont touchée. C’est presque incroyable, ce qui se passe dans la vie de cette femme parce qu’elle est tombée amoureuse d’un homme sans papiers, ce qu’elle accepte, ce qu’elle ose, ce qui s’épanouit en elle. Geneviève Damas se glisse aussi avec délicatesse dans la peau de Vanessa et nous fait percevoir l’étendue de la perte, l’étendue du chemin à parcourir pour simplement vivre, revivre après la tragédie. L’émotion m’a cueillie à la fin du livre.

Tout cela est bien documenté, comme l’attestent les nombreux remerciements de l’auteure à la fin du livre mais tout cela est dit à hauteur d’homme, de femme, d’enfant, dans une langue orale, sans pathos et d’autant plus touchante. C’est un roman court mais dense et plein d’humanité.

« Elles disent que ça va, mais je n’en suis pas sûr, il y a de l’inquiétude au fond de leurs voix et, tout à coup, je comprends qu’elles sont en train de devenir comme moi, mes femmes, c’est bien plus qu’un continent que l’on traverse, c’est quelque chose d’invisible qui nous transforme et nous laisse sur le qui vive, à ne plus faire confiance à personne. » (p. 39)

« Si je m’écoutais, je poserais ma main sur ton dos pour te rassurer, pour que tu te sentes moins seule, certainement pour m’en convaincre aussi, mais depuis hier j’apprends à retenir mes gestes, ce sera ça aussi la vie avec toi, savoir que j’ai envie de te donner et de te dire, et garder, toujours garder, ne livrer qu’une portion congrue de ce que je voulais t’offrir, pour que tu puisses le recevoir, accepter ce qui t’arrive de moi. Donner à peine pour te laisser toute la place. » (p. 78)

Geneviève DAMAS, Patricia, Gallimard, 2017 (aussi en Folio)

Le Mois belge 2021 – catégorie Traverse (évasion, voyage – il y a pas mal de voyages douloureux dans ce roman)

Challenge Petit Bac 2021 – Prénom 2

Le coeur de l’Angleterre

15 vendredi Jan 2021

Posted by anne7500 in Des Mots britanniques

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Gallimard, Jonathan Coe

Quatrième de couverture :

Comment en est-on arrivé là? C’est la question que se pose Jonathan Coe dans ce roman brillant qui chronique avec une ironie mordante l’histoire politique de l’Angleterre des années 2010. Du premier gouvernement de coalition en Grande-Bretagne aux émeutes de Londres en 2011, de la fièvre joyeuse et collective des jeux Olympiques de 2012 au couperet du référendum sur le Brexit, Le cœur de l’Angleterre explore avec humour et mélancolie les désillusions publiques et privées d’une nation en crise.
Dans cette période trouble où les destins individuels et collectifs basculent, les membres de la famille Trotter reprennent du service. Benjamin a maintenant cinquante ans et s’engage dans une improbable carrière littéraire, sa sœur Lois voit ses anciens démons revenir la hanter, son vieux père Colin n’aspire qu’à voter en faveur d’une sortie de l’Europe et sa nièce Sophie se demande si le Brexit est une cause valable de divorce.
Au fil de cette méditation douce-amère sur les relations humaines, la perte et le passage inexorable du temps, le chantre incontesté de l’Angleterre questionne avec malice les grandes sources de crispation contemporaines : le nationalisme, l’austérité, le politiquement correct et les identités.

J’ai lu ce livre entre fin décembre et début janvier, juste au moment où Boris Johnson se réjouissait haut et fort de l’accord qu’il avait obtenu de l’Union européenne et de la sortie définitive du Royaume-Uni hors de cette Union. Pendant ce temps, sûrement, beaucoup se désolaient de ce Brexit, même si on le sait, on ne peut plus revenir en arrière. Depuis j’ai vu un documentaire sur le Premier ministre britannique, assez accablant sur l’intelligence mêlée d’opportunisme et de cynisme de cet homme et sur les conséquences de la sortie de la Grande-Bretagne. A vrai dire, comme Jonathan Coe l’expliquait en 2019 à la sortie de son livre en français, il y a longtemps que l’action d’une certaine classe politique et d’autres causes ont entraîné la GB dans cet engrenage infernal (du point de vue d’un auteur clairement anti-Brexit). Il a parlé de la génération Thatcher dans Bienvenue au club et Le cercle fermé qui mettaient déjà en scène les protagonistes du Coeur de l’Angleterre (et que j’ai envie de relire maintenant !). Dans ce dernier roman traduit en français, il permet de comprendre relativement facilement comment les Britanniques des années 2010, héritière des années 80, en sont arrivés à se déchirer et à se diviser profondément sur la question du Brexit qu’un homme politique (David Cameron) a agitée à leur nez à des fins électoralistes et comment le résultat du référendum a obligé la classe politique à bricoler une sortie de l’Europe à laquelle, dirait-on, personne ne s’attendait. 

A travers le destin des Trotter, frère et soeur, Benjamin et Lois, qui tentent de vivre la meilleure vie possible loin de l’agitation du monde, de leur père qui ne comprend plus ce monde dans lequel il vit, de Doug, éditorialiste politique, de Sophie, la nièce de Benjamin, universitaire qui se marie avec un homme totalement différent, Jonathan Coe nous fait saisir les mille et une nuances de la sensibilité britannique (nuances cruellement absentes dans la réflexion politique, faut-il le souligner) et les cassures de la société anglaise : fossé entre générations, fracture sociale criante que rien ne semble pouvoir réparer, divergences intellectuelles irréconciliables. L’auteur brosse un portrait sans concession, mais avec l’art du rythme et de la construction, une finesse psychologique et un sens de l’humour que j’adore définitivement ! Les conversations ubuesques entre Doug et son informateur, une certaine scène dans une penderie constituent des perles romanesques inoubliables !

Je ne vous en dirai pas plus sur ce coup de coeur qui commençait bien l’année, c’est toujours difficile de parler d’un livre tellement riche et tellement apprécié.

De nombreuses citations sur Babelio

Jonathan COE, Le coeur de l’Angleterre, traduit de l’anglais par Josée Kamoun, Gallimard, 2019

Challenge Petit Bac 2021 : Lieu

 

Eve de ses décombres

20 vendredi Mar 2020

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Ananda Devi, Gallimard

Quatrième de ouverture :

«Je suis Sadiq. Tout le monde m’appelle Sad.
Entre tristesse et cruauté, la ligne est mince.
Ève est ma raison, mais elle prétend ne pas le savoir. Quand elle me croise, son regard me traverse sans s’arrêter. Je disparais.
Je suis dans un lieu gris. Ou plutôt brun jaunâtre, qui mérite bien son nom : Troumaron. Troumaron, c’est une sorte d’entonnoir ; le dernier goulet où viennent se déverser les eaux usées de tout un pays. Ici, on recase les réfugiés des cyclones, ceux qui n’ont pas trouvé à se loger après une tempête tropicale et qui, deux ou cinq ou dix ou vingt ans après, ont toujours les orteils à l’eau et les yeux pâles de pluie.»

Par Sad, Ève, Savita, Clélio, ces ados aux destins cabossés pris au piège d’un crime odieux, et grâce à son écriture à la violence contenue au service d’un suspense tout de finesse, Ananda Devi nous dit l’autre île Maurice du XXIe siècle, celle que n’ignorent pas seulement les dépliants touristiques.

Ce court roman raconte, à travers le « destin » de quatre adolescents coincés dans une « banlieue » misérable de Port-Louis, la face cachée de l’île Maurice. Troumaron, c’est ainsi que s’appelle le quartier dans lequel vivent Sad, Clélio, Eve et Savita et ils prennent de plein fouet la misère, la violence, l’ennui, le désespoir qui ronge cette banlieue oubliée, oblitérée. Entre colère et fatalisme, sexe et dépendances, les mots de Rimbaud s’offrent sur les murs pour tenter de conjurer le sort. Dans la chaleur poisseuse de Troumaron, le corps est mis à rude épreuve, particulièrement celui des femmes. C’est presque une tragédie shakespearienne que vivront les quatre jeunes gens.

« Seulement » 154 pages mais des pages denses, âpres, qui donnent la parole à chacun des protagonistes, des pages où la langue française virevolte et traduit les états d’âme au plus près. Une belle découverte.

« « On me dit que je réussirai. Il faut savoir que réussir, ça ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. C’est un mot à déclinaison variable. Dans mon cas, cela veut simplement dire que les portes fermées pourraient s’entrebâiller et que je pourrais, en rentrant bien le ventre, me glisser entre elles et tromper la vigilance de Troumaron. Tout le monde sait que la pauvreté est le plus féroce des geôliers. Les profs, eux, disent que tout est possible. Ils me racontent qu’eux aussi apprenaient leurs leçons à la lumière de la bougie. Je vois d’ailleurs dans leurs yeux l’obscurité de penser qui en a résulté. Ils me disent, il faut saisir votre chance, vous ne devez pas freiner le développement du pays. C’est qui vous ? »

« Mon Ève, qui se croit née avec de l’acier au cœur, ne sait pas que c’est le jaune et la chaleur de l’or qui vivent en elle, qu’elle ne cesse de fondre et de fuir, et que de cette fille en fusion ne restera bientôt plus qu’une flaque sans forme et sans visage. »

« Je lis en cachette, sans m’arrêter. Je lis aux latrines, je lis au milieu de la nuit, je lis comme si les livres pouvaient desserrer le nœud coulant autour de ma gorge. Je lis en comprenant qu’il y a un ailleurs. Une dimension où les possibles éblouissent. »

« Je peux être chacune des rides entaillées sur le visage de la vieille. Je peux être le flanc du chien malade qui entre profondément dans ses côtes et en ressort pour tenter de préserver le flux de la vie dans son corps. Je peux être la main mobile de l’homme, fermée, ouverte, fermée, ouverte, pour ne pas se figer tout à fait. Je peux être un bout de chemise effilochée qui traîne dans une flaque d’urine à ses côtés. Je peux être la voix du vent qui souffle sans violence et l’île qui dort sans chercher à comprendre. »

Ananda DEVI, Eve de ses décombres, Gallimard, 2006

Mars au féminin  / Mars en francophonie

Le dernier hiver du Cid

17 mardi Mar 2020

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Gallimard, Gérard Philipe, Jérôme Garcin

Quatrième de couverture :

Il y a soixante ans, le 25 novembre 1959, disparaissait Gérard Philipe. Il avait trente-six ans. Juste avant sa mort, ignorant la gravité de son mal, il annotait encore des tragédies grecques, rêvait d’incarner Hamlet et se préparait à devenir, au cinéma, l’Edmond Dantès du Comte de Monte-Cristo. C’est qu’il croyait avoir la vie devant lui. Du dernier été à Ramatuelle au dernier hiver parisien, semaine après semaine, jour après jour, l’acteur le plus accompli de sa génération se préparait, en vérité, à son plus grand rôle, celui d’un éternel jeune homme.

J’ai lu ce livre il y a quelques semaines et je m’empresse de publier un petit billet avant la fin de l’hiver. Vous l’aurez compris, l’anniversaire de la mort de Gérard Philipe il y a un peu plus de soixante ans a été l’occasion pour Jérôme Garcin d’évoquer la flamboyante carrière de celui qui a ressuscité le personnage du Cid et qui a incarné sur scène et au cinéma tant de héros jeunes, fougueux, impétueux, engagés comme il l’était lui-même dans la vie. C’est un destin passionnant à retrouver ou à découvrir, un élan coupé en pleine jeunesse par une maladie foudroyante.

Ce livre a remué des choses en moi, notamment sur l’annonce de l’étendue du cancer à Anne Philipe et sur sa décision de cacher la vérité à son mari, il m’a beaucoup émue. « La mort a frappé haut » comme le disait Jean Vilar au TNP, le soir de la mort de l’acteur. La plume de Jérôme Garcin est élégante, elle rend vraiment honneur à ce grand monsieur du théâtre qui restera à jamais figé dans la beauté de ses trente-six ans.

Je n’en dis pas plus, je vous laisse découvrir la richesse de cette vie si vous le souhaitez. Ca m’a presque donné envie de relire « Le temps d’un soupir » d’Anne Phiipe, lu il y a très très longtemps, car la force de l’amour entre Anne et Gérard est elle aussi très puissante dans le récit de Jérôme Garcin.

« Pourtant, l’homme qu’elle a aimé ne portait pas de pourpoint, il ne parlait pas en alexandrins, il avait la peau douce, des doigts longs et fins, des lèvres d’enfant, des dents qu’on aurait dit de lait, une fossette mutine au menton, les oreilles un peu décollées, un coeur qui battait la chamade et la voix acidulée du Petit Prince. »

« Adossé à un vieux chêne-liège, un vieux Ramatuellois glisse à l’oreille de son voisin : « C’est peut-être mieux, ces funérailles sans cérémonie, sans église, sans prêtre. Mais tout de même… » Et l’autre lui répond : « Oui, tout de même, mais imagine le pire, que Dieu existe. Eh bien, il ne peut pas faire mauvais accueil à Gérard. » (p. 186)

Jérôme GARCIN, Le dernier hiver du Cid, Gallimard, 2019

 

Une amie de la famille

06 lundi Jan 2020

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Gallimard, Jean-Marie Laclavetine

Quatrième de couverture :

«Le 1er novembre 1968, alors que nous nous promenions sur les rochers qui surplombent la Chambre d’Amour à Biarritz, ma sœur aînée a été emportée par une vague. Elle avait vingt ans, moi quinze. Il aura fallu un demi-siècle pour que je parvienne à évoquer ce jour, et interroger le prodigieux silence qui a dès lors enseveli notre famille. Je suis parti à la recherche d’Annie. Je l’ai vue revenir intacte dans sa fougue, ses doutes, ses enthousiasmes, ses joies et ses colères : une jeune femme d’aujourd’hui.»
Jean-Marie Laclavetine

C’est avec ce magnifique livre lu en décembre que je tente un retour aux billets de lecture (je ne promets rien quant au rythme des parutions et je ne m’engage dans aucun projet ni mois thématique pour le moment, mais j’ai passé un peu de temps à concocter la thématique musicale de janvier et je me suis dit que si je ne faisais pas « l’effort » de rédiger un billet de lecture, je ne saurais pas vraiment si j’ai envie de m’y remettre) (ok, c’est peut-être un peu boiteux comme motivation – et merci à toutes celles qui m’ont envoyé un commentaire en décembre, cela m’a beaucoup touchée.)

Une amie de la famille, donc. Vous me direz : encore de l’autofiction à la française ? Je n’i pas considéré ce récit comme un roman, mais bien comme un texte fraternel à la recherche d’Annie, la soeur aînée de Jean-Marie Laclavetine, la seule fille de la fratrie, emportée par une vague traîtresse sur la plage de Biarritz à l’âge de vingt ans. Un voile de douleur et de silence est alors tombé sur toute la famille, un chagrin impossible à exprimer, au point qu’à une personne qui demandait un jour qui était la jeune femme sur une photo, on a répondu « c’est une amie de la famille ». Un secret bien gardé, mais qui n’a pas détruit la famille, au contraire. Quand la présence d’Annie est revenue, près de cinquante ans plus tard, hanter Jean-Marie dans ses rêves, celui-ci s’est enfin décidé à lever le voile et il a mené l’enquête auprès de ses frères, en examinant les photos de famille,dans les nombreuses lettres que s’écrivaient leurs parents, auprès de la meilleure amie d’Annie et enfin auprès de son fiancé Gilles. Il reconstitue ainsi le terreau familial sur la côte Atlantique, entre Biarritz et Tours, le père qui travaillait durement à la SNCF et tentait de monter les échelons à coups de concours qui l’éloignaient de sa famille, la mère qui menait la barque avec l’aide d’une grand-mère, l’amour et la foi profonds qui guidaient ces deux parents. L’aînée des quatre enfants n’a pas le caractère facile, son exigence de vie et une rupture amoureuse la mènent dans une dépression profonde dont elle sortira grâce à l’amour de Gilles, le jeune homme qui l’a toujours aimée et à qui elle s’était fiancée en 1968. Là aussi c’est grâce à de nombreuses lettres échangées que Jean-Marie Laclavetine dessine le portrait d’une jeune femme qui avait accepté de se laisser porter par la vie et l’amour et dont les aspirations furent emportées par la vague.

C’est à petites touches, tout en retenue, que Laclavetine raconte l’histoire d’Annie et de sa famille, laissant enfin la place au chagrin, au deuil mais aussi à la vie, à l’enthousiasme qui portaient Annie. L’écriture élégante de l’auteur participe à la dignité et à la sensibilité de cette évocation qui ne veut jamais verser dans le pathos mais qui est infiniment touchante. Voici quelques extraits qui montrent ce beau style et aussi l’interrogation permanente de l’auteur sur le rôle de la littérature face au chagrin et au souvenir.

« Pourquoi cet événement m’a-t-il marqué à ce point ? C’est toute la question du livre que je suis en train d’écrire, je suppose. Que nous reste-t-il du passé, que pouvons-nous récupérer en pêchant au petit bonheur dans l’eau profonde des souvenirs ? » (p. 47)

« La mission de la littérature est-elle seulement de dominer la douleur, de l’exprimer, de l’apaiser, de la soigner ? Certainement pas. J’écris ces lignes alors que a douleur n’est plus là. Annie est désormais une ombre familière et tranquille, elle a cessé de nous hanter. Je ne vois pus cette ombre trembler, et pour cause, dans le regard de mes parents dérivant soudain dans le vague – dans la vague. Je ne l’entends plus erre dans le silence qui tombait dès qu’on l’évoquait fut-ce de manière très allusive, je n’entends plus le froissement de sa robe dans la pg-hase de chuchotements par laquelle les voix devaient alors passer avant de reprendre leur cours normal. » (p. 67)

« Le silence, les secrets : voilà sur quoi se fondent les familles. Le nôtre n’a rien de honteux, rien de sordide, il se fonde sur une douleur simplement indicible. J’aime les secrets, pourvoyeurs de mystère, et j’aime le silence, souvent plus chargé de sens que les bavardages communs. » (p. 135)

« Reste à savoir à quoi sert d’avoir ainsi voulu retracer ta vie. Est-ce pour combler enfin le manque de ta présence ? Mais tu me manques plus que jamais, maintenant que je sais mieux qui tu étais, par où tu es passée, tout ce que je n’ai pas pu voir quand tu étais tout près. Les mots ne réparent rien. Ils filent comme les heures, comme les jours et les semaines que je regarde bondir sur un torrent de plus en plus sauvage, contrairement à l’idée que l’on se fait de l’âge, censé apporter peu à peu la sérénité, l’humble faculté d’accepter ce qui vient, et nous emmener avec la lenteur convenable vers l’auguste demeure. J’ai simplement voulu mettre un peu d’ordre dans ce chaos. » (p. 177)

Jean-Marie LACLAVETINE, Une amie de la famille, Gallimard, 2019 (188 pages)

Et pour casser mes habitudes de programmer des billets de lecture les mardis et vendredis, je programme ce billet pour le premier lundi de janvier !

 

Le chagrin des vivants

31 mercredi Juil 2019

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots britanniques

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Anna Hope, Gallimard, Le chagrin des vivants, Première guerre mondiale, Premier Roman

Quatrième de couverture :

Durant les cinq premiers jours de novembre 1920, l’Angleterre attend l’arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France. Alors que le pays est en deuil et que tant d’hommes ont disparu, cette cérémonie d’hommage est bien plus qu’un simple symbole, elle recueille la peine d’une nation entière. 
À Londres, trois femmes vont vivre ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l’armée ; Ada, qui ne cesse d’apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d’anciens soldats sur la piste du Hammersmith Palais pour six pence la danse. 
Dans une ville peuplée d’hommes incapables de retrouver leur place au sein d’une société qui ne les comprend pas, rongés par les horreurs vécues, souvent mutiques, ces femmes cherchent l’équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les cœurs s’apaisent.

J’aime la couverture de ce livre : elle m’a sans doute attirée quand je l’ai acheté et après lecture, je la trouve particulièrement bien choisie.

Un portrait de femme, chapeau couleur aubergine et robe de satin couleur bronze dont les reflets apportent de la lumière à l’image : couleurs qui mêlent le deuil – ou plutôt le demi-deuil, quand il s’st écoulé une période de quelques mois après le décès d’un proche – et la lumière, l’espoir, la renaissance. Le visage est coupé, on ne voit que la joue et l’ovale du menton, on devine des lèvres qui ne sourient pas, le cou et le décolleté sont gracieux. Une image qui évoque évidemment les trois femmes que met en scène Anna Hope, Ada, Evelyn et Hettie, trois femmes qui portent à des degrés divers l’insupportable deuil lié à la Grande Guerre, trois femmes qui ne peuvent vivre pleinement. Si de nombreux (jeunes) hommes sot revenus amputés physiquement et psychiquement, elles le sont, affectivement. Personne – ou si peu – ne peut leur raconter comment sont morts ou blessés leurs fils, fiancé, frère. Le chagrin les enferme d’autant plus qu’il n’y a pas de corps à honorer et que beaucoup veulent effacer les traces encore bien palpables de la guerre. Les funérailles du Soldat inconnu, enterré à Westminster Abbey le 11 novembre 1920, permettra aux Britanniques d’exorciser en quelque sorte ce chagrin inexprimable.

Anna Hope construit son récit sur cinq jours, du 7 au 11 novembre 1920, dessinant par petites touches impressionnistes l’histoire d’Ada, Evelyn et Hettie. Tandis que les autorités déploient la cérémonie du Soldat inconnu, suivie depuis les falaises de Douvres jusqu’au coeur de Londres par des milliers d’Anglais, c’est la parole, balbutiante, timide d’abord, la colère aussi, qui libère peu à peu ces trois femmes du silence étouffant. Le chagrin prend alors une autre couleur, la vie peut renaître, comme le dit le titre original du roman Wake, à l’image de cette femme enceinte dans le cortège des anonymes qui suivent le cercueil du Soldat inconnu. Mais on ne peut s’empêcher de penser que vingt ans plus tard, cette génération qui prend le relais de la vie sera à nouveau emportée dans le tourment de la guerre.

Oui, cette couverture de livre est particulièrement belle. Ce roman est beau et douloureux. Merci, Anna Hope (et merci à la traductrice Elodie Leplat).

« Pourquoi ne peut-il pas passer à autre chose ? 
Pas seulement lui. Tous autant qu’ils sont. Tous les anciens soldats qui font la manche dans la rue, une planche accrochée autour du cou. Tous vous rappellent un événement que vous voudriez oublier. Ça a suffisamment duré. Elle a grandi sous cette ombre pareille à une grande chose tapie qui lessive la vie de toute couleur et toute joie.
D’un coup de pied, elle balance sa robe dans un coin de la pièce.
La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas tous passer à autre chose, bon sang ? » (p. 101)

« Elle n’ira pas. Elle le déteste de toute façon, ce jour de l’Armistice, cette nouvelle tradition qui dégouline déjà de vénération grasse : une nouvelle opportunité pour ceux qui ont du sang sur les mains de jouer à se déguiser dans leur costume de meurtriers et de traîner derrière eux leurs chevaux et leurs affûts de canon en paradant dans les rues de Londres. Comme s’il n’y avait pas d’autres moyens de rendre hommage aux morts. »

« Et pourtant maintenant elle l’a entendue, maintenant elle sait que quelque part dans cette ville, en amont du fleuve, se trouve son frère, cet homme qui a ordonné à Rowan de fusiller son ami. Maintenant que cette vérité est en elle, partie intégrante d’elle, elle n’est pas dure comme du diamant et étincelante comme devrait l’être la vérité, mais nébuleuse, givrée de peur, de sueur, d’obscurité et de crasse. Elle ne contient pas d’élévation, pas de réponses, pas d’espoir. » (p. 323)

« …Et quoi qu’on puisse en penser ou en dire, l’Angleterre n’a pas gagné cette guerre. Et l’Allemagne ne l’aurait pas gagnée non plus.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– C’est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours. »
Il trace un cercle en l’air avec sa cigarette : c’est comme s’il dessinait l’ensemble des guerres, si innombrables soient-elles, l’ensemble des guerres passées et l’ensemble des guerres à venir.
« C’est la guerre qui gagne, répète-t-il amèrement, et celui qui ne partage pas cet avis est un imbécile. » (p. 345)

Anna HOPE, Le chagrin des vivants, traduit de l’anglais par Elodie Leplat, Gallimard, 2013

Lecture commune avec Aifelle, Béa Comète, George, Ingannmic, Anne Mon petit chapitre, Jacky Grêle Osée

Challenge Voisins Voisines 2019 – Angleterre

Le dimanche des mères

21 vendredi Juin 2019

Posted by anne7500 in Des Mots britanniques

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Gallimard, Graham Swift

Quatrième de couverture :

Angleterre, 30 mars 1924. Comme chaque année, les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu’ils aillent rendre visite à leur mère le temps d’un dimanche. Jane, la jeune femme de chambre des Niven, est orpheline et se trouve donc désœuvrée. Va-t-elle passer la journée à lire? Va-t-elle parcourir la campagne à bicyclette en cette magnifique journée? Jusqu’à ce que Paul Sheringham, un jeune homme de bonne famille et son amant de longue date, lui propose de le retrouver dans sa demeure désertée. Tous deux goûtent pour la dernière fois à leurs rendez-vous secrets, car Paul doit épouser la riche héritière Emma Hobday. Pour la première – et dernière – fois, Jane découvre la chambre de son amant ainsi que le reste de la maison. Elle la parcourt, nue, tandis que Paul part rejoindre sa fiancée. Ce dimanche des mères 1924 changera à jamais le cours de sa vie. 

Le Dimanche des mères. Le 30 mars 1924. Une journée pleine de promesses sous un soleil quasi estival.

Une relation entre deux classes sociales, entre deux personnes que la société a clairement séparées, compartimentées et qui ne peuvent avoir pour projet commun que la relation charnelle, l’interdit, le secret. Lui, l’aristocrate, s’en contente – apparemment – tandis qu’elle, la servante, a soif de connaissance et d’évasion par la lecture, Mais le soin avec lequel Paul Sheringham accueille sa maîtresse, Jane Fairchild, bonne d’un manoir voisin, manifeste peut-être son désir de casser les codes sociaux, alors qu’il doit se rendre à un déjeuner en compagnie de sa fiancée.

Un dimanche empreint à la fois de formalisme et de sensualité quand, son amant parti, Jane se promène nue dans la maison Sheringham.

Un dimanche qui montre le déclin d’un monde, celui de l’aristocratie anglaise dont de nombreux fils sont tombés pendant la Première guerre mondiale et qui, suite à ce conflit, voit baisser son niveau de richesse. Et qui annonce aussi un bouleversement social à travers l’évocation de la vie future de Jane.

Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser à Downton Abbey mais ne vous privez surtout pas de lire Le dimanche des mères, un roman court mais dense.

« Normalement, on ne devait entrer dans les bibliothèques, oui, surtout dans les bibliothèques, qu’après avoir discrètement frappé à la porte, même si, à en juger par celle de Beechwood, il n’y avait personne la plupart du temps. Cependant, même sans personne à l’intérieur, elles pouvaient vous donner l’impression, plutôt désobligeante que vous n’aviez rien à y faire. Une bonne se devait toutefois d’épousseter -et Dieu sait ce que les livres pouvaient accumuler de poussière ! Entrer dans la bibliothèque de Beechwood revenait presque à pénétrer dans les chambres des garçons, au premier étage. L’utilité des bibliothèques, se disait-elle parfois, tenait moins au fait qu’elles contenaient des livres, qu’à celui qu’elles préservaient cette atmosphère sacrée de « prière de ne pas déranger » d’un sanctuaire masculin. »

« Le crépuscule approchait , la lumière se moirait de reflets abricot et le monde voilé de vapeurs vert doré était d’une sublime beauté. »

« Elle deviendrait écrivain et vivrait jusqu’à quatre-vingt-dix-huit ans. Elle verrait deux guerres mondiales, vivrait sous le règne de quatre rois et d’une reine. Et presque deux reines puisqu’elle avait dû être conçue – tout juste – sous le règne de la reine Victoria. «Conçue puis oubliée».
Elle avait dix ans et elle était dans un orphelinat lorsqu’un grand paquebot heurta l’iceberg, faisant quelques orphelins de plus. Elle en avait douze lorsqu’une femme se jeta sous les sabots d’un cheval royal. Elle venait d’en avoir quinze lorsqu’elle travailla quelque temps, un été, dans une grande maison – elle n’avait encore jamais vu semblable palais – où elle appris tout ce qu’il fallait savoir sur les émissions nocturnes.
Elle vivrait assez longtemps pour devenir presque centenaire et pour comprendre qu’elle avait probablement connu, vu – et écrit – suffisamment. Cela lui était égal, disait-elle d’un ton enjoué, si elle ne parvenait pas jusqu’à l’an 2000. C’était deja un miracle qu;elle fût arrivée jusque-la. Le chiffre 19 avait marqué sa vie et dix-neuf ans , c’était un bien bel âge, ajoutait-elle en souriant. »

Graham SWIFT, Le dimanche des mères, traduit de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Gallimard, 2017

Challenge Voisins voisines 2019 – Angleterre

 

L’intérêt de l’enfant

18 mardi Juin 2019

Posted by anne7500 in Des Mots britanniques

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Gallimard, Ian McEwan

Quatrième de couverture :

À l’âge de cinquante-neuf ans, Fiona Maye est une brillante magistrate spécialiste du droit de la famille. Passionnée, parfois même hantée par son travail, elle en délaisse sa vie personnelle et son mari Jack. Surtout depuis cette nouvelle affaire : Adam Henry, un adolescent de dix-sept ans atteint de leucémie, risque la mort. Les croyances religieuses de ses parents interdisant la transfusion sanguine qui pourrait le sauver, les médecins s’en remettent à la cour. Après avoir entendu les deux parties, Fiona décide soudainement de se rendre à l’hôpital, auprès du garçon. Mais cette brève rencontre s’avère troublante et, indécise, la magistrate doit pourtant rendre son jugement. 

Ce mois anglais a été l’occasion de sortir de ma PAL un bien beau cadeau : L’intérêt de l’enfant, que j’ai refermé avec le « petit » tressaillement au coeur qui vous gardera le livre en mémoire pour longtemps. Ce roman était d’ailleurs parfaitement adapté à la période puisqu’il se déroule principalement pendant un mois de juin particulièrement frais et humide, un peu comme le nôtre jusqu’ici…

Le personnage de la juge Mayes est magnifique : à travers elle, Ian McEwan nous dresse le portrait d’une juge au sommet de sa carrière professionnelle, d’une femme qui commence à vieillir, d’une épouse absorbée par les affaires familiales qu’elle traite dans son métier et qui a laissé son couple s’étioler, d’une Anglaise chic et cultivée qui maintient ses émotions dans les limites strictes du flegme britannique. Tandis qu’il dessine ce portrait, l’auteur évoque des histoires de famille, des conflits, des questions morales sensibles de la société actuelle, le fonctionnement de la justice et c’est passionnant.

Alors que son mari est parti tenter l’aventure ailleurs, Fiona est confrontée à un cas particulier : celui d’un jeune homme presque majeur qui refuse un traitement par transfusions sanguines au nom de sa foi en Jehovah. Obligée de juger en urgence, Fiona Mayes prend cependant le temps de rencontrer le jeune Adam, ne se doutant pas que leur conversation et le jugement qu’elle va rendre vont bouleverser le cours de leur vie à tous les deux.

Il m’a semblé que Ian McEwan jouait subtilement sur le dedans et le dehors (l’appartement les rues de Londres, la chambre d’hôpital, le tribunal, la tournée de jugements dans différentes villes anglaises, un  petit salon dans un manoir) pour accompagner ces aler-retour entre vie intime, vie privée et vie professionnelle. La poésie anglaise et la musique des lieder allemands parsèment les pages du roman, permettant l’expression des sentiments. C’est sobre et élégant, tendu et profond. La fin est sublime et bouleversante. Ian McEwan est décidément un grand auteur anglais et un auteur universel.

« Dans les années quatre-vingt, un juge aurait encore pu placer l’adolescent sous tutelle judiciaire et le rencontrer au tribunal, à l’hôpital ou chez lui. A l’époque, un idéal plein de noblesse avait par miracle survécu à la modernité, cabossé et rouillé comme une armure. Au nom du monarque, les juges avaient été des siècles durant les gardiens des enfants de la nation. Désormais, les travailleurs sociaux les remplaçaient et rendaient compte de leur mission. Lent et inefficace, l’ancien système préservait le contact humain. Désormais il y avait moins d’attente, et davantage de cases à cocher, de rapports à croire sur parole. La vie des enfants étaient archivée dans la mémoire des ordinateurs, avec exactitude, mais un peu moins de bienveillance. »

« Malgré le tambourinement des gouttes sur son parapluie, elle entendit l’andante harmonieux, la cadence de la marche, tempo rare chez Bach, un beau chant insouciant qui s’élevait au-dessus de la basse continue, ses propres pas accompagnant cette mélodie aérienne et enjouée tandis qu’elle arrivait devant Great Hall. »

« Toute une vie professionnelle passée au-dessus de la mêlée, à défendre puis à juger, à s’autoriser en privé des commentaires condescendants sur la méchanceté et la bassesse des couples en instance de divorce, et voilà qu’elle était condamnée à frayer avec ses semblables, à nager en désespoir de cause dans le sens du courant. »

Ian McEWAN, L’intérêt de l’enfant, traduit de l’anglais par France Camus-Pichon, Gallimard, 2015

 

Loin, dans les bois…

16 dimanche Juin 2019

Posted by anne7500 in Des Mots en Poésie

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Gallimard, Pablo Neruda, Poésie

Loin, dans les bois, j’ai coupé une branche noire,
assoiffé j’ai porté son murmure à mes lèvres :
était-ce donc la voix de la pluie qui pleurait,
une cloche brisée ou un coeur mis en pièces?

Quelque chose qui de si loin m’est apparu,
enfoui dans sa lourdeur, recouvert par la terre,
ce sont cris assourdis par d’immenses automnes,
par la nuit entrouverte, humide des feuillages.

Alors, se réveillant du rêve végétal,
la branche du coudrier a chanté sous ma bouche
et son errante odeur grimpa dans mon esprit

comme si tout d’un coup me cherchaient les racines
abandonnées, la terre perdue, mon enfance,
et je restai, blessé du parfum vagabond.

Pablo NERUDA, La Centaine d’amour, traduit de l’espagnol (Chili) par Jean Marcenac et André Bonhome, Gallimard Poésie, 1995

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