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Archives de Tag: Points

Entre deux eaux

31 lundi Mai 2021

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots italiens, Des Mots noirs

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Points, Venise

Entre deux eaux - Donna Leon - Babelio

Quatrième de couverture :

Venise en hiver. Une archéologue de renommée internationale, est agressée avant un rendez-vous capital avec un directeur de musée. Une rencontre définitivement manquée puisque, à sa sortie d’hôpital, on retrouve ce dernier assassiné… Dans les coulisses du monde de l’art, le commissaire Brunetti enquête sur un terrain nouveau : celui des antiquaires et autres collectionneurs, parfois prêts à tout pour obtenir des œuvres inestimables ou placer des « faux » à prix d’or…

Brett Lynch, spécialiste des céramiques chinoises, est sévèrement passée à tabac dans son appartement de Venise. On la menace de pire encore si elle rend visite à Semenzato, le directeur du musée du Palais des doges où a eu lieu une immense exposition consacrée aux céramiques chinoises anciennes un an auparavant. Même si ce n’est pas de sa compétence, Brunetti s’intéresse déjà à l’agression dont a été victime Brett, à la fois par amitié et parce que le maire de Venise a sommé le vice-questeur Patta de tout faire pour cette bienfaitrice de la ville. C’est ainsi qu’il apprend que certaines des pièces de l’expo retournées en Chine étaient des faux et que l’assistante de Brett à Xi’an est morte dans un bizarre accident sur le chantier de fouilles. Brett se sent totalement responsable, à la fois parce que sa carrière est menacée et parce qu’en réalité, elle a délégué le retour des céramiques pour passer plus de temps avec sa compagne, la soprano Flavia Petrelli. Et voilà que le directeur du musée est retrouvé assassiné, conduisant Brunetti dans le monde des collectionneurs et des antiquaires plus que mordus d’oeuvres d’art.

J’ai apprécié cette enquête pour plusieurs raisons : le monde de l’art, le monde très pointu des spécialistes des céramiques chinoises, la fabrication des faux, les coups tordus auxquels sont prêts les collectionneurs, tout le contexte était intéressant et évoquait une fois de plus les petits ou grands arrangements avec la loi typiques de certains Italiens en général, de certains Vénitiens en particulier. L’amitié de Brunetti pour Brett Lynch, la relation complexe que Brett et la diva Flavia entretiennent constituaient de bons ressorts psychologiques. Evidemment, au bureau, Patta est égal à lui-même et la signorina Ellettra déploie ses talents « cachés » pour aider Brunetti dans son enquête (j’adore comme il cache bien son ébahissement derrière ses bonnes manières). Quant à Venise, nous la découvrons en hiver, sous une pluie battante et le phénomène de l’acqua alta donne un final palpitant et même angoissant à cette enquête rondement menée.

« Pour les non-vénitiens, Venise est une ville ; ses habitants, eux, savent bien que la Sérénissime n’est qu’un gros bourg assoupi, où l’on est curieux et friand de commérages, et où l’étroitesse d’esprit est la même que celle qui règne dans les patelins perdus de la Calabre ou de l’Aspromonte. »

« Non seulement la signorina avait réussi à obtenir les copies des relevés bancaires de La Capra, mais elle s’était arrangée pour fournir aussi des relevés de cartes bancaires aussi complets que ceux concernant Semenzato. Parfaitement conscient du temps qu’il aurait fallu pour se procurer ces informations par la voie officielle, Brunetti dut se résoudre à reconnaître qu’elle avait procédé de manière non officielle, ce qui voulait probablement dire illégale. Cela admis, il poursuivit sa lecture. »

« En face de lui, de l’autre côté de la place, se levait le palazzo Priuli, édifice laissé à l’état d’abandon depuis si longtemps que Brunetti ne se souvenait pas de l’avoir vu autrement. Ce palais était l’enjeu d’une bataille de succession féroce autour d’un testament contesté. Si bien que pendant que les différents héritiers putatifs s’en prenaient les uns aux autres, tous sûrs de leur bon droit, le Palazzo, de son côté, indifférent aux querelles et prétentions des héritiers, menait à bien avec une détermination farouche la tâche qu’il s’était fixée : l’autodestruction. De longues traînées de rouille coulaient des grilles censées en interdire l’accès et déparaient les murs de pierres ; le toit prenait une inclinaison curieuse et s’affaissait par endroits, se trouant même de lucarnes imprévues ici et là qui permettaient au soleil d’assouvir sa curiosité pour ce que contenaient les greniers, fermés depuis tant d’années. Brunetti avait souvent songé que le palazzo serait le lieu idéal où enfermer une tante folle, une épouse récalcitrante ou encore une héritière rebelle. Par ailleurs, son côté pratique de bon Vénitien lui permettait de voir le bâtiment comme un placement immobilier de choix et d’en étudier les fenêtres en essayant d’imaginer comment diviser l’intérieur en appartements, bureaux et ateliers.« 

« Un coup d’œil à la carte d’Italie suffisait à comprendre combien ses frontières était perméables. Des milliers de kilomètres de côtes, truffées de baies abritées, de criques discrètes, d’estuaires… ou, pour ceux qui étaient bien organisés ou qui disposaient des bonnes relations, il y avait les ports et les aéroports, par lesquels on pouvait faire transiter n’importe quoi sans beaucoup de risques. Les gardiens de musée n’étaient pas les seuls à être mal payés. »

Donna LEON, Entre deux eaux, traduit de l’anglais par William Olivier Desmond, Points, 2000 (Calmann-Lévy, 1999)

Dernière participation au Mois italien  chez Martine avec une étape à Venise

Petit Bac 2021 – Aliment/Boisson

Lettres d’amour en héritage

21 mercredi Avr 2021

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin, Non Fiction

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Lydia Flem, Points

Lettres d'amour en héritage

Quatrième de couverture :

Dans trois boîtes au grenier se trouve leur correspondance amoureuse. Oserons-nous la lire maintenant qu’ils sont disparus ? Entrer dans la chambre des parents, c’est chercher à comprendre ce qui s’est passé avant notre naissance. Roman des origines que chacune et chacun rêve de découvrir. Au fil de leurs lettres s’écrit aussi notre histoire : sommes-nous nés de l’amour ?

Après Comment j’ai vidé la maison de mes parents, lu en 2015 (déjà !?), voici le deuxième volet de la trilogie autobiographique de Lydia Flem. Dans le premier, elle racontait le deuil, le difficile travail de vider la maison (garder, offrir, vendre ou jeter) et elle comprenait que tout ce que ses parents avaient entassé sans jamais rien jeter leur servait sans doute de rempart contre le vide de leurs débuts, marqués par la Shoah.

Après tout ce travail de tri, il reste trois boîtes remplies de lettres soigneusement numérotées. Des lettres écrites surtout entre 1946 et 1949, depuis le moment où Boris Flem rencontre par hasard Jacqueline Esser à Leysin, dans le sanatorium où elle se fait soigner de la tuberculose sévère contractée dans les camps : résistante, elle a été déportée à Auschwitz et a subi les marches de la mort jusqu’à Ravensbrück. Lui n’a plus de famille ou si peu, on ne s’est d’ailleurs jamais bien occupé de lui, il a lui aussi été déporté dans un camp de travail. Une amitié naît, qui se nourrira de longues lettres et qui se transformera en un amour plus fort que la solitude, plus fort que la maladie et la mort.

Cet amour restera fort toute leur vie. Il pèsera lourd aussi sur leur fille unique : Boris et Jacky étaient tout l’un pour l’autre, ils comblaient l’un pour l’autre toutes les pertes que la guerre leur avait fait subir, la fragilité physique de Jacky lui interdisait toute grossesse et pourtant Lydia est née, heureusement bien désirée, pas le fruit du hasard ou de l’oubli.

« Le traumatisme en héritage : l’agressivité inhibée, impossible de faire du mal, mes deux parents étaient trop fragiles. Seulement être sage et obéissante. Ne rien déranger. Rester immobile. Silencieuse, ramassée sur soi comme quelqu’un qui se cache, qui cherche à demeurer dissimulé. Faire le mort pour sauver sa peau. Ma mère disait qu’au camp elle s’était faite toute petite, invisible, pour se protéger, pour échapper au travail d’esclave, pour ne pas mourir. Tenir des heures dans le froid, à l’appel, au petit matin glacial de haute Silésie. Se cacher dans les latrines.  Elle avait 23 ans. Comment vivre lorsqu’on est un enfant de survivants ? Comment oser vivre, rire, bouger, chanter, être heureuse ? Pourtant, ils voulaient que la vie l’emporte sur l’anéantissement. Ma naissance était un miracle à leurs yeux. La vie plus fort que toutes les morts. » (p. 78-79)

La maladie a toujours fait partie de la vie de la famille : régulièrement, Jacqueline retournait en Suisse pour des cures ; plus tard, elle gardera de lourdes séquelles d’un accident de voiture. Cela lui a à la fois forgé un moral de battante mais aussi fait surprotéger sa fille.

« Survivre éveillait un sentiment de culpabilité – culpabilité du survivant, disait-on, – un sentiment de victoire aussi, sur les nazis. Mes parents n’avaient pas partagé le sort des victimes, ils avaient échappé au génocide. Ils étaient meurtris mais vivants. Deux orphelins, deux survivants, s’épaulant mutuellement pour tracer un chemin de vie, c’est ainsi que se noua leur couple. Un couple fondé sur l’interdépendance, le rêve tout-puissant de vaincre la maladie et la mort. Ils s’arc-boutaient contre le monde. Ils voulaient me préserver. Le monde recelait trop de danger. Ils voulaient me les épargner. Ils n’avaient pas confiance dans les forces que l’on peut développer en soi. Leurs expériences leur avaient prouvé que Thanatos l’emporterait toujours sur Eros. «  (p. 81-82)

En lisant et en classant ces lettres, Lydia Flem comprend mieux pourquoi elle a toujours senti qu’elle ne pourrait jamais satisfaire sa mère, si avide d’attention et d’amour. Elle a bien sûr réussi à se construire, elle raconte comment l’imagination et la lecture l’ont aidée.

« Je commençai à lire cet été-là et ne m’arrêtai plus jamais. Je me jetais sur mon lit avec volupté, je lisais toute la journée, même tard le soir, sous mes couvertures, à la lumière d’une lampe de poche. L’été de mes 9 ans, je préférai lire au lit, un matin, plutôt que d’accompagner ma mère en ville, pour acheter un cache-pot. C’est ce jour d’août qu’elle eut son grave accident de voiture. Je me suis toujours demandé ce qui serait arrivé si j’avais été présente. Serais je morte ? Ma mère aurait-elle été moins blessée ? Je me sentis longtemps coupable de l’avoir laissée seule, comme si j’avais pu lui éviter son accident. L’idée ensuite me poursuivit que je pourrais, au même âge qu’elle, avoir, à mon tour, un accident grave. Je mis beaucoup de temps à me décider à conduire, mon père m’en dissuada autant qu’il put, arguant absurdement que c’était difficile de trouver une place de parking. Heureusement, lorsque j’eus vingt ans, un ami, à qui j’avais raconté cette histoire, m’offrit symboliquement un porte-clés. Il me le tendit en déclarant que l’on trouve toujours une place pour se garer puisqu’il y a pour chacun une place dans ce monde. » (p. 182-183)

Au final, ce travail sur les lettres, commencé dans le doute, la crainte de la curiosité malsaine a permis à Lydia Flem de faire son deuil, de mieux comprendre ses parents et de se comprendre elle-même.

« Ma lecture m’a permis de passer du temps en leur compagnie. Ce fut un long voyage au pays de l’enfance et de ce qui l’a précédée, tout à la fois éprouvant et émerveillé. Je vis comme une grande chance d’avoir pu recueillir ces love letters que chacun s’attend peut-être à trouver en vidant la maison de ses parents. Par l’imagination, grâce à cette littérature « de grenier », j’ai pu assister à ce qui est arrivé avant ma naissance et l’a préparée. Une expérience unique, modeste et précieuse. » (p. 232-233)

Comme pour le premier tome, cette lecture a été très prenante. L’histoire d’amour des parents de Lydia Flem est touchante et l’expérience intime, personnelle de la fille prend des dimensions universelles par la clarté de son regard de psychanalyste, par la bienveillance qui se dégage de l’ensemble du livre. Je termine avec un passage qui m’a particulièrement parlé.

« Souvent j’ai regretté les frères et soeurs qui ne sont pas nés après moi, mais j’étais fière de savoir que j’avais été désirée. L’amour qu’on a reçu dans sa petite enfance ne disparaît pas, il nous donne une force au fond de soi qui ne peut jamais être vaincue. Malgré tous les reproches que je pouvais et pourrais encore faire à mes parents, je leur dois, à tous les deux, d’avoir été aimée. Même fort, même mal, mais aimée. Sur la partition de notre histoire ne s’effacent pas les étranges détours de l’inconscient de nos parents. Nous avons été modelés autant par ce qu’ils ont voulu nous transmettre que par ce qu’ils nous ont transmis à leur insu. Une généalogie inconsciente, sur plusieurs générations, nous traverse. Nous portons, souvent sans nous en douter, des blessures venues de nos ascendants, d’anciennes missions, de lourds secrets. Il ne nous est pas toujours donné d’en d’éclaircir les ombres, d’en dénouer les liens. Nous faisons notre vie cahin-caha, et à réfléchir à l’histoire de nos parents, de nos ancêtres, nous parvenons parfois à ne pas répéter leurs destins, mais à nous en échapper en partie. À faire un pas de côté. » (p. 178-179)

Il me reste à lire le troisième livre de cette autobiographie, j’espère que je ne mettrai pas autant de temps qu’entre le premier et le deuxième.

Lydia FLEM, Lettres d’amour en héritage, Points, 2013 (Seuil, 2006)

Le Mois belge 2021 – catégorie Esperluète (histoire de famille et d’amour)

Petit Bac 2021 – Objet

Un nom de torero

23 vendredi Oct 2020

Posted by anne7500 in Des Mots sud-américains

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Luis Sepulveda, Points

Quatrième de couverture :

Juan Belmonte, ancien guérillero chilien, et Frank Galinsky, ex-membre de la Stasi, sont engagés par des parties adverses pour retrouver un mystérieux trésor disparu au Chili. Épris de liberté et de justice, ces deux hommes ont tout sacrifié à leurs idéaux politiques. Revenus de leurs illusions, ils entament leur ultime aventure : un duel sanglant au bout du monde.

En 1994, Luis Sepulveda s’est lancé dans le roman noir : la dédicace de ce livre est parlante, sans doute l’auteur chilien a-t-il voulu revenir symboliquement dans son pays natal à travers ce roman d’espionnage qui met en scène Juan Belmonte, le narrateur, ancien guerillero chilien qui a dû fuir le régime de Pinochet et a roulé sa bosse dans les révolutions de gauche latino-américaines, et Frank Galinsky, ex-membre de la Stasi, qui s’est frotté lui aussi à tout ce monde souvent clandestin. Deux hommes qui finiront par se retrouver en Terre de feu pour récupérer un trésor inestimable de pièces d’or, sans doute un « trésor » de guerre nazi confisqué à des Juifs. 

Au pays, Juan Belmonte a laissé pour morte sa compagne, arrêtée et disparue sous la dictature et finalement laissée pour morte sur un tas d’ordures. Depuis, elle ne parle plus, ne bouge plus, est incapable de s’occuper d’elle-même, c’est une vieille tante qui l’a recueillie et la soigne. Belmonte, qui a appris le « retour » de Veronica, envoie régulièrement de l’argent d’Europe pour ses soins. C’est une machination bien huilée qui le force à retourner au Chili. A travers son personnage, oui, c’est vraiment un retour symbolique pour Luis Sepulveda : sans doute n’a-t-il aucune envie de rentrer dans un pays où les anciens collaborateurs de la dictature se baladent librement en pleine rue. Certes, l’un ou l’autre est parfois abattu froidement dans ces mêmes rues mais le poids du régime Pinochet se fait toujours sentir pour ceux qui l’ont payé chèrement.

A travers ce roman assez court, Luis Sepulveda nous entraîne à la suite de ces combattants souvent clandestins qui ont servi les révolutions marxistes et a contrario, de leurs opposants, soutiens des dictatures de droite (ceux qui ont aidé à cacher d’anciens nazis en Amérique du Sud). Mais l’humour n’est pas absent de ce roman noir, ni une certaine forme de rédemption.

« A quoi peut encore être bon un ex-guérillero de quarante-quatre ans? A l’Agence pour l’emploi de Hambourg, on regarderait d’un drôle d’oeil ma demande de stage de formation, si je mettais à la rubrique 《que savez-vous faire?》: expert en filatures et contre-filatures, sabotages et actions similaires, faux-papiers, production artisanale d’explosifs, docteur-ès défaites. »

« J’allais rentrer au Chili. J’avais vécu dans la crainte de ce moment. Si je craignais ce retour, ce n’était pas parce que je n’aimais plus ce pays, ou parce qu’il n’occupait plus de place dans mes neurones, mais parce que j’ai toujours été rebelle aux amnésies, surtout les amnésies décrétées pour cause de raison d’État, de pactes politiques, d’enlèvement des ordures.
Qu’est-ce qui m’attendait au Chili ? Une peur épouvantable. L’incertitude quant aux réactions de mon estomac, pour désigner par un euphémisme la région où se loge notre âme.
Et puis là-bas, il y a toi, Veronica, mon amour, retranchée dans ton silence dont je n’ose m’approcher car je sais que tu ne me laisseras pas y entrer. »

« Peut-être que ce flic avait fait une partie de sa carrière dans ces prisons qui n’ont jamais existé ou dont il est impossible de se rappeler l’emplacement, et qu’il y avait interrogé des femmes, des vieillards, des adultes et des enfants qui n’ont jamais été arrêtés et dont il est impossible de se rappeler les visages, puisque, quand la démocratie a ouvert ses cuisses au Chili, elle a d’abord annoncé le prix et que la monnaie dans laquelle elle s’est fait payer s’appelle oubli. »

Luis SEPULVEDA, Un nom de torero, traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero, Points, 2017 (Métailié, 1994)

Hommage à Luis Sepulveda, hélas décédé du covid-19 le 16 avril 2020

Pumpkin Autumn Challenge –Automne frissonnant – Je suis Médée, vieux crocodile ! (polar)

Sans nouvelles de Gurb

08 mardi Sep 2020

Posted by anne7500 in Des Mots espagnols

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Eduardo Mendoza, Points

Quatrième de couverture :

Gurb a disparu dans Barcelone, dissimulé sous les traits de Madonna. Précision : Gurb est un extraterrestre. Parti à sa recherche sous une apparence moins voyante, son coéquipier tient scrupuleusement le journal de ses observations. Une satire délirante et désopilante de notre monde moderne.

J’ai lu ce petit livre (et découvert Eduardo Mendoza) pour le travailler avec des élèves dans le cadre d’un projet « Diversité culturelle ».

Ici c’st plutôt de « clash culturel » qu’il faudrait parler puisque Gurb et le narrateur (qui est le responsable de la mission des deux extra-terrestres et se faisait volontiers servir par Gurb), Gurb et le narrateur donc ont des pouvoirs particuliers qui leur permettent – croient-ils – de se fondre dans la population barcelonaise. Mais voilà, Gurb s’est « déguisé » en Madonna… pas étonnant qu’il ne donne plus aucune nouvelle à son acolyte. Celui-ci, dont nous ne connaîtrons jamais le nom – part à la recherche de Gurb en se travestissant successivement en matador célèbre, en Gary Cooper, en Pie XII voire en Luciano Pavarotti pour n’en citer que quelques-uns. Outre les mésaventures (implicites) liées à ses différentes apparences, il doit aussi se confronter à ce qui fait la condition humaine : manger, boire, se loger, ouvrir un compte, trouver la personne avec qui vivre en couple… Tout cela est raconté de façon assez simple, en chapitres fractionnés de courts paragraphes en général. Le comique de situation, de répétition, de langage, de gestes, l’absurde sont largement utilisés par l’auteur et prêtent plus ou moins à sourire. On est sans doute loin de la satire désopilante annoncée par la quatrième de couverture mais le roman, un conte philosophique moderne, est intéressant. Et puis cette couverture à la Keith Haring est bien choisie, non ?

« 20 h. 00 J’ai tant marché que mes chaussures fument. J’ai perdu un talon, ce qui me force à un déhanchement aussi ridicule que fatigant. J’enlève mes chaussures, j’entre dans un magasin et, avec l’argent qu’il me reste du restaurant, j’achète une paire de chaussures neuves moins pratiques que les précédentes, mais fabriquées dans un matériau très résistant. Equipé de ces nouvelles chaussures appelées skis, j’entreprends de parcourir le quartier de Pedralbes. »

« 20 h 42 Par la faute de ma foutue radioactivité, la foudre me tombe dessus à trois reprises. Elle fait fondre la boucle de ma ceinture et la fermeture à glissière de ma braguette. Elle hérisse tous mes poils et mes cheveux, et je n’arrive pas à les ramener à leur état antérieur : je ressemble à un porc-épic. »

Eduardo MENDOZA, Sans nouvelles de Gurb, traduit de l’espagnol par François Maspero, Points, 2013 (Seuil, 1994)

Le prix de la chair

08 vendredi Mai 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots italiens, Des Mots noirs

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Points

Quatrième de couverture :

L’éminent avocat vénitien Carlo Trevisan a été retrouvé mort dans un train. Arpentant les quartiers malfamés de Venise, pour les besoins de l’enquête, le commissaire Brunetti découvre un trafic international de prostitution, plus ignoble encore qu’une « traite des Blanches ». Meurtres, corruptions et argent sale seront au rendez-vous, et, bien sûr, les notables vénitiens sont de la partie…

Tout commence en automne avec un accident de camion spectaculaire, glissages en montagne, plongée dans le ravin et découverte d’un chargement… spécial. L’affaire aura un lien avec les meurtres de notables que le commissaire Brunetti devra résoudre au début de l’hiver.

C’est la quatrième enquête du commissaire Brunetti que je lis et dans celle-ci, la ville n’a pas vraiment un rôle particulier. Pas de quartier mis en avant dans l’enquête (et il n’est pas question de quartiers mal famés, comme l’évoque la quatrième de couverture) mais plutôt la haute bourgeoisie d’affaires vénitienne, des avocats, des experts-comptables qui m’ont fait penser à la haute société victorienne décrite par Anne Perry dans ses romans : belle façade respectable et coulisses sordides, immondes.

Pas de quartier spécial donc, mais Brunetti rencontre quand même la soeur de la signora Elettra (la secrétaire « magique » du vice-questeur Patta) au café Florian, rien de moins. Pas de scène pittoresque avec Patta, qui se contente de cultiver envers et contre tout les apparences du commissariat. (Heureusement  qu’il y a maintenant la brillante Elettra, dont les ressources et la créativité flirtent toujours avec les limites.) Et pas de bonne recette cuisinée chez les Brunetti, même si les conversations avec sa femme Paola et sa fille Chiara sont passionnantes et aident le commissaire à résoudre l’enquête.

Ce n’est peut-être pas le plus palpitant épisode de la série, donc, mais il a bien rempli son office de « divertissement ». A la fin, Brunetti est confronté à une disparition de preuves qui a sûrement dû le mettre dans une rage folle (plus qu’un règlement « à l’italienne » ou plutôt d’une certaine frange au pouvoir), qui renforcera sûrement son sens de la justice et de l’honnêteté dans les romans suivants.

Donna LEON, Le prix de la chair, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Points, 2013 (Calmann-Lévy, 1998)

Mai en Italie avec Martine

Songe à la douceur / Eugène Onéguine

17 vendredi Jan 2020

Posted by anne7500 in Des Mots français, Des mots russes

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Alexandre Pouchkine, Babel, Clémentine Beauvais, Eugène Onéguine, Points, Songe à la douceur

Quatrième de couverture :

Quand Tatiana rencontre Eugène, elle a 14 ans, il en a 17. Il est sûr de lui, charmant et plein d’ennui, elle est timide, idéaliste et romantique. L’inévitable se produit, elle tombe amoureuse, et lui, semblerait-il, aussi. Alors elle lui écrit une lettre ; il la rejette, pour de mauvaises raisons peut-être. Dix ans plus tard, ils se retrouvent par hasard. Tatiana a changé, Eugène également. Vont-ils encore aller à l’encontre de leurs sentiments ?

Au départ (et cela date de plus d’un an), il y a la demande pressante de ma chef de section pour travailler le slam en classe avec un collègue de cours pratiques (je donne cours dans une section professionnelle qui a pour finalité les métiers de la publicité – et ma chef a à coeur de lier les cours généraux et les cours pratiques pour motiver nos élèves) Et moi rien que le mot slam, ça me fait écarquiller les yeux et ressentir un grand moment de panique. A part connaître le nom de Grand corps malade, je n’y entends que dalle… L’année se passe et on reporte ça à cette année scolaire. Et ô miracle, à la fin des grandes vacances 2019, je découvre le roman Signé Poète X d’Elizabeth Acevedo (traduit par Clémentine Beauvais), un roman écrit en vers, et ce roman de la traductrice du premier, Songe à la douceur. C’est aussi un texte écrit en vers, parfois rimés, surtout bien rythmés et dont la mise en page – calligrammes, blocs de textes, mots éclatés sur la page – épouse l’histoire, les émotions vécues par les personnages. L’histoire, c’est une réécriture moderne d’Eugène Onéguine, Clémentine Beauvais a gardé les noms des personnages principaux, Tatiana, Eugène, Lensky et Olga, et les plonge dans notre monde moderne, en utilisant toutes les ressources des moyens de communication des jeunes d’aujourd’hui. Eugène, c’est l’ado blasé, nihiliste, ami de Lensky, l’ado idéaliste, passionné, poète, amoureux d’Olga. La face claire et la face sombre des héros romantiques, en quelque sorte. Eugène se laisse aimer par la petite soeur d’Olga, Tatiana, quatorze ans, timide, réservée. L’été finit brutalement avec la mort de Lensky. Dix ans plus tard, Tatiana et Eugène se retrouvent par hasard : elle est étudiante et spécialiste du peintre Caillebotte, il a tracé un chemin de réussite apparente mais sans âme dans le monde adulte. Que va-t-il se passer, vont-ils céder enfin à un peu de la douceur annoncée dans le titre ? Je ne vous dirai pas tout, mais j’ai adoré suivre les doutes, les passions, les rêves et les réalités de ces personnages, j’ai adoré la manière dont Clémentine Beauvais joue avec le langage (elle a 31 ans, elle est prof en sciences de l’éducation et littérature anglaise à l’université de York, elle a déjà écrit de nombreux romans pour enfants et grands ados, elle est aussi traductrice, je suis époustouflée par le talent d’une si jeune personne). Si le roman est une réécriture, il est aussi truffé de références littéraires et poétiques. C’est le roman des amours adolescentes et de ce qu’elles deviennent à l’âge adulte. D’abord publié chez Sarbacane, il est maintenant en poche : bon, tous mes grands ados (surtout les garçons) n’apprécient pas la couverture un peu girly – ni même le roman tout court – mais je suis ravie d’avoir découvert cette jeune auteure et une base pour étudier le slam !

Clémentine BEAUVAIS, Songe à la douceur, éditions Points, 2018 (Sarbacane, 2016)

Quatrième de couverture :

“Placé du côté de la légèreté, du sourire, le roman de Pouchkine est unique dans la littérature russe : il n’apprend pas à vivre, ne dénonce pas, n’accuse pas, n’appelle pas à la révolte, n’impose pas un point de vue, comme le font, chacun à sa façon, Dostoïevski, Tolstoï, ou, plus près de nous, Soljénitsyne et tant d’autres, Tchekhov excepté…
En Russie, chacun peut réciter de larges extraits de ce roman-poème qui fait partie de la vie quotidienne. A travers l’itinéraire tragique d’une non-concordance entre un jeune mondain et une jeune femme passionnée de littérature, il est, par sa beauté, par sa tristesse et sa légèreté proprement mozartiennes, ce qui rend la vie vivable.”
A. M.
André Markowicz, qui s’applique depuis des années à faire connaître la richesse de la littérature classique russe, propose ici une remarquable traduction en octosyllabes rimés du chef-d’oeuvre de Pouchkine.
Né à Moscou en 1799, tué en duel en 1837 à Saint-Pétersbourg, Alexandre Pouchkine n’est pas seulement le plus grand poète russe, il est à l’origine de la langue russe moderne ; il a lancé tous les débats qui, à travers le XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, ont fondé la vie intellectuelle de la Russie.

Evidemment, je ne pouvais pas ne pas lire l’original (ça c’était du prétexte pour aller en librairie), qui est lui aussi un roman en vers, très difficile à traduire en français, paraît-il (les tétramètres iambiques du russe n’ont pas du tout la même rythmique que le français) et le chef-d’oeuvre d’Alexandre Pouchkine d’après la critique. C’est un roman qui laisse transparaître les idées libertaires de Pouchkine qui parle – comme en voix off – de son personnage principal sans que cela vienne perturber la lecture. J’ai trouvé celle-ci très fluide, alors que le format des strophes rimées pourrait laisser penser le contraire. Tatiana est la soeur aînée d’Olga, Eugène et Lenski sont ici aussi les deux faces du héros romantique mais Lenski est moins léger, la fin est très différente (Clémentine Beauvais s’est permis très subtilement de jouer avec cette fin dans la réécriture). C’est aussi le roman de la vie quotidienne russe au début du 19è siècle, à la ville et à la campagne. C’est aussi étonnant de lire comme une prémonition de sa propre mort dans le duel que Pouchkine met en scène entre les deux amis : lui-même mourra à l’âge de 38 ans, dans un duel contre l’amant de sa femme, Natalia Gontcharovna. Il paraît que l’auteur a beaucoup travaillé et fait évoluer la langue russe : presque deux siècles plus tard, la jeune Clémentine Beauvais suit ses traces en jouant elle aussi avec le langage dans sa réécriture. Une jolie boucle entre ces deux auteurs.

Alexandre POUCHKINE, Eugène Onéguine, traduit du russe par André Markowicz, Babel, 2008 (Actes Sud, 2005)

En faisant des recherches pour préparer mon cours, j’ai évidemment écouté des extraits de l’opéra adapté par Piotr Tchaïkovski. J’en ai même fait écouter à mes élèves (ils ont dû se dire que je suis complètement givrée). Ecoutez l’air de Tatiana, l’air de la Lettre, par Anna Netrebko.

Un Vénitien anonyme

24 vendredi Mai 2019

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Points, polar, Venise

Quatrième de couverture :

Près d’un abattoir de la banlieue de Venise, un travesti est retrouvé mort. Sa tête est défoncée et son visage à peine reconnaissable. Chargé de l’enquête, Brunetti découvre que le cadavre n’est autre que le directeur de la Banca di Verona. Entre réseau de prostitution masculine et vaste magouille financière, l’été sera chaud pour le commissaire Brunetti…

Cette troisième enquête du commissaire Brunetti se déroule en plein mois d’août, sous une canicule particulièrement accablante (et pas question pour lui de travailler en tenue légère comme les touristes, nombreux et envahissants malgré la chaleur). C’es dehors de Venise, à Mestre, dans un terrain vague proche des lieux fréquentés par les prostitués, que l’on trouve le corps d’un homme, apparemment un travesti, en robes et talons aiguilles rouges, le visage massacré. L’identification prend du temps et apparemment, l’homme n’est pas du tout un travesti et encore moins un prostitué, mais bien un banquier tout à fait respectable. Ou pas ? Les recherches minutieuses de Brunetti et de ses collaborateurs mettront au jour une magouille financière cachée sous une soi-disant Lega della Moralità.

L’équipe de Brunetti évolue au cours de ce troisième épisode : elle ne sortira hélas pas indemne de cette enquête mais un nouveau personnage apparaît, la Signorina Ellettra, secrétaire du vice-questeur Patta, j’ai cru comprendre qu’on va la retrouver dans les numéros suivants suivants, cette jeune femme élégante, intelligente et un poil insoumise. A propos de Patta, celui-ci se retrouve dans une position conjugale délicate (je ne vous en dis pas plus, c’est assez croquignolet). Croyez-vous que Brunetti va en profiter pour écraser son supérieur ? Non, évidemment, et c’est cette classe, cette élégance, physique et morale, que j’apprécie tant chez Guido Brunetti. Je n’ai lu que trois enquêtes jusqu’à présent mais j’aime déjà très fort ce personnage, tout autant que saliver devant les plats concoctés par Paola, son épouse, ou par l’un ou l’autre personnage secondaire et bien sûr continuer à découvrir Venise au fil des saisons : ici, en plein « Ferragosto », ce n’est pas la plus agréable à vivre dans la Sérénissime mais l’évasion du voyage est bien présente et les évocations très sensorielles de Donna Leon – ainsi que son humour – se savourent avec grand plaisir.

« – Houla, le superflic ! ironisa Paola en tendant la main vers une autre tomate, il voit des rondelles de tomates avec juste de quoi mettre une tranche de mozzarelle entre elles, il voit un bouquet de basilic tout frais dans un verre d’eau, à la gauche de sa délicieuse épouse, et fait le rapprochement entre tous ces éléments et, raisonnant à la vitesse de la lumière, en déduit qu’il y a de l’insalata caprese pour le dîner. Pas étonnant qu’un tel homme frappe de terreur la population criminelle de cette ville. » (p. 46)

« Dans la péninsule, où l’on est abreuvé de la théorie du complot alors que l’on tète encore le lait maternel, un Italien ne peut faire autrement que de voir des conspirations partout. Si bien que le moindre groupe donnant l’impression de fuir la publicité y est immédiatement soupçonné des pires choses, comme l’ont été en leur temps les Jésuites et comme le sont aujourd’hui les témoins de Jéhovah. Comme le sont encore aujourd’hui les Jésuites, se corrigea mentalement Brunetti. La conspiration engendre certes le secret, mais Brunetti n’était pas prêt à retourner la proposition, et à affirmer que le secret était synonyme de conspiration. » (p. 151)

Donna LEON, Un Vénitien anonyme, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Points, 1999 (Calmann-Lévy, 1998)

Le Mois italien chez Martine

Challenge Venise chez Florence Le Livre d’après

Voisins Voisines 2019 – Italie

Mort en terre étrangère

25 vendredi Mai 2018

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Points, polar, Venise

Quatrième de couverture :

Un homme est retrouvé mort dans un canal vénitien. Des indices laissent présumer qu’il s’agit d’un militaire posté dans une base américaine de la région. Mais pourquoi ses supérieurs s’inquiètent-ils si peu de lui ? Et quel lien y a-t-il entre cet homme retrouvé mort et le cambriolage d’un palais ? Avec son obstination habituelle, le commissaire Brunetti fera tomber le mur du silence américain… Non sans dommages.

J’ai retrouvé le commissaire Brunetti avec plaisir et même avec une certaine surprise, car Foster, le premier mort que l’on retrouve un matin au bord d’un obscur canal vénitien, apparemment victime d’une agression de rue, est un Américain qui travaillait au service de santé publique de la base américaine de Vicence. L’occasion pour le commissaire de se souvenir de l’histoire et de(s) (l’)intérêt(s) de la présence US en Italie et de rencontrer la charmante supérieure hiérarchique de la victime, le docteur Peters. Brunetti va collaborer avec un capitaine de carabiniers présent sur la base le major Ambrogiano. Les autorités américaines font clairement de la rétention d’informations, voire de la manipulation, faisant croire à des histoires de drogue, mais impossible de rien prouver… Les intuitions de Brunetti se confirment quand, quelques jours plus tard, on retrouve la médecin morte d’une overdose. Suicide, déclare l’autopsie… Pendant ce temps, un riche industriel milanais se fait cambrioler dans son palais vénitien.

« Et si ces deux innocents avaient accidentellement mis les pieds là où il ne fallait pas, tout ça à cause d’une éruption suspecte sur le bras d’un garçonnet ? »

Dans cette enquête qui prend son temps faute de clarté dans les relations italo-américaines (et aussi pare que le commissaire doit contourner avec précautions les ordres du vice-questeur Patta, toujours aussi imbu de lui-même et attentif avant tout à flatter les autorités), Brunetti va naviguer en eaux troubles et découvrir – notamment grâce à son riche beau-père, qu’il ne porte pourtant pas dans son coeur – à quel point les autorités politiques, militaires et économiques peuvent user et abuser de leurs pouvoirs réunis. Sans vouloir révéler le fin mot de l’affaire, l’enquête se termine sur une note amère car Brunetti est muselé en beauté à la fin de l’affaire. Je me demande même si son sens de la justice et de l’honnêteté ne le mettra pas carrément en danger dans une future affaire… Ce sont ces qualités qui font que j’aime Brunetti, avec son sens de l’humour inébranlable. J’apprécie aussi le compagnonnage indéfectible de sa femme Paola.

« Je viens d’avoir une discussion littéraire avec notre fille, dit-il. Elle m’a expliqué l’intrigue d’un grand classique de la littérature anglaise.Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux, pour son instruction,la forcer à regarder les feuilletons brésiliens à la télé. Elle a très envie que le feu vienne à bout de Mrs Rochester.
– Voyons, Guido, tout le monde en a envie quand on lit « Jane Eyre » Elle remua les oignons dans la poêle puis ajouta: « Au moins la première fois. Ce n’est que plus tard que l’on comprend à quel point Jane Eyre est une petite salope d’arriviste, sous ses airs de sainte nitouche. « 

« Alors que Brunetti se tournait pour repartir, Vianello lui lança une dernière question. « Et si je conclus un accord avec lui ? Devrons-nous pour autant le respecter ? »
Le commissaire fit volte-face et regarda longuement Vianello. « Evidemment. Si les criminels ne peuvent plus compter sur notre parole de flic lorsque nous concluons un compromis illégal avec eux, en quoi pourront-ils croire ? » »

Petit clin d’oeil : ce n’est que le deuxième Brunetti que je lis mais il y a à chaque fois une petite allusion aux Belges, purement anecdotique, mais ça me fait sourire.

Donna LEON, Mort en terre étrangère, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Points, 1998 (Calmann-Lévy, 1997)

Enfin une participation au Mois italien (et la découverte d’un challenge vénitien chez Florence (Le livre d’après)

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Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés

01 lundi Fév 2016

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Bienvenue !, Points, réfugiés

Présentation de l’éditeur:

Les mobilisations collectives et les prises de position citoyennes ont été aussi nombreuses en cette longue année 2015 que l’actualité a été terrible. La récente image d’un enfant échoué sur une plage a soulevé un haut-le-cœur international et accéléré la prise de conscience.
Après la sidération, il nous a semblé urgent de donner la parole à des hommes et femmes publics afin de constituer un recueil de textes et de dessins sur le thème de l’asile et de ceux qu’on appelle désormais les réfugiés.
Les Éditions Points ont décidé de prendre leur part de responsabilité, à la mesure de la violence des mots entendus et des images vues.

Tous les bénéfices de la vente de cet ouvrage seront intégralement reversés au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Merci, les éditions Points, d’avoir publié ce recueil : il ne sera peut-être qu’une goutte d’eau dans l’océan mais il est nécessaire. Ce « petit » livre montre que les mots nous bousculent, nous interpellent, nous interrogent, nous informent. Ils déplacent notre regard aussi, par le pouvoir de la fiction. Tous les textes de ce recueil (classés par ordre alphabétique des auteurs) ne sont pas des nouvelles (d’ailleurs certaines pages sont… des dessins) mais ils font entendre chacun des voix singulières, j’ai eu l’impression de bien reconnaître le style et l’angle d’approche de nombreux auteurs que je connaissais déjà ; j’en ai découvert d’autres, que j’ai envie de connaître davantage.

Quels sont les textes qui m’ont frappée ?

Bizarrement, le plus cynique d’entre eux, Embarcation de fortune, écrit par Nicolas Bedos, m’a paru a contrario celui qui faisait vraiment comprendre de l’intérieur les émotions vécues par les migrants. Mais ce sont de jeunes insouciants aisés qui vivent le voyage sur quelques kilomètres de côte méditerranéenne (du côté « doré) à bord d’un canot en plastique rose. Paradoxe cruel et brillant.

Bonheur de retrouver les plumes de Lauent Gaudé, Tahar Ben Jelloun, Sorj Chalandon, mais aussi Brigitte Giraud, Lydie Salvayre : élégance poétique du premier, exigence désespérée du deuxième, sensibilité à fleur de peau du troisième côtoient les tourments intérieurs de la quatrième tandis que la dernière déploie la douleur de l’exil dans la création d’une langue hybride.

Le texte de Mathias Enard est particulièrement impressionnant et témoigne de sa connaissance très fine du monde arabe et particulièrement de la cruauté du régime de Bachar al-Assad. Ce qui lui permet de dresser un constat impitoyable de la défection occidentale face à la Syrie.

J’ai été ravie de retrouver aussi Valérie Zenatti, qui connaît si bien les auteurs d’origine juive et a composé un dialogue théâtral entre une jeune femme idéaliste (tentée de se résigner) et Joseph Roth revenu des limbes littéraires pour relire l’histoire actuelle à la lumière de Juifs en errance (texte réédité en 2009).

Côté découverte, j’ai aimé le récit de Marie Darrieussecq en forme de témoignage de femmes de théâtre françaises qui se sont mobilisées en réseau pour les réfugiés. Je note aussi la courte nouvelle d’Alice Zeniter où l’amour du pays se fait appartenance au corps d’une femme. Je suis curieuse de la retrouver dans ses romans, tout comme Lola Lafon qui évoque des situations d’exil plus ancien au sein même de l’Europe.

Pénélope Bagieu, Plantu, Jul ou encore Olivier Tallec apportent leur grain de sel crayonné au sujet.

Voici les deux textes les plus courts du livre :

« J’ai à peine existé. Elle était petite ma part de vie. Je n’ai pas eu le temps de sentir sur mes lèvres le goût du bonheur. Je n’ai pas eu le temps d’aimer. Je ne ferai jamais l’amour. Je n’aurai pas d’enfant. Pas de maison. Pas de chat. Le dimanche matin je ne réveillerai personne d’un baiser dans le cou. La mort m’a annulé comme une erreur. Que ma mort ne serve à personne. Je ne suis pas les bateaux. Je ne suis pas les foules. Je ne suis pas les autres enfants morts. Je ne suis pas tous les enfants du monde à la fois. Je suis celui qui ne vivra pas. Que ma photo rejoigne le néant où vous m’avez envoyé sans même me laisser le temps de savoir le nom du néant. » (Aylan, de Régis Jauffret)

« Qu’ils sont nombreux, dans notre beau pays des Droits de l’Homme, les réfugiés. Réfugiés dans le confort, la haine de l’autre, leurs petits souliers, la charité qui commence par soi-même, l’après moi le déluge, le marchez pas sur ma pelouse, mon pays d’abord, et moi est-ce qu’on m’aide ?etc.

Heureusement, il y a aussi tous ceux qui savent que les gens qui se noient avant d’aborder Lampedusa ou ce petit garçon immobilisé par la mort sur une plage de Bodrum, c’est notre famille, notre fils. Ils sont tous ce que nous sommes, des humains. Il est urgent de nous accueillir. » (Réfugiés, Jean-Michel Ribes)

Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés, Points, 2015

L’avis d’Aifelle, Cathulu et Enna

Avec ma complice Mina, nous vous présentons cette semaine divers recueils de nouvelles (un genre que je délaisse souvent). Elle vous propose aujourd’hui Singulière agape d’Ethel Salducci.

 

Les fous de Bassan

10 mardi Nov 2015

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des mots du Québec

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Anne Hébert, Les fous de Bassan, Points, Québec

Présentation de l’éditeur :

Le vent, la pluie, la rumeur de la mer et la pesanteur du passé font de Griffin Creek, petit village du Québec, un lieu étrange et presque hors du monde. Un soir de l’été 1936, deux adolescentes vives et lumineuses, enviées ou désirées pour leur beauté par toute la petite communauté protestante du village, disparaissent près du rivage. A travers la voix ou les lettres de différents personnages, on assiste à la tragédie qui commence à se jouer, bouleversant ce village figé dans la tradition et le respect des Commandements.

D’abord c’est le pasteur qui fait entendre sa voix, quarante-six ans après le drame qui a bouleversé à jamais la vie de ce petit village campé sur l’Océan, entre cap Sec et cap Sauvagine. Un vieil homme au coeur sec et à l’âme sans doute aussi noire que sa tenue de clergyman, dont la voix subjuguait pourtant ses ouailles au temps de sa splendeur, jusqu’à cet été 1936 qui vit disparaître Olivia et Nora. Le pasteur nous fait comprendre les liens étroits qui existent entre les quatre familles principales de Griffin Creek, la domination des hommes sur des femmes, mères, filles, soeurs courbées sur les travaux ménagers, dont la voix et le désir comptent pour si peu…

C’est au tour de Stevens Brown de conter sous forme épistolaire son retour à Griffin Creek à l’été 36. Stevens, le mal aimé, le rebelle, plein d’une sauvagerie animale, animé d’une vengeance mal exprimée. Homme construit sur une violence larvée, force de la nature mais d’un naturel mal accordé à la beauté des lieux. Déjà nous sentons qu’l n’y aura pas de fin heureuse…

Et voici Nora, qui raconte son enfance et cet été 36 où elle et Olivia sont devenues des jeunes filles gonflées de sève, à la « sauvage innocence ». Et puis Perceval, le frère simple d’esprit de Stevens, celui qui voit tout, ressent tout mais ne peut souvent s’exprimer qu’en larmes et en cris. Et Olivia qui raconte sa version des faits ou plutôt nous la fait ressentir dans une poignante symphonie d’eau salée et de vent… Jusqu’à la finale découverte en apnée (et ce n’est pas un mauvais jeu de mots de ma part).

Dans ce magnifique roman, Anne Hébert dépeint un village et des habitants figés dans des traditions religieuses, des interdits, des décrets souvent imposés par des hommes secrets, ambivalents. Face à eux, des femmes maltraitées, réduites au rôle de mère dans leur âge adulte, livrées à elles-mêmes quand elles découvrent leur corps et leur désir et repoussées, méprisées quand « elles ne sont plus des femmes ». Et enveloppant ces hommes, ces femmes et ces enfants, la mer et le vent qui offrent une présence (oserais-je dire féminine et masculine, père et mère de substitution), une force et une beauté qui dépassent de bien loin les petits arrangements malsains des hommes…

La langue d’Anne Hébert est belle, poétique, brûlante, puissante, accordée à chacun des personnages à qui elle donne successivement la parole. Elle magnifie le cadre de la baie du Saint-Laurent dont elle a marié rive sud et rive nord dans le village imaginaire de Griffin Creek. La métaphore du titre est symbolique : les fous de Bassan sont des oiseaux libres, dont le bec fend et fouille la mer après un vol en piqué. Son roman m’a captivée et déchirée à la fois.

« Mais la rive nous retient davantage avec ses rochers rouges ou marron, gris, ses montagnes austères, appelées mornes, comme des personnes désagréables, ses petits sapins drus, un sur cinq, rouge et desséché, les morts non ramassés, tenus serrés par les vivants, debout, rouges et desséchés entre les vivants verts et noirs, la folle vie végétale, robuste, respirant contre les morts, les tenant debout, entre les vivants, ne pouvant pas s’en débarrasser, n’ayant pas le temps, trop engagée dans la puissante occupation de vivre, de croître et de pousser dans un sol pauvre  où la vie est un défi et une victoire. » (p. 59)

« Dans toute cette histoire il faudrait tenir compte du vent, de la présence du vent, de sa voix lancinante dans nos oreilles, de son haleine salée sur nos lèvres. Pas un geste d’homme ou de femme, dans ce pays, qui ne soit accompagné par le vent. Le souffle marin pénètre nos vêtements, découvre nos poitrines givrées de sel. Nos âmes poreuses sont traversées de part en part. Le vent a toujours soufflé trop fort ici et ce qui est arrivé n’a été possible qu’à cause du vent qui entête et rend fou. » 

« Regagnons la haute mer. Légère comme une bulle, écume de mer salée, plus rapide que la pensée, plus agile que le songe, je quitte la grève de mon enfance et les mémoires obscures de ma vie ancienne. » (p. 204)

Anne HEBERT, Les fous de Bassan, Seuil, 1982 (et Points, 1998)

L’avis de Yueyin

Québec en novembre    Logo-québec-o-trésors-petit-200x191

     

(sources : francois.eudier.free.fr et raoulkonanz.com)

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