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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Tag: Points

Un nom de torero

23 vendredi Oct 2020

Posted by anne7500 in Des Mots sud-américains

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Luis Sepulveda, Points

Quatrième de couverture :

Juan Belmonte, ancien guérillero chilien, et Frank Galinsky, ex-membre de la Stasi, sont engagés par des parties adverses pour retrouver un mystérieux trésor disparu au Chili. Épris de liberté et de justice, ces deux hommes ont tout sacrifié à leurs idéaux politiques. Revenus de leurs illusions, ils entament leur ultime aventure : un duel sanglant au bout du monde.

En 1994, Luis Sepulveda s’est lancé dans le roman noir : la dédicace de ce livre est parlante, sans doute l’auteur chilien a-t-il voulu revenir symboliquement dans son pays natal à travers ce roman d’espionnage qui met en scène Juan Belmonte, le narrateur, ancien guerillero chilien qui a dû fuir le régime de Pinochet et a roulé sa bosse dans les révolutions de gauche latino-américaines, et Frank Galinsky, ex-membre de la Stasi, qui s’est frotté lui aussi à tout ce monde souvent clandestin. Deux hommes qui finiront par se retrouver en Terre de feu pour récupérer un trésor inestimable de pièces d’or, sans doute un « trésor » de guerre nazi confisqué à des Juifs. 

Au pays, Juan Belmonte a laissé pour morte sa compagne, arrêtée et disparue sous la dictature et finalement laissée pour morte sur un tas d’ordures. Depuis, elle ne parle plus, ne bouge plus, est incapable de s’occuper d’elle-même, c’est une vieille tante qui l’a recueillie et la soigne. Belmonte, qui a appris le « retour » de Veronica, envoie régulièrement de l’argent d’Europe pour ses soins. C’est une machination bien huilée qui le force à retourner au Chili. A travers son personnage, oui, c’est vraiment un retour symbolique pour Luis Sepulveda : sans doute n’a-t-il aucune envie de rentrer dans un pays où les anciens collaborateurs de la dictature se baladent librement en pleine rue. Certes, l’un ou l’autre est parfois abattu froidement dans ces mêmes rues mais le poids du régime Pinochet se fait toujours sentir pour ceux qui l’ont payé chèrement.

A travers ce roman assez court, Luis Sepulveda nous entraîne à la suite de ces combattants souvent clandestins qui ont servi les révolutions marxistes et a contrario, de leurs opposants, soutiens des dictatures de droite (ceux qui ont aidé à cacher d’anciens nazis en Amérique du Sud). Mais l’humour n’est pas absent de ce roman noir, ni une certaine forme de rédemption.

« A quoi peut encore être bon un ex-guérillero de quarante-quatre ans? A l’Agence pour l’emploi de Hambourg, on regarderait d’un drôle d’oeil ma demande de stage de formation, si je mettais à la rubrique 《que savez-vous faire?》: expert en filatures et contre-filatures, sabotages et actions similaires, faux-papiers, production artisanale d’explosifs, docteur-ès défaites. »

« J’allais rentrer au Chili. J’avais vécu dans la crainte de ce moment. Si je craignais ce retour, ce n’était pas parce que je n’aimais plus ce pays, ou parce qu’il n’occupait plus de place dans mes neurones, mais parce que j’ai toujours été rebelle aux amnésies, surtout les amnésies décrétées pour cause de raison d’État, de pactes politiques, d’enlèvement des ordures.
Qu’est-ce qui m’attendait au Chili ? Une peur épouvantable. L’incertitude quant aux réactions de mon estomac, pour désigner par un euphémisme la région où se loge notre âme.
Et puis là-bas, il y a toi, Veronica, mon amour, retranchée dans ton silence dont je n’ose m’approcher car je sais que tu ne me laisseras pas y entrer. »

« Peut-être que ce flic avait fait une partie de sa carrière dans ces prisons qui n’ont jamais existé ou dont il est impossible de se rappeler l’emplacement, et qu’il y avait interrogé des femmes, des vieillards, des adultes et des enfants qui n’ont jamais été arrêtés et dont il est impossible de se rappeler les visages, puisque, quand la démocratie a ouvert ses cuisses au Chili, elle a d’abord annoncé le prix et que la monnaie dans laquelle elle s’est fait payer s’appelle oubli. »

Luis SEPULVEDA, Un nom de torero, traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero, Points, 2017 (Métailié, 1994)

Hommage à Luis Sepulveda, hélas décédé du covid-19 le 16 avril 2020

Pumpkin Autumn Challenge –Automne frissonnant – Je suis Médée, vieux crocodile ! (polar)

Sans nouvelles de Gurb

08 mardi Sep 2020

Posted by anne7500 in Des Mots espagnols

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Eduardo Mendoza, Points

Quatrième de couverture :

Gurb a disparu dans Barcelone, dissimulé sous les traits de Madonna. Précision : Gurb est un extraterrestre. Parti à sa recherche sous une apparence moins voyante, son coéquipier tient scrupuleusement le journal de ses observations. Une satire délirante et désopilante de notre monde moderne.

J’ai lu ce petit livre (et découvert Eduardo Mendoza) pour le travailler avec des élèves dans le cadre d’un projet « Diversité culturelle ».

Ici c’st plutôt de « clash culturel » qu’il faudrait parler puisque Gurb et le narrateur (qui est le responsable de la mission des deux extra-terrestres et se faisait volontiers servir par Gurb), Gurb et le narrateur donc ont des pouvoirs particuliers qui leur permettent – croient-ils – de se fondre dans la population barcelonaise. Mais voilà, Gurb s’est « déguisé » en Madonna… pas étonnant qu’il ne donne plus aucune nouvelle à son acolyte. Celui-ci, dont nous ne connaîtrons jamais le nom – part à la recherche de Gurb en se travestissant successivement en matador célèbre, en Gary Cooper, en Pie XII voire en Luciano Pavarotti pour n’en citer que quelques-uns. Outre les mésaventures (implicites) liées à ses différentes apparences, il doit aussi se confronter à ce qui fait la condition humaine : manger, boire, se loger, ouvrir un compte, trouver la personne avec qui vivre en couple… Tout cela est raconté de façon assez simple, en chapitres fractionnés de courts paragraphes en général. Le comique de situation, de répétition, de langage, de gestes, l’absurde sont largement utilisés par l’auteur et prêtent plus ou moins à sourire. On est sans doute loin de la satire désopilante annoncée par la quatrième de couverture mais le roman, un conte philosophique moderne, est intéressant. Et puis cette couverture à la Keith Haring est bien choisie, non ?

« 20 h. 00 J’ai tant marché que mes chaussures fument. J’ai perdu un talon, ce qui me force à un déhanchement aussi ridicule que fatigant. J’enlève mes chaussures, j’entre dans un magasin et, avec l’argent qu’il me reste du restaurant, j’achète une paire de chaussures neuves moins pratiques que les précédentes, mais fabriquées dans un matériau très résistant. Equipé de ces nouvelles chaussures appelées skis, j’entreprends de parcourir le quartier de Pedralbes. »

« 20 h 42 Par la faute de ma foutue radioactivité, la foudre me tombe dessus à trois reprises. Elle fait fondre la boucle de ma ceinture et la fermeture à glissière de ma braguette. Elle hérisse tous mes poils et mes cheveux, et je n’arrive pas à les ramener à leur état antérieur : je ressemble à un porc-épic. »

Eduardo MENDOZA, Sans nouvelles de Gurb, traduit de l’espagnol par François Maspero, Points, 2013 (Seuil, 1994)

Le prix de la chair

08 vendredi Mai 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots italiens, Des Mots noirs

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Points

Quatrième de couverture :

L’éminent avocat vénitien Carlo Trevisan a été retrouvé mort dans un train. Arpentant les quartiers malfamés de Venise, pour les besoins de l’enquête, le commissaire Brunetti découvre un trafic international de prostitution, plus ignoble encore qu’une « traite des Blanches ». Meurtres, corruptions et argent sale seront au rendez-vous, et, bien sûr, les notables vénitiens sont de la partie…

Tout commence en automne avec un accident de camion spectaculaire, glissages en montagne, plongée dans le ravin et découverte d’un chargement… spécial. L’affaire aura un lien avec les meurtres de notables que le commissaire Brunetti devra résoudre au début de l’hiver.

C’est la quatrième enquête du commissaire Brunetti que je lis et dans celle-ci, la ville n’a pas vraiment un rôle particulier. Pas de quartier mis en avant dans l’enquête (et il n’est pas question de quartiers mal famés, comme l’évoque la quatrième de couverture) mais plutôt la haute bourgeoisie d’affaires vénitienne, des avocats, des experts-comptables qui m’ont fait penser à la haute société victorienne décrite par Anne Perry dans ses romans : belle façade respectable et coulisses sordides, immondes.

Pas de quartier spécial donc, mais Brunetti rencontre quand même la soeur de la signora Elettra (la secrétaire « magique » du vice-questeur Patta) au café Florian, rien de moins. Pas de scène pittoresque avec Patta, qui se contente de cultiver envers et contre tout les apparences du commissariat. (Heureusement  qu’il y a maintenant la brillante Elettra, dont les ressources et la créativité flirtent toujours avec les limites.) Et pas de bonne recette cuisinée chez les Brunetti, même si les conversations avec sa femme Paola et sa fille Chiara sont passionnantes et aident le commissaire à résoudre l’enquête.

Ce n’est peut-être pas le plus palpitant épisode de la série, donc, mais il a bien rempli son office de « divertissement ». A la fin, Brunetti est confronté à une disparition de preuves qui a sûrement dû le mettre dans une rage folle (plus qu’un règlement « à l’italienne » ou plutôt d’une certaine frange au pouvoir), qui renforcera sûrement son sens de la justice et de l’honnêteté dans les romans suivants.

Donna LEON, Le prix de la chair, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Points, 2013 (Calmann-Lévy, 1998)

Mai en Italie avec Martine

Songe à la douceur / Eugène Onéguine

17 vendredi Jan 2020

Posted by anne7500 in Des Mots français, Des mots russes

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Alexandre Pouchkine, Babel, Clémentine Beauvais, Eugène Onéguine, Points, Songe à la douceur

Quatrième de couverture :

Quand Tatiana rencontre Eugène, elle a 14 ans, il en a 17. Il est sûr de lui, charmant et plein d’ennui, elle est timide, idéaliste et romantique. L’inévitable se produit, elle tombe amoureuse, et lui, semblerait-il, aussi. Alors elle lui écrit une lettre ; il la rejette, pour de mauvaises raisons peut-être. Dix ans plus tard, ils se retrouvent par hasard. Tatiana a changé, Eugène également. Vont-ils encore aller à l’encontre de leurs sentiments ?

Au départ (et cela date de plus d’un an), il y a la demande pressante de ma chef de section pour travailler le slam en classe avec un collègue de cours pratiques (je donne cours dans une section professionnelle qui a pour finalité les métiers de la publicité – et ma chef a à coeur de lier les cours généraux et les cours pratiques pour motiver nos élèves) Et moi rien que le mot slam, ça me fait écarquiller les yeux et ressentir un grand moment de panique. A part connaître le nom de Grand corps malade, je n’y entends que dalle… L’année se passe et on reporte ça à cette année scolaire. Et ô miracle, à la fin des grandes vacances 2019, je découvre le roman Signé Poète X d’Elizabeth Acevedo (traduit par Clémentine Beauvais), un roman écrit en vers, et ce roman de la traductrice du premier, Songe à la douceur. C’est aussi un texte écrit en vers, parfois rimés, surtout bien rythmés et dont la mise en page – calligrammes, blocs de textes, mots éclatés sur la page – épouse l’histoire, les émotions vécues par les personnages. L’histoire, c’est une réécriture moderne d’Eugène Onéguine, Clémentine Beauvais a gardé les noms des personnages principaux, Tatiana, Eugène, Lensky et Olga, et les plonge dans notre monde moderne, en utilisant toutes les ressources des moyens de communication des jeunes d’aujourd’hui. Eugène, c’est l’ado blasé, nihiliste, ami de Lensky, l’ado idéaliste, passionné, poète, amoureux d’Olga. La face claire et la face sombre des héros romantiques, en quelque sorte. Eugène se laisse aimer par la petite soeur d’Olga, Tatiana, quatorze ans, timide, réservée. L’été finit brutalement avec la mort de Lensky. Dix ans plus tard, Tatiana et Eugène se retrouvent par hasard : elle est étudiante et spécialiste du peintre Caillebotte, il a tracé un chemin de réussite apparente mais sans âme dans le monde adulte. Que va-t-il se passer, vont-ils céder enfin à un peu de la douceur annoncée dans le titre ? Je ne vous dirai pas tout, mais j’ai adoré suivre les doutes, les passions, les rêves et les réalités de ces personnages, j’ai adoré la manière dont Clémentine Beauvais joue avec le langage (elle a 31 ans, elle est prof en sciences de l’éducation et littérature anglaise à l’université de York, elle a déjà écrit de nombreux romans pour enfants et grands ados, elle est aussi traductrice, je suis époustouflée par le talent d’une si jeune personne). Si le roman est une réécriture, il est aussi truffé de références littéraires et poétiques. C’est le roman des amours adolescentes et de ce qu’elles deviennent à l’âge adulte. D’abord publié chez Sarbacane, il est maintenant en poche : bon, tous mes grands ados (surtout les garçons) n’apprécient pas la couverture un peu girly – ni même le roman tout court – mais je suis ravie d’avoir découvert cette jeune auteure et une base pour étudier le slam !

Clémentine BEAUVAIS, Songe à la douceur, éditions Points, 2018 (Sarbacane, 2016)

Quatrième de couverture :

“Placé du côté de la légèreté, du sourire, le roman de Pouchkine est unique dans la littérature russe : il n’apprend pas à vivre, ne dénonce pas, n’accuse pas, n’appelle pas à la révolte, n’impose pas un point de vue, comme le font, chacun à sa façon, Dostoïevski, Tolstoï, ou, plus près de nous, Soljénitsyne et tant d’autres, Tchekhov excepté…
En Russie, chacun peut réciter de larges extraits de ce roman-poème qui fait partie de la vie quotidienne. A travers l’itinéraire tragique d’une non-concordance entre un jeune mondain et une jeune femme passionnée de littérature, il est, par sa beauté, par sa tristesse et sa légèreté proprement mozartiennes, ce qui rend la vie vivable.”
A. M.
André Markowicz, qui s’applique depuis des années à faire connaître la richesse de la littérature classique russe, propose ici une remarquable traduction en octosyllabes rimés du chef-d’oeuvre de Pouchkine.
Né à Moscou en 1799, tué en duel en 1837 à Saint-Pétersbourg, Alexandre Pouchkine n’est pas seulement le plus grand poète russe, il est à l’origine de la langue russe moderne ; il a lancé tous les débats qui, à travers le XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, ont fondé la vie intellectuelle de la Russie.

Evidemment, je ne pouvais pas ne pas lire l’original (ça c’était du prétexte pour aller en librairie), qui est lui aussi un roman en vers, très difficile à traduire en français, paraît-il (les tétramètres iambiques du russe n’ont pas du tout la même rythmique que le français) et le chef-d’oeuvre d’Alexandre Pouchkine d’après la critique. C’est un roman qui laisse transparaître les idées libertaires de Pouchkine qui parle – comme en voix off – de son personnage principal sans que cela vienne perturber la lecture. J’ai trouvé celle-ci très fluide, alors que le format des strophes rimées pourrait laisser penser le contraire. Tatiana est la soeur aînée d’Olga, Eugène et Lenski sont ici aussi les deux faces du héros romantique mais Lenski est moins léger, la fin est très différente (Clémentine Beauvais s’est permis très subtilement de jouer avec cette fin dans la réécriture). C’est aussi le roman de la vie quotidienne russe au début du 19è siècle, à la ville et à la campagne. C’est aussi étonnant de lire comme une prémonition de sa propre mort dans le duel que Pouchkine met en scène entre les deux amis : lui-même mourra à l’âge de 38 ans, dans un duel contre l’amant de sa femme, Natalia Gontcharovna. Il paraît que l’auteur a beaucoup travaillé et fait évoluer la langue russe : presque deux siècles plus tard, la jeune Clémentine Beauvais suit ses traces en jouant elle aussi avec le langage dans sa réécriture. Une jolie boucle entre ces deux auteurs.

Alexandre POUCHKINE, Eugène Onéguine, traduit du russe par André Markowicz, Babel, 2008 (Actes Sud, 2005)

En faisant des recherches pour préparer mon cours, j’ai évidemment écouté des extraits de l’opéra adapté par Piotr Tchaïkovski. J’en ai même fait écouter à mes élèves (ils ont dû se dire que je suis complètement givrée). Ecoutez l’air de Tatiana, l’air de la Lettre, par Anna Netrebko.

Un Vénitien anonyme

24 vendredi Mai 2019

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Points, polar, Venise

Quatrième de couverture :

Près d’un abattoir de la banlieue de Venise, un travesti est retrouvé mort. Sa tête est défoncée et son visage à peine reconnaissable. Chargé de l’enquête, Brunetti découvre que le cadavre n’est autre que le directeur de la Banca di Verona. Entre réseau de prostitution masculine et vaste magouille financière, l’été sera chaud pour le commissaire Brunetti…

Cette troisième enquête du commissaire Brunetti se déroule en plein mois d’août, sous une canicule particulièrement accablante (et pas question pour lui de travailler en tenue légère comme les touristes, nombreux et envahissants malgré la chaleur). C’es dehors de Venise, à Mestre, dans un terrain vague proche des lieux fréquentés par les prostitués, que l’on trouve le corps d’un homme, apparemment un travesti, en robes et talons aiguilles rouges, le visage massacré. L’identification prend du temps et apparemment, l’homme n’est pas du tout un travesti et encore moins un prostitué, mais bien un banquier tout à fait respectable. Ou pas ? Les recherches minutieuses de Brunetti et de ses collaborateurs mettront au jour une magouille financière cachée sous une soi-disant Lega della Moralità.

L’équipe de Brunetti évolue au cours de ce troisième épisode : elle ne sortira hélas pas indemne de cette enquête mais un nouveau personnage apparaît, la Signorina Ellettra, secrétaire du vice-questeur Patta, j’ai cru comprendre qu’on va la retrouver dans les numéros suivants suivants, cette jeune femme élégante, intelligente et un poil insoumise. A propos de Patta, celui-ci se retrouve dans une position conjugale délicate (je ne vous en dis pas plus, c’est assez croquignolet). Croyez-vous que Brunetti va en profiter pour écraser son supérieur ? Non, évidemment, et c’est cette classe, cette élégance, physique et morale, que j’apprécie tant chez Guido Brunetti. Je n’ai lu que trois enquêtes jusqu’à présent mais j’aime déjà très fort ce personnage, tout autant que saliver devant les plats concoctés par Paola, son épouse, ou par l’un ou l’autre personnage secondaire et bien sûr continuer à découvrir Venise au fil des saisons : ici, en plein « Ferragosto », ce n’est pas la plus agréable à vivre dans la Sérénissime mais l’évasion du voyage est bien présente et les évocations très sensorielles de Donna Leon – ainsi que son humour – se savourent avec grand plaisir.

« – Houla, le superflic ! ironisa Paola en tendant la main vers une autre tomate, il voit des rondelles de tomates avec juste de quoi mettre une tranche de mozzarelle entre elles, il voit un bouquet de basilic tout frais dans un verre d’eau, à la gauche de sa délicieuse épouse, et fait le rapprochement entre tous ces éléments et, raisonnant à la vitesse de la lumière, en déduit qu’il y a de l’insalata caprese pour le dîner. Pas étonnant qu’un tel homme frappe de terreur la population criminelle de cette ville. » (p. 46)

« Dans la péninsule, où l’on est abreuvé de la théorie du complot alors que l’on tète encore le lait maternel, un Italien ne peut faire autrement que de voir des conspirations partout. Si bien que le moindre groupe donnant l’impression de fuir la publicité y est immédiatement soupçonné des pires choses, comme l’ont été en leur temps les Jésuites et comme le sont aujourd’hui les témoins de Jéhovah. Comme le sont encore aujourd’hui les Jésuites, se corrigea mentalement Brunetti. La conspiration engendre certes le secret, mais Brunetti n’était pas prêt à retourner la proposition, et à affirmer que le secret était synonyme de conspiration. » (p. 151)

Donna LEON, Un Vénitien anonyme, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Points, 1999 (Calmann-Lévy, 1998)

Le Mois italien chez Martine

Challenge Venise chez Florence Le Livre d’après

Voisins Voisines 2019 – Italie

Mort en terre étrangère

25 vendredi Mai 2018

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Points, polar, Venise

Quatrième de couverture :

Un homme est retrouvé mort dans un canal vénitien. Des indices laissent présumer qu’il s’agit d’un militaire posté dans une base américaine de la région. Mais pourquoi ses supérieurs s’inquiètent-ils si peu de lui ? Et quel lien y a-t-il entre cet homme retrouvé mort et le cambriolage d’un palais ? Avec son obstination habituelle, le commissaire Brunetti fera tomber le mur du silence américain… Non sans dommages.

J’ai retrouvé le commissaire Brunetti avec plaisir et même avec une certaine surprise, car Foster, le premier mort que l’on retrouve un matin au bord d’un obscur canal vénitien, apparemment victime d’une agression de rue, est un Américain qui travaillait au service de santé publique de la base américaine de Vicence. L’occasion pour le commissaire de se souvenir de l’histoire et de(s) (l’)intérêt(s) de la présence US en Italie et de rencontrer la charmante supérieure hiérarchique de la victime, le docteur Peters. Brunetti va collaborer avec un capitaine de carabiniers présent sur la base le major Ambrogiano. Les autorités américaines font clairement de la rétention d’informations, voire de la manipulation, faisant croire à des histoires de drogue, mais impossible de rien prouver… Les intuitions de Brunetti se confirment quand, quelques jours plus tard, on retrouve la médecin morte d’une overdose. Suicide, déclare l’autopsie… Pendant ce temps, un riche industriel milanais se fait cambrioler dans son palais vénitien.

« Et si ces deux innocents avaient accidentellement mis les pieds là où il ne fallait pas, tout ça à cause d’une éruption suspecte sur le bras d’un garçonnet ? »

Dans cette enquête qui prend son temps faute de clarté dans les relations italo-américaines (et aussi pare que le commissaire doit contourner avec précautions les ordres du vice-questeur Patta, toujours aussi imbu de lui-même et attentif avant tout à flatter les autorités), Brunetti va naviguer en eaux troubles et découvrir – notamment grâce à son riche beau-père, qu’il ne porte pourtant pas dans son coeur – à quel point les autorités politiques, militaires et économiques peuvent user et abuser de leurs pouvoirs réunis. Sans vouloir révéler le fin mot de l’affaire, l’enquête se termine sur une note amère car Brunetti est muselé en beauté à la fin de l’affaire. Je me demande même si son sens de la justice et de l’honnêteté ne le mettra pas carrément en danger dans une future affaire… Ce sont ces qualités qui font que j’aime Brunetti, avec son sens de l’humour inébranlable. J’apprécie aussi le compagnonnage indéfectible de sa femme Paola.

« Je viens d’avoir une discussion littéraire avec notre fille, dit-il. Elle m’a expliqué l’intrigue d’un grand classique de la littérature anglaise.Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux, pour son instruction,la forcer à regarder les feuilletons brésiliens à la télé. Elle a très envie que le feu vienne à bout de Mrs Rochester.
– Voyons, Guido, tout le monde en a envie quand on lit « Jane Eyre » Elle remua les oignons dans la poêle puis ajouta: « Au moins la première fois. Ce n’est que plus tard que l’on comprend à quel point Jane Eyre est une petite salope d’arriviste, sous ses airs de sainte nitouche. « 

« Alors que Brunetti se tournait pour repartir, Vianello lui lança une dernière question. « Et si je conclus un accord avec lui ? Devrons-nous pour autant le respecter ? »
Le commissaire fit volte-face et regarda longuement Vianello. « Evidemment. Si les criminels ne peuvent plus compter sur notre parole de flic lorsque nous concluons un compromis illégal avec eux, en quoi pourront-ils croire ? » »

Petit clin d’oeil : ce n’est que le deuxième Brunetti que je lis mais il y a à chaque fois une petite allusion aux Belges, purement anecdotique, mais ça me fait sourire.

Donna LEON, Mort en terre étrangère, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Points, 1998 (Calmann-Lévy, 1997)

Enfin une participation au Mois italien (et la découverte d’un challenge vénitien chez Florence (Le livre d’après)

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Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés

01 lundi Fév 2016

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Bienvenue !, Points, réfugiés

Présentation de l’éditeur:

Les mobilisations collectives et les prises de position citoyennes ont été aussi nombreuses en cette longue année 2015 que l’actualité a été terrible. La récente image d’un enfant échoué sur une plage a soulevé un haut-le-cœur international et accéléré la prise de conscience.
Après la sidération, il nous a semblé urgent de donner la parole à des hommes et femmes publics afin de constituer un recueil de textes et de dessins sur le thème de l’asile et de ceux qu’on appelle désormais les réfugiés.
Les Éditions Points ont décidé de prendre leur part de responsabilité, à la mesure de la violence des mots entendus et des images vues.

Tous les bénéfices de la vente de cet ouvrage seront intégralement reversés au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Merci, les éditions Points, d’avoir publié ce recueil : il ne sera peut-être qu’une goutte d’eau dans l’océan mais il est nécessaire. Ce « petit » livre montre que les mots nous bousculent, nous interpellent, nous interrogent, nous informent. Ils déplacent notre regard aussi, par le pouvoir de la fiction. Tous les textes de ce recueil (classés par ordre alphabétique des auteurs) ne sont pas des nouvelles (d’ailleurs certaines pages sont… des dessins) mais ils font entendre chacun des voix singulières, j’ai eu l’impression de bien reconnaître le style et l’angle d’approche de nombreux auteurs que je connaissais déjà ; j’en ai découvert d’autres, que j’ai envie de connaître davantage.

Quels sont les textes qui m’ont frappée ?

Bizarrement, le plus cynique d’entre eux, Embarcation de fortune, écrit par Nicolas Bedos, m’a paru a contrario celui qui faisait vraiment comprendre de l’intérieur les émotions vécues par les migrants. Mais ce sont de jeunes insouciants aisés qui vivent le voyage sur quelques kilomètres de côte méditerranéenne (du côté « doré) à bord d’un canot en plastique rose. Paradoxe cruel et brillant.

Bonheur de retrouver les plumes de Lauent Gaudé, Tahar Ben Jelloun, Sorj Chalandon, mais aussi Brigitte Giraud, Lydie Salvayre : élégance poétique du premier, exigence désespérée du deuxième, sensibilité à fleur de peau du troisième côtoient les tourments intérieurs de la quatrième tandis que la dernière déploie la douleur de l’exil dans la création d’une langue hybride.

Le texte de Mathias Enard est particulièrement impressionnant et témoigne de sa connaissance très fine du monde arabe et particulièrement de la cruauté du régime de Bachar al-Assad. Ce qui lui permet de dresser un constat impitoyable de la défection occidentale face à la Syrie.

J’ai été ravie de retrouver aussi Valérie Zenatti, qui connaît si bien les auteurs d’origine juive et a composé un dialogue théâtral entre une jeune femme idéaliste (tentée de se résigner) et Joseph Roth revenu des limbes littéraires pour relire l’histoire actuelle à la lumière de Juifs en errance (texte réédité en 2009).

Côté découverte, j’ai aimé le récit de Marie Darrieussecq en forme de témoignage de femmes de théâtre françaises qui se sont mobilisées en réseau pour les réfugiés. Je note aussi la courte nouvelle d’Alice Zeniter où l’amour du pays se fait appartenance au corps d’une femme. Je suis curieuse de la retrouver dans ses romans, tout comme Lola Lafon qui évoque des situations d’exil plus ancien au sein même de l’Europe.

Pénélope Bagieu, Plantu, Jul ou encore Olivier Tallec apportent leur grain de sel crayonné au sujet.

Voici les deux textes les plus courts du livre :

« J’ai à peine existé. Elle était petite ma part de vie. Je n’ai pas eu le temps de sentir sur mes lèvres le goût du bonheur. Je n’ai pas eu le temps d’aimer. Je ne ferai jamais l’amour. Je n’aurai pas d’enfant. Pas de maison. Pas de chat. Le dimanche matin je ne réveillerai personne d’un baiser dans le cou. La mort m’a annulé comme une erreur. Que ma mort ne serve à personne. Je ne suis pas les bateaux. Je ne suis pas les foules. Je ne suis pas les autres enfants morts. Je ne suis pas tous les enfants du monde à la fois. Je suis celui qui ne vivra pas. Que ma photo rejoigne le néant où vous m’avez envoyé sans même me laisser le temps de savoir le nom du néant. » (Aylan, de Régis Jauffret)

« Qu’ils sont nombreux, dans notre beau pays des Droits de l’Homme, les réfugiés. Réfugiés dans le confort, la haine de l’autre, leurs petits souliers, la charité qui commence par soi-même, l’après moi le déluge, le marchez pas sur ma pelouse, mon pays d’abord, et moi est-ce qu’on m’aide ?etc.

Heureusement, il y a aussi tous ceux qui savent que les gens qui se noient avant d’aborder Lampedusa ou ce petit garçon immobilisé par la mort sur une plage de Bodrum, c’est notre famille, notre fils. Ils sont tous ce que nous sommes, des humains. Il est urgent de nous accueillir. » (Réfugiés, Jean-Michel Ribes)

Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés, Points, 2015

L’avis d’Aifelle, Cathulu et Enna

Avec ma complice Mina, nous vous présentons cette semaine divers recueils de nouvelles (un genre que je délaisse souvent). Elle vous propose aujourd’hui Singulière agape d’Ethel Salducci.

 

Les fous de Bassan

10 mardi Nov 2015

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des mots du Québec

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Anne Hébert, Les fous de Bassan, Points, Québec

Présentation de l’éditeur :

Le vent, la pluie, la rumeur de la mer et la pesanteur du passé font de Griffin Creek, petit village du Québec, un lieu étrange et presque hors du monde. Un soir de l’été 1936, deux adolescentes vives et lumineuses, enviées ou désirées pour leur beauté par toute la petite communauté protestante du village, disparaissent près du rivage. A travers la voix ou les lettres de différents personnages, on assiste à la tragédie qui commence à se jouer, bouleversant ce village figé dans la tradition et le respect des Commandements.

D’abord c’est le pasteur qui fait entendre sa voix, quarante-six ans après le drame qui a bouleversé à jamais la vie de ce petit village campé sur l’Océan, entre cap Sec et cap Sauvagine. Un vieil homme au coeur sec et à l’âme sans doute aussi noire que sa tenue de clergyman, dont la voix subjuguait pourtant ses ouailles au temps de sa splendeur, jusqu’à cet été 1936 qui vit disparaître Olivia et Nora. Le pasteur nous fait comprendre les liens étroits qui existent entre les quatre familles principales de Griffin Creek, la domination des hommes sur des femmes, mères, filles, soeurs courbées sur les travaux ménagers, dont la voix et le désir comptent pour si peu…

C’est au tour de Stevens Brown de conter sous forme épistolaire son retour à Griffin Creek à l’été 36. Stevens, le mal aimé, le rebelle, plein d’une sauvagerie animale, animé d’une vengeance mal exprimée. Homme construit sur une violence larvée, force de la nature mais d’un naturel mal accordé à la beauté des lieux. Déjà nous sentons qu’l n’y aura pas de fin heureuse…

Et voici Nora, qui raconte son enfance et cet été 36 où elle et Olivia sont devenues des jeunes filles gonflées de sève, à la « sauvage innocence ». Et puis Perceval, le frère simple d’esprit de Stevens, celui qui voit tout, ressent tout mais ne peut souvent s’exprimer qu’en larmes et en cris. Et Olivia qui raconte sa version des faits ou plutôt nous la fait ressentir dans une poignante symphonie d’eau salée et de vent… Jusqu’à la finale découverte en apnée (et ce n’est pas un mauvais jeu de mots de ma part).

Dans ce magnifique roman, Anne Hébert dépeint un village et des habitants figés dans des traditions religieuses, des interdits, des décrets souvent imposés par des hommes secrets, ambivalents. Face à eux, des femmes maltraitées, réduites au rôle de mère dans leur âge adulte, livrées à elles-mêmes quand elles découvrent leur corps et leur désir et repoussées, méprisées quand « elles ne sont plus des femmes ». Et enveloppant ces hommes, ces femmes et ces enfants, la mer et le vent qui offrent une présence (oserais-je dire féminine et masculine, père et mère de substitution), une force et une beauté qui dépassent de bien loin les petits arrangements malsains des hommes…

La langue d’Anne Hébert est belle, poétique, brûlante, puissante, accordée à chacun des personnages à qui elle donne successivement la parole. Elle magnifie le cadre de la baie du Saint-Laurent dont elle a marié rive sud et rive nord dans le village imaginaire de Griffin Creek. La métaphore du titre est symbolique : les fous de Bassan sont des oiseaux libres, dont le bec fend et fouille la mer après un vol en piqué. Son roman m’a captivée et déchirée à la fois.

« Mais la rive nous retient davantage avec ses rochers rouges ou marron, gris, ses montagnes austères, appelées mornes, comme des personnes désagréables, ses petits sapins drus, un sur cinq, rouge et desséché, les morts non ramassés, tenus serrés par les vivants, debout, rouges et desséchés entre les vivants verts et noirs, la folle vie végétale, robuste, respirant contre les morts, les tenant debout, entre les vivants, ne pouvant pas s’en débarrasser, n’ayant pas le temps, trop engagée dans la puissante occupation de vivre, de croître et de pousser dans un sol pauvre  où la vie est un défi et une victoire. » (p. 59)

« Dans toute cette histoire il faudrait tenir compte du vent, de la présence du vent, de sa voix lancinante dans nos oreilles, de son haleine salée sur nos lèvres. Pas un geste d’homme ou de femme, dans ce pays, qui ne soit accompagné par le vent. Le souffle marin pénètre nos vêtements, découvre nos poitrines givrées de sel. Nos âmes poreuses sont traversées de part en part. Le vent a toujours soufflé trop fort ici et ce qui est arrivé n’a été possible qu’à cause du vent qui entête et rend fou. » 

« Regagnons la haute mer. Légère comme une bulle, écume de mer salée, plus rapide que la pensée, plus agile que le songe, je quitte la grève de mon enfance et les mémoires obscures de ma vie ancienne. » (p. 204)

Anne HEBERT, Les fous de Bassan, Seuil, 1982 (et Points, 1998)

L’avis de Yueyin

Québec en novembre    Logo-québec-o-trésors-petit-200x191

     

(sources : francois.eudier.free.fr et raoulkonanz.com)

Comment j’ai vidé la maison de mes parents

11 samedi Avr 2015

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots au féminin, Non Fiction

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Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Le Mois belge, Lydia Flem, Points

Quatrième de couverture :

Un jour, alors que l’enfance sera déjà loin, nous deviendrons orphelins. Une fois nos disparus enterrés, nous devrons accomplir cette tâche impudique : vider la maison de nos parents. Pour chacun des objets et souvenirs de leurs vies, nous n’aurons que l’un de ces choix : garder, offrir, vendre ou jeter. Puis, dans le désordre des émotions, nous fermerons leur porte, qui est aussi un peu la nôtre.

Lydia Flem est l’auteur d’une douzaine de livres traduits en plus de quinze langues. Membre de l’Académie royale de Belgique, elle est également psychanalyste et photographe. Comment j’ai vidé la maison de mes parent est le premier volume d’une trilogie autobiographique. Lettres d’amour en héritage est également disponible en Points.

—

Avec beaucoup de sensibilité et une grande précision, Lydia Flem aborde un sujet grave, celui du deuil des parents : tous, un jour (du moins dans la logique plus ou moins naturelle des choses) nous perdrons nos parents, et la séparation se marquera notamment par une autre forme de présence, qui pourrait se révéler encombrante : l’héritage qu’ils nous légueront.

Lydia Flem est non seulement écrivain mais elle est aussi psychanalyste. Cela se ressent, notamment par ses références à Freud, dans la réflexion approfondie qu’elle mène sur la mort des parents quand on est un adulte déjà accompli, sur l’ambivalence des sentiments qui peuvent survenir : « Comment oser raconter à quiconque ce désordre des sentiments, ce méli-mélo de rage, d’oppression, de peine infinie, d’irréalité, de révolte, de remords et d’étrange liberté qui nous envahit ? » (p. 9) Car dans notre société, peu d’espace, peu de temps sont accordés aux endeuillés pour traverser la perte et retrouver un nouvel équilibre des relations.

Une des premières réalités les plus visibles de ce travail de deuil est l’héritage, c’est-à-dire se retrouver tout à coup propriétaire légal de biens que les parents ne nous ont pas nécessairement transmis, donnés clairement de leur vivant. Que faire des objets, des papiers, des souvenirs personnels, de cette maison à vider ? Vider, un verbe cruel que Lydia Flem égrène avec une grande lucidité.

Face à cette tâche, elle est d’abord et avant tout une fille, une fille unique qui prend d’abord le temps de raviver les derniers jours, les derniers instants de ses deux parents, et surtout de sa mère partie en dernier, et dont elle a respecté les dernières volontés. Un respect qui apaise un peu sa douleur et l’aide à trouver grâce aux yeux de cette mère jamais satisfaite des efforts de sa fille pour se faire aimer telle qu’elle était. Vient ensuite le temps, long, terriblement long, souvent teinté d’amertume, d’incrédulité, où il lui faut ranger, trier, vider la maison, pièce par pièce. Une maison où ses parents ont accumulé et gardé les papiers, les objets, les souvenirs de toute une vie, sans jamais rien jeter. Une tâche gigantesque, presque insurmontable et pourtant libératrice pour une fille qui n’avait jamais vraiment trouvé sa place dans la lignée familiale marquée par la Shoah et les nombreux membres déportés et gazés à Auschwitz. Une histoire que ses parents n’avaient jamais racontée clairement à Lydia, comme pour se protéger et pouvoir recommencer une nouvelle vie malgré l’horreur.

« Je voulais savoir. Non plus être le contenant passif d’une trop grande douleur mais assumer l’histoire qui avait précédé ma naissance, comprendre l’atmosphère dans laquelle j’étais née. Me dégager d’un passé qui était resté entravé dans leurs poumons et m’avait empêchée de respirer librement. Les documents que je grappillai en divers lieux de la maison établissaient les faits, crus mais clairs et distincts, sans l’ombre d’une émotion, sans le risque d’une fusion mortifère. » (p. 75)

« De tous les coins et recoins émergeaient toujours davantage de feuilles, d’enveloppe, de cartes, de notes, de cahiers, de petits carnets, de photocopies, de photographies, de plans, de brouillons, de listes, de pense-bêtes. J’en avais le tournis.

Devais-je, par fidélité, conserver ces infimes fragments de vie ? Leur étais-je enchaînée ? Mon père et ma mère avaient peut-être inconsciemment cherché à ensevelir l’horreur sous l’abondance de l’anecdotique, du quotidien, des petits bonheurs soutirés à la vie, au coup par coup, c’est toujours ça de pris à l’ennemi. Chacun garde intentionnellement ou par hasard, par paresse, par lassitude, des tas de paperasses. Mes parents avaient conservé presque toutes les strates de leur vie, tout ce qu’ils avaient pu sauver du néant : bouclier imaginaire contre le vide qui demeurait en eux ? Mais en quoi cela me concernait-il à présent ? Je n’étais pas censée, en devenant leur héritière, me faire leur psychanalyste. J’étais partagée entre l’envie de poursuivre mon exploration et le désir de plus en plus puissant de bazarder le tout. La curiosité m’en empêchait encore. » (p. 84-85)

Ainsi, au fur et à mesure des découvertes, des choix cornéliens, « garder, offrir, vendre ou jeter », Lydia Flem peut à la fois se détacher et se réapproprier l’héritage de ses parents. En témoignent les listes, les longues listes d’objets trouvés dans la maison, le passage très émouvant sur les vêtements cousus et portés par sa mère, les dons qu’elle réussit à faire à des amis pour que les choses puissent vivre une nouvelle vie. Et ainsi à travers ce lent travail minutieux, l’héritière passe du chagrin à la joie, de la mort à la renaissance. On sent que les souvenirs ne sont pas achevés, il n’y a pas de point final à ce premier volet d’une trilogie autobiographique.

Difficile de rester indifférente à ce petit livre, car il convoque les souvenirs de mes parents et de leurs frères et soeurs vidant eux-mêmes les maisons de mes grands-parents, et annonce ce travail que je devrai moi-même effectuer un jour, heureusement pas seule non plus, dans quelques années, le plus tard possible, j’espère.

Lydia FLEM, Comment j’ai vidé la maison de mes parents, Editions du Seuil, 2004 et Points, 2013

L’avis de Mina

Avec ce récit autobiographique, voici une nouvelle participation au Projet Non-Fiction de Marilyne. C’est aussi une sortie de PAL qui correspond à mon objectif 2015 : découvrir des auteurs dont je possède déjà plusieurs titres dans la pile… (j’en avais déjà 4 de Lydia Flem sans l’avoir jamais lue !)

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Mort à la Fenice

05 vendredi Sep 2014

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Commissaire Brunetti, Donna Leon, Mort à la Fenice, Points

Quatrième de couverture :

Les amateurs d’opéra sont réunis à la Fenice de Venise où ce soir-là, Wellauer, le célébrissime chef d’orchestre allemand, dirige La Traviata.
La sonnerie annonçant la fin de l’entracte retentit, les spectateurs regagnent leur place, les musiciens s’installent, les brouhahas cessent, tout le monde attend le retour du maestro. Les minutes passent, le silence devient pesant, Wellauer n’est toujours pas là… il gît dans sa loge, mort. Le commissaire Guido Brunetti, aussitôt dépêché sur les lieux, conclut rapidement à un empoisonnement au cyanure.
Le très respecté musicien avait-il des ennemis ? Dans les coulisses de l’opéra, Guido Brunetti découvre l’envers du décor.

Décidément les billets de cette fin août (quand j’ai rédigé mon billet) voyagent en tous sens : après la Patagonie, les Etats-Unis, Berlin, voici Venise et son célèbre opéra, la Fenice. Et voilà surtout pour moi l’occasion de faire connaissance avec le commissaire Guido Brunetti dans ce premier opus de ses aventures !

Je ressors de cette lecture charmée, voilà c’est dit ! Le premier plaisir a été de me promener à nouveau à Venise, ville dans laquelle j’ai passé un petit séjour il y a plusieurs années, et avec ce chef d’orchestre trouvé mort dans sa loge entre deux actes de la Traviata, la promenade a résonné de beaux accents musicaux, entachés cependant par une enquête qui révèle les côtés sombres du maestro Wellauer. Le second plaisir est bien évidemment la personnalité du commissaire Brunetti, et les deux plaisirs sont intimement liés, Venise et Brunetti sont inséparables.

Car oui, l’enquête va au rythme de la ville : pas de voiture ici, on est obligés de prendre les bateaux, vaporetti et autres  ou de traverser les places et les ponts à pied. Les adresses ne sont pas très précises à Venise, on se perd un peu dans le dédale des ruelles. Et l’indolence de certains services de police accentue l’impression de lenteur dans la résolution de l’enquête. Mais c’était loin de me déplaire : Brunetti a bien senti que la clé de l’énigme se trouve dans la personnalité su chef d’orchestre et il prend le temps de recueillir des témoignages véridiques, profonds. Et c’est ainsi que son caractère à lui se révèle : « un  policier, époux d’une voleuse (NDLR : au Monopoly), père d’une fondue d’ordinateur et d’un anarchiste » (p. 212), indépendant faussement soumis à son supérieur hiérarchique, un peu ours mal léché parfois mais chercheur de l’humain, observateur amusé et fin connaisseur de sa ville.

A travers son personnage, Donna Leon traduit évidemment son amour pour Venise (où elle vit incognito) et ses contradictions : rongée par la pollution mais toujours fière, riche d’un passé immémorial mais devenant une ville-musée, rongée aussi par la corruption qui permet des restaurations pour le moins surprenantes. Face à ce monument historique à ciel ouvert (ici on est en hiver, la ville est agréable à vivre), Donna Leon a doté son héros (et son roman) d’un humour qui n’est pas le moindre de ses charmes : les paris intérieurs de Guido, les répliques assassines de Paola, son épouse, les portraits des collaborateurs du commissaire, autant de facettes piquantes qui révèlent aussi une grande humanité.

Vous l’avez compris, j’ai été séduite par ce roman, un polar tranquille, dont le héros n’est pas tourmenté et où l’enquête sert d’écrin à la Sérénissime, que nous découvrons à travers le regard d’un vrai Vénitien. Autant dire que je retrouverai Brunetti avec plaisir si l’occasion se présente !

La phrase qui tue qui m’a fait sourire : « Elle (la gouvernante) n’était pas chaleureuse ni rien de tout ça – après tout elle est belge – mais elle était mieux avec nous, plus amicale, qu’avec l’autre. » (Fine observation d’un policier vénitien p.112)

Et aussi : « Après tout, l’un des grands charmes du commérage est son insondable inutilité. » (p. 239)

Donna LEON, Mort à la Fenice, traduit de l’anglai (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, Calmann-Lévy, 1997 et Points, 1998

Le site de l’auteur

Encore une sortie de PAL et un monument célèbre

Objectif PAL   Petit Bac 2014

"Un seul soupir du chat défait tous les noeuds invisibles de l'air. Ce soupir plus léger que la pensée est tout ce que j'attends des livres."

Christian BOBIN, Un assassin blanc comme neige, Gallimard

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