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Archives de Tag: Liana Levi

Dites-leur que je suis un homme

21 lundi Fév 2022

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains

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Ernest J. Gaines, Liana Levi

Dites-leur que je suis un homme

Quatrième de couverture :

Dans la Louisiane des années quarante, Jefferson, un jeune Noir, démuni et illettré, est accusé à tort d’avoir assassiné un Blanc. Au cours de son procès, il est bafoué et traité comme un animal par l’avocat commis d’office. Incapable de se défendre, il est condamné à mort. Commence alors un combat pour que Jefferson retrouve, aux yeux de tous mais surtout de lui-même, sa dignité humaine. Un combat ené par la marraine du condamné qui supplie l’instituteur Grant Wiggins de prendre en charge l’éducation de Jefferson. Un face à face entre deux hommes que tout oppose commence alors…

Jefferson, un jeune Noir illettré, s’est trouvé en mauvaise compagnie, au mauvais endroit et au mauvais moment. C’est sa seule « faute » mais elle lui vaudra d’être accusé de meurtre, jugé de façon expéditive et condamné à la chaise électrique. Lors du procès, l’avocat commis d’office parle de lui comme d’un sous-homme, pas éduqué, dont le niveau est celui d’un porc et sa ligne de défense, c’est : « on ne met pas un porc sur la chaise électrique ». Les mots, d’une violence extrême, retentissent dans toute la plantation où travaillait Jefferson. Ils semblent confirmer que, quels que soient leurs efforts, les jeunes Noirs sont condamnés à finir mal, soit de la faute des Blancs, soit de leur propre violence. Si le pasteur espère sauver l’âme du jeune homme avant son exécution, c’est à l’instituteur Grant Wiggins que Miss Emma, la marraine de Jefferson, demande de l’accompagner jusqu’à la mort et de lui rendre sa dignité d’homme. Grant est éduqué, mais il se sent lui-même en porte-à-faux : il ne rêve que de partir, comme ses parents l’ont fait, le confiant à une de ses tantes, mais il est retenu par la femme dont il est amoureux, en instance de divorce et institutrice comme lui. L’amertume et le désespoir le guettent lui aussi. Aussi cette mission qu’il accepte à contrecoeur et qui semble d’abord vouée à l’échec – Jefferson s’étant enfermé dans le mutisme quand il ne se comporte pas exprès comme un cochon affamé – va lui offrir de réfléchir et d’agir comme jamais auparavant.

Dites-leur que je suis un homme est un roman qui se lit facilement mais qui nous présente une réalité tragique et poignante. La confrontation entre Grant et Jefferson – accompagnée des vexations habituelles des autorités blanches – va paradoxalement conduire l’un et l’autre vers une forme de grandeur, de liberté inouïes. Nous sommes dans les années 40 en Louisiane et le chemin que parcourent les deux hommes annonce les grands combats pour les droits civiques des années 50 et 60. Il n’est pas question de soulèvement organisé mais d’affirmer sans violence le droit au respect, l’égalité des chances pour des gens que tout sépare encore. Au point que cette humanité touche un des adjoints au shérif du lieu.

Né en 1933, Ernest J. Gaines a lui-même été ramasseur de pommes de terre dès l’âge de neuf ans. Il a quitté la Louisiane à l’âge de quinze ans et a fait des études littéraires. Il s’est mis à écrire des romans pour montrer la condition des Noirs dont on ne parlait alors pas en littérature. Il la raconte avec une simplicité et une absence de pathos d’autant plus percutantes. De cet auteur, j’ai déjà lu Par la petite porte et j’attendais de lire un roman plus long pour mieux l’apprécier. C’est chose faite avec Dites-leur que je suis un homme, un roman remuant mais nécessaire.

« Ça a continué encore une demi-heure. Le docteur Joseph [l’inspecteur scolaire ] appelait un enfant qui avait l’air à moitié idiot, puis il appelait un autre qui lui donnait l’impression d’être tout à fait le contraire. Aux classes supérieures, les cours moyen et de fin d’études, il posait des questions de grammaire, de calcul et de géographie. Et après avoir regardé les mains, il se mit à inspecter les dents. « Ouvre grand », « dis aaah », et il obligeait les pauvres petits à écarter les lèvres autant qu’ils le pouvaient pendant qu’il examinait l’intérieur de leur bouche. A l’université j’avais lui que les maîtres faisaient la même chose quand il achetaient de nouveaux esclaves, et que les éleveurs en faisaient autant en achetant des chevaux et du bétail. Au moins le docteur Joseph avait-il atteint le stade où il laissait les enfants ouvrir la bouche eux-mêmes, au lieu d’utiliser un instrument métallique grossier. J’appréciais son humanité. » (p. 68-69)

« J’ai souvent songé à partir, comme le professeur Antoine me l’avait conseillé. Ma mère et mon père m’écrivaient aussi que si je n’étais pas heureux en Louisiane, je devrais venir en Californie. Après être allé les voir l’été qui avait suivi ma première année d’université, j’étais revenu, ce qui avait fait plaisir à ma tante. Mais j’avais tourné en rond depuis, incapable d’accepter ce qui avait été ma vie, incapable de la quitter. » (p. 122)

« Tu sais ce que c’est qu’un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les Blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c’est un mythe. » (p. 226)

Ernest J. GAINES, Dites-leur que je suis un homme, traduit de l’américain par Michelle Herpe-Voslinsky, Liana Levi piccolo, 2019

Une nouvelle participation au Mois de l’Histoire afro-américaine chez Enna

Petit Bac 2022 – Verbe 2

Liana Levi piccolo fête ses vingt ans

Man

22 lundi Nov 2021

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots du Québec

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Kim Thuy, Liana Levi

Mãn

Présentation de l’éditeur :

« Maman et moi, nous ne nous ressemblons pas. Elle est petite, et moi je suis grande. Elle a le teint foncé, et moi j’ai la peau des poupées françaises. Elle a un trou dans le mollet, et moi j’ai un trou dans le cœur. »

Orient-Occident. Saigon-Montréal. C’est le parcours de Mãn, une jeune femme que sa mère a voulu protéger en la mariant à un restaurateur vietnamien exilé au Québec. Mãn a appris à grandir sans rêver, à vivre transparente. Mais en cuisine, lorsqu’elle réinterprète les recettes toutes simples de son enfance, les émotions se déploient. Un bouillon à la tomate rappelle les déchirements d’un peuple, un dessert rapproche deux cultures, et l’art d’émincer le piment en dit long sur celui de la séduction…
Dans un subtil balancement entre passé et présent, entre ici et là-bas, Kim Thúy dessine une mosaïque où se mêlent la mémoire, l’amour et l’enrichissement d’être ailleurs.

Man signifie « parfaitement comblée » ou « qu’il ne reste plus rien à désirer » ou « que tous les voeux ont été exaucés ». Les apparences pourraient le laisser croire : Man, élevée et protégée par une femme qui n’est pas sa mère biologique, a pu quitter le Vietnam et les drames du régime communiste pour vivre à Montréal, mariée à un homme qui la respecte ( mais pour qui il n’est que normal qu’elle remplisse ses devoirs d’épouse à l’orientale) et qui lui a donné deux enfants. C’est une femme discrète, effacée, qui ne montre pas ses sentiments. C’est en cuisine, dans le restaurant de son mari, qu’elle déploie ses talents en offrant aux clients des plats délicatement relevés qui rappellent au palais les saveurs du pays natal. Et c’est ainsi qu’elle attire l’attention et l’amitié de Julie, une Montréalaise qui va ouvrir avec Man une boutique restaurant atelier culinaire qui va permettre à la jeune exilée de déployer ses ailes et d’expérimenter l’amitié, l’expression des émotions, la tendresse physique, et même l’amour fusionnel et déchirant avec Luc.

C’est un texte court, tout en retenue, en pudeur mais brûlant d’émotions, d’odeurs et de saveurs tantôt douces, tantôt amères. Il évoque l’exil, la mémoire, l’écart entre la culture d’origine et la culture d’adoption, l’apprentissage de la langue de l’exil, la reconnaissance du coeur. Un petit bijou de littérature que nous offre une fois encore Kim Thuy, qui parle d’expérience.

Et malgré la minceur du roman, j’avais envie de noter beaucoup de passages !

« Voilà pourquoi je m’appelle Man, qui veut dire « parfaitement comblée » ou « qu’il ne reste plus rien à désirer », ou « que tous les voeux ont été exaucés ». Je ne peux rien demander de plus, car mon nom m’impose cet état de satisfaction et d’assouvissement. Contrairement à la Jeanne de Maupassant, qui rêvait de saisir tous les bonheurs de la vie à sa sortie du couvent, j’ai grandi sans rêver. »

« C’était mon premier mot de français, »londi » . En vietnamien , « lon » signifie canette et « di » partir . Ces deux sons ensemble en français font « lundi » dans l’oreille d’une Vietnamienne . A la manière de sa mère ,elle m a enseigné ce mot en me demandant de pointer la canette avant de lui donner un coup de pied et de dire « lon-di » pour lundi. Ce deuxième jour de la semaine est le plus beau de tous parce que sa mère est décédée avant de lui apprendre à prononcer les autres jours. »

« Beaucoup de livres en français et en anglais avaient été confisqués pendant les années de chaos politique. On ne connaîtra jamais le sort de ces livres , mais certains avaient survécu en pièces détachées. On ne saurait jamais par quel chemin étaient passées des pages entières pour se retrouver entre les mains des marchands qui les utilisaient pour envelopper un pain, une barbotte ou un bouquet de liseron d’eau … On ne pourrait jamais me dire pourquoi j avais eu la chance de tomber sur ces trésors enfouis au milieu des tas de journaux jaunis. Maman me disait que ces pages étaient des fruits interdits tombés du ciel. »

« Je suis retournée à une ancienne leçon de chinois où le professeur avait expliqué que pour le caractère du mot « aimer » englobait trois idéogrammes : une main, un cœur et un pied, parce que l’on doit exprimer son amour en tenant son cœur dans ses mains et marcher jusqu’à la personne qu’on aime pour le lui tendre. »

« Les mères enseignaient à leurs filles à cuisiner à voix basse, en chuchotant, afin, d’éviter le vol des recettes par les voisines, qui pourraient séduire leurs maris avec les mêmes plats. »

Kim Thuy, Man, Editions Liana Levi, 2013

Québec en novembre

Petit Bac 2021 – Etre humain 6

L’attaque du Calcutta-Darjeeling

25 mardi Fév 2020

Posted by anne7500 in Des Mots britanniques, Des Mots d'Asie

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Abir Mukherjee, Inde, Liana Levi

Quatrième de couverture :

1919. La Grande Guerre vient de se terminer en Europe. Après cette parenthèse éprouvante, certains Britanniques espèrent retrouver fortune et grandeur dans les lointains pays de l’Empire, et tout particulièrement en Inde. Ancien de Scotland Yard, le capitaine Wyndham débarque à Calcutta et découvre que la ville possède toutes les qualités requises pour tuer un Britannique: chaleur moite, eau frelatée, insectes pernicieux et surtout, bien plus redoutable, la haine croissante des indigènes envers les colons. Est-ce cette haine qui a conduit à l’assassinat d’un haut fonctionnaire dans une ruelle mal famée, à proximité́ d’un bordel? C’est ce que va tenter de découvrir Wyndham, épaulé par un officier indien, le sergent Banerjee. De fumeries d’opium en villas coloniales, du bureau du vice-gouverneur aux wagons d’un train postal, il lui faudra déployer tout son talent de déduction, et avaler quelques couleuvres, avant de réussir à démêler cet imbroglio infernal.

Ce titre m’a attirée en librairie et malgré mes velléités d’être raisonnable, je n’ai pu attendre la sortie poche et je l’ai lu très vite après l’avoir acheté (en même temps, depuis que je lis « sans contrainte », je mélange plus les achats récents et les livres de PAL).

Le capitaine Wyndham est un personnage complexe et donc très intéressant pour un polar : peu d’attaches en Angleterre, ancien de la Special Branch (Thomas Pitt, si tu nous regardes…), il s’est attaché à une femme libre et brillante pendant une de ses permissions de la Grande Guerre et l’a épousée ; il a été blessé peu avant la fin de la guerre et n’a pas retrouvé son épouse, morte de la grippe espagnole ; sa blessure le laisse accro à la morphine. C’est cet homme qui débarque dans la chaleur tropicale de Calcutta, appelé par un de ses anciens officiers supérieurs à la guerre, soucieux de lutter contre la corruption au sein de la police coloniale.

On est en 1919 et les mouvements de libération des colonies montent, qu’ils soient violents (terroristes selon les autorités britanniques) ou pacifistes (la non-violence de Gandhi est déjà en marche). Dans cette situation potentiellement explosive, un haut fonctionnaire anglais est assassiné, son corps est retrouvé non loin d’un bordel dans un quartier de la « Black Town » de Calcutta. Peu après un train est attaqué, vraisemblablement pour voler des fonds destinés à des groupes terroristes. Wyndham tente de faire le lien entre les deux faits, avec l’aide du sergent Banerjee, observateur, intelligent, mais qui a – pardonnez l’expression – le cul entre deux chaises, coincé entre son patriotisme indien et sa loyauté envers ses supérieurs britanniques. La relation entre les deux hommes fait partie intégrante de l’intrigue et est très amusante à observer.

Je dois avouer que j’avais un peu vu venir le nom de l’assassin du fonctionnaire mais la fin s’accompagne quand même d’une révélation inattendue (pour moi du moins) ; c’est une énigme assez classique, que j’ai beaucoup appréciée ; tout l’intérêt est dans la relation de la vie coloniale à Calcutta avec des jeux de pouvoir et d’influence occultes, les bâtons dans les roues qu’on place dans l’enquête du capitaine Wyndham et cette question qui commence à tarauder les autorités, une question qu’elles ne se formulent sans doute pas consciemment mais qui sera un enjeu majeur : comment une administration coloniale finalement assez réduite numériquement au vu du nombre d’administrés indiens peut-elle continuer à gouverner, à garder une légitimité si sa supériorité morale s’effondre ?

Autre argument en faveur de cette lecture, l’humour anglais qui m’a souvent fait sourire et dont je vous donne un extrait ci-dessous. L’auteur est Ecossais, d’origine indienne évidemment, et il paraît que ce roman est le premier d’une série de quatre déjà écrits en anglais, j’espère vivement que les éditions Liana Levi continueront à les faire traduire et à les publier !

« Nous nous arrêtons devant une entrée assez grandiose. Sur une plaque de cuivre vissée sur une des colonnes on peut lire Bengal Club, Fondé en 1827. A côté d’elle un panneau de bois annonce en lettres blanches :

ENTREE INTERDITE AUX CHIENS ET AUX INDIENS

Banerjee remarque ma désapprobation.

« Ne vous inquiétez pas, monsieur, dit-il. Nous savons où est notre place. En outre, les Britanniques ont réalisé en un siècle et demi des choses que notre civilisation n’a pas atteintes en plus de quatre mille ans.

-Absolument », renchérit Digby.

Je demande des exemples. 

Banerjee a un mince sourire. « Eh bien, nous n’avons jamais réussi à apprendre à lire aux chiens. » (p. 97)

Abir MUKHERJEE, L’attaque du Calcutta-Darjeeling, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle, Liana Levi, 2019

Le jeu du pendu

12 mardi Mar 2019

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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ALine Kiner, Le jeu du pendu, Liana Levi, Lorraine

Présentation de l’éditeur :

Dans un paysage de Lorraine, à l’abri du vent, la sérénité semble régner. Mais l’impression est trompeuse. La mine, les blessures de la guerre, les vieilles haines y ont creusé bien des failles. C’est dans l’une d’elles qu’un matin d’hiver, le cadavre d’une jeune fille est retrouvé, une corde savamment nouée autour du corps. Le lendemain, on découvre un curieux assemblage de brindilles dans le cimetière du village, à l’endroit même où, à la Libération, un homme a été pendu. Sonder les âmes et les souvenirs des «gueules jaunes», ces anciens mineurs malmenés par l’Histoire, devient un nécessité. Lesquels, des fantômes de la guerre ou de la mine, sont revenus sacrifier cette adolescente?

Bien sûr, j’ai lu un autre roman entre Bondrée et celui-ci mais il y a des coïncidences frappantes entre les deux : un petit monde clos, des jeunes filles assassinées dont le corps est mis en scène dans la forêt, dans des crevasses creusées par des effondrements miniers. Ici le cadre a beaucoup d’importance : nous sommes en Lorraine, une région encore marquée par les fractures de la guerre (en 40-45 les Allemands ont de nouveau occupé l’Alsace-Lorraine, divisant la population entre collabos, résistants, engagés volontaires, exilés, déportés, avec les règlements de comptes qu’on imagine à la Libération) et les cicatrices laissées dans le paysage et dans les maisons suite à l’arrêt de l’exploitation des mines de fer.

C’est dans le village de Varange qu’est retrouvé le corps sans vie de Nathalie, ado un peu difficile. Parmi les enquêteurs, Simon Dreemer, muté de Paris suite à une « bavure » (ok ce n’est pas nouveau mais il faut bien introduire les personnages, non ?) et Jeanne Modover, qui a grandi dans le village. La capacité d’écoute, la connaissance des lieux et des gens de l’une, le côté direct mais intuitif de l’autre vont bien s’accommoder pour tenter de pénétrer les secrets bien enfouis de ce village lorrain. Aline Kiner est elle aussi originaire de cette région, elle connaît bien son histoire, sa géographie, son économie et cela a nourri efficacement ce roman bien mené, bien écrit, sans un poil de gras, avec des personnages pleins de fêlures et attachants. 

Encore un bon moment de lecture que je vous conseille (un premier roman prometteur)

ALine KINER, Le jeu du pendu, Collection piccolo, Liana Levi, 2012 (première édition : 2011)

En hommage à Aline Kiner décédée bien trop tôt début janvier 2019

Challenge Petit Bac – Littérature générale, Objet

La veuve des Van Gogh

25 vendredi Août 2017

Posted by anne7500 in Des Mots sud-américains

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Camilo Sanchez, La veuve des Van Gogh, Liana Levi, Vincent Van Gogh

Quatrième de couverture :

Sur la mort de Vincent Van Gogh tout a été écrit. Sur celle de son frère Théo, terrassé par le chagrin, des litres d’encre ont été aussi déversés. Mais personne n’a évoqué ce qu’il advint de Johanna Van Gogh-Bonger, épouse de Théo, qui vécut un double veuvage tant le lien entre les deux frères était fort. Après la disparition de son mari dans un hôpital psychiatrique d’Utrecht, la jeune femme décide d’ouvrir, à quelques kilomètres d’Amsterdam, une auberge qui lui permettrait, à elle et à son bébé de un an, de survivre. C’est là qu’elle réunit les lettres de Vincent, qu’elle accroche aux murs ses toiles. Nous sommes en 1891 et certains voyageurs de cette fin de siècle s’arrêtent volontiers dans l’agréable demeure. Déconcertés, ils regardent ces tableaux aux couleurs inattendues qui jusque-là n’ont pas trouvé d’acquéreur, ni à Arles ni à Paris. Des tableaux dédaignés et même voués par certains au bûcher tant ils paraissent «démoniaques». Cette exposition loin du monde des critiques prétentieux et pontifiants permettra au peintre de connaître enfin une gloire posthume.
Une histoire méconnue et passionnante qui brosse, entre documentaire et fiction, le portrait d’une femme hors norme dont la détermination a changé la face de l’art contemporain…

Ce premier roman de Camilo Sanchez semble la suite naturelle à C’était mon frère… : en effet il part lui aussi du retour d’Auvers-sur-Oise de Théo Van Gogh après le suicide de son frère aîné. Sa femme Johanna assiste impuissante à la dégradation mentale et physique de Théo tout en assumant les soins donnés à son fils Vincent (un prénom qu’elle regrette presque d’avoir accepté) et en tentant de s’imaginer un avenir devant le deuil inexorable de son mari. Elle n’a fréquenté Vincent Van Gogh  que quatre jours et a pu se faire une petite idée de ses projets, de ses folies, d’une apparente arrogance vis-à-vis de Théo. Et de sa peinture, à laquelle il avait fini par vouer sa vie. Pour tenir bon, Johanna Bonger écrit un journal intime dans lequel elle appelle désormais le peintre Van Gogh tout court, tandis qu’elle réserve »Vincent » à son petit garçon. 

Quelques semaines après la mort de Théo, Johanna ouvre une pension de famille à Bussum : elle y fait revenir environ 300 toiles et autant de dessins de l’artiste, elle se plonge dans la lecture des lettres entre les deux frères et y découvre des clés de compréhension de l’oeuvre qu’elle ne soupçonnait pas. Le style de Vincent Van Gogh laisse pressentir qu’il aurait pu être – aussi – un grand poète. Petit à petit, Johanna va attirer l’attention de galeristes hollandais et faire enfin prendre conscience du génie de celui qui signait « Vincent ».

Plus que la qualité littéraire (quelques répétitions un peu gênantes pour un roman aussi court), c’est le côté très documenté du roman qui m’a intéressée, de même que la personnalité de Johanna qui garde les pieds sur terre et donne un poids rationnel, réaliste à la mise en valeur des toiles de son beau-frère. On l’a appelée « la veuve des Van Gogh » à cause de ce lien unique entre les deux frères : on peut dire que Camilo Sanchez ‘habille » cette appellation peu flatteuse en tissant un lien bien réel (et posthume) entre la belle-soeur et le beau-frère grâce aux lettres de Vincent à Théo.

« Pendant qu’elle lit, elle est prise dans un jeu de miroirs. Celui qui écrit ne l’intéresse pas autant que son destinataire. Elle traque, en quelque sorte, le lecteur des lettres, pas celui qui les envoie. 
Ce n’est pas Van Gogh qu’elle cherche en elles. Elle cherche à comprendre qui était son mari. » (p. 84)

« Johanna revient aux lettres. 
Elle est obsédée par la correspondance de son beau-frère: gênée d’entrer dans une intimité étrangère, elle se laisse emporter , surprise, par l’intensité d’une prose qui brûle tout sur son passage. 
« Je lis et je comprends de mieux en mieux le ravissement de Théo.
Van Gogh domine l’art d’écrire des lettres.
Il s’applique, même quand il écrit un message d’une seule ligne. 
Une idée l’anime: que le destinataire puisse l’accrocher pour sa beauté sur un mur de sa maison. 
Van Gogh écrit comme il peint. «  (p. 92)

« Seule la peinture
m’a fait comprendre la lumière
restée dans l’obscurité. »

Presque un haïku de Bashô.
La lettre est datée de La Haye, août 1882. »

« Je viens de m’asseoir devant un tableau blanc face au paysage qui m’impressionne… écrit Van Gogh.
Autrement dit, il partait d’un tableau blanc.
Il faut être très artiste ou très fou, ou les deux à la fois, pour entendre par un tableau blanc une toile.
Ne serait-ce pas là la différence ?
Van Gogh entre-t-il dans un tableau par un autre, vide ? » (p. 148)

Camilo SANCHEZ, La veuve des Van Gogh, traduit de l’espagnol (Argentine) par Fanchita Gonzalez Batlle, éditions Liana Levi, 2017

Avec cette troisième lecture s’achève ma semaine avec les Van Gogh.

Nuit étoilée sur le Rhône

Quinze kilomètres trois

14 vendredi Oct 2016

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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Liana Levi, Martine Laval, Quinze kilomètres trois

Quatrième de couverture :

Quinze kilomètres trois. La distance qui les sépare du Cap Blanc-Nez. Cette échappée, c’est leur secret, aux petites. Ce matin, elles fuient l’ennui des jours, un avenir sans promesse. Elles s’en vont, légères. Dans le paysage à la fois brutal et magnifique de la Côte d’Opale, Martine Laval suit les deux adolescentes, espionne leur désœuvrement et fait entendre d’autres voix – une prof, un cousin, une voisine. Tous cherchent à comprendre le pacte qui les emmène à la falaise.

En quelques pages, Martine Laval se fait narratrice externe et tente de comprendre au plus intime ce qui a poussé deux jeunes filles à fuguer un beau matin sur les routes de la Côte d’Opale. Elle prend son vélo et suit les deux filles, elle donne la parole à des proches qui ne comprennent pas mieux mais sont marquées profondément par le drame vécu. Comment percevoir ce qui a enfermé ces filles anonymes dans leur bulle, sans se briser soi-même en mille morceaux ? Car en filigrane de ce court récit courent les voix du chômage, de la misère sociale et morale, de l’ennui, des rêves qui peinent à dépasser la ligne d’horizon de cette région sinistrée. L’écriture est sobre, parfois hachée, sensible. Elle participe de la douleur et de la douceur de cette petite perle grise.

Martine LAVAL, Quinze kilomètres trois, Liana Levi piccolo, 2011

Une mini-sortie de PAL pour ce mois d’octobre pour un livre gagné grâce à Jeneen. (Merci  !)

Dans la mer il y a des crocodiles

19 vendredi Août 2016

Posted by anne7500 in Des Mots italiens, Non Fiction

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Dans la mer il y a des crocodiles, Enaiatollah Akbari, exil, Fabio Geda, Liana Levi, migrations, piccolo

Quatrième de couverture :

Dix ans, ou peut-être onze. Enaiat ne connaît pas son âge, mais il sait déjà qu’il est condamné à mort. Être né hazara, une ethnie persécutée en Afghanistan, est son seul crime. Pour le protéger, sa mère l’abandonne de l’autre côté de la frontière, au Pakistan. Commence alors pour ce bonhomme « pas plus haut qu’une chèvre » un périple de cinq ans pour rejoindre l’Italie en passant par l’Iran, la Turquie et la Grèce. Louer ses services contre un bol de soupe, se dissimuler dans le double-fond d’un camion, braver la mer en canot pneumatique, voilà son quotidien. Un quotidien où la débrouille le dispute à la peur, l’entraide à la brutalité. Mais comme tous ceux qui témoignent de l’insoutenable, c’est sans amertume, avec une tranquille objectivité et pas mal d’ironie, qu’il raconte les étapes de ce voyage insensé.

Fabio Geda est né en 1972 à Turin où il vit toujours. Éducateur, collaborateur de La Stampa, il a publié deux romans avant d’entendre Enaiatollah Akbari raconter son histoire il y a quelques années au Centre interculturel de Turin. Bouleversé par son récit, séduit par son authenticité, il prend le soir même la décision de bâtir un livre à quatre mains. Depuis sa sortie en avril 2010, Dans la mer il y a des crocodiles s’est vendu à près de 200 000 exemplaires en Italie et a été traduit en 27 langues.

Après Eldorado et Refuges, voici un troisième regard sur l’immigration en forme de récit authentique : celui d’Enaiatollah, un jeune garçon de dix ans seulement que sa mère a eu le culot, le courage, la force, l’inconscience (les quatre à la fois ?) de faire sortir d’Afghanistan et d’abandonner à Quetta (oui, la ville pakistanaise où a lieu un attentat sanglant il y a une quinzaine de jours) sans le prévenir qu’elle veut qu’il fasse sa vie ailleurs pour échapper à la discrimination que les Hazaras subissent.

A force de courage, de débrouillardise, d’instinct de survie, d’intelligence, de chance aussi, Enaiatollah réussit à trouver du travail, à toujours trouver un endroit pour dormir et de quoi manger ; de quoi gagner aussi de l’argent pour repartir, toujours plus à l’ouest. Le jeune garçon sent toujours le bon moment pour quitter un endroit ; il se met alors à la merci des passeurs, qui l’emmèneront du Pakistan en Iran, puis en Turquie, avant de traverser la mer pour atterrir en Grèce et enfin se poser en Italie, à Turin, où il savait pouvoir retrouver un ami afghan. Enaiatollah a été victime de rafles policières, de racisme, les conditions du voyage ont souvent été atroces (lire « en vrai » comment on vous fait voyager pendant des jours recroquevillé sous un camion et comment vous en sortez si vous survivez à l’aventure, ça a quand même un poids particulier par rapport à une fiction).

Le périple dure quatre ans, de la vallée de Nava jusqu’à Turin. Mais si le récit recueilli par Fabio Geda est bien réel, il se lit presque comme un roman d’aventures, tant Enaiatollah y met de vie et d’énergie incroyable. Il ne veut pas s’attacher aux émotions, au fait qu’un enfant de dix ans ne devrait jamais avoir à vivre ce genre de choses : il raconte simplement ce qui lui est arrivé, et s’il n’omet pas les coups durs et les mauvais jours, il met toujours en avant ceux qui l’ont aidé dans son exil, ceux qui l’ont conseillé, lui ont donné du travail ou de la nourriture, les bonnes personnes qui, en Grèce et en Italie, n’ont pas eu peur de lui payer un billet de train ou de bateau pour arriver à bon port. On sourit à certaines de ses anecdotes et on se laisse remuer le coeur et les tripes à l’écouter (oui, c’est comme s’il nous parlait en direct).

En lisant ce livre, j’ai pensé au roman Les cerfs-volants de Kaboul et au film Welcome. Le récit se termine sur un coup de téléphone qui m’a mis les larmes aux yeux. On ne peut s’empêcher d’espérer que tous les enfants qui vivent la même « traversée » qu’Enaiatollah arrivent eux aussi sains et saufs en Europe et que, comme lui, ils ne perdent rien de leurs rêves en chemin. On peut toujours espérer…

« Comment on trouve un endroit pour grandir, Enaiat? Comment le distingue-t-on d’un autre?

Tu le reconnais parce que tu n’as plus envie de t’en aller. Bien sur, il n’est pas parfait. Ça n’existe pas, un endroit parfait. Mais il existe des endroits où, au moins, personne ne cherche à te faire du mal. » (p. 157)

Enaiat est pourtant conscient du pouvoir des émotions transmises quand il se présente devant la commission qui pourrait lui accorder le statut de réfugié politique à Rome : « Quand tu t’adresses directement aux gens, tu transmets une émotion plus intense, même si les mots sont incertains, que la cadence est différente. Dans tous les cas, le message qui arrive ressemble plus à celui que tu as en tête, comparé à ce que pourrait répéter un interprète – non ?, parce que de sa bouche ne sortent que des mots, pas des émotions. Les mots ne sont qu’une coquille. » (p. 171)

Fabio GEDA, Dans la mer il y a des crocodiles – L »histoire vraie d’Enaiatollah Akbari, traduit de l’italien par Samuel Sfez, Liana Levi piccolo, 2012 (Première édition en 2011)

Troisième titre de ma mini-série « Exils », que je recommanderai particulièrement à mes élèves. J’ai encore un titre en lien avec ce thème mais je le présenterai en septembre, pour le Mois américain (une autre semaine thématique démarre la semaine prochaine).

Par la petite porte

25 vendredi Sep 2015

Posted by anne7500 in Des Mots nord-américains

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Ernest J. Gaines, Liana Levi, Louisiane, Par la petite porte

Quatrième de couverture :

Copper, le fils métis et illégitime du maître blanc, revient dans la plantation où il est né. Appelé à rendre visite à son oncle, il refuse de passer par la petite porte à l’arrière de la maison, comme l’impose pourtant la tradition ségrégationniste de Louisiane. Son refus est le point de départ d’un bras de fer lourd de sens.

Ernest J. Gaines est né en 1933 dans une plantation de Louisiane. À neuf ans, il y ramasse des pommes de terre pour 50 cents par jour. À quinze, il rejoint la Californie et commence à lire avec passion, en regrettant que «son monde» ne figure pas dans les livres. Il décide d’écrire pour le mettre en scène et s’affirme vite comme un des auteurs majeurs du «roman du Sud». Le National Book Critics Circle Award, décerné en 1994 à Dites-leur que je suis un homme, ainsi qu’une nomination pour le prix Nobel de Littérature en 2004, récompensent l’ensemble d’une œuvre magistrale.

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C’est le premier Ernest J. Gaines que je lis et dieu sait que j’avais envie de découvrir cet auteur mais j’ai eu un peu de mal avec le style (est-ce dû à la traduction ? je ne crois pas) principalement en dialogues sans cesse ponctués de « untel dit » « elle dit », etc. et avec l’aspect répétitif de l’action. Copper veut revenir dans la maison de son oncle par la grande porte mais cela lui est interdit par les « coutumes », la loi ségrégationniste de Louisiane. L’oncle, malade, fait envoyer un puis deux puis plusieurs hommes pour forcer Copper à le rencontrer selon les règles. Mais rien ne se passe comme prévu avant la « confrontation » finale entre les deux hommes, où le lecteur comprend les valeurs, le moteur qui les guide l’un et l’autre.

Je ne vous révélerai évidemment pas ce message final que l’on rend en pleine figure, comme sans doute chacun des personnages. D’autant que monsieur Franck est flanqué de ses deux et plus vieux serviteurs noirs, peut-être plus fidèles que leur maître à son système de pensée. Cette finale a emporté mon adhésion, évidemment – quand je dis adhésion, c’est aussi de la stupeur devant la vie et les relations hiérarchiques dans les plantations de Louisiane -, et m’a même fait comprendre pourquoi l’auteur a mené son récit de cette manière. Mais j’aimerais lire un autre titre – peut-être un peu plus long – pour lire une autre facette d’Ernest Gaines.

Ernest J. GAINES, Par la petite porte, traduit de l’américain par Michelle Herpe-Voslinsky, Liana Levi piccolo, 2010

L’avis de Marilyne

J’ai gagné ce roman grâce à Jeneen au temps où elle tenait un blog… encore merci !

Mois américain

Dernier train pour Buenos Aires

04 vendredi Sep 2015

Posted by anne7500 in Des Mots sud-américains

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Argentine, Dernier train pour Buenos Aires, Hernan Ronsino, Liana Levi

Quatrième de couverture :

D’abord il y a un salon de coiffure. C’est de là que Vicente, le taciturne, observe. Il observe les ouvriers qui démontent les rails. Des rails qui ne conduiront plus à ce bourg perdu, loin de Buenos Aires. Des rails qui laisseront une balafre dans la terre comme dans les têtes. Ensuite il y a le Don Pedrín, ce bistrot où l’on commente. On commente le film projeté dans l’unique cinéma, et le passé… Pourquoi la Negra a-t-elle pris un jour le train pour Buenos Aires et n’est jamais revenue? Elle avait des jambes sublimes, la Negra Miranda, de quoi faire tourner la tête des jeunes hommes, de quoi rendre fou de jalousie un mari policier… À soi-même ou à d’autres, chacun dit ce qu’il sait, les souvenirs estompés, l’abandon, la vengeance. Et c’est seulement à la dernière ligne que tout prend sens.

Dernier train pour Buenos Aires est un roman très court (91 pages) dont l’auteur resserre peu à peu les noeuds jusqu’à la révélation finale qui permet de comprendre les liens entre Ramon Folcada, Vardemann, Miguelito Barrios et Bicho Souza, les quatre protagonistes mâles de ce drame. Quant à la Negra, celle qui a fait tourner toutes les têtes, elle plane tel un fantôme sur cette histoire sombre.

Pour installer ce climat étouffant, Hernan Ronsino joue sur la « densité » des quatre parties qui se situent chacune dans une année clé de l’histoire de l’argentine depuis 1946 et l’élection de Peron (heureusement des repères chronologiques sont fournis en fin de roman pour comprendre les allusions un peu elliptiques aux événements historiques) : la première partie se déroule en chapitres très courts, la deuxième voit ses pages s’allonger, la troisième propose un récit aux nombreux paragraphes encore séparés par des interlignes doubles tandis que la dernière développe d’un seul souffle une confession en plusieurs pages. L’auteur joue aussi sur les répétitions d’une phrase ou d’une page à  l’autre, un procédé qui m’a un peu donné le tournis à la longue (mais très efficace du point de vue de l’étouffement recherché).

Le présent garde les traces et les sentiments indélébiles des passions du passé, qui se sont tissées sur fond de troubles politiques et militaires. Des passions et une noirceur intéressantes, certes, mais qui ne me laisseront sans doute pas un souvenir ineffaçable, je dois l’avouer.

« Un jour les trains cessent de passer. Et puis vient une équipe d’ouvriers. Six ou sept hommes descendent d’un camion, avec des casques jaunes. Ils commencent à démonter les voies. Je les regarde d’ici. Je les regarde travailler. Ils travaillent jusqu’à six heures. Ils s’en vont avant que sortent les ouvriers de la Glaxo. Ils laissent de grands fûts enflammés, pour dévier la circulation. Quand ils s’en vont, je ferme le salon de coiffure. » (p. 11)

Hernan RONSINO, Dernier train pour Buenos Aires, traduit de l’espagnol (Argentine) par Dominique Lepreux, Liana Levi, 2010

Une semaine en Argentine avec Marilyne qui présente aujourd’hui Ton avant-dernier nom de guerre de Raul Argemi.

Et un cinquième titre pour le challenge d’Eimelle

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Petits combattants

02 mercredi Sep 2015

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots sud-américains

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Argentine, Liana Levi, Petits combattants, Raquel Robles

Quatrième de couverture :

Le Pire, c’est la nuit de l’enlèvement. La nuit où les parents, militants montoneros, sont arrêtés chez eux. La nuit où tout bascule pour la fillette narratrice et son petit frère qui dorment à poings fermés. Au réveil, ils doivent quitter leur maison, avec la grand mère reine du crochet, pour aller vivre avec l’autre grand-mère rescapée du ghetto de Varsovie chez l’oncle et la tante, à Buenos Aires. Ce qu’ils emportent? Les slogans révolutionnaires entendus chez eux en ce début de dictature militaire : L’Impérialisme yankee est notre ennemi, La Religion est l’opium du peuple, Avec l’Ennemi, on perd quand on ne gagne pas… Dans une clandestinité soudée et grave, et une envie forcenée de coller au modèle de leurs parents, ils vont devenir des petits combattants, portés par l’espoir de les retrouver un jour. Un roman vrai, drôle, émouvant.

Après la dictature vécue du fond d’un petit village dans L’autobus, voici la dictature vue à hauteur d’enfant et Raquel Robles sait de quoi elle parle : « Les parents de Raquel Robles, Flora Pasatir et Gastón Robles, qui était secrétaire d’Etat à l’Agriculture du gouvernement de Héctor Cámpora, furent arrêtés le 5 avril 1976 à leur domicile, alors que leurs deux enfants Raquel, 5 ans, et Mariano, 3 ans, dormaient. C’est cet événement qui constitue le point de départ de Petits Combattants. » (info tirée du site de Liana Levi où vous pourrez aussi trouver une interview de l’auteure).

Les deux enfants de ce court roman sont plus âgés, la soeur a sans doute 7-8 ans et son frère est un peu plus jeune. La petite fille se sent investie d’une mission : pour tenir, continuer le combat de ses parents, garder leurs idées (sans doute proche du communisme) vivantes, tenter de conscientiser les camarades d’école, les autres membres de la famille à la lutte pour les droits de l’homme. Tenir, fortifier son caractère, s’entraîner à résister, à ne montrer aucun sentiment ni réaction au cas où on serait arrêté comme papa et maman. Espérer, tant bien que mal, les retrouver un jour. Et ce faisant, acquérir une maturité inédite. Une force morale qui se noie parfois dans des torrents de larmes quand un souvenir inattendu (un ballon, un livre d’histoires que leur mère leur lisait pour les endormir) resurgit et que l’on redevient tout simplement un petit enfant privé de parents. Un combat souvent teinté d’humour aussi, puisque les idées politiques, les acteurs de la dictature sont observés par des enfants qui ne comprennent pas tout comme les adultes et font parfois trembler ceux-ci.

Autour de ces deux enfants, les adultes (l’oncle et la tante, les grands-mères, l’amie de leurs parents, les animateurs des centres de loisirs) vivent d’abord le choc de l’enlèvement et tentent d’entourer le frère et la soeur qui s’attachent l’un à l’autre avec une force et une maturité que le malheur leur impose et qui dépasse parfois celle des adultes. Jusqu’à avoir le courage d’affronter la vérité en face. Si la romancière montre à quel point la dictature annihile ses personnages en ne leur donnant aucun nom, juste leur degré de relation, elle démontre aussi que les oppresseurs ne viendront pas à bout des idées ni de l’amour de ceux qu’elle a séparés.

Les Petits combattants de Raquel Robles luttent pour la justice, contre l’oubli, et ils sont bouleversants à chaque page.

« Je savais parfaitement que la religion était l’opium du peuple. Je n’étais pas bien sûre de ce qu’était l’opium, sans doute quelque chose de très mauvais, qui une fois avalé par le peuple retardait irrémédiablement le Processus révolutionnaire. Non seulement dieu n’existait pas, mais croire en son existence nous causait du tort à tous. Je savais aussi que nous étions en train de traverser une période de Résistance et qu’il fallait dissimuler. Il était évident que le Peuple avait l’opium sur l’estomac parce que le Processus révolutionnaire était très en retard. Et personne ne semblait se rendre compte que la Révolution était au bout du chemin. Il se pouvait que les activités de simulation soient en train de porter leurs fruits, mais c’est justement là le problème de la clandestinité : il n’y a personne à qui poser la question. » (p. 27)

« Après m’être un peu calmée, je lui [à l’amie des parents] pourquoi mon papa n’avait pas tiré puisqu’il avait une arme à portée de la main. « Je suppose que c’était pour vous protéger. » La même ânerie, une fois de plus, j’étais scandalisée. « De quoi ? » je lui ai crié. « De la mort, elle a dit. S’il avait tiré, ils auraient répondu et ils vous auraient tous tués. » « Mais là, c’est pire » je lui ai dit. « Non, la mort c’est pire que tout, mon coeur, tu vas avoir une vie difficile mais tu vas aussi vivre de belles choses. » Je ne lui ai rien dit, je n’en étais pas si sûre. Je ne voulais pas être morte, mais je ne voulais pas non plus être si triste. » (p. 97)

Raquel ROBLES, Petits combattants, traduit de l’espagnol (Argentine) par Dominique Lepreux, Liana Levi, 2014

Aujourd’hui, dans ce périple argentin, Marilyne vous propose un classique : Cronopes et Fameux, de Julio Cortazar. Marilyne a également présenté Petits combattants ici.

Et un de plus pour le challenge d’Eimelle

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