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Argentine, Eugenia Almeida, L'autobus, Métailié, Premier Roman
Quatrième de couverture :
Dans une petite ville du fond de l’Argentine, un homme et une très jeune femme attendent un autobus dans un café, il passe mais sans s’arrêter. Il y a quatre jours maintenant que l’avocat Ponce amène sa sœur pour prendre cet autobus et qu’il ne s’arrête pas. Les jeunes gens décident de partir à pied le long de la voie ferrée. Le village s’interroge. Il s’est passé quelque chose dans le pays que tout le monde ignore ici. Sous l’orage qui gronde sans jamais éclater, de chaque côté de la voie ferrée qui sépare parias et notables, la réalité se dégrade subtilement. Des livres disparaissent de la bibliothèque. Les militaires rôdent autour de la ville, des coups de feu éclatent. Les masques tombent à mesure qu’une effrayante vérité se dévoile. Sobre et dense, sans concession, ce court roman nous conduit, dans un style alerte et cinématographique, au cœur des pages les plus sombres de l’histoire de l’Argentine et parle du pouvoir sous ses formes les plus perverses.
Un court roman, tendu comme un arc entre le premier soir où l’autobus ne s’arrête pas dans le village et le soir où Victoria, la soeur de l’avocat Ponce, peut enfin reprendre le bus pour rentrer chez elle en ville. 127 pages en compagnie de villageois qui vivent simplement et qui vont observer, subir, essayer de comprendre pourquoi ce bus ne s’arrête pas quatre jours de suite, pourquoi la barrière du passage à niveau doit obstinément rester baissée alors qu’il ne passe un train que deux fois la semaine.
Le fin mot de l’affaire ne nous sera jamais livré mais avec Gomez, le coursier et Ruben, l’hôtelier, le lecteur aura eu le temps de découvrir, bouche bée, comment les différents niveaux du pouvoir envoient les ordres, cadenassent les décisions, morcellent les relations, détruisent les rapports, désinforment la population. L’atmosphère est lourde, l’orage menace mais ne craque pas, le mystère est opaque, épais et le rythme de l’écriture est vif, le tout produisant un premier roman inoubliable.
Eugenia Almeida entrelace le compte-rendu de ces quatre jours étouffants avec le portrait de l’avocat Ponce, sa femme et sa soeur. Elle introduit subtilement un parallèle entre les personnages de cette famille si différents les uns des autres et l’opposition entre les deux côtés du village de chaque côté de la voie ferrée et celle, plus implicite, entre la ville et la campagne. On devine que les gens de la ville, les militaires au pouvoir, croient sans doute qu’ils peuvent mater de « simples » villageois comme Ponce a soumis sa femme.
Mais on ne soumet pas la sensibilité des gens. La fin du roman m’a laissée à la fois plein d’espoir et d’appréhension pour les personnages qu’Eugenia Almeida a réussi à faire vivre en quelques pages vraiment marquantes.
La première page contient tout en germe :
« Cela fait trois soirs que l’autobus passe sans ouvrir ses portes. Le village est sous une chape métallique. Grise et légèrement ondulée. Le seuil des maisons est maculé de terre et l’absence de pluie rend les chiens nerveux. Par la fenêtre de l’hôtel, Rubén se penche machinalement pour regarder les gens qui traversent la voie. Ce sont les Ponce, qui habitent de l’autre côté. Ils accompagnent cette fois encore la belle-sœur pour voir si elle peut retourner en ville. Avant qu’ils ne parviennent à l’emplacement où l’autobus s’arrête, Rubén sort sur le pas de la porte. De loin on aperçoit sa main qui s’agite comme un pendule dans l’air, un battant de cloche accroché à rien, qui se secoue pour dire non.
Maître Ponce fait un autre geste, de la tête, pour l’aviser qu’il l’a bien vu.
Maître Ponce fait un autre geste, de la tête, pour l’aviser qu’il l’a bien vu.
– Il ne s’arrête pas, il faut rentrer.
Cela fait rire Marta. Victoria regarde vers l’hôtel et plisse à peine les yeux lorsque le vent soulève la terre sèche. Elle ne sait pas si elle doit secouer sa robe, ôter son chapeau ou faire demi-tour pour rentrer à la maison.
– Ne ris pas.
Marta baisse la tête pour cacher la bouche qu’elle a superbe, ouverte, immense.
Cela fait quatre jours que les Ponce rejoignent à la même heure l’arrêt situé près de l’hôtel. Lui met un costume, une cravate et des chaussures de ville. Il porte la valise de sa sœur en faisant mine de la trouver légère. Les femmes marchent à quelques pas derrière, en parlant et en agitant les mains. » (p. 11)
Eugenia ALMEIDA, L’autobus, traduit del’espagnol (Argentine) par René Solis, Métailié, 2007 et Suites Métailié, 2012
Une semaine en Argentine avec Marilyne qui vous présente aujourd’hui Salvatierra, de Pedro Mairal.
Sur L’autobus, les avis de Marilyne et Martine
Et encore une escale argentine pour Eimelle
martine a dit:
En suivant le lien, je viens de me rendre compte que voici déjà trois ans que j’ai lu ce roman ! Trois ans ! Tu as magnifiquement bien tracé le contexte dans lequel Eugenia Almeida a situé son scénario. La lecture de ton billet m’a transportée à nouveau dans le monde oppressant qu’elle décrit avec tant de force. Lorsque nous l’avions rencontrée, Marilyne et moi, au Festival America, elle avait prononcé cette phrase lourde de sens : « tout était gris »
Merci, Anne, de m’avoir donné l’occasion de retourner dans un passé de lecture et de rencontre que je ne suis pas prête d’oublier !
anne7500 a dit:
Tu te souviens le petit café au coin de la place devant l’Hôtel de ville, c’est là qu’on s’est connues (moi qui criais famine et toi qui posais
nue…) (ah non ça c’est quelqu’un d’autre) 😉 🙂martine a dit:
Bien sûr que je m’en souviens ! Mais ce n’était pas quand même la vie de bohême, ce festival America 😉
anne7500 a dit:
Non, on vivait très bien 😉
Anne de Louvain-la-Neuve a dit:
C’est étonnant : je viens de terminer un autre livre, paru dans la même collection, et à mon avis, aux thématiques assez proches. Le mien se passe au Chili et on y trouve à la fois le foisonnement prolixe qui fait souvent la marque de l’écriture sud-américaine et l’oppressante réalité d’une politique toute puissante. Cela s’appelle « Mirage d’amour avec fanfare » de Letellier et ça m’a énormément plu. Merci de ce partage.
anne7500 a dit:
Et il y a d’autres romans encore qui offrent un regard vraiment original sur la dictature.
Jerome a dit:
Rhoooo, il a vraiment tout pour me plaire celui-là. Court et tendu comme un arc, j’aime !
anne7500 a dit:
On voit l’éclair mais l’orage n’éclate pas et cela dure quatre jours oppressants…
Marilyne a dit:
Un roman marquant, c’est certain, et un premier roman. En te lisant, j’ai aussi pensé à cette formule de E.Almeida lors de Festival America. Je vais encore écrire que je suis ravie de ces lectures argentines partagées 🙂
anne7500 a dit:
Oui, pour un premier roman, c’est un coup de maître. J’espère qu’elle nous en offrira d’autres. A demain pour d’autres aventures (je serai de nouveau à Buenos Aires).
keisha a dit:
Il est déjà repéré à la bibli, merci de me donner une impression de ce roman!
anne7500 a dit:
Il est vraiment très fort et touchant, ce premier roman.
Aifelle a dit:
Je l’avais perdu de vue celui-là, hop le revoilà en bonne position dans la liste.
anne7500 a dit:
Je l’ai acheté au Festival America en 2012, où nous nous sommes rencontrées en vrai et où tu as ris de magnifiques photos de ces Indiens en costume et coiffe de plumes authentiques… tu te souviens ? 😉
Aifelle a dit:
J’ai commencé par me sentir perplexe en me demandant pourquoi j’avais ris ! avant de saisir que tu voulais dire « pris ». Oh que oui je m’en souviens, c’était un moment magnifique, avec Louise Erdrich et ce danseur si beau. J’espère être au prochain festival America 🙂
anne7500 a dit:
Dans un an, le prochain ! Le thème sera « L’Amérique dans tous ses états ». 😉
kathel2 a dit:
Je l’ai lu il y a un certain nombre d’années, le billet était sur mon ancien blog, mais je me souviens encore avoir aimé et l’atmosphère, et l’écriture.
anne7500 a dit:
Une vraie réussite, et c’et étrange de dire cela sur un sujet si sombre.
eimelle a dit:
une bonne idée de le mettre en avant celui-là! Et merci pour le challenge!
anne7500 a dit:
Tu le connais, tu l’as déjà lu ?
Une ribambelle a dit:
Il me tente bien celui-ci. Des histoires de bus, je n’en connais pas alors que des histoires de train en Russie j’en connais plusieurs.
anne7500 a dit:
Je sens une pointe d’ironie à propos des trains… 🙂