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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Tag: Folio

Un automne de Flaubert

25 vendredi Nov 2022

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Alexandre Postel, Folio, Gustave Flaubert

Quatrième de couverture :

« Comme on se souvient d’un chien perdu, c’est ainsi qu’il pense à la littérature. Il cherche à se convaincre qu’il en est débarrassé, que la vie sans elle serait plus douce et plus facile ; qu’il pourrait tout bonnement la remplacer, cette habitude tyrannique, par une autre moins exigeante, un passe-temps, comme il convient à ceux qui n’attendent plus rien du temps sinon qu’il passe. »

En 1875, miné par des problèmes de santé et d’argent, Flaubert se considère fini. Espérant reprendre goût à la vie, il se rend à Concarneau pour passer l’automne auprès de l’un de ses amis savants. Les bains de mer et les nouvelles, les promenades sur la côte et les rencontres se succèdent, en vain. Un jour pourtant, dans sa petite chambre d’hôtel, l’envie de l’écriture le saisit. En est-il encore capable ?

Le nom d’Alexandre Postel, une toile d’Eugène Boudin, il n’en fallait pas plus pour m’attirer sans compter le titre, bien sûr : le mot automne et la série de titres que j’ai envie de lire (euh… sans compter les tentations annexes) et Flaubert dont je caresse toujours le rêve de relire Madame Bovary et pourquoi pas, d’autres titres.

La quatrième de couverture est explicite mais ne dit pas tout de ce court roman que j’ai lu le sourire aux lèvres. Mettre en scène le personnage de Flaubert vieillissant, déprimé, rongé et pas très fier de ses soucis d’argent, c’est une belle idée car le personnage est loin d’être ordinaire. Ses contradictions, ses souvenirs mélancoliques, ses habitudes, ses relations aux autres, à sa famille et à ses amis, tout est intéressant sous la plume d’Alexandre Postel, dont j’ai lu et apprécié le premier roman lors du jury du prix Première, Un homme effacé.

A Concarneau, Flaubert recherche la compagnie de ses amis scientifiques, les docteurs Pouchet et Pennetier. Observer leurs travaux sur les animaux marins l’intéresse et le fascine à la fois : cela renforce évidemment ses convictions scientistes mais il se laisse également toucher – à son grand étonnement – par des croyances populaires comme un pardon de pêcheurs. Avec ses amis, il fait de longues promenades, il se baigne dans la mer, il écrit quelques lettres, notamment à sa nièce Caroline (tant il est anxieux de sa situation financière) et à son amie George Sand. C’est le portrait d’un homme certes excessif qui se dessine (dans la nourriture, les appétits sexuels) mais aussi attachant et assoiffé de reconnaissance qui se dessine.

Les semaines passant, Gustave retrouve peu à peu le goût d’écrire. C’est ainsi qu’il dresse le plan et les premières pages de ce qui deviendra La légende de saint Julien l’Hospitalier (texte qui sera publié dans Trois Contes). Après le portrait de l’homme, de l’oncle, de l’ami, c’est celui de l’écrivain qui s’offre au lecteur et c’est au processus de création littéraire que nous sommes conviés. Nous voilà au plus près de Flaubert réfléchissant, se documentant, taillant et retaillant ses phrases, polissant ses mots comme ses plumes. Et là, je dois avouer que j’ai eu le sourire aux lèvres durant toute ma lecture tant l’auteur, Alexandre Postel, a lui-même travaillé son texte, tout comme son sujet d’inspiration. Son style est parfait pour moi, ce fut un vrai plaisir de lecture, qui m’a orientée sur un autre livre consacré à Flaubert (billet à venir), bouleversant un peu mes projets de lecture sur l’automne. Mais l’ermite de Croisset n’en vaut-il pas la peine ?

« Cet élan s’est perdu qui jadis lui dilatait les narines, lui écarquillait les yeux et le poussait sur les routes du matin jusqu’au soir ; maintenant, ce traînant sur le pourtour sinueux des anses de la baie, il n’éprouve que le poids de sa propre chair. Son pas est lent, son souffle court, et son esprit, loin de s’ouvrir aux forces et aux flux du monde, se resserre sur les menus accidents du chemin, une racine glissante, une roche instable, une ronce à écarter. Le coutil de son pantalon lui colle aux cuisses. Ses compagnons marchent trop vite à son gré, mais par orgueil il se refuse à le leur dire. De temps à autre, Pouchet s’arrête pour lui signaler un détail pittoresque, une algue rare ondulant dans le courant, une curiosité géologique : il profite de ces haltes pour reprendre son souffle, il pose un regard las sur tout ce qu’on lui montre. » (p. 68)

« Malgré toutes les choses qui le séparent de ces ouvrières de la mer, c’est un sentiment de proximité qu’il éprouve. L’activité de ces femmes n’est pas si différente de la sienne : de même que la sardinière ressuscite les poissons morts dans la vie éternelle de la conserverie, le travail de la phrase ne consiste-t-il pas à figer les idées dans l’éternité du style ? » (p. 135)

« N’importe ! Il n’y pensera plus après une bonne nuit de sommeil : d’où vient l’inspiration, comment naissent les livres, ce qui pousse un homme à écrire, ces questions-là ne méritent pas qu’on s’y attarde. Tenter d’y répondre, c’est, comme Isis, se vouer à rassembler les membres épars du cadavre d’Osiris : de même que la déesse ne retrouva jamais le sexe du dieu démembré, l’organe générateur de l’art échappera toujours aux regards. » (p. 153)

Alexandre POSTEL, Un automne de Flaubert, Folio, 2021 (Gallimard, 2020)

Petit Bac 2022 – Art 4

Marilyne m’accompagne aujourd’hui sur le thème de l’automne avec un titre de SOSEKI, Rafales d’automne.

La malédiction d’Edgar

16 vendredi Sep 2022

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Folio, Marc Dugain

Quatrième de couverture :

«Edgar aimait le pouvoir mais il en détestait les aléas. Il aurait trouvé humiliant de devoir le remettre en jeu à intervalles réguliers devant des électeurs qui n’avaient pas le millième de sa capacité à raisonner. Et il n’admettait pas non plus que les hommes élus par ce troupeau sans éducation ni classe puissent menacer sa position qui devait être stable dans l’intérêt même du pays. Il était devenu à sa façon consul à vie. Il avait su créer le lien direct avec le Président qui le rendait incontournable. Aucun ministre de la Justice ne pourrait désormais se comporter à son endroit en supérieur hiérarchique direct. Il devenait l’unique mesure de la pertinence morale et politique.»
John Edgar Hoover, à la tête du FBI pendant près d’un demi-siècle, a imposé son ombre à tous les dirigeants américains. De 1924 à 1972, les plus grands personnages de l’histoire des États-Unis seront traqués jusque dans leur intimité par celui qui s’est érigé en garant de la morale.
Ce roman les fait revivre à travers les dialogues, les comptes rendus d’écoute et les fiches de renseignement que dévoilent sans réserve des Mémoires attribués à Clyde Tolson, adjoint mais surtout amant d’Edgar. À croire que si tous sont morts aujourd’hui, aucun ne s’appartenait vraiment de son vivant.

Après avoir lu Le Poète où le FBI tient une place importante, je me suis dit que j’allais enfin sortir de la PAL La malédiction d’Edgar, qui raconte l’histoire de John Edgar Hoover, le célèbre patron du FBI de 1924 à 1972. Ou plutôt son histoire vue à travers le témoignage de Clyde Tolson, son second et amant, à partir du moment où la famille Kennedy entre en scène. Clyde est chargé de collecter le maximum d’informations et de surveiller d’abord Joe Kennedy, le père, homme d’affaires d’une ambition sans bornes pour lui et ses fils, en collusion avec la mafia, ambassadeur des Etats-Unis avant la seconde guerre mondiale (croyant dur comme fer qu’Hitler est une chance pour l’Europe). La suite, tout le monde la connaît : il va reporter ses rêves de présidence sur son fils aîné, qui mourra au combat, laissant ainsi la porte ouverte à John (et à Robert) jusqu’à la mort tragique de JFK. En attendant l’arrivée au pouvoir de ce dernier, les mémoires de Clyde Tolson passent en revue les différents présidents américains depuis Roosevelt en passant par Truman, Eisenhower et évoquera bien sûr les « successeurs » de Kennedy, Lyndon Johnson et Richard Nixon. Plus justement, Tolson raconte les liens entre les présidents et le patron du FBI, qui va tout faire pour rester inamovible malgré l’animosité plus ou moins larvée que tous éprouvent envers lui. Le leitmotiv de Hoover et de garantir la moralité des Etats-Unis, un système de valeurs qu’il estime le seul valable, basé sur le racisme, la discrimination sociale, la misogynie, le puritanisme. Tous ceux qui n’entrent pas dans ce moule sont considérés par lui comme des ennemis de l’Amérique, des « communistes » (étiquette commode pour ce vaste fourre-tout « ennemi »).

La force du roman de Marc Dugain, c’est son côté documentaire (très bien documenté, si j’ose l’association de mots), c’est aussi son ambiguïté : qu’a inventé l’auteur sur l’implication de Hoover dans l’assassinat de John Kennedy ? J’ai vu le film sur ce personnage, avec Leonardo Di Caprio dans le rôle, il n’empêche que j’étais toujours sidérée par cette personnalité, par ce puritanisme si contradictoire, par ces valeurs qu’on pourrait qualifier d’un autre âge – mais la montée des mouvements nationalistes et la théorie du complot avalisée par un certain président à la mèche blonde n’avalisent-elles pas la présence toujours bien réelle de ce modèle américain ? La leçon que donne Marc Dugain à la fin du roman avec l’exposé sur la pensée d’Albert Camus paraît bien dérisoire face à cette machine de bien-pensance autoproclamée…

« L’écoute agissait comme un rayon X qui dévoile la moindre tache suspecte. Nous avions un étrange sentiment de puissance en faisant céder cette barrière du mensonge, que chacun se plait à installer pour circonscrire son territoire. Nous ressentions comme un pouvoir absolu le fait d’en savoir plus sur un individu qu’il n’est prêt à vous en dire, de l’entendre de sa propre voix s’abandonner à la vérité de ce qu’il est, happé par ses sens et leur inestimable dictature. Pris dans le filet de nos écoutes, personne ne pouvait plus prétendre s’appartenir. Le chemin de l’asservissement des individus au service du bien de la nation nous était grand ouvert. »

« La démocratie c’est un peu comme une famille avec des enfants très jeunes. Un jour, il leur vient l’idée de demander comment on fait les enfants et on leur répond : dans les choux. Et puis avec le temps, ils finissent par comprendre par eux-mêmes. Si vous me demandiez si j’ai voulu laisser un témoignage sur une période donnée, je vous répondrais : certainement pas. Dans dix ans, vingt ans, cinquante ans et même des siècles ce sera toujours la même chose. L’électeur nous laissera toujours le sale boulot. Il sait bien que là-haut les choses ne sont pas si claires. Mais il ne sait pas toujours à quel point. Quand il le découvre, il fait mine de s’en offusquer. Mais tant qu’il est devant son téléviseur avec une bière bon marché et qu’il y a de l’essence dans le réservoir de sa voiture, il est plutôt satisfait que d’autres fassent ce sale boulot à sa place. Il est comme tout le monde, pris entre le rêve et la réalité. Le rêve c’était Kennedy, mais notre pays n’avait pas les moyens de rêver plus longtemps. Il y a toujours eu deux types de personnes dans nos métiers. Ceux qui veulent se faire aimer et ceux qui s’en moquent. Edgar et moi avons fait partie de la deuxième catégorie. Le pouvoir au fond, c’est faire ce qui est dans l’intérêt de la nation et ne lui faire savoir que ce qu’elle peut entendre. » (p. 282-283)

« Marilyn Monroe faisait partie de ces rares femmes qui figuraient au panthéon photographique d’Edgar, sur les murs de l’escalier qui menait à l’étage. Il l’avait rencontrée à plusieurs reprises et il gardait le souvenir d’une femme délicieuse, fragile, et d’une beauté touchante. Edgar manifesta toujours une grande mansuétude à son égard et une tolérance surprenante pour ses écarts de conduite avec les hommes. Ce n’est jamais elle qu’il incriminait, mais il préférait voir dans sa conduite critiquable le désespoir d’une femme seule, incapable de résister à des hommes qui la convoitaient comme un trophée. La femme la plus désirable d’Amérique ne pouvait pas être ignorée par le plus grand coureur du pays. Compte tenu de l’attrait irrépressible de John Kennedy pour les femmes, il n’était pas pensable qu’il fît l’impasse sur le symbole sexuel le plus adulé d’une génération. »

Marc DUGAIN, La malédiction d’Edgar, Folio, 2006 (Gallimard, 2005)

Une belle sortie de PAL !

Petit Bac 2022 – Prénom 3

Un nuage comme tapis

27 vendredi Mai 2022

Posted by anne7500 in Des Mots italiens, Non Fiction

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Erri De Luca, Folio

Quatrième de couverture :

«Pour beaucoup, la Bible est un texte sacré. Mais ce qui me touche plus que cette valeur en soi, c’est le sacré qui s’est ajouté, l’œuvre des innombrables lecteurs, commentateurs, savants qui ont consacré à ce livre le plus clair de leur vie. Le sacré de la Bible est devenu, à travers eux, une civilisation.
Il m’arrive d’être frappé par la beauté d’un vers qui a perdu son éclat en quittant sa langue maternelle. Ainsi la ligne 39 du psaume 105, où l’on chante Dieu guidant les Hébreux dans le désert. Le texte officiel de l’Église le traduit : « Il étendit une nuée pour les protéger. » Mot à mot il s’agit au contraire de : « Il étendit un nuage comme un tapis. »
Illustrer la Bible d’une note nouvelle : non pas pour apposer en bas de page, à l’infini, une autre signature, mais pour refléter une part de la lumière qu’elle offre, même au dernier de ses lecteurs.»

Comme dans Noyau d’olive, Erri De Luca nous propose ici sa lecture de certains épisodes bibliques. Vous le savez sans doute, il n’est pas croyant mais il est familier de l’hébreu et traduit chaque matin quelques versets de la Bible.

Ce livre commence par l’épisode de la Tour de Babel où les hommes parlent la même langue et s’entendent à merveille pour construire une tour qui dépasse les nuages. Dieu se penche alors sur leur travail et décide de confondre leur langage, de les disperser sur la terre avec des langues différentes, qui ne se comprennent plus. Bien plus tard, à la Pentecôte, sorte de Babel à l’envers, les apôtres touchés par le feu de l’Esprit seront capables de parler toutes les langues parlées à Jérusalem pour témoigner du Christ. Erri De Luca suggère que la diversité des langues n’est pas un mal ni un obstacle. Il me fait penser à Charles de Foucauld, canonisé le 15 mai dernier, qui, seul dans son ermitage de Tamanrasset, a appris la langue des Touaregs, s’est familiarisé très finement avec leur culture et a traduit l’Evangile en touareg. Il se disait « le petit frère universel » mais n’a jamais, de son vivant, converti une seule personne. Il se contentait d’être là, humblement, et disait que tous les humains, quelle que soit leur appartenance religieuse, seraient accueillis par Dieu.

« Il se peut que Dieu apprécie davantage les noms variés dont les peuples l’ont revêtu dans les différentes langues. La consonne gutturale commune aux Anglo-Saxons, la dentale des Méditerranéens, le si léger yod des Hébreux sont les initiales d’une inépuisable prononciation de son nom. Des trente-six coins du monde, les chuchotements des fidèles déclinent d’innombrables fois les titres obscurs et suaves du Créateur. Éparpillés sur terre en litanies et murmures, il est bon de croire que les notes composent dans le ciel un seul nom, les chants un seul accord. » (p. 22)

Erri De Luca s’intéresse ensuite à Isaac, le fils d’Abraham et à toute sa descendance : Jacob, qui vole le droit d’aînesse à Esaü, Jacob et ses douze fils, nés de plusieurs femmes, dont Rachel, sa préférée, Joseph, le plus jeune des fils de Jacob, vendu par ses frères comme esclave et qui deviendra le favori de Pharaon en Egypte grâce à son sens de l’interprétation des songes, enfin Moïse, celui qui est sauvé des eaux et finit après bien des détours à accepter la mission divine de sauver le peuple de l’esclavage et conduit le peuple en Terre promise. Devant le buisson ardent, Moïse a osé demander à Dieu son nom ; celui-ci se révèle comme « Je serai » : c’est la traduction que propose Erri De Luca (et non le classique « Je suis qui je suis »), suggérant ainsi que Dieu ne se laisse enfermer ni par le passé ni par le présent mais qu’il vient toujours de l’avenir – de l’à venir. L’auteur évoquera également certains prophètes comme Jérémie ou Jonas, s’intéressant chaque fois à la manière dont ils se sont laissé toucher par la parole qu’ils avaient à transmettre de la part de Dieu. Plusieurs se sont d’abord dérobés avant de se laisser investir.

Erri De Luca découvre (il révèle en langage biblique) ainsi des facettes que donne à voir le Dieu d’Israël mais aussi des paroles qui peuvent être une source pour guider la vie des hommes de notre temps, croyants ou non. Si la Bible est la première mise par écrit – par des humains – de la parole de Dieu, cette parole s’actualise toujours à travers l’expérience humaine, elle dialogue avec la vie des hommes de génération en génération. « Si dans les pages que j’ai écrites n’a filtré un seul degré de sa chaleur, j’aurai accompli un acte vain » conclut Erri De Luca. Rien à craindre à mon sens, tant l’auteur propose un regard original sur cette tradition biblique toujours vivante, même si on ne croit pas.

Erri DE LUCA, Un nuage comme tapis, traduit de l’italien par Danièle Valin, Folio, 2015

C’est une lecture commune autour de cet auteur avec Marilyne, qui a lu Le plus et le moins.

Folio fête ses 50 ans cette année.

Petit Bac 2022 – Objet 3

Savoir-vivre

26 mardi Oct 2021

Posted by anne7500 in Des Mots africains

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Folio, Hédi Kaddour

Présentation de l’éditeur :

« Les partis fascistes, ce n’est pas ce qui manque ici, disait Max à Lena, en passant avec elle sur Tower Bridge, ils rêvent tous de refaire le coup de Mussolini : on part à une poignée et un jour, après quelques manifestations, on devient tout, et plus la poignée est petite plus la réussite sera éclatante. »

C’est une histoire vraie, celle d’un homme de guerre et d’une femme seule. Elle s’est passée en Angleterre, au cours des années 1920. À l’époque, elle a fait cinq colonnes à la une dans la presse, puis elle a disparu. J’ai pensé qu’elle valait la peine d’être racontée dans un roman. H.K.

Cette histoire se passe à Londres, en 1930. Max est journaliste, il cherche un sujet de reportage et s’intéresse au colonel Strether, héros de la bataille de Mons en août 1914, maître d’hôtel dans le civil, dans un prestigieux restaurant londonien et aussi instructeur pour les jeunes recrues d’un petit parti d’extrême-droite. Strether raconte la bataille de Mons et la fameuse intervention des « anges » qui auraient permis aux Anglais de battre en retraite avec un maximum de dignité devant les Allemands triomphants, il exalte cette apparition avec lyrisme et en fait le modèle de ce que devraient êtres les vrais Anglais en 1930. Nous suivons aussi Lena, une cantatrice en répétition à Londres, qui fut la maîtresse de Max, a une liaison avec son pianiste et semble appréciée par Strether qui lui raconte des bribes de son parcours.

Hédi Kaddour raconte l’histoire de ce personnage singulier en la dévoilant progressivement, dans une progression en spirale, où les éléments connus débouchent sur de nouvelles révélations, jusqu’à un coup de théâtre auquel je ne m’attendais pas du tout, qui m’empêche de vous en dire davantage, évidemment et donne envie de relire le roman. J’ai beaucoup aimé la construction de ce personnage, sur fond de crise économique et morale dans l’Angleterre de 1930. On assiste ainsi au développement de plusieurs partis fascistes (celui le plus connu, je crois, d’Oswald Mosley, est évoqué) mais une certaine nostalgie de la première guerre mondiale est bien présente, ainsi que les rapports délicats entre hommes et femmes, ces dernières peinant à garder le statut gagné en remplaçant les hommes en 14-18.

Je prendrai plaisir à retrouver la plume sinueuse et élégante d’Hédi Kaddour.

« Ils s’étaient retrouvés tous les quatre à la gare, dans la rumeur d’une foule joyeuse qui se pressait sur les quais. C’était un matin d’automne, la première partie de l’automne, celle des fruits mûrs, et du soleil qui ne veut pas sortir de l’été. Peu de temps après le départ de leur train, les branches d’arbres encore très feuillues avaient commencé à se jeter joyeusement sur la vitre du wagon, on avait envie de chanter et la lumière se posait par éclair sur les visage set les avants bras. La ligne suivait une petite route où l’on voyait parfois un camion cahoter sous les sacs de houblon, ou bien une fourragère qui abandonnait aux arbres la partie la plus instable de son fardeau. »

« Une Emma qui aurait survécu, qui s’avalerait à petites doses le poison de la vie conjugale. »

Hédi KADDOUR, Savoir-vivre, Folio, 2011 (Gallimard, 2010)

Encore une participation au Mois africain  chez Jostein

Lectures d’été 2

30 lundi Août 2021

Posted by anne7500 in Des Mots autrichiens, Des Mots français

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10/18, Babel, Eric Maneval, Folio, Julie Wolkenstein, Le Castor astral, Michael Köhlmeier, René Guy Cadou

Encore quelques lectures d’été à ajouter à ma jolie moisson. Celles-ci étaient un peu moins captivantes…

Quatrième de couverture :

Un jour, s’étant échappés d’une fête hollywoodienne, Charlie Chaplin et Winston Churchill se promènent ensemble sur une plage de Californie et se confessent mutuellement un secret bien gardé : leurs crises de mélancolie et leurs tendances suicidaires. À cette occasion, ils décident que, chaque fois que l’un d’eux sera la proie de ce qu’ils nomment leur “chien noir”, il appellera l’autre au secours.
À travers les rendez-vous réguliers, tout au long de leur vie, de ces deux monstres sacrés, Michael Köhlmeier fait se rencontrer des univers à première vue incompatibles : Hollywood et l’Angleterre avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Touchant ces hommes exceptionnels au plus intime, il retranscrit les interrogations qui ont été les leurs, qu’elles concernent l’art du mime et du cinéma pour Chaplin, ou la peinture et l’écriture pour Churchill.

Le titre peut faire penser à l’été, aux vacances mais à nouveau, c’est tout à fait trompeur : je ne vais pas répéter l’excellente quatrième de couverture, tout est dit.

Je savais déjà que Churchill souffrait depuis toujours de crises de dépression, qu’il appelait son « black dog » mais j’ignorais tout de l’amitié particulière entre lui et Charlie Chaplin et de la même dépression dont souffrait celui-ci. Les deux hommes se sont rencontrés et ont reconnu leur mal commun en Californie, sur une plage de Santa Monica, en 1931. A ce moment-là, Churchill semblait fini sur le plan politique, Chaplin se débattait dans la création très compliquée d’un film, en butte aux critiques et aux attaques incessantes à Hollywood, suite à son divorce. Ils se jurent de faire appel l’un à l’autre si le chien noir vient les tirer au bord du précipice du suicide. Le roman se place donc du point de vue de cette maladie de la dépression, mais aussi de la création de chacun des protagonistes : Chaplin était non seulement acteur et réalisateur mais aussi compositeur des musiques de ses propres films, Churchill passait son temps libre à peindre à écrire (il a reçu le prix Nobel de littérature en 1953). Tout comme le début de leur rencontre est marqué par la difficulté et l’échec, la fin du roman les voit lutter chacun à leur manière contre le nazisme, avec ô combien plus de succès (mais pas sans échapper au black dog) : Churchill est celui qui a su triompher de Hitler et Chaplin réalise Le Dictateur.

Le père du narrateur (il s’agit bien d’une fiction même si la majorité des faits rapportés est bien réelle) a recueilli le témoignage du secrétaire particulier de Churchill et le narrateur se base aussi sur une longue confession que Chaplin a accordée à la fin de sa vie. Le roman est extrêmement bien documenté mais il m’a semblé assez froid, il m’a manqué de la chaleur humaine, de l’émotion. Mais peut-être cela risquait-il de noyer l’essentiel du propos.

« Peu importe ce qu’on pouvait raconter sur lui, Churchill s’en fichait. Et quand bien même il serait la vile crapule que décrivaient au monde entier Lita, ses avocats et leurs complices de la presse, Churchill s’en fichait. Leurs opinions politiques diamétralement opposées ; le fait que l’un voie en Gandhi un fakir insignifiant, et l’autre un grand homme politique qui pouvait mettre l’Empire à rude épreuve ; le fait que l’un pense que le communisme pourrait faire disparaître l’injustice, tandis que l’autre le décrivait comme une machine de répartition égalitaire de la misère ; le fait que l’un ait ordonné, il y a un an à peine, de briser la grève générale des ouvriers britanniques, alors que l’autre assurait les syndicats de sa solidarité par un télégramme envoyé d’Amérique ; le fait que l’un soit le chancelier en exercice de Sa Majesté, et l’autre l’acteur le plus célèbre de tous les temps – tout cela, ils s’en fichaient. Ils avaient un ennemi commun, et celui-ci se trouvait en eux ; il ne les guettait pas dans la salle de restaurant vanille et or du très mondain hôtel Biltmore, ni à Hollywood, monde avide de scandales, ni dans le cerveau de quelque journaliste idiot, dans un cabinet d’avocats ou derrière le bureau d’un juge, ni au sein d’un parti ou dans une tranchée hérissée de barbelés – il était en eux, et c’est contre cet ennemi qu’ils formaient un pacte ; le reste n’était pas à l’ordre du jour, et ne le serait jamais. »

Michael KOHLMEIER, Deux messieurs sur la plage, traduit de l’allemand (Autriche) par Stéphanie Lux, Babel, 2017 (Actes Sud, 2015)

Petit Bac 2021 – Etre humain 4

Quatrième de couverture :

Gilles, déchiré entre la solitude de la grande ville et le mirage de la vie simple et rustique, se trouve confronté à la question mythique : peut-on retrouver le lieu de la pureté ?

Initialement paru en 1955, La Maison d’été est l’unique roman de René Guy Cadou. Une prose colorée, inventive, frémissante. Un livre où la poésie s’invite à chaque page.

Dans ce récit aux accents autobiographiques, testament spirituel et sorte de nouveau Chant du monde, on retrouve le souffle lyrique du chantre du pays nantais.

René Guy Cadou (1920-1951), instituteur rural, a été l’un des animateurs de l’école de Rochefort, mouvement littéraire fondé en 1941. Disparu prématurément à l’âge de 31 ans, il reste cependant l’un des rares poètes du XXe siècle à conserver aujourd’hui une réelle aura populaire.

Ce roman met en scène Gilles, un jeune homme dont on devine le parcours en ville (à Paris) marqué par la fascination et la pauvreté. Il décide de retourner à la campagne, chez sa vieille nourrice, et se met au service d’un fermier du coin. On est sans doute dans les années trente, car les paysans du coin parlent des séquelles de la Grande Guerre vingt ans après. Le travail est dur, mais les hommes sont solidaires et rudes à la tâche. Les femmes sont à leur service, et quand les moissons et les vendanges sont terminées, la fête se fait sensuelle grâce aux mets abondants, au vin et aux regards des filles. C’est ainsi que Gilles se laisse « happer » par Bertine, une fille que l’on dit facile. « Je me croyais plein d’immenses possibilités, voisin des arbres et comme une présence végétale sur la terre, je croyais à l’amour et voilà ce que j’ai fait de l’amour : une saloperie avec une fille. » Gilles retourne alors à sa solitude en ville. Il reviendra plus tard à la maison d’été avec Agna.

Ce roman où coulent la poésie, le soleil et le végétal à chaque page, n’est pas sans rappeler Le grand Meaulnes, il a aussi des accents autobiographiques : René Guy Cadou avait des liens forts avec la campagne de Brières il eut du mal à supporter la vie en ville ; l’amour entre Gilles et Agna fait évidemment penser à l’amour fusionnel que vécurent René Guy et Hélène Cadou, au point qu’on les appelait « Renélène ». C’est un court et unique roman où se côtoient le tourment et la sérénité, la faute et la rédemption, où la nature accompagne intimement l’humain. Une petite pépite découverte grâce au Furet du Nord.

« Je vois les campagnes comme elles sont au printemps avec leurs forêts et leurs jonquilles, le toit de la grange est couvert de fleurs blanches, un train passe au loin et un peu de fumée se mêle au plumage du ciel.
Des hirondelles sont venues se poser sur les fils.
Amélie, Carnage, la chatte qui a fait des petits, le coq qui chante.
Décidément, il y a de beaux jours à venir. »

« Courbé sur les ceps, les mains déjà violettes, des mains d’écolier tachées d’encre, j’eus malgré moi un frisson. Alors le soleil sortit de son oeuf, jaune encore, un peu ébouriffé, embarrassé dans ses plumes et un nouveau frisson, doux comme une caresse, passa sur moi. »

René Guy CADOU, La Maison d’été, Le Castor astral, 2020

Quatrième de couverture :

Antoine a 8 ans. C’est la fin du mois d’août dans la Creuse. Il joue dans une rivière dangereuse lorsque des troncs d’arbre portés par le courant l’assomment. Il se réveille dans un fourgon en compagnie d’un inconnu qui lui apprend qu’il vient de lui sauver la vie. L’homme le dépose à l’hôpital de Limoges et disparaît. Vingt ans plus tard, Antoine est veilleur de nuit dans un centre pour ados. A la télévision, on reparle de l’affaire du « découpeur » suite à la découverte de nouveaux témoignages. Lors de la reconstitution de l’enquête, Antoine reconnaît dans un portrait-robot l’homme qui lui a sauvé la vie dans la rivière.

En arrivant à la fin de court roman noir, je me suis dit qu’il faudrait le relire pour essayer de comprendre ce que j’avais loupé à la première lecture : comment l’auteur en est-il arrivé à cette fin ?? Elle est surprenante, frustrante, inexpliquée… Est-elle acceptable, vraisemblable… ? A chacun de se faire sa propre idée. Le lecteur y sera arrivé au terme d’un texte court (initialement publié en 2009 aux éditions Ecorce et lauréat du prix du polar lycéen d’Aubusson) qui, après tout, commence de façon très mystérieuse aussi, par ce défi que se lance seul Antoine, un gamin de 8 ans, qui se jette dans une rivière en crue, est grièvement blessé par un arbre et est sauvé par un inconnu inquiétant.

« – Écoute-moi bien, Antoine. Tu as eu de la chance que je sois là. Tu comprends ?
Oui.
– Je t’ai sauvé la vie. Regarde-moi dans les yeux : je t’ai sauvé la vie, Antoine. Mais si tu veux te faire du mal, je peux te faire du mal. Je peux le faire à ta place. Tu comprends ?
Non.
– Tu as peur ?
Oui.
– Tu as peur de moi, mais tu n’as pas peur de plonger dans une rivière en crue ? T’es un drôle de numéro toi. Tu vois la bouteille que j’ai dans la main ? C’est de l’alcool à 90°. Je vais en mettre sur tes blessures. Ça va faire très mal. Ça va te brûler et tu vas hurler. C’est moi qui vais te faire mal. N’oublie pas ça : moi je peux te faire du mal. Tu t’en souviendras la prochaine fois que tu voudras mourir. »
(p. 11-12)

Un accident qui nourrit encore les cauchemars d’Antoine, devenu gardien de nuit dans un centre pour ados en difficulté, placés là par les services sociaux ou le juge de la jeunesse. Antoine se sent bien dans la nuit, certains jeunes profitent de cette « relâche » pour se confier à lui, même si cela n’entre pas dans ses attributions et si cela risque de se révéler dangereux, notamment avec la jeune Ouria.

Une nuit, alors qu’il regarde la télé pour se tenir éveillé, passe un numéro de Faites entrer l’accusé dans lequel Antoine reconnaît l’inconnu qui lui a sauvé la vie vingt ans plus tôt. Un homme soupçonné de crimes atroces et toujours en liberté, alors qu’un innocent emprisonné et condamné pour un de ces crimes continue à clamer son innocence. Le veilleur de nuit va alors contacter le journaliste qui a consacré une grande partie de son énergie à cette affaire. A partir de ce moment, les événements vont se précipiter dans la vie d’Antoine et celle du centre social, les questions et l’angoisse vont aller crescendo… jusqu’à une fin qui correspond bien au titre : le noir va en s’opacifiant et la fin nous laisse avec bien des questions sans réponses…

Eric MANEVAL, Retour à la nuit, 10/18, 2016 (La Manufacture de Livres, 2015)

Petit Bac 2021 – Voyage 5

Et toujours en été par Wolkenstein

Quatrième de couverture :

« Un escape game, c’est comme la vie. Surtout lorsque cette vie (la mienne) est d’abord un lieu, une maison aux multiples pièces, chacune encombrée de souvenirs et peuplée de fantômes. »

Dans sa maison de Saint-Pair-sur-Mer, la narratrice remonte le temps. De l’été 1980 à des époques plus lointaines, elle part à la recherche des deux grands absents de sa vie : son père, puis son frère disparu soudainement.
Les pièces, les meubles, les objets de toutes sortes forment un drôle de puzzle à reconstituer. À mesure qu’elle progresse, les indices assemblés font apparaître l’histoire d’une famille, ses failles et ses secrets.

(Vous avez remarqué le lien entre les deux dernières livres de cette chronique et les notes du jeudi en ce moment…)

Pour terminer ces lectures d’été, partons en Normandie, à Saint-Pair-sur-Mer, pas loin de Granville, dans la maison de famille et de vacances de Julie Wolkenstein. Elle nous fait visiter cette maison comme si nous étions dans un escape game : elle nous donne le mode d’emploi du jeu dans son premier chapitre, puis s’amuse à nous faire passer de l’entrée à la bibliothèque, en passant par la cave et la cuisine, sans oublier les chambres ou le salon. Comme dans un vrai escape game, le lecteur est invité à collecter des objets hétéroclites qui lui serviront à passer de pièce en pièce, parfois même à retourner en 1980 pour revenir à 2017, l’année de la mort accidentelle de son frère aîné. Chaque lieu de la maison est décrit avec précision et fait remonter la mémoire des vacances familiales et l’ombre des deux morts, le père et le frère, toujours très présents dans les souvenirs de cette maison. La maison a vécu, elle a failli succomber à la mérule, elle est défraîchie voire délabrée mais la force des souvenirs et l’attachement l’emportent sur le reste.

En général, j’aime les romans où une maison particulière tient un rôle très fort. Ici, le choix narratif de l’escape game a engendré des descriptions parfois longues, des répétitions un peu ennuyeuses à la longue (heureusement le roman ne fait que 206 pages) et a – du moins pour ma part – tenu l’émotion bien réelle liée à cette maison (bien réelle, elle aussi) à distance. Sans doute était-ce une manière de tenir le chagrin de l’auteure à distance lui aussi mais c’était un eu dommage…

De Julia Wolkenstein, je me souviens avoir beaucoup aimé – il y a de nombreuses années – L’heure anglaise. J’ai encore dans mes étagères Adèle et moi, qui parle de son arrière-grand-mère et où cette maison est, paraît-il, déjà présente. Ce sera peut-être le pavé d’un prochain été…

« Mais puisqu’il s’agit, même lorsqu’on explore un archipel, de résoudre des énigmes pour se déplacer d’un lieu à un autre, ou d’une époque à une autre, et que ces lieux sont, avant la résolution de ces énigmes, des lieux clos, je campe sur mes positions : ouvrir successivement les pièces de ma maison, franchir un à un ses seuils et libérer chaque fois un pan de sa mémoire, relier ces fragments d’histoire entre eux, pour moi, c’est un escape game. Sans doute parce que j’écris ce livre pour me sortir d’une autre sorte de cage, de prison où m’enfermait la crainte de ne plus aimer écrire, ni cette maison. » (p. 159)

« Le jardin attendra ; la plage, de l’autre côté de la maison, à l’ouest, attendra aussi : ils ont attendu pendant des années, de la fin de l’enfance à la fin de l’adolescence, quand j’aimais mieux lire dans ma chambre qu’aller « jouer dehors », comme le préconisaient avec insistance les grandes personnes pourtant favorables à la lecture : « va jouer dehors, il ne pleut pas », ou « pas beaucoup » ou, plus rarement, « il fait un temps sublime ». Comme le réclamaient avec encore plus d’insistance les copines invitées là à passer des vacances, et plus sensibles au charme de la pêche aux coques qu’aux romans, ces très longs romans parfaits à lire en vacances, justement, et qui me clouaient sur mon lit, réduisant les copines en question à la compagnie d’enfants plus petits ; tous, grandes personnes, copines et enfants plus petits finissaient l’été nettement plus bronzés que moi ces années-là. »

Julie WOLKENSTEIN, Et toujours en été, Folio, 2021 (P.O.L., 2020)

Petit Bac 2021 – Météo 5

Verlaine d’ardoise et de pluie

25 dimanche Avr 2021

Posted by anne7500 in De la Belgitude, Des Mots en Poésie

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Folio, Guy Goffette, Paul Verlaine

Verlaine d'ardoise et de pluie par Goffette

Quatrième de couverture :

Parce que, tout de même, un homme, c’est bien autre chose que le petit tas de secrets qu’on a cent fois dit.
Bien autre chose, en deçà et au-delà de l’histoire qui le concerne, comme un pays sans frontière, et l’horizon ne tient la longe qu’aux yeux. C’est un pays rêvé quand on ne rêvait pas encore, et c’est le rêve d’un pays qui vous mène quand tout dort, quand on est soi-même endormi. Au réveil, ça vous colle à la peau. Ça vous remplit et ça vous vide tour à tour. La plénitude et le manque, systole, diastole, flux, reflux, qui font aller l’homme comme la mer, d’un bord à l’autre de lui-même. Parce qu’un poète, c’est toujours un pays qui marche, dressé comme une forêt, et traînant dans sa langue une terre d’exil, un paradis d’échos.

Comme j’ai publié chaque dimanche d’avril un livre en rapport avec la poésie, je continue avec cette biographie originale de Verlaine par le poète et romancier belge Guy Goffette.

Ce n’est pas un livre récent mais il n’est absolument pas périmé : dans cette biographie pas classique du tout, un poète évoque un poète, un Ardennais présente Verlaine sous l’angle de la route (pas rectiligne du tout) et sous son rapport à l’Ardenne, à laquelle il est revenu le plus possible pendant une bonne partie de sa vie pour retrouver un peu de calme, de droiture dans sa vie.

Les chapitres sont très courts, ils sont écrits comme un poème en prose pour raconter la naissance de Verlaine après trois fausses couches, l’enfance gâtée, la révolte contre le père (pas aussi forte que celle de Rimbaud), l’alcoolisme ravageur, le mariage rêvé et complètement raté avec Mathilde, l’attrait pour les garçons, la folle équipée avec Rimbaud, la prison, la fin de vie misérable. Mais Guy Goffette nous attache à cet homme, à ce poète et compose lui aussi quelques poèmes pour accompagner le parcours verlainien. Un petit livre qui « explique » tout par l’enfance ardennaise de l’auteur des Fêtes galantes.

« Quoi qu’il fasse, Verlaine a l’Ardenne infuse. Elle coule dans ses veines comme du petit-lait, pas blanchâtre, pas bleu de Marie, comme voulait sa mère, mais verte et sombre comme le schiste sous la pluie.

À cause d’elle, il préférera toujours le Nord au Sud et ses errances ne le porteront pas au-delà de la Loire. (…)

L’Ardenne, c’est encore et toujours là que, fuyant le bagne parisien, il viendra se refaire une santé, se consoler d’un chagrin, reprendre goût à l’amour et à l’amitié.

L’Ardenne infuse, c’est du bon sens paysan à revendre, et de la verdeur verte; c’est le front rembruni du taiseux, l’ œil du maquignon, la sourde violence du taureau. Et aussi la placide indifférence de la vache, l’ondulation des coteaux sous le vent, la longue laisse des plateaux que module la pluie, le balancement des sapins noirs et l’interminable ennui de la plaine.

Et c’est de là, bien sûr, des mouvements contrastés et vagues à la fois de cette terre qui l’habite comme l’exil, de cette rencontre en lui du féminin et du viril, de la fragilité et de la brute, du schiste et de la pluie, que Verlaine tirera la native et sensuelle musicalité de son vers, sans égale dans la poésie française. (…)

O verre verdoyant  des étangs

où, calme, les loups gris s’en allaient

boire la nuit, et leurs grands yeux blancs

signaient l’ombre comme en un ballet.

Verlaine, et qu’importe le décor,

c’est toujours l’enfant frêle et rêveur

qui ne peut faire barre de son corps

à ce qui monte en lui, et qui pleure.

C’est le vent du nord qui le déchire

ou le schiste ouvert comme un canif,

ou c’est la plainte encore, le délire

du grand cerf blessé, qui met à vif

son âme gamine et qui s’ignore

comme tous ceux qu’un pays traverse

et qui ont beau marcher, leur effort

reste vain, et la nature verse

en eux le sang vert d’un lent poison,

plus lourd que toute mémoire et puis

plus long à mourir que la chanson

nue des blés sous les doigts de la pluie.

O fée verte d’ici, que n’es-tu

la belle qui ramène, naïve,

l’alme douceur à ce vieux têtu,

couché sur la table, qui dérive ? » (pp. 75-78)

Guy GOFFETTE, Verlaine d’ardoise et de pluie, Folio, 2009 (Gallimard, 1996)

Le Mois belge 2021 – catégorie L’Ane qui butine

Petit Bac 2021 – Météo

Là-haut, tout est calme

21 vendredi Août 2020

Posted by anne7500 in Des Mots néerlandais

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à la ferme, Folio, Gerbrand Bakker

Quatrième de couverture :

Helmer van Wonderen vit depuis trente-cinq ans dans la ferme familiale, malgré lui. C’est Henk, son frère jumeau, qui aurait dû reprendre l’affaire. Mais il a disparu dans un tragique accident, à l’âge de vingt ans. Alors Helmer travaille, accomplissant les mêmes gestes, invariablement, machinalement. Un jour, sans raison apparente, il décide d’installer son vieux père au premier étage, de changer de meubles, de refaire la décoration de la maison. Le besoin de rompre la monotonie de sa vie et l’envie de mettre fin à ce face-à-face presque silencieux avec un homme devenu grabataire le font agir, plein de colère retenue. Les choses s’accélèrent le jour où il reçoit une lettre de Riet lui demandant de l’aide : Riet était la fiancée de son frère. Elle fut aussi à l’origine de son accident mortel… 

Comme dans L’Annonce, un fermier hollandais de 55 ans décide de prendre sa vie en main, de changer les choses : cela fait 35 ans qu’il travaille malgré lui avec son père, 35 ans que son frère jumeau Henk est mort dans un accident et que lui, Helmer, a dû abandonner ses études de lettres pour « remplacer » son frère à la ferme. 

Comme dans L’Annonce, il y a aussi une dualité entre le dedans et le dehors, à un double titre : le dedans de la ferme qu’Helmer se décide à changer, à rafraîchir pour vivre selon ses goûts et le dehors dont il est finalement assez lointain, les visites du collecteur de lait, du marchand de bestiaux ou celles de sa voisine ne semblent pas troubler un quotidien bien établi ; le dedans, l’intimité d’Helmer, les sentiments ui se font peu à peu droit de cité, qui remuent profondément l’homme et le dehors, la nature, les canaux, les saisons, les oiseaux et le travail avec les animaux de la ferme qui paraissent immuables, hors du temps.

C’est un magnifique roman, lent et intense, dont les pages se déroulent toutes seules pour dire avec simplicité le deuil, la gémellité, le corps, la nature. Pour tenter de faire la paix avec le passé, avec le père, pour crever le plafond de solitude qui pèse sur Helmer, pour oser être soi-même. Cela m’a un peu fait penser aux Chaussures italiennes de Henning Mankell avec l’arrivée inattendue d’un personnage surgi du passé mais Gerbrand Baker possède une voix bien personnelle que je retrouverai avec joie dans d’autres lectures.

« – Comment c’est d’avoir un frère jumeau ?
– C’est la plus belle chose qui soit, Henk.
– À présent, tu te sens diminué de moitié?
Je veux dire quelque chose, mais n’y parvient pas. je suis même obligé de m’agripper à l’une des barres métalliques pour ne pas tomber. J’ai toujours été ignoré, j’étais le frère, papa et maman comptaient davantage, Riet a revendiqué – si peu que cela ait duré – son veuvage, et voilà le fils de Riet ici, face à moi, en train de me demander si je me sens diminué de moitié. Henk m’attrape par les épaules, je lui fais lâcher prise.
– Pourquoi pleures-tu ? demande-t-il.
-Pour tout, dis-je. »

« Tout ça n’est jamais venu. Je ne l’ai plus jamais revu. A l’automne je suis entré quelquefois dans la maison d’ouvrier vide. C’est là que j’avais été quelqu’un. L’odeur du tabac a persisté longtemps. Sept mois après, Henk était mort et, quelques jours plus tard, j’avais la tête sous les vaches.

Je ne l’ai plus jamais sortie de là. »

« Nous appartenions l’un à l’autre, nous étions deux garçons et un seul corps.
Mais il y a eu Riet. Lorsqu’en janvier 1966 je suis entré dans sa chambre [celle de Henk] et ai voulu me coucher près de lui, il m’a renvoyé. « Fous le camp », a-t-il fait. Je lui ai demandé pourquoi. « Idiot », m’a-t-il répondu. En quittant sa chambre je l’entendais pousser des soupirs de mépris. J’ai regagné mon lit en frissonnant. Il gelait, la nouvelle année venait de commencer et, le matin d’après, la fenêtre était couverte de haut en bas de fleurs de givre. Nous étions désormais deux jumeaux et deux corps. »

Gerbrand BAKKER, Là-haut, tout est calme, traduit du néerlandais par Bertrand Abraham, Folio, 2011 (Gallimard, 2009)

L’Annonce

18 mardi Août 2020

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots français

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à la ferme, Folio, L'Annonce, Marie-Hélène Lafon

Quatrième de couverture :

«À Nevers, la deuxième fois, Annette et Paul avait apporté des photos. Ils avaient eu l’idée le premier jour, en novembre. Ils ne savaient plus qui l’avait pensé et proposé d’abord. Ils avaient été du même avis ; ça aiderait pour raconter pour faire comprendre ; ils n’étaient pas seuls dans cette affaire, ils n’étaient pas neufs ; l’enfant la mère les sœurs les oncles, on les imaginerait mieux, chacun de son côté, avant de les connaître en vrai.»

Paul, quarante-six ans, paysan à Fridières dans le Cantal, ne veut pas finir seul. 
Annette, trente-sept ans, vit à Bailleul dans le Nord. Après avoir rompu avec le père de son fils, elle doit s’en aller, recommencer ailleurs… 
Marie-Hélène Lafon nous raconte leur rencontre, née d’une petite annonce dans un journal, lue et découpée. C’est une histoire d’amour.

Avec ce petit roman de 151 pages, j’ai enfin découvert la plume de Marie-Hélène Lafon et j’ai été épatée par la finesse de son regard, l’intelligence de son histoire et la richesse de sa langue.

Ce roman confronte des mondes et des êtres : le Cantal rural, rude et le Nord urbain et grouillant ; le travail à la ferme et le travail en usine ou à la caisse d’un supermarché ; un homme de 46 ans qui décide soudain de construire un couple face aux habitudes bien ancrées de sa soeur et de ses oncles et une femme de 37 ans séparée d’un compagnon alcoolique et violent qui l’a laissée sans force sur le bord de la route ; les pensées du dedans, les mots qui ne peuvent ou ne savent pas sortir et ce que l’on montre au dehors. Mais ce qui rassemble sans doute Paul et Annette (avec des nuances très différentes qu’ils ne peuvent entièrement exprimer), c’est la solitude et le silence. Et c’est avec ces fragilités incertaines et leur désir inavoué de changement qu’ils osent (re)commencer quelque chose ensemble, avec aussi Eric, le fils d’Annette, qui noue d’emblée une amitié avec Lola, la chienne de la ferme.

En quelques pages, Marie-Hélène passe d’un personnage à l’autre et plonge dans son histoire personnelle, son intimité, ses motivations, ses secrets, tout en maintenant cette tension entre le dedans et le dehors. Hommes et bêtes, rien n’est oublié de ce Cantal rude à apprivoiser ni de la construction d’une vie nouvelle, ou plutôt renouvelée de l’intérieur. La langue riche de la romancière contraste avec l’économie de langage de ses personnages : elle coule en de longues phrases abondantes, resserre le propos avec une ponctuation particulière, évoque par tous les sens la vie à la ferme et les sentiments intimes.

C’est un petit roman captivant par sa densité et l’acuité de son regard. Une belle inauguration d’une série de lectures « à la ferme » et le désir de poursuivre l’exploration de l’oeuvre de Marie-Hélène Lafon.

« Annette regardait la nuit. Elle comprenait que, avant de venir vivre à Fridières, elle ne l’avait pas connue. La nuit de Fridières ne tombait pas, elle montait à l’assaut, elle prenait les maisons, les bêtes et les gens, elle suintait de partout à la fois, s’insinuait, noyait d’encre les contours des choses, des corps, avalait les arbres, les pierres, effaçait les chemins, gommait, broyait. Les phares des voitures et le réverbère de la commune la trouaient à peine, l’effleuraient seulement, en vain. Elle était grasse de présences aveugles qui se signalaient par force craquements, crissements, feulements, la nuit avait des mains et un souffle, elle faisait battre le volet disjoint et la porte mal fermée, elle avait un regard sans fond qui vous prenait dans son étau par les fenêtres, et ne vous lâchait pas, vous les humains réfugiés blottis dans les pièces éclairées des maisons dérisoires. »

« En juin le pays était un bouquet, une folie. Les deux tilleuls dans la cour, l’érable au fond du jardin, le lilas sur le mur, tout bruissait frémissait ondulait ; c’était gonflé de lumière verte, luisant, vernissé, presque noir dans les coins d’ombre, une gloire inouïe qui, les jours de vent léger, vous saisissait, vous coupait les mots, les engorgeait dans le ventre où ils restaient tapis, insuffisants, inaudibles. Sans les mots on se tenait éberlué dans cette rutilance somptueuse. C’était de tout temps; cette confluence de juin, ce rassemblement des forces, lumière vent eau feuilles herbes fleurs bêtes, pour terrasser l’homme, l’impétrant, le bipède aventuré, confiné dans sa peau étroite, infime. »

« A Nevers, le lundi 19 novembre, Annette avait vu sans le voir le corps de Paul. Toute son attention avait été happée, dévorée par les mots de Paul. Et par ses mains. Qui parlaient avec lui, soutenaient sa parole, la relançaient ou reposaient à plat sur la table, dans les creux de silence, et frémissaient comme mues de l’intérieur par de sourds tressaillements qui disaient ou tentaient de dire ce que Paul taisait, ce qu’il gardait tapi sous le flot des choses audibles. Ni Annette ni Paul n’iraient extirper ce qui restait, s’incrustait, dessous. On ne gratterait pas les vieilles plaies de solitude et de peur, on n’était pas armé pour ça, pas équipé ; on s’arrangerait autrement. »

« Pour les oncles la conduite de la voiture se pratiquait à deux, et Paul ne se souvenait pas qu’ils eussent jamais dérogé à cet usage, même en pleine force de l’âge. Désormais, et ce depuis onze ans, depuis l’achat de la languide Citroën BX diesel vert sapin métallisé, chaque dimanche en fin de matinée entre onze heures et midi, les oncles dégourdissaient la voiture. On la démarrait, et elle vrombissait longuement dans le garage étroit dont les portes avaient été au préalable ouvertes au plus large ; une marche arrière et quelques manœuvres délicates se révélant nécessaires pour extraire le précieux véhicule de son étui et de la cour, directives mimées et injonctions vociférées se succédaient, l’un des oncles s’évertuant au volant tandis que l’autre se plantait en sémaphore devant les cages à lapins en toutes circonstances et saisons. Seule la neige empêchait la cérémonie, et encore fallait-il que la couche tombée fût assez sérieuse pour dissuader les coéquipiers intrépides. On n’allait pas loin ; selon un itinéraire immuable, on se rendait aux limites de la propriété afin d’examiner les terres les plus écartées, et, le cas échéant, bêtes et clôtures, d’un regard que la vigilance requise pour la bonne conduite du véhicule, toujours à moins de cinquante kilomètre à l’heure, ne privait qu’en partie de sa coutumière acuité. L’affaire était connue dans le pays, le dimanche entre onze heures et midi les oncles de Fridières dégourdissaient la voiture ; s’ils n’étaient pas passés sur le pont des Chêvres à onze heures et quart et sur la place à onze heures vingt, on pouvait sonner le tocsin, la guerre était déclarée, le canton se trouvait à la dernière extrémité. Un détail, enfin, ravissait les habitués et fortifiait auprès d’eux la solide réputation d’originaux qui auréolait les oncles faussement jumeaux ; non contents de se succéder au volant d’un dimanche à l’autre, Louis et Pierre n’auraient pour rien au monde renoncé à la compagnie de Lola. Elle trônait, magnanime, la truffe écrasée contre la vitre, à la droite du conducteur tandis que le frère réduit au rôle de passager tenait le milieu de la banquette arrière. »

Marie-Hélène LAFON, L’Annonce, Folio, 2011 (Buchet-Chastel, 2009)

Noyau d’olive

21 mardi Mai 2019

Posted by anne7500 in Des Mots italiens, Non Fiction

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Erri De Luca, Folio, Noyau d'olive

Quatrième de couverture :

Erri De Luca fréquente la Bible depuis longtemps. Sa connaissance des Écritures ne doit pourtant rien à la foi ou à un quelconque sentiment religieux : De Luca se dit non croyant, incapable de prier ou de pardonner. Il est néanmoins habité par le texte biblique au point de commencer presque chaque journée par la lecture et la traduction d’un passage. Les courts textes rassemblés ici témoignent de ce corps-à-corps quotidien avec la Bible et de ces exercices matinaux qui lui donnent matière à réfléchir, comme un noyau d’olive qu’il retournerait dans la bouche tout au long de la journée.

Je ne savais pas qu’Erri De Luca traduit tous les matins un texte biblique auquel il se confronte et dont les enseignements « littéraux » (j’entends par là la traduction littérale de l’hébreu biblique) le nourrissent chaque jour :

« Lire les Saintes Écritures c’est obéir à une priorité de l’écoute. J’inaugure mes réveils par une poignée de vers, et le cours de la journée prend ainsi son fil initiateur. Je peux ensuite déraper le reste du temps au fil des vétilles de mes occupations. En attendant, j’ai retenu pour moi un acompte de mots durs, un noyau d’olive à retourner dans ma bouche.

Tant que, chaque jour, je peux rester ne fût-ce que sur une seule ligne de ces Écritures, j’arrive à ne pas me défaire de la surprise d’être vivant. » (p. 43)

La première partie du livre est consacrée au Christ , de l’annonce de sa naissance à sa résurrection et à son Ascension ; la seconde, plus longue, explore des passages plus ou moins célèbres de l’Ancien Testament, particulièrement dans les premiers livres de ce dernier (la Genèse, l’Exode, le Deutéronome ou le Livre des Nombres), certains personnages comme le roi David et quelques prophètes comme Isaïe, Jonas ou Jérémie.

Les Ecritures, avant d’être un texte mis par écrit, c’est d’abord et avant tout la Parole de Elohim (ou Yod, la première lettre du tétragramme YHVH, un autre nom de Dieu suivant les traditions bibliques) et Erri De Luca souligne combien cette Parole révélée a provoqué comme un séisme dans la langue hébraïque qui ne possède pas de voyelles, « une langue aux mots pauvres, hostile à tout concept abstrait » (p. 42), au point que de nombreuses phrases commencent par « Et Dieu dit » ou plutôt (toujours littéralement) « Et dit Dieu » tant la force du dire est primordiale pour ce Dieu qui intervient dans l’histoire humaine.

Les traductions littérales peuvent paraître rudes mais elles révèlent un sens auquel nous n’avons pas accès quand nous lisons une traduction plus élaborée, un sens qui interpelle dans le monde d’aujourd’hui, par rapport à certaines questions éthiques ou sociétales (tiens, tiens, Elohim serait-il féministe ?), un sens rafraîchissant. J’avais envie de noter des idées à chaque chapitre de ce petit livre passionnant.

Et pourtant, le savez-vous ? Je ne vous en parle qu’en fin de billet mais lui s’en explique dès l’introduction : Erri De Luca n’est pas croyant. Pas besoin donc d’être croyant pour apprécier son texte. Bien plus, ses explications sur la Bible sont d’autant plus percutantes, interpellantes et rejoignent certainement (du moins, à mon sens) le goût des Ecritures d’un croyant, d’une croyante ouverts d’esprit.

« Tout au long des Evangiles, nous lisons les jets d’un discours qui fut torrentiel. Une providence fait ressembler ces écrits à des citernes d’eau de pluie, qui retiennent du moins quelque chose selon leur capacité. Nous ignorons le timbre de sa voix et l’hébreu, l’araméen, ses langues, n’existent même plus.Et pourtant, les Evangiles ont suffi à ne pas faire oublier les paroles de celui qui ne voulut pas écrire ni laisser écrit. Celui qui n’a pas la foi ne se désaltère pas. Mais celui qui a la grâce de l’avoir est lié par un devoir énorme: donner de cette eau bue un témoignage tout au long de sa vie. Ce faisant, il remplit les pages que les Évangiles ont dû laisser vides. Ce faisant, il rapporte à la surface l’eau qui s’est perdue hors des citernes. » (p. 86-87)

Erri DE LUCA, Noyau d’olive, traduit de l’italien par Danièle Valin, Folio, 2006 (Gallimard, 2004)

Challenge italien chez Martine

Challenge Petit Bac – Littérature générale – Couleur

La vie devant soi

22 mardi Mai 2018

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Emile Ajar, Folio, La vie devant soi, Romain Gary

Quatrième de couverture :

Signé Ajar, ce roman reçut le prix Goncourt en 1975. Histoire d’amour d’un petit garçon arabe pour une très vieille femme juive : Momo se débat contre les six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie parce que «ça ne pardonne pas» et parce qu’il n’est «pas nécessaire d’avoir des raisons pour avoir peur». Le petit garçon l’aidera à se cacher dans son «trou juif», elle n’ira pas mourir à l’hôpital et pourra ainsi bénéficier du droit sacré «des peuples à disposer d’eux-mêmes» qui n’est pas respecté par l’Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie jusqu’à ce qu’elle meure et même au-delà de la mort.

Après avoir lu deux romans sur Romain Gary (ici et ici), je ne pouvais pas ne pas ouvrir un de ses romans à lui ! Celui-ci était dans ma PAL sur les conseils enthousiastes d’Ariane de chez TuliTu et comme j’ai déjà lu La promesse de l’aube, c’était parfait.

Autant le dire tout de suite, j’ai adoré ce livre ! Le personnage de Momo et celui de Madame Rosa sont tout simplement touchants, inoubliables.La galerie de personnages secondaires est savoureuse elle aussi, la solidarité qui s’installe envers Madame Rosa est solaire. L’inventivité du langage est jubilatoire.

Quand on sait que ce roman a été écrit sous pseudo par un homme qui se voyait vieillir, qui craignait la mort et qui cherchait le moyen de se renouveler dans son art littéraire, on ne peut qu’être ébloui par l’histoire et le langage qu’il a mis en place, sans compter la supercherie littéraire qui participera à sa légende et le rendra évidemment inoubliable.

Je n’ai pu m’empêcher de trouver des points communs avec La promesse de l’aube, dans le lien privilégié entre Momo et Rosa, un gamin sans père ni mère et une vieille Juive qui « se défend » bec et ongles contre le destin, dans les allusions à Nice (la ville où a vécu le jeune Romain Gary avec sa mère), dans l’abondance, le flot de mots un peu foutraque de Momo.

C’est un roman où la magie et les démons de Romain Gary se déploient pour un moment de lecture inoubliable, je le répète. « Parce qu’on ne peut pas vivre sans quelqu’un à aimer ».

« Mais je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur, c’est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre. On est pas du même bord, lui et moi, et j’en ai rien à foutre. »

« – C’est là que je viens me cacher quand j’ai peur.
– Peur de quoi, Madame Rosa ?
– C’est pas nécessaire d’avoir des raisons pour avoir peu, Momo.
Ça, j’ai jamais oublié, parce que c’est la chose la plus vraie que j’aie jamais entendue. »

« Moi ce qui m’a toujours paru bizarre, c’est que les larmes ont été prévues au programme. Ça veut dire qu’on a été prévu pour pleurer. Il fallait y penser. Il y a pas un constructeur qui se respecte qui aurait fait ça. »

Romain GARY (Emile AJAR), La vie devant soi, Folio, 2017( (1è édition : Mercure de France, 1975)

Dernier titrede ces quelques jours avec Romain Gary

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"Un seul soupir du chat défait tous les noeuds invisibles de l'air. Ce soupir plus léger que la pensée est tout ce que j'attends des livres."

Christian BOBIN, Un assassin blanc comme neige, Gallimard

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