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Quatrième de couverture :
Erri De Luca fréquente la Bible depuis longtemps. Sa connaissance des Écritures ne doit pourtant rien à la foi ou à un quelconque sentiment religieux : De Luca se dit non croyant, incapable de prier ou de pardonner. Il est néanmoins habité par le texte biblique au point de commencer presque chaque journée par la lecture et la traduction d’un passage. Les courts textes rassemblés ici témoignent de ce corps-à-corps quotidien avec la Bible et de ces exercices matinaux qui lui donnent matière à réfléchir, comme un noyau d’olive qu’il retournerait dans la bouche tout au long de la journée.
Je ne savais pas qu’Erri De Luca traduit tous les matins un texte biblique auquel il se confronte et dont les enseignements « littéraux » (j’entends par là la traduction littérale de l’hébreu biblique) le nourrissent chaque jour :
« Lire les Saintes Écritures c’est obéir à une priorité de l’écoute. J’inaugure mes réveils par une poignée de vers, et le cours de la journée prend ainsi son fil initiateur. Je peux ensuite déraper le reste du temps au fil des vétilles de mes occupations. En attendant, j’ai retenu pour moi un acompte de mots durs, un noyau d’olive à retourner dans ma bouche.
Tant que, chaque jour, je peux rester ne fût-ce que sur une seule ligne de ces Écritures, j’arrive à ne pas me défaire de la surprise d’être vivant. » (p. 43)
La première partie du livre est consacrée au Christ , de l’annonce de sa naissance à sa résurrection et à son Ascension ; la seconde, plus longue, explore des passages plus ou moins célèbres de l’Ancien Testament, particulièrement dans les premiers livres de ce dernier (la Genèse, l’Exode, le Deutéronome ou le Livre des Nombres), certains personnages comme le roi David et quelques prophètes comme Isaïe, Jonas ou Jérémie.
Les Ecritures, avant d’être un texte mis par écrit, c’est d’abord et avant tout la Parole de Elohim (ou Yod, la première lettre du tétragramme YHVH, un autre nom de Dieu suivant les traditions bibliques) et Erri De Luca souligne combien cette Parole révélée a provoqué comme un séisme dans la langue hébraïque qui ne possède pas de voyelles, « une langue aux mots pauvres, hostile à tout concept abstrait » (p. 42), au point que de nombreuses phrases commencent par « Et Dieu dit » ou plutôt (toujours littéralement) « Et dit Dieu » tant la force du dire est primordiale pour ce Dieu qui intervient dans l’histoire humaine.
Les traductions littérales peuvent paraître rudes mais elles révèlent un sens auquel nous n’avons pas accès quand nous lisons une traduction plus élaborée, un sens qui interpelle dans le monde d’aujourd’hui, par rapport à certaines questions éthiques ou sociétales (tiens, tiens, Elohim serait-il féministe ?), un sens rafraîchissant. J’avais envie de noter des idées à chaque chapitre de ce petit livre passionnant.
Et pourtant, le savez-vous ? Je ne vous en parle qu’en fin de billet mais lui s’en explique dès l’introduction : Erri De Luca n’est pas croyant. Pas besoin donc d’être croyant pour apprécier son texte. Bien plus, ses explications sur la Bible sont d’autant plus percutantes, interpellantes et rejoignent certainement (du moins, à mon sens) le goût des Ecritures d’un croyant, d’une croyante ouverts d’esprit.
« Tout au long des Evangiles, nous lisons les jets d’un discours qui fut torrentiel. Une providence fait ressembler ces écrits à des citernes d’eau de pluie, qui retiennent du moins quelque chose selon leur capacité. Nous ignorons le timbre de sa voix et l’hébreu, l’araméen, ses langues, n’existent même plus.Et pourtant, les Evangiles ont suffi à ne pas faire oublier les paroles de celui qui ne voulut pas écrire ni laisser écrit. Celui qui n’a pas la foi ne se désaltère pas. Mais celui qui a la grâce de l’avoir est lié par un devoir énorme: donner de cette eau bue un témoignage tout au long de sa vie. Ce faisant, il remplit les pages que les Évangiles ont dû laisser vides. Ce faisant, il rapporte à la surface l’eau qui s’est perdue hors des citernes. » (p. 86-87)
Erri DE LUCA, Noyau d’olive, traduit de l’italien par Danièle Valin, Folio, 2006 (Gallimard, 2004)
Challenge italien chez Martine
Challenge Petit Bac – Littérature générale – Couleur
Marilyne a dit:
Ah, contente ! Erri de Luca est un homme profondément humain, et érudit. Il apprend les langues ( dont l’hébreu donc ) pour pouvoir lire dans le texte. Il a appris le yiddish aussi et le russe. Je n’ai pas lu ce titre, je l’ai noté, avec » un nuage pour tapis « , sa démarche, ses réflexions me passionnent. Je l’ai lu d’abord comme romancier, maintenant je suis prête à le lire comme commentateur. Ma dernière lecture » la nature exposée » est entre les deux, avec cette phrase : » Pour ma part, j’exclus l’intervention divine de mon expérience, pas de celle des autres. «
anne7500 a dit:
Il y a un titre (que je n’ai pas encore lu) qui est un peu évocateur de ce livre-ci : « Le contraire de un ». Dans « Noyau d’olive » il explique pourquoi la différenciation est nécessaire et le plus grand théologien du monde (ou plutôt le plus gran exégète) trouverait son explication lumineuse. J’ai aussi « Un nuage pour tapis » et aussi « Et il dit » perdus dans les limbes de la PAL. Dès que je mets la main dessus, je les mets en lieu accessible 😉
keisha41 a dit:
Ah cela pourrait m’intéresser (plus qu’un roman). J’apprends qu’il lit ‘dans le texte’!
anne7500 a dit:
Oui, il a appris l’hébreu ancien pour traduire lui-même, c’est très inspirant.
kathel a dit:
J’aime le principe de traduire un texte tous les matins, qui pourrait s’appliquer à d’autres langues et d’autres textes. Bon, il faut tout de même que le texte ait une certaine profondeur pour le méditer durant la journée…
anne7500 a dit:
La Bible est un texte fondateur, qu’on soit croyant ou non, et elle peut parler indéfiniment à toutes les générations.
aifelle a dit:
J’ai jadis suivi des conférences sur la traduction de la bible directement de l’hébreu et c’était passionnant, bien plus que ce que l’on avait pu m’apprendre au catéchisme et que je me suis empressée d’oublier …
anne7500 a dit:
Je ne vais pas jeter le catéchisme avec l’eau du bain, disons qu’il s’adapte à l’âge de ceux et celles qui le suivent, mais suivre un cours d’exégèse plus poussée, c’est passionnant, je suis bien d’accord avec toi.
Tania a dit:
Quel beau billet, Anne ! Jusqu’à présent je n’ai pas abordé l’oeuvre de cet écrivain et je suis très tentée par ce titre. Merci.
anne7500 a dit:
Merci, Tania. Je ne peux que t’encourager à découvrir cet auteur, soit à travers ses romans, soit à travers ses textes plus « réflexifs ».
dominiqueivredelivres a dit:
Etudiant l’hébreu biblique depuis 2 ans j’ai vite repéré les livres d’Erri de Luca et je les apprécie, il me pousse à réfléchir plus fortement lorsque je lis un verset et tente de le traduire et puis j’aime que cet homme soit incroyant comme moi, cela me rassure un peu et me conforte dans mon intérêt pour la Bible
il y a 3 autres livres comme celui là et je les apprécie tous
anne7500 a dit:
Merci pour ce commentaire nourrissant, Dominique. Je lirai les trois autres, c’est certain, mais pas tout de suite, pour savourer.
Marie Gillet a dit:
Je suis très impressionnée par cette discipline, cette curiosité d’esprit aussi, et cette tolérance. Quelle leçon.
BONHEUR DU JOUR
anne7500 a dit:
C’est tout à fait cela. A découvrir absolument.
Lili a dit:
Tiens, ce titre fait joliment écho au récit par lequel je viens moi aussi de découvrir Erri de Luca. J’ai hâte de le lire à nouveau. Je l’ai trouvé poétique et inspirant.
anne7500 a dit:
Ton billet m’a donné envie de lire aussi « Et Il dit » 😉
coupsdecoeurgeraldine a dit:
Intéressant billet, mais je ne pense pas que ce livre puisse me plaire par les temps qui courent ! je passe !
anne7500 a dit:
C’est vrai que ce n’est pas le genre de lecture que tu présentes 😉