Tenir sa langue

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Quatrième de couverture :

« Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. »

Elle est née Polina, en France elle devient Pauline. Quelques lettres et tout change.

À son arrivée, enfant, à Saint-Étienne, au lendemain de la chute de l’URSS, elle se dédouble : Polina à la maison, Pauline à l’école. Vingt ans plus tard, elle vit à Montreuil. Elle a rendez-vous au tribunal de Bobigny pour tenter de récupérer son prénom.

Ce premier roman est construit autour d’une vie entre deux langues et deux pays. D’un côté, la Russie de l’enfance, celle de la datcha, de l’appartement communautaire où les générations se mélangent, celle des grands-parents inoubliables et de Tiotia Nina. De l’autre, la France, celle de la materneltchik, des mots qu’il faut conquérir et des Minikeums.

Polina Panassenko a fait un roman de son exil russe en France et de son « intégration » grâce au changement de prénom. En retrouvant son regard d’enfant, elle raconte l’appartement communautaire à Moscou où sa famille vivait avec les grands-parents, son attachement à son grand-père, compagnon de jeux et de promenades qui prennent du relief dans le souvenir, elle évoque les nuits blanches de sa grand-mère un peu mystérieuse mais pilier tacite de la maisonnée. Un jour l’Union soviétique implose et ses parents décident de partir. La famille atterrit à Saint-Etienne et la petite Polina découvre le français et ses bizarreries. Elle comprend que quand on lui dit « Ca va ? », on lui demande si elle va bien mais pourquoi les Français utilisent-ils le mot russe qui veut dire « hibou » pour demander si on va bien ? Quand on l’envoie à l’école, que sa mère lui vend comme la « materneltchik », avec le suffixe russe -tchik qui adoucit tout, la petite fille est baignée de force dans un univers et une langue inconnus, au point qu’elle se tait à longueur de journée scolaire. L’été, la famille retourne en Russie et passe les vacances à la datcha, où il ne faut pas se trahir et révéler qu’on habite en France.

Polina se construit ainsi entre deux langues, entre deux cultures, entre deux prénoms. Pauline et le français au dehors, Polina et le russe au dedans. Si la légèreté et l’humour sont bien présents dans ce premier roman, Polina Panassenko y a placé des sujets graves : l’exil, l’identité, l’intégration forcée (comme celle de ses grands-parents, Juifs forcés de changer leur nom), l’accueil de l’étranger (et la pseudo-ouverture aux autres cultures), le deuil, d’autant plus douloureux quand il est vécu à distance. A noter que ce roman intelligent est écrit en français, langue finalement adoptée par l’auteure.

« On me parle encore et encore de la langue qu’il me manque. La langue du français. C’est pour elle que je dois y aller. Je dois retourner à la materneltchik pour qu’elle me pousse. Tu la chanteras comme un oiseau, tu verras. Tchik-tchirik, fait le moineau. Mais j’ai déjà une langue. Qu’est-ce qui lui arrivera ? Tchik-tchik, font les ciseaux. Je pense aux queues des lézards que j’attrape à la datcha. Si on le touche, elles se détachent. On voit le moignon rose et les chairs à vif. La queue s’agite encore un peu et puis c’est fini. C’est une queue morte. On enferme le lézard dans le terrarium. Quelques jours plus tard une nouvelle queue lui pousse. C’est pour ça qu’il faut aller à la materneltchik. »

« Quand je me réveille, le mur est froid, j’ai une sensation étrange dans la bouche. Ça me gratte. La langue, la gorge, le palais. Ça me démange, comme la croûte du genou écorché. J’ai la bouche astringente. Ça vient d’en bas, de l’intérieur de la gorge. Une envie de la gratter au-dedans. Dans un dessin animé qui se passe dans la jungle, j’ai vu un ours gros et gros se gratter avec un palmier. C’est ça que je voudrais faire. Je tousse un peu, je grogne. Je pousse quelques sons aspirés, gutturaux ? ça soulage. C’est un trop-plein de russe resté coincé pendant la materneltchik ou bien c’est le français qui s’installe et se met à l’expulser ? J’ai la langue qui me gratte. » (p. 70)

« Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l’abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m’amène de nouveaux mots, vérifie l’état de ceux qui sont déjà là, s’assure qu’on ne n’en perd pas en route. Elle surveille l’équilibre de la population globale. le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français Gardienne d’un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules et glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les russes, parfois mêmes copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrape. » (p. 107-108)

Polina PANASSENKO, Tenir sa langue, Editions de l’Olivier, 2022

Les notes du jeudi : Oeuvres de jeunesse (4) Franz Liszt

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Aujourd’hui, je vous propose d’écouter un peu de piano avec une oeuvre écrite à l’âge de quinze ans par Franz Liszt, qui a révolutionné par toute son oeuvre et ses interprétations l’art pianistique. Il s’agit des Etudes en douze exercices, op. 6, que Liszt reprendra plus tard et qui deviendront les Douze études d’exécution transcendante.

Voici l’interprétation de William Wolfram.

Le gang des vieux schnocks

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Quatrième de couverture :

Un jeune à capuche a arraché le sac de cette brave Rose-Aimée! Papi Ferraille le sait, il a tout vu. Alors avec Gisèle, une ex-coiffeuse au look improbable, et Victor, le vieux rebelle qui détourne les affiches publicitaires, ils décident de montrer à ce gamin de quel bois ils se chauffent! Jules, 14 ans, n’est pas près d’oublier la leçon que lui prépare le Gang des Vieux Schnocks…

Il y a les Vieux Fourneaux en BD et il y a le Gang des Vieux Schnocks en littérature jeunesse. Il est composé de Papi Ferraille, un exilé de la guerre civile espagnole, Gisèle, retraitée de la coiffure très à cheval sur la politesse et les principes, Victor qui tague les affiches publicitaires avec ironie et Rose-Aimée, délicieuse vieille demoiselle à la santé fragile. C’est suite à l’agression de celle-ci par un « yeune à capouche » que les quatre vieux se sont rencontrés et ne se quittent plus. Objectif numéro un : continuer à mener des actions contre cette société anti-vieux qui leur laisse à peine les moyens de survivre. Objectif numéro un bis : donner une bonne leçon au jeune agresseur qui, c’est sûr, reviendra chez Rose-Aimée se servir puisqu’il a volé ses clés. Oui mais voilà, le petit jeune à capuche qui débarque effectivement chez Rose-Aimée est un jeune ado paumé, en rupture scolaire, bien près de devenir un délinquant. Sa jeune mère célibataire, trop occupée à gagner de quoi vivre, le croit naïvement dans le droit chemin. Alors le quatuor de vieux schnocks se met en devoir d’occuper Jules pour qu’à la fois il paie sa dette à Rose-Aimée et obtienne son brevet des collèges. En attendant la fin de l’année scolaire, il y aura du travail, de la mécanique sur 4L, de la vaisselle, du travail, des moelleux au chocolat faits maison, le chien Youki, des règles de politesse, du travail, du travail et… beaucoup de tendresse.

De Florence Thinard, je connaissais déjà Un boulot d’enfer, où j’avais déjà apprécié l’humour et la tendresse de l’autrice sur un sujet difficile. On les retrouve ici, avec plus de légèreté mais les thèmes de la société de consommation, du rejet des vieilles personnes, de la précarité sont bien présents, et bien sûr les rencontres inter-générationnelles qui mettent du baume au coeur. La citation épigraphe m’a déjà fait rire, et pourtant on ne peut pas dire que son auteur soit un grand comique en littérature : « Ce n’est pas parce qu’on a un pied dans la tombe qu’on doit se laisser marcher sur l’autre. » (François Mauriac) Tout est dit, n’est-ce pas ?

« L’homme recula de trois pas pour juger de son œuvre et Gisèle put lire:
ASSURANCES OBSÈQUES :
LE SAPIN C’EST BIEN.
LE CHÊNE C’EST MIEUX.
Halte aux pubs mensongères! Signé: les vers.
L’homme peaufina le point d’exclamation, rangea son petit matériel et saisit son cabas. »

« – Il n’aboie plus , remarqua Victor.
– No, il a compris. il est très intelligenté, raconta Papi Feraille en tapotant le crane pelé du roquet. D’abord, yé lui ai donné ouné bonné soupé. eet quand il a aboyé, yé loui ai donné mon pied au coul. il a arrêté tout dé suite. »

Florence THINARD, Le gang des vieux schnocks, Gallimard Jeunesse, Collection Pôle Fiction, 2022 (Gallimard Jeunesse, 2019)

Une bonne lecture jeunesse en ce temps de vacances.

Les notes du jeudi : Oeuvres de jeunesse (3) Franz Schubert

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Parmi les compositeurs les plus connus et les plus doués dès leur jeunesse – et parfois morts précocement -, je pense à Franz Schubert. J’ai choisi de vous faire écouter sa Messe n°1 en fa majeur D 205, composée en 1814 (il avait donc dix-sept ans). Quelques explications en anglais ici.

En voici une version avec quelques membres du gratin des interprètes : le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks dirigé par Wolfgang Sawallisch, avec en solistes Lucia Popp, Dietrich Fischer-Dieskau, Helen Donath, Brigitte Fassbaender, Adolf Dallapozza, Peter Schreier et le Chor des Bayerischen Rundfunks.

Le bureau d’éclaircissement des destins

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Quatrième de couverture :

Au cœur de l’Allemagne, l’International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d’investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu’elle élève seule depuis son divorce d’avec son mari allemand. 
A l’automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?

Avec ce roman, je découvre la plume – agréable – de Gaëlle Nohant. Ma libraire préférée m’a dit que son écriture est encore plus belle dans L’ancre des rêves, son premier roman. C’est normal : ici, l’autrice a choisi l’angle de l’enquête, de l’Histoire, des objets confisqués à des personnes déportées par les nazis.

Nous suivons donc Irène – au prénom tellement approprié – dans sa quête minutieuse, obsessionnelle pour retrouver les descendants des déportés à qui elle pourrait remettre une poupée de chiffons, un médaillon ou autres objets très modestes. Elle travaille pour l’ITS (International Tracing Service) basé à Arolsen dans le nord de l’Allemagne, un centre (qui existe vraiment et s’appelle en réalité le Centre d’archives d’Arolsen) qui a recueilli les archives de la déportation et des persécutions nazies sur 17 km de linéaire (ça aussi, c’est le chiffre réel). Dans cette mission de restitution des objets volés, elle va être amenée à voyager de Thessalonique à Varsovie, de l’Europe à l’Amérique du Sud en passant par le camp d’extermination de Treblinka et le camp de femmes de Ravensbrück. Elle va se focaliser particulièrement sur le destin de Lazar Engelmann, rescapé de Treblinka et de Wita Sobiecki, morte à Ravensbrück. Au cours de son enquête, nous (re)découvrons avec elle les persécutions les plus ignobles que les SS ont fait subir aux Juifs, aux femmes, à tous ceux qui n’entraient pas dans leur « idéal » aryen : transports en wagons à bétail, sélections, travail forcé, expériences médicales, résistance et destruction du ghetto de Varsovie, programme Lebensborn, sans oublier la fuite des bourreaux à la fin de la guerre, les entraves aux enquêtes, les témoignages glaçants des employés des camps et le difficile devoir de mémoire des Allemands.

Comme nous l’a expliqué Gaëlle Nohant, en tournée en Belgique ces derniers jours, l’écriture du roman s’est basée sur un important travail de documentation (fait notamment en ligne pendant le confinement, grâce aux archives numérisées d’Arolsen) et si toutes les personnes et les histoires individuelles qu’elle raconte sont fictives, elles auraient parfaitement pu exister. Certes on a déjà lu beaucoup sur la Shoah mais ici, le point de vue original est celui de ces enquêtes à partir d’objets. Et parfois, comme dans le roman, même si le passé saute parfois à la figure de descendants qui ne connaissaient rien ou presque de l’histoire de leurs aïeuls, se voir restituer ces maigres objets perdus leur permet de s’approprier leur passé familial, de l’apaiser quelque peu en en recueillant une trace tangible. L’autrice a pu participer à la restitution d’un objet par Georges Sougné, un bénévole belge qui aide le Centre d’Arolsen : nous avons pu aussi entendre avec Gaëlle Nohant le témoignage émouvant de ce monsieur.

Ce roman est vraiment très beau, très fort, par la richesse des personnages et des situations, par sa construction maîtrisée de bout en bout, par le magnifique personnage d’Irène, par le message positif apporté malgré l’horreur des camps et la difficulté à appréhender cette réalité sans l’avoir vécue. Gaëlle Nohant n’use pas de facilité pour nous tirer la larme, ce sont ses personnages qui nous touchent, nous émeuvent. Elle-même, comme Irène, a souvent été envahie par son sujet pendant l’écriture du livre. A sa lecture, bien qu’il soit passionnant, j’ai eu besoin de ménager quelques pauses pour « souffler » si j’ose dire. Cette lecture demande de l’attention car il n’est pas évident de retenir tous les noms des déportés et de leurs descendants mais elle en vaut vraiment la peine, même si vous avez l’impression d’avoir lu beaucoup sur le sujet.

L’autrice fait dire à un de ses personnages : « Ne pas laisser leur mort éclipser leur vie. » et « Quelquefois, en cherchant les morts, on trouve des vivants. » C’est un beau message pour nos démocraties. C’est un grand livre.

« Au fond du parc, les bâtiments modernes abritent des dizaines de kilomètres d’archives et de classeurs que l’on pourrait longer des heures sans entendre les cris, les silences qu’ils renferment . Il faut avoir l’oreille fine et la main patiente. Savoir ce que l’on cherche et être prêt à trouver ce que l’on ne cherchait pas. » (p. 11-12)

« Elle ne rencontre jamais les descendants qui viennent à Bad Arolsen. Elle confie à d’autres le soin d’accueillir ceux qui voudraient savoir mais tremblent d’être fixés. Qui ont grandi avec ce voile, cette nuit à l’intérieur. Elle se protège de leur désarroi, de leur reconnaissance. Ce n’est pas pour la mériter qu’elle se donne tant de mal. Irène obéit à un appel plus souterrain. Elle raccommode des fils tranchés par la guerre, éclaire à la torche des fragments d’obscurité. Sa mission terminée, elle s’efface. Elle ne veut pas entrer dans leur vie, ni qu’ils entrent dans la sienne. Il n’y a que les morts qu’elle n’arrive pas à tenir à distance. » (p.79-80)

« Le lendemain il fait encore nuit quand elle part pour Ludwigsburg:
Quatre heures plus tard, elle sonne à la porte d’un bâtiment qui se fond avec discrétion dans le paysage. De l’extérieur, nul ne peut soupçonner qu’il est protégé par des portes blindées et des coffrages d’acier, ni qu’il conserve près de deux millions de dossiers sur les criminels nazis. L’Office central d’enquête sur les crimes du national-socialisme a été créé ici en 1958. À l’époque, la majorité de leurs auteurs vivaient au grand jour sans être inquiétés, ou avaient été amnistiés après quelques années de prison. Ils avaient recouvré leur position dans la société, exigeaient qu’on leur paye leurs arriérés de pension. La population allemande ne voulait plus de procès nazis. L’Office central, comme on l’appelle ici, a été aussi fraîchement accueilli que l’International Tracing Service »
(p. 321)

« – On ne veut pas d’un musée où on pleure sur les victimes en s’achetant une conscience, précise la jeune fille. Nous, on veut faire réfléchir les gens à la continuité de l’histoire, aux nouvelles formes du fascisme. Aujourd’hui on brûle des foyers de migrants et les caravanes des Roms. On rejette les transgenres, les homosexuels, les juifs, tous ceux qui dérangent… Il est temps d’ouvrir les yeux. »

Gaëlle NOHANT, Le bureau d’éclaircissement des destins, Grasset, 2023

Quand le ciel pleut d’indifférence

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Quatrième de couverture :

Un homme parcourt les rues désertes et les jardins vides d’une petite ville proche de Fukushima, les poches remplies de nourriture pour les chats et les chiens livrés à eux-mêmes. Ce promeneur solitaire est revenu dans son pays natal pour prendre soin de sa mère, à la recherche de souvenirs éparpillés autour d’un amour d’enfance. Pour lui, la catastrophe a déjà eu lieu, il y a trente ans. Au cœur du roman surgit l’image magnifique d’un paon dont la beauté recèle un effroi mystérieux car il est associé à un drame dont l’homme porte la responsabilité – un secret de famille bouleversant. Le moment est venu pour lui de cesser de fuir pour tenter de réparer le passé et se réconcilier avec soi-même.

« SHIGA Izumi est né en 1960 à Minamisôma, une ville proche de Fukushima. Lauréat du prix Dazai Osamu avec un premier roman, il réalise des films et publie ensuite à partir de 2011 articles et romans marqués par la catastrophe de Fukushima dont Quand le ciel pleut d’indifférence. » (Source : le site des éditions Philippe Picquier)

Ce court roman est poignant : un homme (dont on apprendra assez tard qu’il s’appelle Yôhei) parcourt une petite ville fantôme du Japon, dans la zone interdite autour de la centrale de Fukshima. Il a refusé de quitter cette zone pour soigner sa mère en fin de vie, intransportable. Il revient hanter les lieux de son enfance, une ancienne clinique où vivait son amie d’enfance, Misuzu, et dont la jardin abritait un paon fascinant. Au cours de ses pérégrinations, il rencontre Rêko, une femme qui s’occupe des animaux errants. Lui-même recueille un chien caché dans l’ancienne volière du paon. Peu à peu ses souvenirs remontent à la surface et dévoilent le drame et le secret qui ont marqué son enfance.

C’est à la fois glauque et fascinant de se promener dans les ruines autour de Fukushima et d’observer cet homme qui survit et prend soin de sa mère du mieux qu’il le peut. Il se souvient de la vie d’autrefois, du salon de coiffure tenu par sa mère et aussi de son amie d’enfance. Les souvenirs forment avec les fragments de vie d’aujourd’hui, après la catastrophe nucléaire, une sorte de puzzle dont les pièces vont s’emboîter et tenter de laisser la vie renaître, malgré tout. Ce roman tout en sobriété laisse fuser des brins de poésie au milieu du désastre. Il m’a vraiment beaucoup plu et je suis contente (si je puis dire) de l’avoir découvert pour vous le présenter en ce 11 mars 2023, douzième anniversaire de la catastrophe de Fukushima.

« Cette petite ville du nord du Japon, située au bord de l’océan Pacifique, a été déclarée zone sinistrée devant être évacuée parce qu’elle se trouve à l’intérieur d’un périmètre de vingt kilomètres autour de la centrale qui a explosé. THREE MILE ISLAND, TCHERNOBYL, FUKUSHIMA, OU BIEN ENCORE HIROSHIMA, NAGASAKI, FUKUSHIMA. Le monde entier a été bouleversé, comme si des trous s’étaient ouverts dans la terre. C’est bien possible, et alors ? La ville aura beau être le point de mire de l’univers, c’est ma ville. Et moi, je ne suis pas parti, malgré l’ordre d’évacuer. Deux semaines ont passé. Mon corps est peut-être traversé d’innombrables radiations, je suis en vie. Même si d’innombrables cellules sont atteintes, à l’heure qu’il est, je vis, incontestablement. » (p. 7-8)

« Chaque endroit me rappelait des souvenirs. Chaque chose me rappelait des gens. La mémoire n’était pas dans ma tête, elle était au bord de la route, elle était au détour d’une rue. Les souvenirs affluaient à ma mémoire. De même qu’on se souvient d’une ville, de même la ville se souvient de nous. Je pense que je fais partie de la ville, tout comme la ville est une partie de moi-même. » (p. 95)

SHIGA Izumi, Quand le ciel pleut d’indifférence, traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu, Editions Philippe Picquier, 2019

Un Picquier par mois en 2023

Les notes du jeudi : Oeuvres de jeunesse (2) Wolfgang A. Mozart

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Dans ce programme d’oeuvres de jeunesse, impossible de ne pas écouter une composition du prodige qu’était Mozart.

Ecoutons donc la toute première symphonie de Mozart, composée à l’âge de neuf ans lors du voyage en Angleterre. Des détails ici.

En voici une interprétation par le Freiburger Barockorchester dirigé du premier violon par Gottfried von der Golz.

Loveday and Ryder Tome 3, Meurtre en coulisse

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Quatrième de couverture :

1960. Alors que la ville d’Oxford se prépare pour le premier concours de beauté Miss Miel au Old Swan Theatre, une des principales candidates est retrouvée morte. Un suicide ou l’élimination d’une concurrente gênante ? Dans cette atmosphère de compétition féroce, la liste des suspects est interminable. Pour mener l’enquête, pas le choix : il faut se fondre dans la masse. Et quand, à son grand embarras, la jeune policière Trudy Loveday se voit obligée d’intégrer les rangs des prétendantes à la couronne, elle découvre un monde où, en coulisse, tous les coups bas sont permis.
Entre mauvais tours, chantages et duperies, elle et le Dr Clement Ryder doivent rapidement repérer le coupable, avant que l’événement devienne une course mortelle pour remporter le prix…

C’est la troisième enquête du Dr Clement Ryder, coroner et Trudy Loveday, stagiaire dans la police d’Oxford. Celle-ci n’a toujours pas gagné le respect professionnel de ses collègues et de son supérieur, heureusement elle peut toujours utiliser son intelligence au service des enquêtes qu’elle peut mener avec le coroner. Ici pourtant, lors du premier meurtre, la thèse du meurtre est bien faible par rapport à un accident ou à un suicide. Mais comme la mort de Abigail par empoisonnement est assortie d’une série de faits malveillants envers les candidates d’un concours de beauté et que la victime n’avait rien d’une suicidaire, le coroner demande un complément d’enquête. Et voilà nos deux amis infiltrés dans le concours, l’un du côté des juges, l’autre du côté des candidates. Pas de meilleure stratégie pour tenter d’y voir clair.

L’enquête est assez classique (on est dans le cosy mystery) : il y est question de beauté, de concurrence, de harcèlement, de corruption plus ou moins frontale des juges, de misogynie. Mais quand vient la révélation du coupable et le dénouement, on ne peut s’empêcher de frissonner… C’est toujours aussi intéressant (et amusant) de d’observer la ville et les moeurs oxoniennes en 1960 et d’accompagner nos deux enquêteurs dans les coulisses du théâtre, dans le bureau du coroner ou même chez Trudy : ça y est, elle présente le Dr Ryder à ses parents et tout se passe bien, ils se plaisent ! On suit bien sûr aussi la situation personnelle du coroner (je ne peux rien vous dire, je ne veux pas divulgâcher) et dans ce contexte, on retient son souffle à la toute fin du roman…

« Après tout, bien des femmes de son milieu devaient composer avec des époux infidèles, surtout s’ils étaient riches, puissants et éminents. Les hommes étaient comme ça. Tant qu’ils faisaient preuve de discrétion, cela permettait à tous de faire comme si de rien n’était. Et elle devait admettre que Robert était toujours particulièrement prudent. C’était la moindre des choses ! »

« – Ça paraît tellement idiot. Je veux dire, qu’est ce que vous ressentiriez, vous les hommes, si les femmes vous demandaient de parader en caleçon pour juger votre physique ? »

Faith MARTIN, Meurtre en coulisse Une enquête de Loveday & Ryder, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Alexandra Herscovici-Schiller, Harper Collins Noir, 2020

Challenge British Mysteries 2023

Mars au féminin

Les notes du jeudi : Oeuvres de jeunesse (1) Johann Sebastian Bach

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Nous voilà en mars, c’est bientôt le printemps, le renouveau de la nature, une nouvelle jeunesse. Aussi je vous propose ce mois-ci d’écouter des oeuvres de jeunesse de divers compositeurs.

On commence avec le patron, Jean-Sébastien Bach, dont je vous propose la première cantate BWV 131 Aus der Tiefen rufe ich, Herr, zu dir (Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur), composée à Mühlhausen en 1707 (Bach a alors dix-sept ans). Les textes extraits notamment du psaume 130 parlent du pardon des péchés, un thème parfait pour cette période de Carême. Plus d’explications ici.

En voici une version dirigée par Jos van Veldhoven.

Uiesh Quelque part

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Pour ce rendez-vous poétique de mas avec Marilyne, je vous propose de lire quelques poèmes extraits du recueil Uiesh Quelque part de Joséphine Bacon, cette amérindienne innue de Betsiamites. A travers ce livre bilingue (français – innu), elle parle du grand âge, de la vieillesse, des saisons qui passent avec leurs rituels, de la Terre des ancêtres, Nutshimit.

Voici d’abord le prologue de ce livre :

« Aujourd’hui, je suis quelque part dans ma vie.

J’appartiens à la race des aînés. Je veux être poète de tradition orale, parler comme les anciens, les vrais nomades. Je n’ai pas marché Nutshimit, la terre.

Ils me l’ont racontée. J’ai écouté mes origines. Ils m’ont baptisée d’eau, de lac pur.

Un à un, ils nous quittent. Avec eux, s’en vont les mots de toundra, les courants des rivières et le calme des lacs.

Je me sens héritière de leurs paroles, de leur récit, de leur nomadisme. Comme eux, j’ai marché la toundra, j’ai honoré le caribou.

Quelque part, une roche sur une grosse roche indique ma présence. »

Et voici quelques textes picorés dans le recueil, avec des peintures de Maurice Cullen (1866-1934), peintre canadien surtout connu pour ses paysages d’hiver.

La saison de la neige

« Je n’ai pas la démarche féline 

J’ai le dos des femmes ancêtres 

Les jambes arquées 

De celles qui ont portagé 

De celles qui accouchent

En marchant »

« J’ai cent mots à te raconter 

Mon vieil âge

Mes rides

Je n’ai plus l’alerte des pas 

Le souffle court 

J’avance dans mon songe 

Sans fatigue

Je sais entendre les feuilles

J’apprends le monde 

Mon âge vieillit avec moi 

Je n’ai pas cent mots 

Je n’ai pas cent ans »

Passion hivernale 1

« Aujourd’hui le printemps s’est mêlé à l’hiver 

Tout fond 

L’hiver n’a pas dit son dernier mot 

Un ancien imite le vent 

Il m’a envoûtée 

Avec des ailes de perdrix 

Puis a disparu 

Tu m’amènes dans un sentier 

Tu écris dans le vent 

J’avance derrière toi 

J’observe le crayon qui dessine 

Ta liberté »

« J’ai souvenir de Shuaushemiss

Grand-père chasseur 

Je le revois avec son tambour 

Il chante une femme aux cheveux blancs 

Son chant pousse à la danse 

Shuaushemiss dépose le tambour tendrement 

Il me regarde puis éclate de rire 

La femme aux cheveux blancs 

C’est sa terre de chasse 

Couverte de neige 

Avec le vent 

Elle tourbillonne »

Passion hivernale 2

« J’ai découpé mes souvenirs 

Et les ai collés sur mon corps 

Un lac calme 

Reflète mon image 

Je suis Innue dans mes veines 

Je suis Innue dans mon cœur rouge 

Mon ombre se confond à mon âme 

Ma vie vieillit au son du tambour 

Qui rejoint mes rêves »

Joséphine BACON, Uiesh Quelque part, Mémoire d’encrier, 2018

Marilyne vous présente aujourd’hui Albane Gellé.

Mars sera essentiellement placé sous le signe de la francophonie et du féminin. Ce billet entre aussi dans le projet de lectures sur les minorités ethniques chez Ingamnic.