Nous sommes le premier mercredi du mois et pour ce rendez-vous poétique avec Marilyne, qui vous invite à lire La Peinture en poèmes de Paul Eluard, je vous propose un poème anglais (car c’est aussi le Mois anglais), un texte de Philip Larkin (1922-1985).
Quand j’étais enfant, je pensais, Comme ça, que la solitude N’avait pas besoin d’être recherchée. Quelque chose que chacun avait, Comme la nudité, à portée de main, Pas spécialement bonne ou spécialement mauvaise, Une chose abondante et évidente Pas du tout dure à comprendre.
Puis, après vingt ans, elle est devenue À la fois plus difficile à obtenir Et plus désirée – quoique Plus indésirable ; car ce que Vous êtes, seul, doit, pour atteindre À la dignité d’un fait, être exprimé En fonction des autres, ou alors c’est juste Un faire-semblant compensatoire.
Mieux vaut rester en compagnie ! Pour aimer vous devez avoir quelqu’un d’autre, Donner requiert un légataire, Les bons voisins aspirent à à des paroisses entières Sur qui pratiquer – en bref, Nos vertus sont toutes sociales ; si, Privé de solitude, vous rongez votre frein, Il est clair que vous n’êtes pas de l’espèce vertueuse.
Rageusement, donc, je ferme ma porte à clef. Le chauffage siffle doucement. Le vent au-dehors Annonce un soir de pluie. Une fois de plus La conciliante solitude Me soutient sur sa paume géante ; Et comme une anémone de mer Ou un simple escargot, là, précautionneusement, Se déploie, émerge, ce que je suis.
Philip LARKIN, La vie avec un trou dedans, traduit de l’anglais par Guy Le Gaufey et Denis Hirson, éditions Thierry Marchaisse, 2011
Pour accompagner ce texte, une toile parmi d’autres d’Edward Hopper (pas anglais, je sais, mais…) qui irradie de solitude, Nighthawks.
Première parution dans la collection Les carnets, qui se veut terrain de recherche graphique et poétique.
Quand les cailloux baladins, casse-cou ou polissons, musiciens, costauds ou mariniers de Françoise Lison-Leroy entrent en collision poétique avec l’univers graphique de Raphaël Decoster…
Conçu comme un grand carnet de dessins, Tous mes cailloux ravira petits et grands collectionneurs d’éclats de poésie et roches précieuses. Le papier de couverture est un fedrigoni légèrement texturé ; le caillou sur la première de couverture est imprimé et gaufré ; le papier du cahier interne est un Munken pure rough ; au centre : 4 pages de calques prêtes à s’envoler ; coins arrondis.
Illustration : dessins aux stylos bille bleu et rose ; gravure sur pierre
Pour ce rendez-vous poétique de mai avec Marilyne, je reste en terre belge, en terre de cailloux, ceux de Françoise Lison-Leroy.
Ce magnifique carnet, publié par les éditions Cotcotcot, qui font un travail vraiment original et soigné en littérature jeunesse, est donc une collaboration entre l’autrice Françoise Lison-Leroy et l’illustrateur Raphaël Decoster.
Les cailloux de la poétesse sont baladins, casse-cou ou polissons, musiciens, costauds ou mariniers.
J’ai des cailloux baladins
Dénichés dans la rivière
Ils jouent avec la lumière
Quand je les tiens dans la main
Ces quatrains se déploient sur deux doubles pages, l’une avec le premier vers, l’autre avec les trois vers suivants et sont entrecoupés de doubles pages purement illustratives, sans compter les pages de calques au centre du livre, qui donnent de la légèreté à ces cailloux poétiques. La typographie est sobre, des capitales d’ancienne machine à écrire. Les cailloux sont dessinés au bic bleu ou rose, jeux de lignes, de rayures, de courbes graphiques qui jouent avec le blanc de la page.
J’ai des cailloux polissons
De vrais zèbres d’aventure
Leurs ombres et leurs rayures
Inventent des partitions
Les mots épousent les dessins et vice-versa.
J’ai des cailloux mariniers
Que l’écume pousse en force
Vers la vague qui s’efforce
De les sculpter en secret
Un album à laisser ouvert sur une table, dans la bibliothèque, à lire et à relire pour y trouver une pétillance, un apaisement, une patience, une connexion à l’enfance.
Pour ce rendez-vous poétique avec Marilyne, nous avons évidemment choisi un poète ou une poétesse belge. J’ai choisi un de mes auteurs préférés, Achille Chavée, dans un poème surréaliste à souhait : Etre bon.
A Albert Ludé
Un éléphant se baladait dans ma cuisine
je lui ai dit très gentiment
tu n’es pas ici chez un marchand
de porcelaine
tu es chez le poète
apprends à te conduire
et il disparut avec délicatesse sagement
Un éléphant blanc cette fois
chose rare
se balade dans le corridor
et je lui dis
tu n’es pas chez un énergumène
et voilà qu’il me répond
pardon monsieur le poète pardon
J’aurais pu croire
que j’en avais terminé avec les éléphants
et je vais dans ma chambre à coucher
Par principe
je regarde en dessous de mon lit
vous savez bien ce que parler veut dire
j’y trouve encore un éléphant
Je ne me suis pas fâché
je n’ai pas cru à une farce
je lui ai dit
viens dans mon lit mon vieux
viens dormir avec moi
à chaque jour suffit sa peine
je t’accorde le bénéfice du droit d’asile
et je me suis endormi
paisiblement
1953
Ce texte est paru dans L’Enseignement libre, 1958. Je l’ai trouvé dans l’anthologie consacrée à Achille CHAVEE, Ecrit sur un drapeau qui brûle, Espace Nord, 2019
Impossible de ne pas penser au maître surréaliste belge pour accompagner ce poème.
Pour ce rendez-vous poétique de mas avec Marilyne, je vous propose de lire quelques poèmes extraits du recueil Uiesh Quelque part de Joséphine Bacon, cette amérindienne innue de Betsiamites. A travers ce livre bilingue (français – innu), elle parle du grand âge, de la vieillesse, des saisons qui passent avec leurs rituels, de la Terre des ancêtres, Nutshimit.
Voici d’abord le prologue de ce livre :
« Aujourd’hui, je suis quelque part dans ma vie.
J’appartiens à la race des aînés. Je veux être poète de tradition orale, parler comme les anciens, les vrais nomades. Je n’ai pas marché Nutshimit, la terre.
Ils me l’ont racontée. J’ai écouté mes origines. Ils m’ont baptisée d’eau, de lac pur.
Un à un, ils nous quittent. Avec eux, s’en vont les mots de toundra, les courants des rivières et le calme des lacs.
Je me sens héritière de leurs paroles, de leur récit, de leur nomadisme. Comme eux, j’ai marché la toundra, j’ai honoré le caribou.
Quelque part, une roche sur une grosse roche indique ma présence. »
Et voici quelques textes picorés dans le recueil, avec des peintures de Maurice Cullen (1866-1934), peintre canadien surtout connu pour ses paysages d’hiver.
Si tu as perdu ton nom, nous irons au fil des rues les plus seules pour t’appeler sans te nommer.
Si tu as perdu ta maison, nous dérouterons les gardiens de la prison jusqu’à les laisser avec leur ombre et sans leurs murs.
Si tu as perdu l’amour, nous publierons un grand ban de colombes nues pour retarder la vie et te donner du temps.
Si tu as perdu tes limites d’homme, nous irons jusqu’au bout du labyrinthe sanglant pour faire surgir du fond une autre forme.
Si tu as perdu tes échos ou ton origine, nous les chercherons, mais vers l’avant, dans le temple final des origines.
C’est seulement si tu as perdu ta perte que nous couperons le fil pour tout reprendre à neuf.
Roberto JUARROZ, Poésie verticale, traduit de l’espagnol (Argentine) par Roger Munier. Fayard, 1989
Pour ce rendez-vous poétique de février avec Marilyne, j’ai choisi ce poème de l’Argentin Roberto Juarroz, qui inaugure aussi le Mois latino chez Ingamnic.
Robeto Juarroz a dû s’exiler sous le régime de Péron. En publiant ce billet, je ne vous propose pas de contrepoint pictural mais je pense à Olivier Vandecasteele, un travailleur humanitaire belge de 43 ans, originaire de ma région, détenu depuis un an en Iran dans des conditions inhumaines et de façon tout à fait arbitraire. Il est accusé d’espionnage (à tort, bien évidemment) et a été condamné lors d’un simulacre de procès à 40 ans de prison et 74 coups de fouet. Cela fait froid dans le dos… J’espère que le gouvernement belge fait vraiment tout ce qui est possible pour faire libérer cet homme le plus vite possible.
Marilyne participe à une semaine sur les camps et l’Holocauste et vous présente aujourd’hui un recueil de Edith Bruck.
Un homme est mort qui n’avait pour défense Que ses bras ouverts à la vie Un homme est mort qui n’avait d’autre route Que celle où l’on hait les fusils Un homme est mort qui continue la lutte Contre la mort contre l’oubli
Car tout ce qu’il voulait Nous le voulions aussi Nous le voulons aujourd’hui Que le bonheur soit la lumière Au fond des yeux au fond du cœur Et la justice sur la terre
Il y a des mots qui font vivre Et ce sont des mots innocents Le mot chaleur le mot confiance Amour justice et le mot liberté Le mot enfant et le mot gentillesse Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits Le mot courage et le mot découvrir Et le mot frère et le mot camarade Et certains noms de pays de villages Et certains noms de femmes et d’amis
Ajoutons-y Péri Péri est mort pour ce qui nous fait vivre Tutoyons-le sa poitrine est trouée Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux Tutoyons-nous son espoir est vivant.
Paul ELUARD, Au rendez-vous allemand, Éditions de Minuit, 1945
Pour ce premier rendez-vous poétique avec Marilyne, qui vous propose de lire Jacques Prévert, j’ai choisi ce poème de Paul Eluard. Poème de la Résistance (Gabriel Peri était un journaliste apprécié des résistants et fusillé par les Allemands en 1941), il est toujours d’actualité.
Et bien sûr, le bonheur et les mots des deuxième et troisième strophes, je les prends à mon compte pour vous souhaiter une belle année 2023.
En contrepoint, une lithographie de Max Ernst, Un chant d’amour, 1958.
Tomas TRANSTROMER in Il pleut des étoiles dans notre lit – Cinq poètes du Grand Nord, Poésie/Gallimard, 2012
Pour ce rendez-vous poétique de décembre, Marilyne et moi vous proposons chacune un extrait de ce petit recueil consacré à cinq poètes nordiques. Marilyne a choisi Inger Christensen.
En accompagnement pictural, je vous propose ce tableau d’Anders Zorn, peintre suédois, vu lors d’une magnifique exposition au Petit Palais à Paris en 2017.
Bref poème venu du Japon, le haïku cherche à saisir, en quelques mots, la beauté mystérieuse de chaque instant.
Ce livre propose d’en découvrir toutes les facettes, à la lumière des maîtres du genre et d’oeuvres d’enfants récoltées ces 20 dernières années.
À la fois récit d’initiation et livre-atelier, Des haïkus plein les poches invite petits et grands à se lancer à leur tour dans l’écriture, guidés par le vieux poète de l’histoire.
À chacun de faire le reste du voyage, livre en poche !
Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs mois : je l’ai utilisé pour travailler les haïkus avec mes élèves et j’y ai picoré des réflexions, des poèmes plusieurs mois après avoir réalisé ce travail. Thierry Cazals s’est mis dans la peau d’un vieil ermite, maître en poésie, qui initie un frère et une soeur jumeaux à l’art du haïku. Tout le monde connaît, je crois, ce court poème d’origine japonaise, qui saisit un instant éphémère, en lien avec la nature, les saisons, les perceptions sensorielles et qui juxtapose souvent deux images, deux idées en suggérant plutôt qu’en imposant un sens au lecteur. Tout l’intérêt de ce livre est que, comme dans les nombreux ateliers qu’il anime, l’auteur nous propose des « exercices » pour nous initier à l’écriture des haïkus. Il nous invite à l’émerveillement, à l’observation attentive du quotidien, à la simplicité, à l’épure. Tout peut être sujet à écrire un haïku, y compris les choses les plus quotidiennes, les plus triviales ou les plus tristes.
Thierry Cazals nous fait goûter les oeuvres classiques mais aussi les textes d’enfants et adolescents qu’il a côtoyés dans ses animations. Julie Van Wezemael illustre les pages de ce livre d’un trait àa fois naïf et délicat. A noter la qualité de l’édition de cette « petite » maison belge Cot Cot Cot Editions.
Voici quelques haïkus en vrac. Mon articles est trop court, je manque de temps pour rendre compte de la richesse de ce livre (Thierry Cazals parle des règles dont on peut s’affranchir, de la richesse des thématiques, des différentes traductions possibles, du journal de bord d’un poète…)
Les multiplications
sont difficiles
mais les arbres s’éveillent
Lauriane, Ecole primaire, Courbevoie
Parmi les arbres en bourgeons
le noir
de la locomotive à vapeur
Chiba Kôshi
Même mon ombre
a l’air en pleine forme –
matin de printemps
Issa
Ce vieux vélo
sur lequel je grimpe
m’ouvre son coeur
Belvia, Ecole primaire, Clamart
Thierry CAZALS et Julie WEZEMAEL, Des haïkus plein les poches, Cot Cot Cot Editions, 2019
Retour du rendez-vous poétique (u peu décalé) avec Marilyne qui vous propose du Shakespeare.
Je me rappelle – instant de grâce : Quand tu parus à mes côtés, Je fus saisi, – vision fugace Du pur génie de la beauté.
Dans la langueur désespérante, Dans le fracas des vanités, Longtemps vibra ta voix pressante, Longtemps, tes traits m’ont habité.
Les ans passèrent. Dans l’orage Mes rêves furent emportés, Et j’ai perdu ta douce image, Ta voix pressante m’a quitté.
Claustrés au fond d’un lourd silence, Paisiblement passaient mes jours, Sans poésie, sans transcendance, Sans vie, sans larmes, sans amour.
Mais l’âme a retrouvé la grâce, Tu reparais à mes côtés, Divinité, vision fugace Du pur génie de la beauté.
Et, de nouveau, la renaissance, Et la lumière est de retour – La poésie, la transcendance, La vie, les larmes et l’amour.
Alexandre POUCHKINE (1799-1837), Le Soleil d’Alexandre, traduit du russe par André Markowicz, Actes Sud, 2011
Ce poème, qui date de 1825, marque le retour des rendez-vous poétiques mensuels avec Marilyne, qui vous présente aujourd’hui un recueil de la Québécoise Hélène Dorion.
Et pour accompagner ce poème, un tableau dont je ne me lasse pas : Les mariés de la Tour Eiffel de Marc Chagall (1887-1985), une oeuvre réalisée en 1938-193.
« On aurait tort de caractériser la poésie du Noroît par la désillusion ou par un pur intimisme, si l’on entend par ce dernier terme un repliement narcissique sur soi. Au contraire, il s’agit, à partir d’une position individuelle, d’assumer un rapport global au monde, à ses lieux, à ses corps désirants ou souffrants, à son étrangeté pleine de détails signifiants, à sa durée exigeante. » (Pierre Nepveu, préface)
La présente anthologie rassemble des textes de Geneviève Amyot, Michel Beaulieu, Paul Bélanger, Jacques Brault, Hélène Dorion, Louise Dupré, Paul Chanel Malenfant, Pierre Nepveu et Marie Uguay. Choisis par Álvaro Faleiros et accompagné d’une préface de Pierre Nepveu, ces poèmes illustrent à leur manière le riche éventail des œuvres diffusées par les Éditions du Noroît depuis la fondation de cette maison en 1970. Ce recueil a d’abord paru en 2002, en édition bilingue, portugais-français, sous le titre de Latitudes, diffusé au Brésil par Nankin Editorial.
Pour notre rendez-vous poétique avec Marilyne, j’ai choisi ce petit recueil publié par Bibliothèque québécoise, qui réédite des classiques du patrimoine de la littérature québécoise (un peu comme Espace Nord en Belgique). Je dois avouer que je n’ai pas tout apprécié de ma lecture mais je vais essayer de donner quelques notes sur les auteurs et quelques extraits.
Geneviève Amyot et Michel Beaulieu, l’une d’un surréalisme peu accesible et l’autre d’une poésie organique, m’ont laissée de côté.
De Paul Bélanger je retiens ces deux vers, si essentiels pour notre temps :
L’homme depuis l’origine des routes
fait corps avec la terre (Retours)
Jacques Brault unit amour, solitude, nature et même déliquescence.
Hélène Dorion aime parler de la mémoire, le temps qui passe, les blessures intimes :
On finit par répondre
qu’on est là, faire signe
parmi nos absences
ne plus fuir la mémoire
de certaines faille qui blessent
plus que d’autres
On finit par s’ouvrir
au silence qui revient
et ne plus répondre
au bruit des pas, ne plus croire
qu’on a aimé, soutenu un instant la beauté de notre vie
On finit par sentir le temps
qui replie nos regards
lentement les referme, comme une blessure
dont on ne sait plus parler (Les états du relief)
Louise Dupré évoque la relation au père (toxique, sans doute). Elle dit la séparation, les départs, les deuils.
Le départ
Certains matins on croit
au bonheur
de juillet
quand les draps en fleurs
claquent sur les cordes
tu renies alors la douleur
des gares
et cette femme
qu’on voit de dos
monter dans le premier train (Noir déjà)
De Paul Chanal Malenfant j’ai retenu ce poème :
L’image invente des histoires, hiéroglyphes,
taureaux tracés sur les parois, cœurs griffonnés
à la hâte.
Il s’agit de voir plus loin que la ligne d’horizon,
de passer la frontière des paupières.
Plus juste que les mots la trace des visages dans l’espace du rêve. (Fleuves)
Enfin Marie Uguay met en parallèle les îles et la solitude, dont elle trouve les traces, les échos dans le quotidien.
Pour accompagner ces textes pas simples d’accès, je vous propose ce tableau :
Marcelle Ferron, Untitled (vers 1963-1964), huile sur toile
Marilyne nous propose aujourd’hui un poème de Garcia Lorca.
Petite anthologie de la poésie québécoise – Poètes du Noroît, Bibliothèque québécoise, 2003
Petit Bac 2022 – Art 2
Après ce billet, je me mets en pause jusqu’au 20 juin : mon agenda scolaire est trop chargé pour que je puisse rédiger des billets de lecture ou de musique !