Un homme est mort qui n’avait pour défense Que ses bras ouverts à la vie Un homme est mort qui n’avait d’autre route Que celle où l’on hait les fusils Un homme est mort qui continue la lutte Contre la mort contre l’oubli
Car tout ce qu’il voulait Nous le voulions aussi Nous le voulons aujourd’hui Que le bonheur soit la lumière Au fond des yeux au fond du cœur Et la justice sur la terre
Il y a des mots qui font vivre Et ce sont des mots innocents Le mot chaleur le mot confiance Amour justice et le mot liberté Le mot enfant et le mot gentillesse Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits Le mot courage et le mot découvrir Et le mot frère et le mot camarade Et certains noms de pays de villages Et certains noms de femmes et d’amis
Ajoutons-y Péri Péri est mort pour ce qui nous fait vivre Tutoyons-le sa poitrine est trouée Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux Tutoyons-nous son espoir est vivant.
Paul ELUARD, Au rendez-vous allemand, Éditions de Minuit, 1945
Pour ce premier rendez-vous poétique avec Marilyne, qui vous propose de lire Jacques Prévert, j’ai choisi ce poème de Paul Eluard. Poème de la Résistance (Gabriel Peri était un journaliste apprécié des résistants et fusillé par les Allemands en 1941), il est toujours d’actualité.
Et bien sûr, le bonheur et les mots des deuxième et troisième strophes, je les prends à mon compte pour vous souhaiter une belle année 2023.
En contrepoint, une lithographie de Max Ernst, Un chant d’amour, 1958.
Tomas TRANSTROMER in Il pleut des étoiles dans notre lit – Cinq poètes du Grand Nord, Poésie/Gallimard, 2012
Pour ce rendez-vous poétique de décembre, Marilyne et moi vous proposons chacune un extrait de ce petit recueil consacré à cinq poètes nordiques. Marilyne a choisi Inger Christensen.
En accompagnement pictural, je vous propose ce tableau d’Anders Zorn, peintre suédois, vu lors d’une magnifique exposition au Petit Palais à Paris en 2017.
Bref poème venu du Japon, le haïku cherche à saisir, en quelques mots, la beauté mystérieuse de chaque instant.
Ce livre propose d’en découvrir toutes les facettes, à la lumière des maîtres du genre et d’oeuvres d’enfants récoltées ces 20 dernières années.
À la fois récit d’initiation et livre-atelier, Des haïkus plein les poches invite petits et grands à se lancer à leur tour dans l’écriture, guidés par le vieux poète de l’histoire.
À chacun de faire le reste du voyage, livre en poche !
Ce livre m’a accompagnée pendant plusieurs mois : je l’ai utilisé pour travailler les haïkus avec mes élèves et j’y ai picoré des réflexions, des poèmes plusieurs mois après avoir réalisé ce travail. Thierry Cazals s’est mis dans la peau d’un vieil ermite, maître en poésie, qui initie un frère et une soeur jumeaux à l’art du haïku. Tout le monde connaît, je crois, ce court poème d’origine japonaise, qui saisit un instant éphémère, en lien avec la nature, les saisons, les perceptions sensorielles et qui juxtapose souvent deux images, deux idées en suggérant plutôt qu’en imposant un sens au lecteur. Tout l’intérêt de ce livre est que, comme dans les nombreux ateliers qu’il anime, l’auteur nous propose des « exercices » pour nous initier à l’écriture des haïkus. Il nous invite à l’émerveillement, à l’observation attentive du quotidien, à la simplicité, à l’épure. Tout peut être sujet à écrire un haïku, y compris les choses les plus quotidiennes, les plus triviales ou les plus tristes.
Thierry Cazals nous fait goûter les oeuvres classiques mais aussi les textes d’enfants et adolescents qu’il a côtoyés dans ses animations. Julie Van Wezemael illustre les pages de ce livre d’un trait àa fois naïf et délicat. A noter la qualité de l’édition de cette « petite » maison belge Cot Cot Cot Editions.
Voici quelques haïkus en vrac. Mon articles est trop court, je manque de temps pour rendre compte de la richesse de ce livre (Thierry Cazals parle des règles dont on peut s’affranchir, de la richesse des thématiques, des différentes traductions possibles, du journal de bord d’un poète…)
Les multiplications
sont difficiles
mais les arbres s’éveillent
Lauriane, Ecole primaire, Courbevoie
Parmi les arbres en bourgeons
le noir
de la locomotive à vapeur
Chiba Kôshi
Même mon ombre
a l’air en pleine forme –
matin de printemps
Issa
Ce vieux vélo
sur lequel je grimpe
m’ouvre son coeur
Belvia, Ecole primaire, Clamart
Thierry CAZALS et Julie WEZEMAEL, Des haïkus plein les poches, Cot Cot Cot Editions, 2019
Retour du rendez-vous poétique (u peu décalé) avec Marilyne qui vous propose du Shakespeare.
Je me rappelle – instant de grâce : Quand tu parus à mes côtés, Je fus saisi, – vision fugace Du pur génie de la beauté.
Dans la langueur désespérante, Dans le fracas des vanités, Longtemps vibra ta voix pressante, Longtemps, tes traits m’ont habité.
Les ans passèrent. Dans l’orage Mes rêves furent emportés, Et j’ai perdu ta douce image, Ta voix pressante m’a quitté.
Claustrés au fond d’un lourd silence, Paisiblement passaient mes jours, Sans poésie, sans transcendance, Sans vie, sans larmes, sans amour.
Mais l’âme a retrouvé la grâce, Tu reparais à mes côtés, Divinité, vision fugace Du pur génie de la beauté.
Et, de nouveau, la renaissance, Et la lumière est de retour – La poésie, la transcendance, La vie, les larmes et l’amour.
Alexandre POUCHKINE (1799-1837), Le Soleil d’Alexandre, traduit du russe par André Markowicz, Actes Sud, 2011
Ce poème, qui date de 1825, marque le retour des rendez-vous poétiques mensuels avec Marilyne, qui vous présente aujourd’hui un recueil de la Québécoise Hélène Dorion.
Et pour accompagner ce poème, un tableau dont je ne me lasse pas : Les mariés de la Tour Eiffel de Marc Chagall (1887-1985), une oeuvre réalisée en 1938-193.
« On aurait tort de caractériser la poésie du Noroît par la désillusion ou par un pur intimisme, si l’on entend par ce dernier terme un repliement narcissique sur soi. Au contraire, il s’agit, à partir d’une position individuelle, d’assumer un rapport global au monde, à ses lieux, à ses corps désirants ou souffrants, à son étrangeté pleine de détails signifiants, à sa durée exigeante. » (Pierre Nepveu, préface)
La présente anthologie rassemble des textes de Geneviève Amyot, Michel Beaulieu, Paul Bélanger, Jacques Brault, Hélène Dorion, Louise Dupré, Paul Chanel Malenfant, Pierre Nepveu et Marie Uguay. Choisis par Álvaro Faleiros et accompagné d’une préface de Pierre Nepveu, ces poèmes illustrent à leur manière le riche éventail des œuvres diffusées par les Éditions du Noroît depuis la fondation de cette maison en 1970. Ce recueil a d’abord paru en 2002, en édition bilingue, portugais-français, sous le titre de Latitudes, diffusé au Brésil par Nankin Editorial.
Pour notre rendez-vous poétique avec Marilyne, j’ai choisi ce petit recueil publié par Bibliothèque québécoise, qui réédite des classiques du patrimoine de la littérature québécoise (un peu comme Espace Nord en Belgique). Je dois avouer que je n’ai pas tout apprécié de ma lecture mais je vais essayer de donner quelques notes sur les auteurs et quelques extraits.
Geneviève Amyot et Michel Beaulieu, l’une d’un surréalisme peu accesible et l’autre d’une poésie organique, m’ont laissée de côté.
De Paul Bélanger je retiens ces deux vers, si essentiels pour notre temps :
L’homme depuis l’origine des routes
fait corps avec la terre (Retours)
Jacques Brault unit amour, solitude, nature et même déliquescence.
Hélène Dorion aime parler de la mémoire, le temps qui passe, les blessures intimes :
On finit par répondre
qu’on est là, faire signe
parmi nos absences
ne plus fuir la mémoire
de certaines faille qui blessent
plus que d’autres
On finit par s’ouvrir
au silence qui revient
et ne plus répondre
au bruit des pas, ne plus croire
qu’on a aimé, soutenu un instant la beauté de notre vie
On finit par sentir le temps
qui replie nos regards
lentement les referme, comme une blessure
dont on ne sait plus parler (Les états du relief)
Louise Dupré évoque la relation au père (toxique, sans doute). Elle dit la séparation, les départs, les deuils.
Le départ
Certains matins on croit
au bonheur
de juillet
quand les draps en fleurs
claquent sur les cordes
tu renies alors la douleur
des gares
et cette femme
qu’on voit de dos
monter dans le premier train (Noir déjà)
De Paul Chanal Malenfant j’ai retenu ce poème :
L’image invente des histoires, hiéroglyphes,
taureaux tracés sur les parois, cœurs griffonnés
à la hâte.
Il s’agit de voir plus loin que la ligne d’horizon,
de passer la frontière des paupières.
Plus juste que les mots la trace des visages dans l’espace du rêve. (Fleuves)
Enfin Marie Uguay met en parallèle les îles et la solitude, dont elle trouve les traces, les échos dans le quotidien.
Pour accompagner ces textes pas simples d’accès, je vous propose ce tableau :
Marcelle Ferron, Untitled (vers 1963-1964), huile sur toile
Marilyne nous propose aujourd’hui un poème de Garcia Lorca.
Petite anthologie de la poésie québécoise – Poètes du Noroît, Bibliothèque québécoise, 2003
Petit Bac 2022 – Art 2
Après ce billet, je me mets en pause jusqu’au 20 juin : mon agenda scolaire est trop chargé pour que je puisse rédiger des billets de lecture ou de musique !
Toi que je n’ai pu sauver Entends-moi. Tu dois comprendre ces mots simples, d’autres me feraient honte. Je te jure, mon langage n’est pas ensorceleur. Je te parle au moyen du silence, Tel un nuage, tel un arbre.
Ce qui me fortifiait était pour toi mortel. Tu confondais l’adieu à une époque et le commencement d’une époque nouvelle
Le langage de la haine et la beauté lyrique, La force aveugle et la forme accomplie.
Voici la vallée polonaise aux fleuves peu profonds. Et un immense pont S’avançant dans un brouillard blanc. Voici une ville brisée, Et le vent sur ta tombe jette des cris d’oiseaux Pendant que je te parle.
Que signifie une poésie qui ne sauve ni peuple ni nation ? Une complicité avec les mensonges officiels, La chanson d’un pochard dont la gorge sera tranchée demain, Lectures pour jeunes étudiantes. J’ai désiré sans le savoir une bonne poésie, Et découvert, tardivement, son but salvateur ; Cela, et cela seul, peut sauver les valeurs.
Ils versaient sur les tombes du millet ou des grains de pavot Pour nourrir les morts qui reviendraient en oiseaux. Je dépose ici ce livre pour toi, qui vécus autrefois, Pour que tu ne nous visites plus.
Czesław MILOSZ, Enfant d’Europe, traduit du polonais par Monique Tschui et Jil Silberstein, L’Âge d’Homme, 1980
Voilà le poème que j’ai choisi pour ce rendez-vous poétique avec Marilyne. Czeslaw Milosz (1911–2004) est un poète polonais, qui a participé à la résistance contre les nazis, a fui le régime de Varsovie au début des années cinquante. Le thème de l’exil et du déracinement est très présent dans son oeuvre. Il était très proche du mouvement Solidarnosc mais il n’a pu rentrer vraiment en Pologne qu’en 1993. Il a reçu le prix Nobel en 1980. Il était également le traducteur de nombreux poètes en polonais.
J’ai choisi ce poète un peu en lien avec mes dernières lectures de Diane Meur et Henri Roanne-Rosenblatt, et du coup je vous propose cette peinture de Marc Chagall, Homme-coq au-dessus de Vitebsk (1925). Ca n’a rien à voir avec la poésie mais c’est tout un contexte de lectures qui m’y ont fait penser.
Aujourd’hui, Marilyne vous propose deux poèmes du Mexicain Octavio Paz.
Deux heures à tenir encore Ma permanence nocturne s’achève enfin J’ai de plus en plus de mal à tenir Toutes ces années à supporter les misères de cette ville Trouver des solutions qui n’en sont pas Vingt-quatre heures déjà sans dormir Ce travail si humain l’est-il vraiment ? Dans deux stations de métro un café m’attend J’ai froid
Sans doute la fatigue J’engouffre un second pain au chocolat pour compenser Lentement je refais surface au rythme de l’escalator et comme à chaque fois nos regards se croisent
Dernières gelées
Dans les yeux du sans abri
Un croissant de lune
Pour ce mercredi poésie d’avril, il fallait évidemment du belge. Et je ne pouvais que choisir ce recueil choisi chez Pippa (adorable librairie du Quartier latin consacrée à l’édition indépendante et maison d’édition solidaire) et offert par Marilyne.
Thierry Werts est un magistrat belge, procureur dont les matières de prédilection sont les homicides, le droit international humanitaire et la protection de la jeunesse. Il aime la randonnée et l’écriture.
Cette première page du recueil For intérieur donne le ton de l’ouvrage qui alternera un poème et un haïku quelque part dans Bruxelles, jamais loin du Palais de justice ou à Braine-le-Château (où se situe un centre fermé pour les jeunes délinquants) et un poème et un haïku liés à une mission ou un voyage à l’étranger, en Afghanistan, au Liban, au Sénégal, entre autres. Poèmes et haïkus ou plutôt haïbuns, comme le titre nous le précise. « Le haïbun est une composition littéraire dans laquelle prose et haïku se mêlent en une brève narration poétique d’une expérience réelle ou imaginaire » nous explique l’Association francophone des auteurs de haïbuns. En lignes épurées, Thierry Werts évoque de douloureuses histoires d’enfants placés, des violences familiales en Belgique, la violence toujours aux aguets en Afghanistan, les couleurs de l’Afrique ou la partition de Chypre. L’écriture sert d’exutoire, d’apaisement face aux sentiments de dégoût et d’impuissance, une tentative pour prendre de la hauteur et goûter la vie au jour le jour malgré les horreurs du monde.
Les aquarelles à l’encre de Chine d’Alexia Calvet accompagnent les textes de Thierry Werts avec une grande délicatesse. Elles offrent un joli contrepoint tout en douceur et appellent à l’harmonie.
« Un hiver sans fin La juge écarte une larme Entre deux destins »
« L’ombre d’un oiseau Traverse le citronnier Qui s’en souviendra ? »
Thierry WERTZ, For intérieur Haïbuns, Editions Pippa, 2016
Allons découvrir le billet de Marilyne sur Les ennuagements du coeur d’Yves Namur.
Pour ce rendez-vous poétique avec Marilyne, je vous propose un seul poème de Pier Paolo Pasolini, né il y a cent ans le 5 mars 1922.
Si le soleil revient, si le soir descend si la nuit a un goût de nuits à venir, si un après-midi pluvieux semble revenir d’époques trop aimées et jamais entièrement obtenues, je ne suis plus heureux, ni d’en jouir ni d’en souffrir ; je ne sens plus, devant moi, la vie entière… Pour être poètes, il faut avoir beaucoup de temps ; des heures et des heures de solitude sont la seule façon pour que quelque chose se forme, force, abandon, vice, liberté, pour donner un style au chaos. Moi je n’ai plus guère de temps : à cause de la mort qui approche, au crépuscule de la jeunesse. Mais à cause aussi de notre monde humain, qui vole le pain aux pauvres et la paix aux poètes.
Pier Paolo PASOLINI, La persécution – Une anthologie (1954-1970), traduit de l’italien par René de Ceccatty, Points Poésie, 2014
A écouter en lisant : une musique d’Ennio Morricone, ami de Pasolini.
Allons voir le choix de Marilyne qui nous propose des haïkus de printemps.
Le meilleur de la nuit Se prend à pleines lèvres A corps perdu
A brassées d’herbes et de brumes
Avec les gestes du dénouement Avec l’oreille du loup
En écho à notre premier rendez-vous poétique avec Marilyne (qui vous présentait le Petit éloge de la poésie de Jean-Pierre Siméon), je vous propose aujourd’hui ce recueil consacré à la nuit. Difficile de ne pas craquer devant ce magnifique objet-livre, à la couverture à rabats bleu nuit et argent, au papier épais, du « papier recyclé Keaykolour poussière de lune et Keaykolour bleu de Chine 120g », illustré des images lunaires de Yann Bagot.
La citation épigraphe nous donne la clé de ce recueil : « La nuit est notre vérité, elle nous invite à rejoindre un lieu plus ancien qu’on appelle parfois l’âme, et dont la langue nous est indéchiffrable. » (Anne DUFOURMANTELLE, Eloge du risque) Silence, profondeur, lenteur, retrait et compréhension intime, réflexion paradoxalement plus éclairée qu’en plein jour, voilà ce que permet la nuit, « jamais seulement l’extinction du jour ».
La nuit parfois est cette eau très pure Qui donne raison A notre soif d’amour (p. 13)
La poésie c’est la nuit Bergère des ombres Et des clartés égarées
Etoile des étoiles Dans l’abîme des villes Et le lit des massacres
C’est la nuit Dans sa chevelure de branches Et de rivières dormantes
Elle ferme nos paupières Pour que s’entende Enfin Le bruissement de l’âme (p. 17)
Les textes, les vers sont courts, imagés avec simplicité : « La nuit / La vraie / Très simple : / Un enfant / Pieds nus dans l’herbe / Avec le chat / L’oeil rond » (p. 38) Poésie dépouillée, minimaliste, nourrie pourtant de multiples références artistiques à Michaud, Reverdy, Soulages, aux contes ou à la mythologie. Jean-Pierre Siméon évoque toutes les nuits, de printemps, d’hiver, à l’hôpital, de violence, entre autres.
Toutes lesnuits
La nuit comme une forêt Qui avale
La nuit comme une colline Où le ciel repose
La nuit comme une mer Par gros temps
La nuit comme une frondaison La nuit comme un rivage aux oiseaux
La nuit comme un cri sans fond La nuit comme une joue aimée
La nuit comme un seuil Vers plus de nuit
La nuit qui abandonne Ou qui embrasse
Toutes les nuits Sont dans la nuit (p. 50-51)
Le livre se termine sur une coda manuscrite mais je vous laisse en compagnie de ce court texte pour conclure :
Nous n’aimerons bien le jour Que pour avoir aimé La nuit (p. 57)
A contempler pour accompagner cette lecture : cette toile de Pierre Soulages datée de 1975, en écoutant un Nocturne de Chopin.
Jean-Pierre SIMEON, A l’intérieur de la nuit, Images de Yann BAGOT, Cheyne, 2021
Marilyne vous emmène aujourd’hui dans une anthologie consacrée aux Poètes en partance.
Pour commencer cette nouvelle année, j’inaugure un nouveau rendez-vous mensuel autour de la poésie avec ma copine Marilyne. Chaque premier mercredi du mois (sauf exceptions tout à fait plausibles), nous vous présenterons de la poésie : un texte, un auteur, un recueil… avec des liens avec d’autres formes artistiques. Ca me fait plaisir qu’on se rejoigne sur ce projet, car s’il y a longtemps que je n’ai plus présenté de poésie ici, j’en lis et j’en achète régulièrement. (Mais je ne vous présenterai pas spécialement des nouveautés…)
En ce mois de janvier, je vous invite à découvrir la poétesse québécoise Hélène Dorion, née en 1958, à travers ce recueil Comme résonne la vie, dont voici le poème inaugural :
Comme résonne étrangement la vie que tu vois se lever, au milieu du brouillard de l’enfant que tu étais, hier encore à la table où ton père, où ta mère fouillaient le quotidien, sarclaient la terre, arrachaient les herbes égarées parmi les tulipes hautes qui flottent encore dans le jardin comme des étoffes, et mesurent les vents à venir.
Alors, comme résonne étrangement la vie derrière la tempête qui broie ton corps d’enfant, jette des marées de solitude sur tes rêves, crois-tu, un mouvement de lumière gagne sur la brume peu à peu tu défriches la forêt du passé, vois le chemin où naissent et glissent dans la terre les fragiles espérances.
Tu entends soudain la pulsation du monde déjà tu touches sa beauté inattendue. Dans ta bouche fondent les nuages des ans de lutte et de nuées noires où tu cherchais le passage vers l’autre saison
et comme résonne étrangement l’aube à l’horizon, enfin résonne ta vie.
A travers ses poèmes, Hélène Dorion dit le voyage personnel, l’histoire humaine, souvent marqués de grands vents et d’hivers froids, mais toujours reliés à la nature, une ancre qui permet de ne pas se noyer dans les grands fonds, de comprendre le chemin, de se révéler au bout de la nuit. Plusieurs poèmes sont écrits tantôt en tu, tantôt en je, creusant le mystère de notre présence au monde.
Horizons 2
Tout ce qu’il faut de lumière, tout ce qu’il faut d’ombre pour tenir au faîte de soi-même, être libre, crois-tu, être vraie pour autant que cela veuille toujours dire quelque chose, aujourd’hui que soufflent sur tes pas les vents durs ta main s’agrippe où persiste l’éclaircie.
C’est en haut, tout en haut qu’est ta vie tu entres par le feu, tu sais désormais le mensonge, désormais la trahison, l’orage a secoué le navire, arraché les mâts, le choc t’a projetée si loin — soudain tu n’entends ni ne vois d’horizon, ne touches ni l’amour ni l’oubli de l’amour.
Mais la rive, tu devines une rive au milieu de nulle part une voix creuse et affouille l’obscurité le temps bientôt remuera de nouveau — chaque heure contient ta destinée.
(p. 38)
Quelques textes disent aussi la richesse des mots, des poèmes sur lesquels on peut compter pour creuser la fragilité et s’accrocher aux branches solides ou aux frêles bourgeons.
Les mots dans la bouche d’un livre qui les abrite et les confie à l’or et au plomb, tu ouvres la porte du jardin d’encre et de papier, jardin de roses et de soie.
Une phrase recompose l’espace en détache le passé incertain comme une empreinte rejoint ce qu’il efface il est temps de rendre les mots à ce qui les tient à l’abri
comme un nid fragile au bout de la branche, de les recueillir qu’ils épuisent le manque et couvrent chaque chose de leur souffle, disent la matière lumineuse qu’ils ramènent vers nous.
(p. 52)
Impossible de ne pas sourire et noter l’un des derniers poèmes du lire, p. 63 :
Tu aurais lu tous les livres sur les rayons les nouveaux comme les anciens, les grands et petits formats, ceux qui traînent depuis des mois, entamés ou pas même ouverts, ceux d’auteurs complices
Tu aurais lu les plus sombres les légers, les illisibles et même ceux qui cassent comme glaces du fleuve, t’inventent un estuaire ceux qui bousculent t’abandonnent au milieu ou te poussent du haut d’une falaise vers ton dénouement ceux qui creusent, touchent ton cœur remuent encore, une fois rangés sur le rayons, ceux
qui ont mis ta vie sens dessus dessous et ne se referment pas, tournent encore autour de toi, ceux qui s’accumulent sur la table du sommeil que tu croyais connaître par cœur, n’entrent pas dans la poche des heures, courbent l’échine, ont l’épine à l’envers, restent sur le dos de la couverture cachent leur vrai visage, ceux qui à la fin, te diront que la vie tient aussi aux histoires qui la racontent, aux mots qui surgissent par la fenêtre à ce qu’ils éclairent dans la forêt de tes pas.
Pour accompagner ce billet, comme il est souvent question d’hiver et d’arbres dans ce recueil, je vous propose de contempler ce tableau de Camille Pissarro, Paysage enneigé à Eragny avec un pommier. Et pourquoi pas, d’écouter L’hiver des Quatre saisons de Vivaldi ?
Hélène DORION, Comme résonne la vie, éditions Bruno Doucey, 2018