En ce mois de novembre, retrouvons Hélène Dorion et deux poèmes extraits de son recueil Comme résonne la vie paru aux éditions Bruno Doucey en 2018. Le premier poème résonne avec la période et le second est un écho au roman de René Frégni, Dernier arrêt avant l’automne que je vous présente dans quelques jours.
Les rayons se posent, obliques
sur la crête des montagnes
un vent brosse les feuillages
que la saison a éreintés.
–
Tu regardes l’œuvre
de la lumière sur les pentes
qui s’effacent et resurgissent.
Tu refermes la porte du jardin, la rose
n’est que le souvenir d’une rose.
–
Des bourrasques harcèlent les tiges frêles
forcent les fenêtres
novembre recouvre ta demeure.
Tu descends vers ta vie, soulèves
le voile ténu des années
vois le chaos, puis la figure s’éclaire.
–
Tu t’arraches à la douleur et descends
encore vers toi même,
descends rejoindre le souffle des choses
que saisissent les mots.
–
La forêt recueille tes pas d’enfant
tes voyages au creux de l’amour
et du poème
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Tu aurais lu tous les livres sur les rayons
les nouveaux comme les anciens, les grands
et petits formats, ceux qui traînent
depuis des mois, entamés
ou pas même ouverts, ceux
d’auteurs complices
–
tu aurais lu les plus sombres
les légers, les illisibles et même ceux
qui cassent comme glace du fleuve, t’inventent un estuaire
Pour commencer cette nouvelle année, j’inaugure un nouveau rendez-vous mensuel autour de la poésie avec ma copine Marilyne. Chaque premier mercredi du mois (sauf exceptions tout à fait plausibles), nous vous présenterons de la poésie : un texte, un auteur, un recueil… avec des liens avec d’autres formes artistiques. Ca me fait plaisir qu’on se rejoigne sur ce projet, car s’il y a longtemps que je n’ai plus présenté de poésie ici, j’en lis et j’en achète régulièrement. (Mais je ne vous présenterai pas spécialement des nouveautés…)
En ce mois de janvier, je vous invite à découvrir la poétesse québécoise Hélène Dorion, née en 1958, à travers ce recueil Comme résonne la vie, dont voici le poème inaugural :
Comme résonne étrangement la vie que tu vois se lever, au milieu du brouillard de l’enfant que tu étais, hier encore à la table où ton père, où ta mère fouillaient le quotidien, sarclaient la terre, arrachaient les herbes égarées parmi les tulipes hautes qui flottent encore dans le jardin comme des étoffes, et mesurent les vents à venir.
Alors, comme résonne étrangement la vie derrière la tempête qui broie ton corps d’enfant, jette des marées de solitude sur tes rêves, crois-tu, un mouvement de lumière gagne sur la brume peu à peu tu défriches la forêt du passé, vois le chemin où naissent et glissent dans la terre les fragiles espérances.
Tu entends soudain la pulsation du monde déjà tu touches sa beauté inattendue. Dans ta bouche fondent les nuages des ans de lutte et de nuées noires où tu cherchais le passage vers l’autre saison
et comme résonne étrangement l’aube à l’horizon, enfin résonne ta vie.
A travers ses poèmes, Hélène Dorion dit le voyage personnel, l’histoire humaine, souvent marqués de grands vents et d’hivers froids, mais toujours reliés à la nature, une ancre qui permet de ne pas se noyer dans les grands fonds, de comprendre le chemin, de se révéler au bout de la nuit. Plusieurs poèmes sont écrits tantôt en tu, tantôt en je, creusant le mystère de notre présence au monde.
Horizons 2
Tout ce qu’il faut de lumière, tout ce qu’il faut d’ombre pour tenir au faîte de soi-même, être libre, crois-tu, être vraie pour autant que cela veuille toujours dire quelque chose, aujourd’hui que soufflent sur tes pas les vents durs ta main s’agrippe où persiste l’éclaircie.
C’est en haut, tout en haut qu’est ta vie tu entres par le feu, tu sais désormais le mensonge, désormais la trahison, l’orage a secoué le navire, arraché les mâts, le choc t’a projetée si loin — soudain tu n’entends ni ne vois d’horizon, ne touches ni l’amour ni l’oubli de l’amour.
Mais la rive, tu devines une rive au milieu de nulle part une voix creuse et affouille l’obscurité le temps bientôt remuera de nouveau — chaque heure contient ta destinée.
(p. 38)
Quelques textes disent aussi la richesse des mots, des poèmes sur lesquels on peut compter pour creuser la fragilité et s’accrocher aux branches solides ou aux frêles bourgeons.
Les mots dans la bouche d’un livre qui les abrite et les confie à l’or et au plomb, tu ouvres la porte du jardin d’encre et de papier, jardin de roses et de soie.
Une phrase recompose l’espace en détache le passé incertain comme une empreinte rejoint ce qu’il efface il est temps de rendre les mots à ce qui les tient à l’abri
comme un nid fragile au bout de la branche, de les recueillir qu’ils épuisent le manque et couvrent chaque chose de leur souffle, disent la matière lumineuse qu’ils ramènent vers nous.
(p. 52)
Impossible de ne pas sourire et noter l’un des derniers poèmes du lire, p. 63 :
Tu aurais lu tous les livres sur les rayons les nouveaux comme les anciens, les grands et petits formats, ceux qui traînent depuis des mois, entamés ou pas même ouverts, ceux d’auteurs complices
Tu aurais lu les plus sombres les légers, les illisibles et même ceux qui cassent comme glaces du fleuve, t’inventent un estuaire ceux qui bousculent t’abandonnent au milieu ou te poussent du haut d’une falaise vers ton dénouement ceux qui creusent, touchent ton cœur remuent encore, une fois rangés sur le rayons, ceux
qui ont mis ta vie sens dessus dessous et ne se referment pas, tournent encore autour de toi, ceux qui s’accumulent sur la table du sommeil que tu croyais connaître par cœur, n’entrent pas dans la poche des heures, courbent l’échine, ont l’épine à l’envers, restent sur le dos de la couverture cachent leur vrai visage, ceux qui à la fin, te diront que la vie tient aussi aux histoires qui la racontent, aux mots qui surgissent par la fenêtre à ce qu’ils éclairent dans la forêt de tes pas.
Pour accompagner ce billet, comme il est souvent question d’hiver et d’arbres dans ce recueil, je vous propose de contempler ce tableau de Camille Pissarro, Paysage enneigé à Eragny avec un pommier. Et pourquoi pas, d’écouter L’hiver des Quatre saisons de Vivaldi ?
Hélène DORION, Comme résonne la vie, éditions Bruno Doucey, 2018
Le soleil est un marteau
Le soleil ressemble à l’eau
Le soleil est terrible comme l’eau
Avec le soleil on peut imaginer plein de choses
Par exemple
avec une loupe concentrer ses rayons
en un seul point sur le cœur de l’ennemi
Une loupe peut prendre la forme
d’un poème
d’un comité d’action d’un cercle
d’un mouvement
ou de la spirale d’un escargot
Il ne s’agit pas d’être nombreux
pour tenir la loupe mais quelques-uns
simplement comme les doigts d’une main
ouverte ou fermée
Le plus difficile est de faire comprendre
qu’il est possible
de faire un feu avec une loupe
à condition de concentrer les rayons
du soleil en un seul point
Il s’agit de proposer la multiplication
des foyers de poésie
pour commencer à mettre le feu
à la plaine
Il nous faut montrer la voie du feu
et distribuer secrètement des loupes
lors de nos réunions clandestines de poésie
En tenant la loupe
nous devenons nous-mêmes
des rayons
qui se concentrent
en un seul point
En ce sens nous montrons
que nous sommes tous les rayons
d’un même poème
Mais dans le fond
notre condition est d’être
en même temps
la loupe et les rayons
c’est-à-dire d’être un poème en entier
Ceci n’est pas une raison
de nombre et de feu
mais uniquement de lumière
Dès que nous avons une loupe
il s’agit de commencer
immédiatement
à concentrer les rayons
sur un point que nous avons choisi
car le feu est la condition
de notre poème
et le poème la condition du feu
Serge Pey, Venger les mots, Editions Bruno Doucey, 2016
Nous avons fêté la Saint-Nicolas, Noël et bien plus encore ce 5 décembre, en nous rendant (deux taties et une jeune demoiselle de treize ans et demi très motivée) au Salon du livre jeunesse de Montreuil en région parisienne. Je devais aller à Paris le 14 novembre dernier, voyage évidemment annulé au lendemain des attentats. Autant dire que c’était une urgence (sans mauvais jeu de mots) et une vraie joie de venir samedi. Bien sûr, il y a eu des contrôles sérieux à l’entrée du Salon, mais assez rapides et j’ai trouvé qu’il y avait quand même pas mal de monde, j’espère que les organisateurs et les éditeurs étaient satisfaits de ce week-end, car il paraît que les allées étaient bien vides durant les trois premiers jours.
Notre premier objectif était le stand des éditions Kennes, car le tome 8 de La vie compliquée de Léa Olivier est enfin sorti, pour la plus grande joie de la demoiselle, ravie de rencontrer Catherine Girard-Audet.
Ensuite nous avons déambulé au gré des allées, des stands, petits ou grands, connus ou moins connus, nous laissant conquérir par des albums et des illustrations plus belles les unes que les autres, par des résumés apéritifs vraiment appétissants. Parfois sans le savoir, parfois en les cherchant, nous avons mis la main sur de jolies pépites !
Je voulais absolument aller chez Didier Jeunesse, qui m’envoie toujours des livres-CD exceptionnels, je m’y suis offert Monsieur Offenbach, que Delphine Jacquot m’a dédicacé plus tard dans l’après-midi sur le stand du Seuil jeunesse. Je ne voulais pas manquer les éditions Bruno Doucey, qui ont publié L’alphabet des ombres de Jean Joubert, auteur décédé le 29 novembre dernier et que Martine a mis à l’honneur tout au long de la semaine. J’ai particulièrement admiré le catalogue et les illustrateurs de chez Thierry Magnier (la jeunette a bien craqué sur ce stand tandis que je me laissais séduire par la version livre-CD de Hyacinthe et Rose, dessiné par Martin Jarrie et écrit-raconté par François Morel). Dans l’après-midi j’ai retrouvé par hasard Martin Jarrie sur le stand des Fourmis rouges, magnifique petite maison d’édition : j’ai donc craqué pour l’autre opus des deux compères, La vie des gens, avec une chouette dédicace à la clé, parfaite pour une prof !
La Miss a craqué pour un album La ballade de Mulan, aux éditions Hongfei Cultures, elle a patienté religieusement pendant que l’illustratrice Catherine Pollet lui dessinait sa dédicace, très raffinée et presque difficile à distinguer des autres dessins imprimés.
Petite anecdote : en passant chez Gallimard, je vois une dame de loin et me dis « mais je la connais, qui est-ce ? » Tilt ! C’est Fleur Pellerin, la Ministre de la culture, en grande conversation avec sans doute une patronne de Gallimard Jeunesse. Connaissant un peu la réputation de la dame, je me suis prise à espérer qu’elle ne visitait pas que la locomotive mais aussi les petites maisons d’édition qui ont bien besoin de soutien et qui témoignent du dynamisme, de la diversité et la liberté de création en France et ailleurs.
Voici le résultat en images de la journée (j’ai oublié de photographier la BD de Soledad Bravi, j’ai les tomes 1 et 3, je me suis acheté le 2).
La dédicace de Delphine Jacquot
La dédicace de Martin Jarrie et la couverture du livre La vie des gens
Les deux albums avec le roman d’Alain Grousset, La guerre de 14 n’a pas eu lieu et celui de Martin Page et Coline Pierré, La folle rencontre de Flora et Max
Chez Bruno Doucey, le recueil de Jean Joubert, En fin de droits, un texte de Yvon Le Men sur le chômage, illustré par Pef (avec les couleurs de Pôle Emploi en couverture, m’a précisé l’éditeur)et un petit carnet d’écriture intitulé « Les chemins de l’impossible » !
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul VERLAINE, Sagesse, 1881
Poème trouvé dans l’anthologie Vive la liberté ! publiée aux éditions Bruno Doucey en 2014
Verlaine écrit ce texte en prison, suite à son altercation avec Rimbaud sur qui il a tiré deux balles. C’était à Mons, en Belgique. La dernière grande expo de Mons 2015 au Musée des Beaux-Arts est consacrée à cet épisode montois de la vie de Verlaine.
Ses cris, ses toux, ses peurs et tous ses tremblements
Mon corps te garde en lui pour bien longtemps encore.
Nuits de Drancy
Usine à fabriquer la mort, nuits de Drancy,
Où le corps en grinçant tâte déjà les planches
Les épaules font mal, je sens gémir les hanches
Mais l’esprit reste souple et chaud dans l’air transi.
Camp de Drancy, octobre 1941
Jean WAHL, Poèmes de circonstance (1939-1941), revue Confluences, 1944
Jean Wahl (1888-1974) a été interné à Drancy en 1941 parce que Juif. Il réussit à s’en échapper avant de fuir en Amérique. Il raconte le souvenir de Drancy, qui ne le quittera jamais, dans de courts poèmes.
Poème trouvé dans l’anthologie Vive la liberté ! publiée aux éditions Bruno Doucey en 2014.
Gérard LE GOUIC, Une heure chaque jour, Les écrits des Forges, 2012
Poème trouvé dans l’anthologie Vive la liberté ! publiée aux éditions Bruno Doucey en 2014 (merci, Martine !). Je vous en proposerai encore d’autres en lien avec mon thème de lecture du moment.
Née de la pluie et de la terre est le livre d’une rencontre entre deux femmes, de civilisations différentes, qui se reconnaissent comme sœurs dans le tissage d’une parole universelle. L’une est poète, l’autre photographe. Patricia Lefebvre a rencontré Rita Mestokosho lors des séjours qu’elle effectua chez les Innus, peuple autonome du Québec. Ses photographies accompagnent la poésie simple, authentique et chamanique d’une femme qui s’adresse aux forêts, aux lacs, aux rivières, à l’ours, au saumon, au vent ou aux nuages, comme à la grand-mère qui lui a transmis l’amour de la vie. Car la poésie de Rita Mestokosho est, ainsi que l’écrit J. M. G. Le Clézio, préfacier de ce livre, « pleine de cette puissance féminine qui imprègne les peuples anciens. Quelque chose de calme et d’incorruptible qui s’ouvre sur l’avenir. » Comme lui, je suis heureux et fi er de faire entendre cette voix native d’un peuple qui lutte pour sa survie.
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Pour terminer cette semaine au Québec, je reviens à Rita Mestokosho dont j’ai déjà présenté un texte, Femme du matin rouge. Cela me paraît en accord (un peu) avec le livre présenté hier et avec cette journée internationale des droits de la femme. Rita Mestokosho est une poétesse innue, sa poésie se nourrit de ses origines amérindiennes, de la nature, du lien aux esprits mais aussi de la langue française qu’elle a apprise dès l’âge de quatre ans et qui lui permet de transmettre ses idées, son message pour la reconnaissance de la culture et des droits des innus. Car la transmission est aussi un des axes de sa poésie, où elle exprime ce qu’elle a reçu de ses ancêtres, de ses grands-parents et ce qu’elle désire partager aux gens de sa famille, de sa communauté et au-delà, pour dépasser le pessimisme, la perte de repères et renouer avec l’identité de son peuple, avec une harmonie intérieure et collective.
Certains textes sont écrits en innu-aimun et traduits en français, d’autres sont uniquement en français. Les photos de Patricia Lefebvre montrent les paysages (menacés) d’eau et de forêt dans lesquels vivent les innus, ainsi que des scènes où plusieurs générations se côtoient. Un bel accord entre images et poèmes. Vous pouvez vous faire une idée du travail de Patricia Lefebvre sur son site.
J’ai choisi deux poèmes assez différents (trop difficile de n’en choisir qu’un !)
La vie d’un innu
Dans la vie d’un innu
Il y a deux chemins se défilant devant lui.
—
Le premier est tracé
Par des pas d’hommes qui ont passé avant lui,
Ce chemin est lourd car il est profond en peines et en joies aussi.
Il prendra ce chemin pour évoluer dans l’environnement où il vit.
—
L’autre chemin est invisible.
Il est tracé par la lumière de la vie.
Il peut y accéder par la force de son Mishtapeu.
Ces deux chemins sont reliés quelque part dans le monde où nous vivons
Et dans le monde des esprits où nous voyageons par nos rêves.
—
Quand les deux chemins se rejoindront, à ce moment-là,
Rita MESTOKOSHO, Née de la pluie et de la terre, Photographies Patricia Lefebvre, Collection « Passage des arts », Editions Bruno Doucey, 2014
Une semaine au Québec avec Marilyne (merci de m’avoir accompagnée, je n’ai pas envie de revenir !) qui vous présente ce dimanche un poème de Jean Désy.