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~ Quelques notes de musique et quantité de livres

Archives de Tag: Zulma

Le Berger de l’Avent

21 lundi Déc 2020

Posted by anne7500 in Des Mots islandais

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Avent, Gunnar Gunnarson, Zulma

Quatrième de couverture :

Comme chaque année début décembre, Benedikt se met en chemin avec ses deux fidèles compagnons, son chien Leó et son bélier Roc, avant que l’hiver ne s’abatte pour de bon sur les terres d’Islande. Ce qui compte avant tout pour ces trois arpenteurs au cœur simple, ce sont les moutons égarés qu’il faut ramener au bercail.
Ils avancent, toujours plus loin, de refuge en abri de fortune, dans ce royaume de neige où la terre et le ciel se confondent, avec pour seuls guides quelques rochers et les étoiles. En égaux ils partagent la couche et les vivres. Mais cette année, le blizzard furieux les prend en embuscade…

Comme tous les premiers dimanches de l’Avent, Benedikt se met en route avec le joyeux chien Leo et le paisible bélier Roc, le bien nommé. Cela fait vingt-sept ans que Benedikt part à la recherche des moutons égarés sur les hautes terres d’Islande, et lui-même a deux fois vingt-sept ans, tout un symbole. Symbole, au sens de « quelque chose qui relie, qui rassemble » tout comme cette amitié qui relie l’homme et ses animaux, qu’il considère comme ses égaux, comme ce souci de ramener les moutons perdus dans leurs troupeaux. Rien, à chaque fois, ne se passe jamais comme prévu, mais cette année, le goût pour la solitude de Benedikt est mis à rude épreuve par des fermiers qui l’accompagnent pendant un temps et son expédition enfin solitaire est soumise aux rigueurs d’un blizzard particulièrement fort. L’homme va devoir puiser dans ses ressources intérieures, sa connaissance de la montagne, ses refuges solides et la fidélité de ses animaux pour pouvoir revenir dans sa ferme.

C’est un tout petit texte (69 pages) paru en 1936, d’une grande richesse, empreint de simplicité, de dépouillement consenti, témoin d’une unité possible entre l’homme et la nature. La traduction participe au calme souverain qui émane de ces pages. A lire et à relire pour en goûter toute la beauté.

« Comme née de toute cette blancheur, sur laquelle se dessinaient les cercles noirs des cratères, et des piliers de lave grise comme des fantômes ça et là, une bénédiction semblait baigner ce dimanche dans les montagnes, étreignant presque le cœur; un grand calme solennel, aussi blanc que l’innocence, se levait des petites fermes éparpillées au loin, en contrebas, dont le feu des cheminées s’évanouissait dans une poussière de neige -une paix inconcevable, pleine d’une promesse insoupçonnée – l’Avent, l’Avent ! »

« Depuis des années, tous les trois étaient inséparables. Et cette connaissance profonde qui ne s’établit qu’entre espèces éloignées, ils l’avaient acquise les uns des autres. Jamais ils ne se portaient ombrage. Aucune envie, aucun désir ne venait s’immiscer entre eux. »

« Chaque homme vit sa vie de façon différente. Les uns parlent sans discontinuer. Les autres sont familiers du silence. Certains ont besoin d’être entourés d’autres hommes pour se sentir bien. D’autres ne sont eux-mêmes qu’en se retrouvant seuls, au moins de temps en temps. Benedikt n’était pas ennemi du genre humain. Mais il l’évitait pendant ses randonnées de l’Avent. Quand il était dans la montagne, il en faisait partie, d’une certaine façon. »

« Des rafales de vent, surgies de la nuit sombre, se précipitaient sur eux en tourbillons menaçants. Les gens qui marchent dans la nuit sont étrangement perdus l’un pour l’autre. Mais dans la montagne, le sentiment d’isolement prend un tour différent. Tant qu’on entend d’autres voix que la sienne, tant qu’on sent, près de soi, une respiration, le vide profond de l’univers, au ciel et sur la terre, ne vous étreint pas tout à fait de ce froid glacial, à la racine des cheveux. »

« Quand un homme se trouve dehors, par une telle nuit, loin de toute présence humaine, à des lieues de tout abri, entièrement abandonné à son propre jugement, il lui faut garder la tête froide. ne pas offrir la moindre fissure aux esprits de la tempête pas la moindre fente où la peur et l’hésitation puissent s’insinuer. C’est une question de vie et de mort. Du courage et un esprit indomptable. Ignorer le danger. Continuer. C’est aussi simple que ça. Du moins pour un homme comme Benedikt. « 

Gunnar GUNNARSON, Le Berger de l’Avent, traduit de l’islandais par Gérard Lemarquis et Maria S. Gunnarsdottir, Zulma poche, 2019

C’est chez Aifelle que j’avais découvert ce livre avec lequel je commence le défi Un hiver au chalet catégorie La chasse-galerie (conte) et le Cold Winter Challenge menu Magie de Noël catégorie Under the mistletoe (ce n’est pas du tout de la romance ni du feel good mais ça se passe en Avent et ça fait beaucoup de bien !)

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu

12 mardi Fév 2019

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots nord-américains

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Zora Neale Hurston, Zulma

Présentation de l’éditeur :

Eatonville, Floride. Janie Mae Crawford est de retour. Il lui aura fallu trois existences et trois mariages – avec le vieux Logan Killicks et ses sentiments trop frustes, avec le fringant Joe Starks et ses ambitions politiques dévorantes, avec Tea Cake enfin, promesse d’égalité dans un élan d’amour – pour toucher l’horizon de son rêve d’émancipation et de liberté. Fierté intacte, elle revient et se raconte, seigneur des mots et des moindres choses…

Portrait d’une femme entière animée par la force de son innocence, esprit libre bravant la rumeur du monde, Mais leurs yeux dardaient sur Dieu est un monument de la littérature américaine, aussi percutant aujourd’hui que lors de sa parution aux États-Unis en 1937. C’est un roman culte. Et c’est un immense chef-d’œuvre.

Ce roman a été publié pour la première fois en 1937. La romancière Zora Neale Hurston, aux nombreux talents artistiques, a été remise à l’honneur par Alice Walker, auteur de La couleur pourpre.

Janie Craford, née d’un viol, a été élevée par sa grand-mère, celle-est née esclave, a connu l’abolition, a émigré en Floride tout en continuant à vivre au service de maîtres blancs.

Janie est belle, sans le savoir, elle possède une chevelure remarquable. Elle aspire au bonheur sans parvenir à l’exprimer clairement, depuis qu’elle a passé un après-midi de printemps sous un poirier en fleurs. C’est le sentiment de plénitude des fleurs et des abeilles chargées de pollen qu’elle appelle confusément de ses voeux. Mais son premier mariage, de raison, arrangé par sa grand-mère, ne comblera pas ses rêves.

« Janie avait seize ans. Un feuillage vernissé et des bourgeons tout près d’éclore et le désir de prendre à bras-le-corps la vie, mais la vie semblait se dérober. Où donc étaient-elles, ses abeilles chanteuses à elle ?… Du haut des marches elle scruta le monde aussi loin qu’elle put, et puis elle descendit jusqu’à la barrière et s’y pencha pour contempler la route de droite et de gauche. Guettant, attendant, le souffle écourté par l’impatience. Attendant que le monde vienne à se faire. »

A la barrière, passe un homme séduisant et entreprenant, Joe Starks, avec qui Janie partira d’abord le coeur léger. L’homme a un ascendant puissant sur les autres, et il s’autoproclamera premier maire de la première ville exclusivement peuplée par des Noirs. Il est aussi très jaloux et cantonne Janie dans le rôle de vendeuse de son magasin, l’obligeant à cacher ses cheveux et surtout la rabaissant sans cesse, la coupant du contact amical avec d’autres habitants de la ville. 

C’est Tea Cake, qui ne possède rien à part son courage et son intelligence, qui va faire connaître l’amour, le vrai, à Janie. Il l’aime pour elle-même, il ne lui impose rien mais prend vraiment soin d’elle, il lui rend l’estime d’elle-même, à travers une existence nomade, pleine d’humour et de fantaisie. C’est en participant à une campagne de cueillette des haricots dans les Everglades, au sud de la Floride, que Janie et Tea Cake affronteront un ouragan aux conséquences dramatiques.

« Ils se retournèrent. Virent des gens qui essayaient de courir dans les eaux rageuses et qui hurlaient en s’apercevant qu’ils n’y parvenaient pas. Une gigantesque barrière provenant du bâti de la digue et à laquelle les cabanons avaient été adossés se trouvait à déferler et crouler devant eux. Dix pieds plus haut et aussi loin que portait leur vue, le mur grommelant ouvrait la voie à ces flots formidables comme un concasseur e routes aux dimensions cosmiques. La bête monstruopulente avait quitté son lit. Un vent à deux cents miles de l’heure venait de lui rompre ses chaînes. Elle s’était emparée de ses propres digues et s’élançait droit jusqu’aux quartiers ; les déracinait comme de l’herbe puis s’en allait courser ses soi-disant conquérants, renversant les digues, renversant les maisons, renversant les gens dans les maisons et du même élan le reste de bois d’oeuvre. La mer foulait la terre d’un pas pesant. » (p. 256)

Dans ce roman à la fois lucide et poétique, Zora Neale Hurston raconte la transition de l’après esclavage, où les Noirs commencent à peine à prendre de l’autonomie et subissent évidemment la ségrégation. C’est aussi le roman de l’émancipation d’une femme : le roman débute par le retour de Janie des Everglades et elle a sacrément du courage, du culot pour assumer son destin et affronter le regard de ses voisins. Le livre fait évidemment la part belle aux traditions des Noirs américains, les palabres, les danses, les chants, la langue aussi, à la fois créative et authentique (les dialogues sont écrits dans la langue qu’ils parlent vraiment, ça a été un peu pénible de l’y habituer pendant un bon quart du roman mais je ‘y suis heureusement habituée) Le tout est vécu par des personnages savoureux, bien campés, un peu horripilants comme Joe Starkx ou attachants comme Janie et Tea Cake.

Un beau roman puissant.

Zora Neale HURSTON, Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, traduit de l’américain par Sika Fakambi, Zulma, 2018

Un roman lu dans le cadre du Mois de l’Histoire afro-américaine chez Enna, qui a lu ce roman en V.O.

Challenge Petit Bac – Littérature générale, Partie du corps

Les Nuits de laitue

09 vendredi Fév 2018

Posted by anne7500 in Des Mots sud-américains

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Brésil, Les Nuits de laitue, Rentrée littéraire 2015, Vanessa Barbara, Zulma

Présentation de l’éditeur :

Otto et Ada partagent depuis un demi-siècle une maison jaune perchée sur une colline et une égale passion pour le chou-fleur à la milanaise, le ping-pong et les documentaires animaliers. Sans compter qu’Ada participe intensément à la vie du voisinage, microcosme baroque et réjouissant.

Il y a d’abord Nico, préparateur en pharmacie obsédé par les effets secondaires indésirables ; Aníbal, facteur fantasque qui confond systématiquement les destinataires pour favoriser le lien social ; Iolanda et ses chihuahuas hystériques ; Mariana, anthropologue amateur qui cite Marcel Mauss à tout-va ; M. Taniguchi, centenaire japonais persuadé que la Seconde Guerre mondiale n’est pas finie.

Quant à Otto, lecteur passionné de romans noirs, il combat ses insomnies à grandes gorgées de tisane tout en soupçonnant qu’on lui cache quelque chose…

Ouvrir Les Nuits de laitue, c’est pénétrer un microcosme, un quartier aux rues étroites et sinueuses dominé par une maison jaune, celle d’Otto et,Ada, Ada qui vient de mourir au moment où on ouvre le roman. Elle était un peu l’âme du quartier, rendant des services du matin au soir, participant aux réunions pour améliorer la vie commune, prenant des nouvelles de chacun de ses voisins et voisines que nous découvrons à chaque chapitre : Iolanda la mystique syncrétique, Anibal le facteur chanteur et bordélique, Teresa et ses chiens dysfonctionnels, Nico le pharmacien maniaque des effets secondaires des médicaments, Mariana l’anthropologue fan de « Nanouk l’Esquimau » ou encore Mr Taniguchi qui a continué à combattre pour l’empereur trente ans après la capitulation du Japon. J’ai souri, j’ai ri même devant cette galerie de personnages savoureux et attachants.

Ada, c’était aussi l’amour d’Otto avec qui elle a passé cinquante de vie en couple. Ils étaient tout l’un pour l’autre malgré leurs différences de goûts et de caractère (quand même, ils partageaient l’amour du chou-fleur à la milanaise), ils partageaient une fantaisie rien qu’à eux et Ada mettait clairement du liant dans les relations d’Otto avec le voisinage. Depuis qu’elle est morte, Otto s’est replié sous sa vieille couverture à carreaux, il épie ses voisins et refuse plus ou moins la communication avec eux, il se demande même s’il n’est pas menacé par Alzheimer… Les Nuits de laitue, c’est aussi un roman sur le deuil et la solitude, difficiles à apprivoiser malgré la légèreté du propos.

Mais il n’y a pas que cela : je croyais que le décès d’Ada était simplement l’occasion de décrire des personnages pittoresques, tous liés par leur connaissance d’Otto et Ada, mais finalement le dernier chapitre recèle une surprise que je n’avais pas vue venir, donnant ainsi du piquant à ce premier roman si sympathique.

Quant à la signification du titre, ne comptez pas sur moi pour vous révéler son secret…

« Il riait comme un singe, la bouche grande ouverte, mais sans émettre aucun son.Un jour il avait plongé la tête sous l’eau et, de retour à la surface, s’était mis à rire comme un tordu. « Tout le monde a trouvé cela amusant, racontait Ada. Il a replongé, il est remonté, a recommencé à se bidonner. Ça faisait marrer tout le monde. Puis il a replongé encore une fois, mais n’est pas réapparu. Moralité: mieux vaut ne pas faire la même tête quand on rit et quand on se noie. »

« En cuisine, elle (Ada) péchait par excès d’imagination. Quand Otto découvrait que son objectif était de préparer une tarte aux pommes, par exemple, il cachait illico les flacons de paprika, de basilic, de coriandre et de thym. Elle se mettait tout de même au travail, tandis que son mari ressortait le numéro du vendeur de pizzas, au cas où. »

« Profitant de l’absence de sa maîtresse, Ananias avait à peu près complètement déchiqueté le canapé. Mendonça s’était gavé de bourre et était à présent affalé par terre, avec des aigreurs d’estomac, car son régime habituel comprenait bien des tongs en caoutchouc mais pas de mousse, dont on reconnaîtra volontiers qu’elle est parfois indigeste. Il avait même essayé d’avaler la fermeture de la housse du canapé, sans toutefois y parvenir – ce n’était plus la forme de jadis. »

Vanessa BARBARA, Les Nuits de laitue, traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec, Zulma, 2015

Enfin un billet de lecture de mon côté dans le voyage sud-américain avec Marilyne

 Temps qui passe

 

J’ai toujours ton coeur avec moi

18 vendredi Mar 2016

Posted by anne7500 in Des Mots au féminin, Des Mots islandais

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Islande, J'ai toujours ton coeur avec moi, Soffia Bjarnadottir, Zulma

Présentation de l’éditeur :

Phénix excentrique tant de fois ressurgi de ses cendres, Siggý n’est plus. Elle qui n’a jamais été là pour personne a légué à sa fille Hildur son mal étrange et une petite maison jaune sur l’île de Flatey.
Une lettre de sa mère pour seul viatique, Hildur s’embarque vers ce point minuscule perdu dans l’océan. Avec pour ange tutélaire l’homme aux yeux vairons. Et une foule de souvenirs sans pareils – les extravagances de Siggý et de son voisin Kafka, les mantras de grand-mère Láretta contre les idées noires, l’appel des phoques sacrés ou les fantômes de la rue Klapparstígur… Qui tous portent la promesse d’une singulière renaissance.
Comme une consolation venue d’ailleurs, J’ai toujours ton cœur avec moi est la belle chronique de ces quelques jours sans boussole – mélancolique, insolite et décalée.

Voilà un texte étrange car il résiste un peu, la narratrice entremêle passé et présent (un présent situé en 2018-2019, mais aucun effet d’anticipation, plutôt un élément de plus dans le côté décalé de ce premier roman), elle (ou sa mère ?) semble avoir des hallucinations bizarres, des mouches, des vers, des plumes collées, des cheveux gris, une tête dans un évier. Et puis il y a ce personnage de Siggy, une mère qui ne l’a jamais vraiment été et n’a donné aucune clé à sa fille pour devenir à son tour femme et mère. Elle lui a plutôt transmis un mal-être dont on découvre la nature à la fin et qui fait partie de la « résistance » : j’avoue que je n’avais rien lu ou presque sur ce roman, je n’aurais pas pensé à cela (je suis naïve, je me laisse raconter une histoire) et je préfère ne pas le révéler ici (le roman ne fait que 142 pages).

Une fois cette explication donnée, on comprend mieux comment la mort de sa mère pèse sur la jeune femme mais elle fait quand même passer Hildur de la résistance à la résilience, à travers un parcours semé de souffrance, de tristesse, d’incompréhension, d’angoisse. Et on se dit que cette jeune auteure a un don pour raconter la folie, le deuil, pour se glisser avec empathie dans la peau d’une petite fille ou d’une femme adulte qui n’ont pas les codes « normaux » pour affronter la réalité. Tout cela est raconté par petites touches, par courts chapitres et finit par créer le portrait attachant de Siggy et de Hildur, entourées par quelques hommes qui leur tiennent la main ou balisent leur chemin, le temps de quelques pages ensorcelantes.

« Je demeurai sans voix. La femme qui m’avait élevée, seule et à son étrange manière, n’était plus. Elle était pourtant toujours là, quelque part, à l’arrière-plan, comme les montagnes et l’océan. Mais les montagnes aussi peuvent mourir, je compris à cet instant. Au-dessus du désert blanc autour de moi planait le même silence qui m’avait suivie depuis ma plus tendre enfance. Un silence pesant qui s’insinue dans la chair. L’environnement tout entier était imprégné d’une tristesse palpable. L’atmosphère, la neige, l’hiver, la cigarette, la fumée, le langage. » (p. 12)

« Dieu était son mari. Grand-mère devait être vierge. Probablement tombée enceinte de Siggý comme Marie du petit Jésus, par la grâce d’un rayon lumineux à travers la fenêtre. Dieu a en quelque sorte divinisé la fenêtre de grand-mère. Elle faisait sa prière. Ou épluchait ses pommes de terre. Puis Dieu est arrivé et il a posé son regard lubrique sur ma mamie, alors à peine devenue femme. On ne peut toutefois pas dire que ces deux-là ont enfanté un prodige capable de marcher sur l’eau et de soigner les malades. Oh non – même si Siggý a fini par s’occuper de toute une meute de chats. » (p. 68-69)

Soffia BJARNADOTTIR, J’ai toujours ton coeur avec moi, traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün, Zulma, 2016

Challenge nordique 2016

Le Complexe d’Eden Bellwether

16 vendredi Jan 2015

Posted by anne7500 in Des Mots britanniques

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Benjamin Wood, Le Complexe d'Eden Bellwether, Premier Roman, Rentrée littéraire 2014, Zulma

Présentation de l’éditeur :

Benjamin Wood signe un premier roman magistral sur les frontières entre génie et folie, la manipulation et ses jeux pervers – qui peuvent conduire aux plus extravagantes affabulations, à la démence ou au meurtre.

Cambridge, de nos jours. Au détour d’une allée de l’imposant campus, Oscar est irrésistiblement attiré par la puissance de l’orgue et des chants provenant d’une chapelle. Subjugué malgré lui, Oscar ne peut maîtriser un sentiment d’extase. Premier rouage de l’engrenage. Dans l’assemblée, une jeune femme attire son attention. Iris n’est autre que la sœur de l’organiste virtuose, Eden Bellwether, dont la passion exclusive pour la musique baroque s’accompagne d’étranges conceptions sur son usage hypnotique…
Bientôt intégré au petit groupe qui gravite autour d’Eden et Iris, mais de plus en plus perturbé par ce qui se trame dans la chapelle des Bellwether, Oscar en appelle à Herbert Crest, spécialiste incontesté des troubles de la personnalité. De manière inexorable, le célèbre professeur et l’étudiant manipulateur vont s’affronter dans une partie d’échecs en forme de duel, où chaque pièce avancée met en jeu l’équilibre mental de l’un et l’espérance de survie de l’autre.

L’auteur du Complexe d’Eden Bellwether manifeste un don de conteur machiavélique qui suspend longtemps en nous tout jugement au bénéfice d’une intrigue à rebonds tenue de main de maître.

Bon. J’ai été scotchée par ce roman, dont j’ai essayé de retarder un peu la fin pour ne pas m’en séparer trop vite, mais c’était impossible. De toute façon, la première page nous brosse déjà le tableau de la fin, donc on n’a qu’une envie : savoir comment on en est arrivé là (j’ai même échafaudé une hypothèse qui s’expliquait par le côté hyper-manipulateur d’Eden, mais elle n’avait aucune valeur), guetter chaque coin de page avec de plus en plus d’inquiétude et d’impatience.

Il n’y a donc qu’à se laisser mener par Benjamin Wood, qui signe avec brio ce premier roman : c’est brillant, intelligent, attrayant, touchant aussi. Car si l’auteur connaît son sujet à fond et peut se glisser dans différents points de vue, sauf celui d’Eden, toujours objet d’observation, de conjectures et de craintes, il nous entraîne surtout dans les pensées, les rêves, les désirs d’Oscar, ce jeune aide-soignant si attachant, si désireux de bien faire. Un jeune homme athée qui a eu un jour cette idée folle d’entrer dans la chapelle de King’s College, attiré par une musique fantastique… et qui va se trouver en quelque sorte à la croisée de deux mondes : les étudiants et les travailleurs, les gens très riches et très protégés et ceux qui se lèvent tôt pour travailler durement, les gens normaux et les personnalités toxiques. Cette rencontre avec Iris et Eden Bellwether, la découverte de la personnalité pour le moins excentrique de ce dernier, l’intrigue qui va en découler, c’est le coeur du roman, et Benjamin Wood maîtrise à merveille l’art de mener un récit, de faire apparaître et disparaître les personnages au bon moment, de créer les rebondissements nécessaires, de dessiner une atmosphère pour nous tenir en haleine jusqu’au dénouement fatal, on le sait dès le début.

Mais à bien y réfléchir, il y a plusieurs niveaux de lecture dans ce roman très intelligent (je me répète) : le thème psychologique et psychiatrique, le roman étudiant, dont la ville de Cambridge est un personnage, avec ses colleges, la rivière Cam, le célèbre choeur de King’s, qui ouvre évidemment sur le thème de la musique et de l’orgue (je n’ai qu’une envie, c’est d’y aller en vrai, même si le roman m’y a transportée de façon très efficace !). Il y a aussi, me semble-t-il, le thème de la figure paternelle, à travers les pères d’Eden et d’Oscar mais aussi à travers le Dr Paulsen, sorte de figure de substitution pour Oscar. Le thème du double, sous différentes facettes plus ou moins évidentes : le frère et la soeur, deux profs d’université, qui servent d’écrin à la confrontation entre Eden et Oscar, les deux héros masculins.

Enfin, un autre plaisir, et non des moindres, de ce roman est la puissance évocatrice de l’écriture de Benjamin Wood : j’avais l’impression de voir la glycine sur le mur de Cedarbrook, de respirer l’odeur du petrichor (la terre après la pluie), de sentir l’ombre des chapelles, de fouler l’herbe au bord de la Cam, de ressentir la sauvagerie de la musique jouée par Eden, et bien d’autres sensations. Le style de l’auteur est très visuel, il a quelque chose de cinématographique, sans compter son sens du rythme. Allié à cette si bonne histoire, à ce personnage fascinant qu’est Eden Bellwether et à celui si attachant qu’est Oscar, il m’a vraiment fait passer un très bon moment, de ceux qui me font ressentir pourquoi j’aime lire.

J’ai lu ce roman dans les tout derniers jours de 2014 : autant dire que j’ai fini l’année en beauté !! Merci, Cachou !

Benjamin WOOD, Le Complexe d’Eden Bellwether, traduit de l’anglais par Renaud Morin, Editions Zulma, 2014

Challenge Rentrée littéraire 2014   logo Challenge littérature anglaise

Avec ce titre, j’ai atteint le 1 % de la Rentrée littéraire 2014 et je vais arrêter là ce challenge : même si je lis encore des romans de la dernière rentrée, j’ai surtout la volonté de limiter les challenges à l’extrême. De même, ce sera sans doute le dernier titre pour le God save the livre, qui se termine bientôt, en février.

Le Peintre d’éventail

28 jeudi Nov 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Hubert Haddad, Le Peintre d'éventail, Zulma

Présentation de l’éditeur :

C’est au fin fond de la contrée d’Atôra, au nord-est de l’île de Honshu, que Matabei se retire pour échapper à la fureur du monde. Dans cet endroit perdu entre montagnes et Pacifique, se cache la paisible pension de Dame Hison dont Matabei apprend à connaître les habitués, tous personnages singuliers et fantasques.

Attenant à l’auberge se déploie un jardin hors du temps. Insensiblement, Matabei s’attache au vieux jardinier et découvre en lui un extraordinaire peintre d’éventail. Il devient le disciple dévoué de maître Osaki.

Fabuleux labyrinthe aux perspectives trompeuses, le jardin de maître Osaki est aussi le cadre de déchirements et de passions, bien loin de la voie du Zen, en attendant d’autres bouleversements…

Avec le Peintre d’éventail, Hubert Haddad nous offre un roman d’initiation inoubliable, époustouflant de maîtrise et de grâce.

Avant La nostalgie heureuse, d’Amélie Nothomb, j’avais lu ce roman de Hubert Haddad, un autre écrivain francophone qui nous emmène au Japon, en compagnie de Matabei Reyen. Et quelle différence dans l’approche de ce pays…

Matabei est venu se réfugier à la pension de Dame Hison suite à un accident survenu à Kobe. Le visage d’une jeune fille ne cesse de le hanter, mais il va trouver un certain apaisement dans la contemplation du jardin et des éventails de Maître Osaki. Le vieil homme aura le temps de lui transmettre un peu de ses savoirs et Matabei se fixera dans ce jardin clos. Les arbres, les pierres, les fontaines, les rigoles qui le constituent semblent immuables, toujours offerts au regard et à la méditation au fil des saisons. Si les résidents de la pension, y compris Matabei,  sont gouvernés par leurs passions, leurs désirs, leurs regrets, le jardin ne change pas. S’y promener, arpenter ses chemins, se laisser surprendre par une fleur, un coup d’oeil paysager, par le chant d’un oiseau, c’est contempler et recevoir la vie dans son éternité. Les éventails et les haikus du vieux Osaki participent à ce mouvement perpétuel.

Le roman semble d’ailleurs fixé dans un cadre intemporel. Mais il est bien contemporain et alors que Matabei vieillissant entame un dernier voyage méditatif au sommet du mont Jimura (son Fuji-Yama), la réalité et les éléments naturels le rattrapent : nous sommes bien en 2011, non loin de la mer, non loin d’une centrale nucléaire tristement célèbre désormais. Si le tremblement de terre et le tsunami sont évoqués de façon stylisée, suggérée, leurs ravages n’en sont pas moins sensibles, dans le jardin, dans le corps et le coeur de Matabei. La vie pourra-t-elle renaître sur cette île japonaise ?

J’avais déjà été infiniment touchée par la plume d’Hubert Haddad dans ses nouvelles, Vent printanier. Dans ce livre, j’admire sa capacité à adapter son écriture à son sujet : les descriptions du jardin, les tourments intérieurs de Matabei, les regrets et les remords, la contemplation du monde végétal et minéral, autant de lieux où le style d’Hubert Haddad se déploie tout en grâce et retenue. Dans ce roman de la culpabilité et de la solitude, de la rédemption et de la transmission, son sens de l’épure et de la délicatesse apaise et questionne, remue et unifie.

« Quand la tempête gronde et que la solitude reste entière, comment les cueillir, les fleurs du silence ? » (p. 99)

« – Créer des paysages, poursuivit Matabei, c’est assimiler la loi d’asymétrie et le juste équilibre comme un art de vivre. Les chemins de rosée, les sentiers sous les arbres et les passes de gué avec tous ces riens échelonnés, cette pierre, l’eau vive d’une rigole, cette branche basse, voilà le parcours intérieur. Mais il faut laisser les choses vivre un peu de guingois autour de toi. L’imperfection ouvre à la perfection. Tu acèveras en esprit l’inachevé. Le jardin idéal n’est qu’un rêve. Oui, rien d’autre qu’un rêve qui invite l’infini par clins d’oeil. C’est l’unique harmonie… » (p. 101-102)

Hubert HADDAD, Le Peintre d’éventail, Zulma, 2013

L’avis de Marilyne, de Jérôme et de Gwennaëlle

Les Haikus du peintre d’éventail

24 dimanche Nov 2013

Posted by anne7500 in Des Mots en Poésie

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haïkus, Hubert Haddad, Zulma

La nuit s’achève

les mourants ont résisté

renaître un seul jour

—

Beau livre lâché

ces étoiles sur l’eau vivante

joyau de la mer

—

L’oubli des fantômes –

sur un chemin de nuages

et de neige fraîche

—

L’écho de la neige

c’est le souffle de l’aimée

sur ma tempe nue

—

Maison du silence

qu’un vieil homme seul visite –

chaque jour une rose

—

Vieux pont effondré

la chance reste en chemin

face au fleuve en crue

—

Deux papillons blancs

applaudissent la lumière

vive chair du jour

Hubert HADDAD, Les Haikus du peintre d’éventail, Zulma, 2013

Quelques haikus en attendant un avis construit (ou pas…) sur le roman

La Lettre à Helga

18 lundi Nov 2013

Posted by anne7500 in Des Mots islandais

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Birgisson, La Lettre à Helga, Rentrée littéraire 2013, Zulma

Présentation de l’éditeur :

« Mon neveu Marteinn est venu me chercher à la maison de retraite. Je vais passer le plus clair de l’été dans une chambre avec vue plongeante sur la ferme que vous habitiez jadis, Hallgrímur et toi. » Ainsi commence la réponse – combien tardive – de Bjarni Gíslason de Kolkustadir à sa chère Helga, la seule femme qu’il aima, aussi brièvement qu’ardemment, d’un amour impossible.

Et c’est tout un monde qui se ravive : entre son élevage de moutons, les pêches solitaires, et sa charge de contrôleur du fourrage, on découvre l’âpre existence qui fut la sienne tout au long d’un monologue saisissant de vigueur. Car Bjarni Gíslason de Kolkustadir est un homme simple, taillé dans la lave, pétri de poésie et d’attention émerveillée à la nature sauvage.

Ce beau et puissant roman se lit d’une traite, tant on est troublé par l’étrange confession amoureuse d’un éleveur de brebis islandais, d’un homme qui s’est lui-même spolié de l’amour de sa vie.

Je veux lire ce livre depuis qu’on en parle (quand même pas mal) dans la Rentrée littéraire 2013 mais je m’étais tenue un peu à l’écart de ce qu’on disait de lui. Le club de lecture de ma bibliothèque, consacré ce mois-ci aux éditions Zulma, me l’a fait sortir de la PAL (très récente)… et je dois dire que je ne m’attendais pas du tout à ce que j’ai lu !

J’avais en tête « lettre d’amour d’un vieil homme à un amour de jeunesse » et voilà que, dès le début, Bjarni évoque un amour très charnel, en parle d’une manière très précise, d’un érotisme assez cru ! J’avoue qu’il m’a fallu dépasser un rien cette première surprise pour me laisser conduire en Islande le temps d’une lettre. Comme Mina, la forme épistolaire m’a paru un peu artificielle parfois, mais pas à la fin, bizarrement, alors que cette lettre se termine sur une pirouette un peu facile (ou c’est moi qui suis difficile ?)

Cela dit, cette lettre m’a beaucoup plu, j’ai beaucoup aimé ce voyage en Islande dans les années 40-50, cette ode à la terre des ancêtres, aux légendes anciennes qui nourrissent la vie de Bjarni, son ancrage dans l’héritage des anciens, son amour passionné pour les moutons et autres animaux dont il est chargé de contrôler l’approvisionnement en fourrage. Cette passion va évidemment de pair avec les images et les réalités de sa relation avec Helga, et elle explique sans doute aussi qu’il n’ait jamais quitté Unnur tout en étant profondément malheureux avec elle. Des contradictions, des questions que Bjarni ne cesse de se poser ou d’essayer de comprendre tout au long du livre.

L’évocation de la société islandaise du temps de l’occupation américaine m’a aussi beaucoup intéressée, tout comme la vision politique de Bjarni, marquée au coin du bon sens et de la fréquentation de la terre.

L’humour est une belle composante, attendrissante, de ce court roman : le voyage vers les nord, l’oubli puis le retour vers le sud avec le corps d’une vieille femme fumée vaut son pesant de laine de mouton islandais ! Et même si la fin utilise une vieille ficelle d’écriture, il n’empêche qu’elle est pleine d’émotions et qu’elle rend ce vieil homme éminemment humain et digne.

Pas un coup de coeur, mais une belle découverte islandaise, due une fois de plus aux éditions Zulma !

Bergsveinn BIRGISSON, La Lettre à Helga, traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson, éditions Zulma, 2013

Les avis très contrastés de Cachou, Fransoaz, Lili, Jérôme, Marilyne, Mina, Philisine Cave, entre autres !

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Lucia Antonia, funambule

26 lundi Août 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Daniel Morvan, Rentrée littéraire 2013, Zulma

Présentation de l’éditeur :

C’est depuis une presqu’île radieuse où le vent étincelle que Lucia Antonia consigne sur de petits carnets, par courts fragments frémissants, sa vie présente et passée. Endeuillée par la chute de sa partenaire funambule, son double lumineux, la merveilleuse Arthénice, Lucia Antonia a dû quitter le petit cirque fondé par son arrière-grand-père Alcibiade.

Comme suspendue entre deux mondes, entre le ciel et la terre, les vivants et les morts, dans les miroirs des salines, elle fait la rencontre d’Eugénie et Astrée, les réfugiées magnifiques, d’un garçon voilier, qui goûte le vin et tend le fil, et d’un artiste peintre, propriétaire de l’ancien moulin, qui semble vouloir ressusciter l’image brisée d’Arthénice…

Daniel Morvan nous offre un roman touché par la grâce, le roman des jumelles funambules où, comme au cirque, presque tout appartient à l’inquiète rêverie et au merveilleux. 
Un enchantement de lecture.

—

Voilà un roman tout court (129 pages) qui se lit presque dans un souffle, tendu comme un fil sous le poids d’une funambule. Une vision originale sur le monde du cirque, des acrobates et fildeféristes, sur ceux qui flirtent avec la mort. Le roman de Lucia Antonia, funambule dont le nom résonne des splendeurs et de la noblesse des empereurs romains, audacieuse artiste qui a perdu son double, Arthénice, sur un site grandiose, l’abîme de Bramabiau. Amputée de sa jumelle de spectacle, Lucia Antonia tente de redonner un sens à sa vie sur une presqu’île abandonnée, peuplée de salines et de réfugiés magnifiques, comme elle.

Ce roman est certes plein de grâce, comme l’écrit l’éditeur, il est même très raffiné. En de courts passaes, Lucia Antonia se souvient d’Arthénice et de leur apprivoisement réciproque, elle évoque les personnages originaux qu’elle croise dans son exil, elle tente de faire son deuil, de remonter sur le fil étroit et douloureux de la vie et du cirque sans Arthénice. Mais le raffinement du roman contient aussi deux défauts : les fragments éclatés de l’histoire de Lucia, entre passé et présent, demandent un effort au lecteur pour renouer les fils de cette histoire de cirque, d’amitié et de deuil. Et le tout manque un peu d’émotion. C’est du moins ce que j’ai ressenti début juillet quand j’ai lu ce livre. Peut-être vaut-il la peine d’être lu et relu, pour en savourer l’élégance. Son écriture poétique et tendue à la fois n’est pas le moindre de ses charmes.

« Je marche vers le couchant, en suivant les étroits sentiers du polder, et je pense à elle. Mes souvenirs me cuisent comme la plaie que font les cordages sur la peau nue. Je regarde les mûres, en espérant le moment où elles seront assez mûres. Je voudrais déjà les écraser sur ma peau, devenir noire et invisible parmi Eugénie et les siens. » (p. 21)

« L’art du cirque s’appuie sur l’observation des hommes en dehors du cirque. 

Comme un comédien, l’acrobate et le funambule doivent lire leur rôle dans la vraie vie. Mais leur art ne leur permet pas de le jouer avec naturel, comme si chacun empruntait un fil pour se rendre au travail. Ils ne doivent pas considérer que sur un câble, ou lancés entre deux trapèzes, ils expriment la chose la plus naturelle du monde. Ils doivent hésiter dans leur démarche. Ils doivent trembler. Ils doivent jouer de leur corps comme le fait un violoniste. 

Un funambule ne doit pas fixer un numéro avant d’avoir vu trembler son ombre sur les parois intérieures d’un chapiteau éclairé. » (p. 54)

« Mon ami Lucien dit que nous, acrobates, sommes des poètes car nous allégeons la vie. Il dit : chacun se figure que c’est le bonheur qui est attaché à nos voltiges. Et c’est vrai parce que je les retrouve, quand je te serre contre moi. 

Je lui dis que je suis honorée mais que non.

Il dit que notre art grandit l’homme parce qu’il lui fait lever la tête et admirer.

Je lui dis que dans l’église voisine aussi, les hommes lèvent la tête, puis la baissent, puis se signent. » (p. 58-59)

Daniel MORVAN, Lucia Antonia, funambule, Zulma, 22 août 2013

J’ai lu ce livre dans le cadre du jury Fnac de la Rentrée littéraire. Merci à la Fnac et aux éditions Zulma pour l’envoi de ce livre !

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Les Immortelles

27 samedi Juil 2013

Posted by anne7500 in Des Mots français

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Les Immortelles, Makenzy Orcel, Rentrée littéraire 2012, Zulma

Présentation de l’éditeur :

Les Immortelles, ce sont les prostituées de Port-au-Prince. L’une d’elles prend à parti l’inconnu monté la voir au bordel. Apprenant qu’il est écrivain, elle lui propose un marché : contre son corps, écrire l’histoire des putains défuntes, emportées par le séisme sous les décombres de béton. D’une surtout : la petite, la fugueuse Shakira venue sous son aile un jour dans la haine de sa bigote de mère. De la belle et orgueilleuse Shakira toute pénétrée d’une passion dévorante pour Jacques Stephen Alexis, l’immense écrivain qui fait battre le cœur d’Haïti. Shakira la révoltée devenue la plus convoitée des putains de la Grand-Rue.
Avec ce roman de feu, qui marie le Ciel et l’Enfer, la transgression par le sexe et la mort atteint à la plus authentique humanité, la plus bouleversante, celle qu’aucune morale ne contrefait.
Avec une liberté absolue de ton, Makenzy Orcel prête voix à tout un monde. « La petite. Elle le disait souvent. Les personnages dans les livres ne meurent jamais. Sont les maîtres du temps. »

—

Beaucoup de choses ont été écrites sur ce « petit » roman de la dernière rentrée littéraire (mes propres blablas me permettront d’afficher 4 % de cette rentrée 2012 au compteur, je ne suis pas mécontente de moi). En fait, il s’agit d’une relecture, car le livre a été sélectionné pour le Prix Premiière, mais quand je l’ai lu en janvier, je ne lui ai pas accoré de conditions assez favorables, je sentais qu’il fallait à nouveau me pencher sur lui. C’est chose faite.

Comme à la découverte, j’ai été happée par la voix rude, âpre, douloureuse de cette femme qui veut faire mémoire des Immortelles de Port-au-Prince, et surtout de Shakira, « la petite », titre qu’elle répète de manière presque incantatoire, comme des sorts de vaudou de l’île qui feraient revenir la jeune prostituée à force de parler d’elle. Cette douleur insoutenable liée à toutes ces morts du tremblement de terre, ce sentiment d’injustice terrible face au sort qui frappe parmi les plus pauvres trouve un exutoire dans les mots, dans la répétition, on sent la nécessité de parler pour que la tragédie soit vraiment appréhendée, pour qu’on parvienne à vivre avec. C’est ce qui explique sans doute la fin un peu abrupte : tout à coup, la narratrice semble avoir fait son devoir, avoir évoqué suffisamment Shakira et les autres putes de la Grand-Rue pour que leur mort lui apparaisse dans toute sa réalité.

Les mots, c’est aussi ce qui passionnait la petite, lectrice acharnée de l’écrivain haïtien Jacques Stephen Alexis. Et malgré l’agacement de la narratrice devant cet amour des livres, elle se sert de ces mots, elle paie l’écrivain de son corps puisque « les personnages dans les livres ne meurent jamais. » 

Comme à la première lecture aussi, j’ai été un peu perdue dans les voix qui s’élèvent dans ce récit. Il y a bien sûr la prostituée qui a recueilli Shakira, l’a initiée au métier, il y a aussi quelques extraits du carnet intime de la petite. Mais Shakira a fugué, a quitté sa mère, et elle a elle-même eu un enfant ; d’autre part, la narratrice semble avoir eu aussi une fille qui l’a quittée. Du coup, j’ai cru parfois que certaines pages étaient dites par la mère de Shakira. J’ai peut-être tort, et cela m’a moins perturbée que la première fois : il suffisait peut-être de se laisser porter par la (les) voix du roman, une manière peut-être pour l’auteur de nous chambouler un peu, oh si peu, comme le tremblement de terre qui a ravagé Haïti en 2010.

Son grand art aura été de nous faire entendre ces voix, de nous laisser toucher par ces femmes qui sont moins que rien mais assument fièrement leur métier. Les Immortelles est un grand roman oral, me semble-t-il, en tout cas j’ai adoré lire de nombreux passages à voix haute, pour entendre au plus près la douleur, la colère, la lassitude, le deuil des immortelles. Et leur soif de vie.

« Imagine un instant que le ciel est fait de béton. Que cette chose a duré une éternité. Que la terre ne peut plus arrêter de trembler. Que le soleil ne peut plus jamais se lever. Qu’on est les seuls habitants de la terre. » (p. 79)

Makenzy ORCEL, Les Immortelles, Zulma, 2012

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