Présentation de l’éditeur :
Sophia Cleves a proposé à son fils Art – avec qui elle entretient des relations plutôt distantes – de venir passer Noël dans sa grande maison en Cornouailles. A cette occasion, il était prévu qu’il lui présente sa petite amie Charlotte. Sauf que Charlotte rompt avec Art. Ce dernier ne voulant pas se désavouer devant sa mère, il propose à une jeune femme rencontrée à un arrêt de bus de jouer le rôle de Charlotte le temps des fêtes de fin d’année.
Une fois sur place, le faux couple se rend compte que la mère d’Art ne va pas bien. Son comportement est erratique, et elle semble confuse. Art appelle sa tante Iris au secours, bien que les deux femmes ne se soient pas parlé depuis trente ans. Un drôle de week-end commence alors : le souvenir d’autres fêtes de Noël surgit, la mémoire de l’enfance commune aussi, puis la brouille autour des choix idéologiques des deux sœurs refait surface. Car Sophia est une femme d’affaires à la retraite, alors que sa sœur Iris a consacré sa vie au militantisme politique et n’a renié aucune de ses convictions.
D’Ali Smith, j’ai déjà lu le premier roman de son cycle des saisons, Automne, dont je n’ai pas fait de compte-rendu ici. Hiver a un côté aussi atypique que Automne : les personnages sont décalés, à la marge, soit par l’âge et ses problèmes (Sophia, la mère d’Art), soit par les idées politiques (Iris, la tante et même la vraie Charlotte qui a rompu avec Art), soit par la nationalité et la nécessité de « passer sous les radars » (Lux, qui porte si bien son nom, la fausse Charlotte engagée par Art à un arrêt de bus). Art lui-même, qui semble tellement sûr de ce qu’il fait, de ce qu’il rédige, a un travail dans le monde virtuel dont on se demande s’il est bien utile (et bien réel). Iris et Sophia ne se sont pas parlé depuis trente ans, elles sont des conceptions du monde opposées, n’ont pas le même ressenti sur leur enfance et leur jeunesse. Art a des relations distantes avec sa mère : il l’appelle par son prénom, elle refuse de reconnaître à Iris une quelconque implication dans l’éducation de son fils qu’elle a pourtant négligé au profit de son business.
Entre aller-retour entre passé et présent, rallumage des braises sous les vieilles disputes, mensonges et non-dits, Sophia, Iris et Art réussissent cependant à renouer une relation improbable mais bien réelle, notamment grâce à Lux et à son bon sens imparable. La relation entre Art et la lumineuse jeune femme est un peu le miroir de l’éphémère relation entre Sophia et le père d’Art et la métaphore de la lumière se poursuit à travers divers épisodes du roman que je ne peux vous citer tous ici. Il est question d’essais nucléaires, de résistance, de manifestations, d’accueil des étrangers, d’hypocrisie, de Noël, d’enfance… encore une fois un étrange kaléidoscope entre rêve et réalité, qui m’a beaucoup plu (comme Automne, sur lequel j’avais déposé une mini-critique sur Babelio).
« Charlotte traversa la cuisine pour ouvrir le réfrigérateur.
On aurait dit le frigo de quelqu’un d’autre, un frigo de publicité, ou le frigo dans un reportage sur la vie quotidienne d’une famille. Il était rempli de nourriture dont l’éclat, la fraîcheur et l’abondance étaient choquantes.
Mon Dieu, dit Sophia. J’avais besoin de tout sauf ça. » (p. 119)
« Quels appareils ? demanda-t-il en remettant son carnet dans la poche de son sac à dos.
Les vieux appareils, dit-elle. Les appareils délaissés par les humains. Les gros ordinateurs d’il y a dix ans, non, cinq ans, voire de l’année dernière, toutes ces choses obsolètes, les imprimantes que personne ne parvient plus à connecter, les écrans pas plats, ces choses maintenant dépassées.
Art ressortit son carnet pour écrire. Puis il le referma, mais le gardait près de lui, au cas où Lux dirait autre chose d’intéressant ou d’utile.
J’aime me les représenter mentalement, avait-elle dit, j’aime les imaginer dans un champ avec des scientifiques qui font le tour de ces appareils pour étudier leur décomposition. » (p. 164)
« Mais lui et moi, n’étions pas faits pour aller ensemble.
Il croyait que c’était parce qu’il était trop vieux. Certes, il était bien plus vieux que moi, et par rapport à mon âge à l’époque, c’était un ancêtre. Il avait déjà plus de soixante ans. Même si maintenant, j’ai compris qu’avoir soixante ans, c’est comme avoir n’importe quel âge, comme avoir soixante-dix. On ne cesse jamais d’être soi-même de l’Intérieur, quel que soit l’âge que les gens vous attribuent de l’extérieur. » (p. 244)
Ali SMITH, Hiver, traduit de l’anglais par Laetitia Devaux, Grasset, 2021