la-malediction-des-colombes

Le dernier roman de Louise Erdrich paru en français commence par une  scène insoutenable : un bébé hurle, dans une pièce où monte l’odeur du sang frais ; un homme tente de réparer son fusil enrayé quand il remarque un gramophone, le met en route et semble se laisser bercer par un solo de violon.

A la suite de plusieurs personnages qui nous font entendre leur histoire personnelle, nous sommes ensuite entraînés autour de la ville de Pluto, dans une réserve indienne du Dakota du Nord : à la fin du 19e siècle, les colombes dévoraient sans cesse les récoltes, et c’est en participant à une procession pour les chasser définitivement que Mooshum avait rencontré la femme de sa vie. Bien des années plus tard, Evelina, la petite-fille de Mooshum, raconte la vie de cette réserve, elle découvre petit à petit l’histoire des Indiens, des métis, des colons qui ont peuplé cette terre et fondé cette ville. Mooshum lui parle de ce massacre d’une famille de fermiers, et du lynchage de quatre Indiens que les Blancs ont condamné dans une justice expéditive. Seraph Milk (Mooshum) a survécu à la pendaison…

Nous entendons aussi la voix du juge tribal Anton Bazil Coutts, qui épousera la tante d’Evelina ; il a sans doute fermé les yeux sur le lynchage, et on n’a jamais retrouvé le(s) vrai(s) coupable(s) du meurtre.

Marn Wold nous parle de son mari Billy Peace, charismatique fondateur d’une communauté qui ressemble étrangement à une secte.

Evelina, devenue étudiante, continue à reconstruire le secret du massacre et frôle les marges de la folie.

 

Difficile de résumer ce roman polyphonique, foisonnant, et pourtant limpide. (Une généalogie permet de comprendre les liens complexes qui unissent les personnages.) Encore une fois, j’ai apprécié un roman où chaque histoire dans l’histoire est la pièce d’un puzzle qui s’assemble et se construit pour nous faire découvrir qui est ce bébé qui a échappé au massacre initial et ce qu’il est devenu

Louise Erdrich possède un imaginaire riche, nourri des esprits indiens, de la vie rude des colons (elle est elle-même d’ascendance indienne par sa mère et d’origine allemande par son père, membre d’une famille d’émigrés aux USA). Elle sait nous enchanter de l’histoire du violon de Shamengwa (frère de Mooshum) et nous faire partager l’enfer d’une expédition de géomètres partis en plein hiver pour s’emparer de terres indiennes. C’est justement Pluton, le dieu des Enfers, qui a donné son nom à Pluto. Et de fait, on ne parvient pas à s’en échapper.

L’auteur nous parle d’une époque où Indiens et Blancs avaient réussi à s’entendre, avant de se métisser et de se déchirer. Elle nous parle de la perte, de l’attrait amoureux et du sang, elle nous berce de musique et de poésie. Tragique et humour se mêlent avec bonheur dans ce récit sensible et puissant.

 

Pour conclure je laisse la parole à Evelina :

« Quand nous sommes jeunes, les mots sont éparpillés autour de nous. Au fur et à mesure qu’ils sont assemblés par l’expérience, nous le sommes nous aussi, phrase par phrase, jusqu’à ce que l’histoire prenne forme. Je ne voulais pas partir. Je ne savais pas ce qui m’arriverait, de bon ou de mauvais, ni si je pourrais supporter l’un ou l’autre. Mais lorsque Corwin joua une mélodie sans paroles que mon oncle lui avait apprise, cela mit de la gaieté dans l’air. En m’éloignant, je continuai d’entendre cette musique. » (p. 414)

 

Louise ERDRICH, La malédiction des colombes, Albin Michel, 2010

 

1pourcent

 

Challenge 1 % Rentrée littéraire     2/7

(C’est un coup de coeur !)

 

 

 

 

 

 

 

 

Je le note aussi dans le challenge logo3pour les Etats-unis (Dakota) 4/50