D’abord, je tiens à remercier Griotte pour l’envoi de ce livre voyageur, qui a reçu le Goncourt des lycéens 2010. Je l’ai lu dans une période difficile, et sa beauté m’a aidée pendant quelques heures à traverser… Il faudra encore d’autres lectures aussi magiques pour continuer !
J’ai d’abord été attirée par ce titre mystérieux et balancé, et par cette magnifique couverture aux tons de bleus craquants. C’est mon premier roman de Mathias Enard (il paraît que Zone est différent et très bien).
De beauté, on pourrait dire qu’il en est forcément question puisque le héros s’appelle Michel-Ange… Mathias Enard s’est inspiré d’un fait historique réel, l’invitation de Michelangelo à la cour du sultan Bayazid à Istanbul, il a ensuite imaginé, senti, brodé, ciselé un court roman qui préserve le mystère de son titre. L’artiste a 30 ans, il a déjà sculpté la Pieta, le David, quand, en froid avec le pape Jules II, il répond à l’appel du sultan pour aller construire un pont sur les rives du Bosphore, un pont nourri de la vie de cette ville, elle-même trait jeté entre Orient et Occident, entre cultures hellénique, juive, ottomane.
Sur place, le sculpteur, le « Franc malodorant », est à la fois fasciné et rebuté par cette civilisation, il ne cesse de se promener, de se faire réciter des vers, de dessiner (« …le dessin, la blessure noire de l’encre, cette caresse crissant sur le grain du papier »). Il connaîtra le frémissement du désir, les tourbillons de la débauche, le souffle cruel de la trahison et de la désillusion…
Plus qu’un pont sur la Corne d’or, le livre nous parle de ponts entre Orient et Occident bien sûr, entre poésie et sculpture, entre un homme écrasé de mille soucis et une femme mystérieuse, entre Rome et Istanbul… D’une écriture ciselée, sensuelle, musicale, Mathias Enard nous entraîne des rives du Bosphore aux quartiers chauds de Constantinople, il nous fait participer à l’acte de création de l’artiste, pont jeté pour sublimer les chagrins, les déceptions, pour inventer son chemin d’artiste, pour laisser de soi une trace, parfois inattendue.
« Je ne cherche pas l’amour. Je cherche la consolation. Le réconfort pour tous ces pays que nous perdons depuis le ventre de notre mère et que nous remplaçons par des histoires, comme des enfants avides, face au conteur.
La vérité, c’est qu’il n’y a rien d’autre que la souffrance et que nous essayons d’oublier, dans des bras étrangers, que nous disparaîtrons bientôt. » (p. 110-111)
« Il leur faudra longtemps parler de batailles perdues, de rois oubliés, d’animaux disparus. De ce qui fut, de ce qui aurait pu être, pour que cela soit nouveau. Cette frontière que tu traces en te retournant, comme une ligne avec un bâton dans le sable, on l’effacera un jour ; un jour toi-même te laisseras aller au présent, même si c’est dans la mort.
Un jour tu reviendras. » (p. 128)
Mathias ENARD, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Actes Sud, 2010
Allez lire les avis enthousiastes, circonstanciés de Constance, de Voyelle et Consonne, de Françoise, …
Challenge Rentrée littéraire 2010 6/7
Commentaire n°1 posté par constance93 a dit:
très beau billet. les passages que tu as sélectionné sont très beaux. pour ma part j’ai eu besoin de 3 feuilles de note (recto-verso) pour noter tout ceux que j’avais apprécié. et, parce que je pense qu’appeler Michel-Ange Michelangelo plus bas et comme l’auteur l’appelle est intentionnel, j’ajoute que moi aussi j’ai été très sensible à l’utilisation du nom italien de l’artiste, terriblement plus poétique et donc plus en accord avec le reste du livre. au fait, tu savais qu’il n’avait pas cherché à en faire un roman poétique mais qu’il a juste répondu au « timbre » que le récit lui inspirait ? merci beaucoup d’avoir apprécié ce livre, et merci pour le lien.
Anne a dit:
Merci pour ce beau commentaire, Constance ! C’est vrai, je n’ai pas parlé des prénoms en français et en italien, cela m’a pourtant frappée. C’est magnifique, cette idée de « timbre », je suis très sensible au travail de la voix (je me suis d’ailleurs acheté « Fugue » d’Anne Delaflotte Mehdevi), j’aime le chant lyrique, l’opéra, les choers de la Renaissance. Je m’achèterai ce livre, désormais, ce serait bien de le relire sur un fond musical d’époque !
Commentaire n°2 posté par Voyelle et Consonne a dit:
Beau billet également! Merci pour le lien.
Anne a dit:
De rien ! J’apprécie vraiment votre blog, Voyelle et Consonne, et les idées de lecture contemporaine que vous n’hésitez pas à proposer à vos étudiants !
Commentaire n°3 posté par Kathel a dit:
Tu donnes particulièrement envie de le lire… Que tes lectures suivantes te soient aussi bénéfiques !
Anne a dit:
Merci, Kathel ! C’est un livre que je conseillerai souvent cette année, je crois !
Commentaire n°4 posté par Herisson08 a dit:
Je souhaite le lire depuis quelques temps déjà, j’attends qu’il soit disponible à la bibliothèque mais les avis successifs que je lis me donnent chaque fois un peu plus envie!
Anne a dit:
J’espère que tu le liras très vite et qu’il te plaira ! C’est « Purge » que je suis impatiente de lire maintenant (à la lecture des avis des autres également).
Commentaire n°5 posté par alinea a dit:
une belle lecture que j’aie beaucoup appréciée aussi.
Anne a dit:
Le plaisir des beaux textes ! As-tu lu « Zone » ? Je le lirai si je le trouve.
Commentaire n°6 posté par Ikebukuro a dit:
Je me tâte depuis un moment pour l’achat de ce roman car à chaque fois que je vais chez mon libraire la couverture et le titre m’interpellent. Ton billet me donne vraiment envie de le lire alors je le note dans ma liste au Père Noël.
Anne a dit:
J’espère qu’il ne t’oubliera pas, et que ce cadeau te comblera
Commentaire n°7 posté par Sara a dit:
Quel titre effectivement: j’adore ! Je le note dans ma PAL car l’histoire me fait envie.
Anne a dit:
Battaglie, re et elefanti : ce vers revient en italien (et en espagnol) dans le livre. A apprécier sans modération, Sara !
Commentaire n°8 posté par Griotte a dit:
Une même lecture et un ressenti bien différent ! Contente de te l’avoir fait découvrir !
Anne a dit:
Effectivement, c’était très différent aussi de « Passé sous silence » ! Encore un tout grand merci, Griotte !
Commentaire n°9 posté par Ellcrys a dit:
C’est un livre que j’ai remarqué à sa sortie et j’ai très envie de le lire. Tout comme toi, le titre, la couverture et l’histoire, bien sûr me font extrêmement envie.
Anne a dit:
Un livre de fête, une fête à lire !
Commentaire n°10 posté par Liliba a dit:
Un livre que je veux lire absolument !
Anne a dit:
Bienvenue sur ce blog, Liliba ! Je ne peux que te souhaiter beaucoup de bonheur dans cette lecture !
Commentaire n°11 posté par Liliba a dit:
J’ai découvert ton blog tout récemment, en regardant la carte de blog o book : nous sommes dans la même région ! Je reviendrai plus longuement, j’ai bien aimé tout ce que j’ai lu ici !
Anne a dit:
Génial ! A très bientôt donc (j’aime les chats aussi, tu le verras ici). Es-tu du côté belge ou Nord de la France ?
Commentaire n°12 posté par Liliba a dit:
Banlieue de Lille, à coté de Roubaix !
Anne a dit:
Et moi, Tournai !!