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« Ma famille incarne ce qu’elle a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence.

(…) Un jour je me suis levée et j’ai pensé qu’il fallait que j’écrive, dussé-je m’attacher à ma chaise, et que je continue de chercher, même dans la certitude de ne jamais trouver de réponse. Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. » (p. 48-49)

Ce livre a déjà, je crois, une notoriété certaine, il a été nommé dans des listes de prix prestigieux et a déjà obtenu le prix du roman Fnac, ses premières pages ont été publiées dans la revue Lire. Je ne vous ferai donc pas l’injure d’en faire un résumé, que vous avez sans doute déjà découvert ailleurs. Mon billet risque d’être décousu, envahi d’émotion(s)… vous voilà prévenus !

J’ai aimé ce livre… très fort, c’est un vrai coup de coeur. Un coup de coeur auquel je ne m’attendais pas, et cela me fait d’autant plus plaisir ! D’abord (je l’ai écrit en commentaire chez d’autres blogueuses), j’hésitais vraiment à le lire : cette part d’autofiction me retenait, me gênait (me faisait peur ?), j’étais même prête à critiquer ces auteurs français qui n’inventent pas d’histoire et se contemplent le nombril. Ensuite, fin septembre, j’étais presque en panne de lecture, à la recherche du temps pour lire, un peu engluée dans l’organisation de la rentrée. (Et j’étais un peu stressée aussi par rapport à la tenue du blog dans cette période chargée.) Aujourd’hui, je suis toujours un peu débordée, mais… j’ai lu des articles sur des blogs, j’ai écouté Delphine de Vigan sur Radio Classique (dans l’émission d’Olivier Bellamy, ici), j’ai écouté le conseil d’autres libraires lilloises (chez Tirloy), et je suis allée rencontrer l’auteur dans une (très) grande libairie lilloise (dont le nom commence par un F…, oui, oui), le 30 septembre.

L’interview, bien qu’intéressante, n’a pas apporté grand-chose de neuf par rapport à toutes ces étapes préparatoires. Elle m’a cependant permis de découvrir une Delphine de Vigan assez accessible et très ouverte aux questions (je la croyais plus froide…), une femme très belle (comme sa mère, Lucile, en photo sur la couverture du livre). Dans la file d’attente pour les dédicaces, j’ai commencé le bouquin, j’avais déjà lu 50 pages quand je suis arrivée devant elle et… j’étais déjà conquise, je l’ai remerciée très fort déjà de me permettre de me plonger dans un livre fort, et bien écrit. Et puis… j’ai dévoré le roman en quelques jours…

De fait, la famille de Lucile est une famille très romanesque avec ses personnages hauts en couleur, à commencer par Georges et Liane, les grands-parents, avec leurs nombreux enfants originaux, avec les drames qui ont marqué leur histoire. On sourit aux bonheurs maternels de Liane, on vibre à l’accident qui coûte la vie à Antonin. La belle et mystérieuse Lucile nous offre un refuge au milieu des exubérances et des fatigues de cette famille nombreuse, Mais ses angoisses se cristallisent déjà en certaines circonstances de la vie familiale et amicale.

Évidemment, bien plus tard, quand elle se marie et a des enfants (Delphine se met en mots et en enfance) et que ses troubles bipolaires commencent à se manifester, on est tétanisé par la crise de violence qui va entraîner son internement et l’éloignement des enfants. C’est une scène qui monte en puissance, qui est mise en place par l’auteur avec une tension insupportable. Et puis, avec la camisole chimique, nous allons être témoins des années « sourdes » de Lucile, qui heureusement trouvera un médecin qui entendra son désir de vie et permettra que son petit grain de folie se développe plus librement. Jusqu’à la phase finale de sa vie, et son désir de se donner la mort à son tour.

A ce moment-là du livre, j’ai sangloté, purement et simplement. Et pourtant, je me demande si ce qui m’a le plus touchée dans ce livre, ce n’est pas le travail d’écriture, le combat que se livre Delphine de Vigan à elle-même, qui ne peut rien écrire d’autre que sa mère, et qui se confronte non seulement aux souvenirs, à la recherche, aux autres membres de la famille (sa soeur, ses oncles et tantes) mais aussi aux mots : elle écoute et lit les mots des autres, elle s’interroge au cours de l’écriture, se demande sans cesse ce qu’il faut dire et taire, révèle l’effet toxique des silences, des non-dits. Et construit une oeuvre en forme de cri d’amour envers Lucile, dans une langue élégante, souple, qui ne laisse pas les émotions prendre le pas, et donc sonne juste et extrêmement sensible.

« J’écris Lucile avec mes yeux d’enfant grandie trop vite, j’écris ce mystère qu’elle a toujours été pour moi, à la fois si présente et si lointaine, elle qui, lorsque j’ai eu dix ans, ne m’a plus jamais prise dans ses bras. » (p. 187)

Un très, très, très beau livre (c’est pas original ce que je dis là), dont on ne sort pas écrasé (l’auteur a réussi à nous emmener jusque là, et a même parfois laissé la place au rire et à l’humour, même dans le tragique). Une belle surprise qui m’a cueillie au carrefour de l’intime et de l’écriture.

Delphine de VIGAN, Rien ne s’oppose à la nuit, JC Lattès, 2011

Les avis de Sophie, Clara et Mango

Il y aura sans doute d’autres avis chez Calypso puisque ce livre est ma première participation à son challenge « Un mot, un titre ». Le mot de cette session était « Nuit ». Et une autre participation au challenge de la Rentrée littéraire 2011.