Aujourd’hui c’est Marilyne qui a les clefs du blog (et j’espère bien qu’il y aura de nombreuses autres occasions 😉 )
Traduit de l’arabe ( Syrie ) par Fawaz Hussain
Editions Le Serpent à Plumes – Octobre 2015
Niroz Malek est un auteur syrien de parents kurdes né à Alep où il vit toujours. Après des études aux Beaux-arts, il se consacre à l’écriture. Plusieurs recueils de nouvelles et des romans ont été publiés et traduits. « Le Promeneur d’Alep » est la première traduction en français.
Quatrième de couverture : Le Promeneur d’Alep est le témoignage poétique et étourdissant d’un écrivain plongé dans la guerre. La voix de Niroz Malek nous parvient à travers les déflagrations et les rafales d’armes automatiques. Pourtant elle nous parle de choses simples, d’amis qui se retrouvent dans un café, de cœurs gravés dans les arbres, de promenades dans cette ancienne cité fabuleuse sur la Route de la Soie. Et du chaos qui guette derrière chaque bruit venu du ciel, devant chaque barrage hérissé de sentinelles.
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Ce livre est un recueil, des récits courts, d’une à trois pages, des récits au quotidien, des fragments et des moments de cette ville d’Alep.
Il s’agit d’un témoignage et il s’agit d’une fiction. Si le contexte est réaliste avec l’état de siège, la claustration régulière dans l’appartement, les coupures d’électricité, les bombardements, les barrages dans les rues, les explosions, les hommes armés cagoulés, les jardins nus et fermés, les bruits et les impacts de tirs, ces récits ne se préoccupent pas de géopolitique ni de considérations militaires ; certains de ces récits comme des lettres, à un ami ou pour « celle qui se trouve au loin ».
– « Elle n’a plus rien dit. J’ai senti ses larmes couler lentement de mes yeux. » –
« Je sais que mes lettres ne te parviennent pas. Pourtant, chaque soir, je t’en écris une nouvelle dans laquelle je te dis à quel point je me languis de toi. Le lendemain, je la dépose comme un gage précieux dans la main du facteur.
Il la prend avec respect et ferveur en ajoutant : « Prie pour moi afin que, lorsque j’arriverai au passage, le franc-tireur dorme encore après une longue nuit passée à faire le compte de ses victimes abattues. »
Puis il sourit et répète : « Prie pour moi. »
Je le vois s’éloigner à bicyclette sur cette route devant moi, et disparaître au loin dans le ciel. »
Niroz Malek nous parle, autant qu’il raconte, « de ce que le pays est devenu et du quotidien des gens. » ; il nous dit sa ville qu’il ne peut pas quitter :
« Est-ce pour sauver uniquement mon corps ? Tu sais que derrière moi, dans ce bureau, ce ne sont pas des livres, des bibelots et des photographies que je laisserais, mais mon âme. »
Et ce mot Promeneur dans le titre est paradoxalement parfait, malgré la violence, en titre de ce recueil. Niroz Malek promène son regard sensible et sa plume désenchantée dans les rues, dans les jours et dans les nuits de la ville ; dans ces jours qui ne sont plus ceux aux couleurs de Chagall, ces nuits qui ne sont plus celles des lumières de Van Gogh.
Le malaise et la tristesse, l’isolement et la solitude, les sentiments d’irréalité, d’absurde autant que de tragique sont prégnants. L’onirisme face à l’anéantissement rattrape les textes où se délitent l’amour, l’art et la poétique, les frontières entre la vie et la mort, entre les vivants et les morts. C’est l’absence omniprésente, les spectres des souvenirs d’enfance et les fantômes des disparus, les bannis, les exilés, les noyés, les prisonniers et les « mort en martyr ».
« Sortant de chez moi, j’ai marché lentement. En traversant la rue Al-Zouhour où j’habite, j’ai commencé à contempler les choses qui m’entouraient. Peu de gens circulaient dans les rues. La peur les taraudait et l’angoisse se lisait dans leurs yeux. Quant à la mort, elle passait parfois près d’eux, parfois s’en éloignait de quelques mètres. […] Devant le café Al-Ma’oued, Le Rendez-vous, j’ai vu les vitres des fenêtres brisées et les portes arrachées. J’ai fait un effort pour avancer jusqu’à la place Al-Jabiri, mais je n’ai pas réussi. Ce que je contemplais me lacérait le cœur. Alors, j’ai reculé d’un pas et demi-tour, marche ! Je suis rentré à la maison et j’ai essayé de me souvenir de mon bonheur quand j’étais cet enfant, le plus grand enfant perché sur les épaules de son père et qui assistait au défilé de la fête d’Indépendance, place Al-Jabiri. »
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Lecture partagée avec Moglug
Moglug a dit:
Tu as bien fait d’ajouter des extraits. Je n’ai pas su en choisir (et je n’ai pas pris le temps non plus). Ceux-là donnent une bonne idée du recueil.
Tu as aimé finalement ? Tu ne t’attardes pas trop sur ton ressenti personnel.
Et c’est vrai que « promeneur » est un titre tout à fait adapté au récit.
J’espère que nous retrouverons régulièrement ici ou ailleurs pour d’autres billets !
Merci à Anne de t’avoir accueillie ici ! 😀
Marilyne a dit:
Le mot » aimer » ne convient pas. J’ai été saisie par cette lecture. Et encore du paradoxal, malgré la douleur des mots, la lecture m’a semblé si fluide, les pages se tournaient toutes seules. Vraiment l’impression d’accompagner l’auteur, de passer un moment avec lui à l’écouter. J’ai trouvé ce livre » différent « . Alors ce que j’ai aimé, c’est cette approche, si forte dont tu parles dans ta chronique, cette façon » sans violence » de montrer la mort au quotidien, tant physique que psychologique. Et le fait aussi, que demeurant dans la ville, les exilés, ce que nous appelons » les migrants » soient présents, apparaissent dans ce recueil. Le rêve de la mer m’a bouleversée. Comme ses mots sur Chagall et Van Gogh, comme une passerelle. J’ai ressenti cette perte aussi, immense, comme un symbole.
Avec plaisir se retrouver pour d’autres lectures par ici. Anne m’a installé un confortable fauteuil près de la bibliothèque dans son salon 🙂
Moglug a dit:
Evidemment « aimer » n’est pas approprié, je te l’accorde. Le style est très fluide effectivement ; en revanche, lorsque j’avais lu deux ou trois récits, j’étais souvent obligée de poser le livre tellement les émotions transmises, le sentiment d’oppression ou d’abandon peuvent être forts… A un moment, j’ai vraiment cru que je ne pourrais pas finir le livre pour aujourd’hui, je le trouve assez difficile à assimiler malgré sa petite taille.
Marilyne a dit:
C’est certain, c’est pour ça que je te disais que je n’ai pas pu décider de le pépiter ou non, il me faut encore du temps…
anne7500 a dit:
Vous avez réussi toutes les deux à me donner envie de découvrir ce livre. Essayons d’abord de voir s’il n’est pas à la bibliothèque.
Marilyne a dit:
Nos billets se complètent bien… nous pouvons considérer que tu es maintenant une lectrice avertie 🙂
Nadège a dit:
Merci pour ce magnifique billet, Marilyne ! Ce livre m’attire depuis que nous l’avons reçu à la librairie. Ton billet me donne envie de m’y plonger. Mais peut-être pas tout de suite. En te lisant, je pensais aux échanges entre Kim Thuy et Pascal Janovjak, que j’avais trouvés forts et poignants, malgré la brièveté du livre.
Marilyne a dit:
Ah, quelle belle lecture tu cites. Grand souvenir que ce » A toi » de Kim Thuy et Pascal Janovjak.
Jerome a dit:
Noté depuis un article paru dans la presse (je ne sais plus chez qui). Comme d’habitude, tu sais trouver les mots pour me convaincre que je ne vais pas pouvoir faire l’impasse.
Marilyne a dit:
Merci de te laisser convaincre. Je ne doute pas de ta lecture ( en revanche, je te souhaite bonne chance si tu le chroniques, pas facile )
noukette a dit:
Voilà un billet qui donne envie… Contente de te lire Maryline 😉
Marilyne a dit:
Merci Dame Noukette. Je vais passer en mode récidiviste 😉