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Quatrième de couverture :
« Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics. »
Le drame familial d’un homme seul. Et des chats qui croisent sa route.
C’est Nadège (oui oui ma coloc du mois au Québec) qui m’a fait découvrir ce livre lors de la dernière Foire du livre à Bruxelles : un chat sur la couverture et des chats à l’intérieur, ça ne pouvait que m’attirer tout comme elle. Et puis j’ai entendu David Goudreault, en compagnie de Nicolas Dickner, Stéphane Larue et un quatrième dont j’ai oublié le nom, dans une rencontre du Festival America : quatre héros souffrant d’addictions diverses, quatre jeunes romanciers contemporains qui renouvellent vraiment le genre au Québec. Sachez aussi que David Goudreault est travailleur social mais aussi poète ; il anime des ateliers d’écriture dans des écoles et des prisons et il a remporté la Coupe du monde de slam à Paris. Lors du débat, parlant de son livre, il nous a prévenus : « la réalité dépasse la fiction ». Oufti, comme on dit à Liège (petite expression belge contre savoureux langage québécois) : je ne m’attendais pas à prendre pareille claque dans la figure !
La bête du titre, c’est le personnage principal qui nous raconte son histoire, dont nous ne connaîtrons jamais le nom : mère suicidaire, placé dans des familles d’accueil puis des centres fermés, très vite émancipé (à vrai dire pour se débarrasser de lui), il a appris sur le tas et est devenu un petit délinquant accro aux amphétamines et aux joints, au sexe (porno évidemment), masturbateur de compétition, avec un rapport… particulier aux animaux, entre autres exploits. Il ne manque pas de lettres (« c’est documenté »), il est sans cesse en train de chercher des coups (de plus en plus foireux) pour nourrir ses addictions (et se nourrir tout court) mais surtout il a gardé l’espoir de renouer avec sa mère. Il croit la retrouver à Sherbrooke, s’y installe, se fait engager à… la SPA et réfléchit à la meilleure manière d’approcher sa mère. « Les liens du sang sont plus forts que tout, c’est documenté. » (p. 71) De son point de vue personnel donc, nous assistons alors à ce qui est en réalité une descente aux enfers, alors qu’il se voit presque comme un bienfaiteur de l’humanité.
Il y a des pages de ce roman qui peuvent au minimum vous faire les yeux ronds, voire vous soulever de dégoût, et il me faut bien avouer que je me suis parfois demandé pourquoi je continuais à le lire. Mais comme je me souvenais de l’avertissement de l’auteur, je l’ai lu au trente-sixième degré, goûtant l’humour sans limite de David Goudreault et appréciant au passage la critique sociale que son personnage nous renvoie à la figure. Un personnage qu’on finit par trouver attachant, si si… Je suis curieuse de lire la suite c’est une trilogie), j’espère qu’elle monte en puissance.
« Je n’ai jamais aimé les familles d’accueil. Tout le monde disait croire en moi, mais personne ne croyait ce que je disais. Un paradoxe parmi tant d’autres. Évidemment, je mentais, mais tout le monde ment. Tout le temps. À soi, aux autres, au gouvernement et à je ne sais qui encore. Tout le monde le fait mais quand tu es pris en charge par l’État et que tu dépasses un certain quota, c’est cuit, on ne laisse plus rien passer. C’est un engrenage. Une menterie doit couvrir un mensonge qui couvrait une menterie, et finalement tu te retrouves avec une collection de couvertures, mais tu dors assez mal. De toute manière, même quand je disais la vérité, on ne m’écoutait pas. J’étais un malentendu. » (p. 19)
« Les diplômes, c’est juste bon à insuffler de l’estime aux sans-talent. C’est du bourrage de crâne aux frais du contribuable et puis c’est tout. Einstein n’a jamais fait de doctorat en relativité. Aucun grand auteur n’a étudié la littérature. Même les saints n’avaient pas de formation en théologie. Dans la vie, tu l’as ou tu l’as pas. Moi je l’ai. »
« Même le café goûtait le bonheur ce matin-là.Il est toujours meilleur dans un verre de carton. On n’a même pas à laver notre tasse, juste à savourer le café et à jeter le verre à la poubelle. Si, en plus, tu peux être assis dans un gros camion en fumant des cigarettes, c’est le rêve nord-américain. Et si tu es un homme et que tu es blanc, tu n’as plus qu’à rugir, c’est le rêve planétaire. » (p. 170)
« « Si la montagne ne vient pas à toi, va à la montagne » écrivait Laurence Darabie, une poétesse maghrébine. » (p. 181)
« Le soleil de midi est violent pour le peuple de l’ombre. Il faudrait noter cette réflexion, c’était un titre de recueil de poèmes, ça. Ca devrait être bien payant de publier de la poésie, c’est un genre noble. Ca devait aller chercher dans les six chiffres, un bon poète au Québec. Il devait aussi exister une grande fraternité entre les poètes, et plein de femmes qui veulent poser nues pour les inspirer. Oui, j’allais faire de la poésie, entre deux albums de rap. Avec les revenus des machines en plus, aucun doute, j’allais me faire des couilles en or et passer à l’histoire. Tant qu’à être au monde, autant le marquer. » (p. 208)
David GOUDREAULT, La bête à sa mère, Stanké, 2015
RDV Littérature contemporaine aujourd’hui
argali2 a dit:
Depuis le temps que j’en entends parler, il faudrait que je le lise.
anne7500 a dit:
Je serais curieuse de savoir ce que tu en penses 😉
litterama a dit:
C’est vraiment intéressant, et ça a l’air assez original, ah ces québécois !
anne7500 a dit:
Ca pour être original, c’est original !
A_girl_from_earth a dit:
Aaah je l’avais noté ce roman, le résumé me parlait bien et j’étais assez curieuse de cet auteur québécois du coup. Bon, à l’époque, ce livre n’était pas à la bib’ mais je viens de voir qu’il avait rejoint les rayons depuis. Chouette !
anne7500 a dit:
J’ai pensé à toi, je me suis dit que tu serais bonne cliente pour ce roman 😉 Il est édité par Philippe Rey en France, les deux autres suivront bientôt.
isallysun a dit:
Comment vous prononcez ça ce mot-là, voir si avec nos accents (en vrai, on en a pas^^), ça sonne pareil?
ça pique ma curiosité un peu ces citations, mais j’ai toujours de la difficulté avec l’humour noir/sarcastique, me laisserai-je tente un jour?
anne7500 a dit:
Ca se prononce comme ça s’écrit, avec l’accent de Liège en plus si tu veux 😉 Je me suis surprise moi-même à apprécier cet humour, je n’en suis pas très cliente non plus d’habitude.
isallysun a dit:
merci pour tes réponses
aifelle a dit:
Je l’ai aperçu au festival America, il a l’air drôlement sympa ; j’aurais aimé l’écouter en débat, mais on ne peut pas tout faire .. (et toi, j’aurais bien aimé t’apercevoir aussi 😉 ) Ceci dit, je ne suis pas sûre que j’aimerais le genre.
anne7500 a dit:
Il est en effet très sympa, David Goudreault mais de fait, je ne suis pas sûre que tu apprécies. Mais on ne sait jamais, après tout (si on m’avait dit ce que raconte vraiment le roman, je ne suis pas sûre que je l’aurais lu).
keisha a dit:
Heu je viens d’abandonner une lecture trop rude, alors là, je ne sais pas…
anne7500 a dit:
Le fond est noir mais la forme est très légère. A toi de voir 😉
kathel a dit:
Cela semble très noir tout de même, je ne suis pas sûre d’adhérer à cet humour…
anne7500 a dit:
Lis ma réponse à Aifelle : on ne sait jamais… 😉
dominiqueivredelivres a dit:
il y a vraiment plein de choses à découvrir dans cette littérature
anne7500 a dit:
C’est vraiment intéressant de voir le renouvellement du roman québécois, il n’y a pas que les classiques ou les romans qui mettent la nature au centre de l’intrigue.
Marilyne a dit:
Mazette, c’est tout un poème celui ci ! Je débarque complètement, je ne connaissais pas le nom de l’auteur. J’apprécie les extraits mais je crains un peu le glauque.
( alors, comme ça, tu t’embarques dans une trilogie :))
anne7500 a dit:
Tout un poème, c’est tout à fait ça ! Si tu veux tester tu n’as qu’un mot à dire (et non, je ne lirai pas tout de suite les deux autres mais je les ai déjà, c’était mon premier craquage au Festival America pour les avoir tous les trois en édition du Québec).
Venise a dit:
Moi, ce que je n’ai pas clairement compris est si tu as le goût de lire les deux autres (???) … Tu m’as rappelé mes premières émotions (vives) voici 2-3 ans, et puis, je me souviens que lecture faisant, ça s’estompait. Cependant, l’empreinte perdure. Le deuxième et le troisième, j’étais habituée ! C’est dire jusqu’à quel point l’être humain, si on lui en donne la chance en ouvrant les vannes (pas les veines, attention !) peut aller loin dans l’adaptation. Ce qui m’a aidé et de ne jamais oublié mais alors là jamais, l’écrivain derrière le personnage.
L’écrivain, parlons-en. Quel homme ! Il arrive à passer son message avec aucun soupçon de moral (je l’ai déjà entendu et rencontré dans une causerie) et dieu sait qu’il a dû en entendre quand il était travailleur social. Il ne l’est plus, et c’est tant mieux pour lui, car il fait ce dont il raffole : créer. Il dit et écrit des chroniques, il promène sa verve et son savoir-faire un peu partout sur la planète.
N’empêche que c’est vrai qu’il faut attacher sa tuque quand on commence cette trilogie (il se vend en brique, contenant les trois) parce que oui, ça déménage !
anne7500 a dit:
Oh mais oui j’ai envie de lire la suite, rassure-toi ! J’ai beaucoup aimé cette rencontre avec ces quatre auteurs pleins d’humour. Le quatrième, c’était Morrissette, c’est possible ? qui écrit en anglais, est traduit et publié au Boréal.
Enna a dit:
J’avais beaucoup aimé, ça m’avait fait rire 😉 Mais j’avais quand même commencé mon billet comme ça : « Alors attention, âmes sensible soyez prêtes, car ce roman est loin d’être tendre! Il est trash et glauque et noir mais en même temps, ce cynisme est souvent drôle (humour noir, hein!) et aussi plutôt triste au fond car c’est un constat d’échec de notre société. » 😉
anne7500 a dit:
On est tout à fait raccord 😉
eimelle a dit:
ça a l’air très noir quand même…à voir à l’occasion!
anne7500 a dit:
Noir mais léger, je me répète 😉 Mais je comprends très bien que ça ne fasse pas envie.
Nadège a dit:
« Un personnage qu’on finit par trouver attachant, si si… » On en viendrait presque à douter de son propre état mental à se sentir touché à ce point par un tel psychopathe 😀
J’ai enchaîné les trois – à chaque fois en me demandant si vraiment j’avais envie de m’enfoncer un peu plus avec ce type dans la noirceur et le glauque… et étonnamment incapable d’y renoncer après avoir lu quelques lignes supplémentaires. Et c’est là qu’on fait l’expérience de l’addiction : on voudrait arrêter ou en tout cas, on n’est pas certain que ce soit une bonne idée de continuer, mais c’est plus fort que soi !
Ce qui est fascinant, c’est de voir à quel point on parvient – tout en gardant un minimum d’esprit critique – à voir les choses du point de vue du personnage et à pénétrer, voire comprendre, sa logique (tant qu’on ne parvient pas à l’accepter, on n’est pas tout à fait perdu !).
David Goudreault parvient à nous faire rire des pires horreurs et à nous faire éprouver de la tendresse pour ce personnage dans les pires situations. C’est assez impressionnant !
anne7500 a dit:
Pour le moment je n’ai pas le temps de lire la suite. J’adore ton analyse de l’addiction ! 😉
Venise a dit:
J’ai lu la trilogie. Aux premiers chapitres, je croyais que mon coeur ne tiendrait pas le coup. Surtout la souffrance des animaux, c’est fou, ça me harassait. Et puis, hop, je suis entré dans le sens que prenait tout ça. Ce n’était pas gratuit. J’ai aimé. Je me suis immunisé contre la cruauté et suis entré de plein fouet dans le sens social, la critique de notre bonne vieille société et ses moeurs parfois dépravés et pas toujours du côté de la clôture que l’on suspecte.
Finalement, as-tu eu l’occasion d’avoir sous la main tome 2 et 3 ?