Michèle a toujours pensé, intuité, qu’un jour elle vivrait au complexe Rockhill ; ces tours qui la faisaient rêver, enfant. Quand son amie Brigitte lui propose de sous-louer l’appartement de sa tante, elle n’hésite pas une seconde : c’est là qu’elle écrira son prochain roman.

Alors qu’elle s’apprête à sortir du bus qui l’emmène au Rockhill, Michèle reçoit un appel de sa mère. Celle-ci après moult digressions lui dévoile le verdict de son dernier rendez-vous médical. Le médecin lui a prescrit de poursuive son rêve : travailler dans le Grand Nord.

Retraitée depuis cinq ans, Monique ne se résout pas à une vie de patachon. Ni une ni deux, elle s’équipe et accompagnée de son « petit poulet, Oscar », elle s’envole pour Puvirnituq pour y endosser la casquette de conseillère clinique de la DPJ au grand dam de sa fille.

A distance, mère et fille s’appellent, se « courriellent » et, d’anecdotes en souvenirs maternels, Michèle se prend à imaginer un nouveau roman, consacré à celle qui l’a mise au monde et qui, à 70 ans « porte encore en elle un espace de possibles et de mondes non imaginés. […] n’a pas le dos courbé. […] marche penchée vers l’autre, enceinte d’elle-même ».

Il y a de la tendresse, une forme de pudeur, de l’agacement, parfois, souvent. Des questions sans réponse, des réponses sans question. Des petits pas l’une vers l’autre et des volte-faces douloureuses. Une soif immense de Michèle, avide de découvrir cette femme si étonnante dont elle est issue. Un amour immense de part et d’autre qui se dit maladroitement parce qu’il n’est pas toujours simple de se dire l’amour et l’admiration de mère à fille, de fille à mère. Parce que « les mères ont ce don de prendre notre cœur en otage quoi qu’elles fassent ».

J’ai commencé ce roman avec envie, enthousiasme, impatience. Et puis, après quelques pages, un temps de flottement s’est installé avant que je prenne conscience que ce texte était comme un thé qui infuse doucement, dont les arômes éclosent lentement et qui, progressivement, à petites gorgées, vous réchauffent l’âme et le cœur. Parce qu’il n’y a pas besoin d’avoir une mère retraitée partie jouer les Inuites pour se retrouver dans cette histoire, pour lire dans le récit de Michèle Plomer les chemins et les détours empruntés par toute mère et toute fille pour se rencontrer… et se séparer aussi : combien d’efforts faisons-nous pour effacer les ressemblances avant de nous rendre compte que nous reproduisons les mêmes gestes, que nous manifestons un même trait de caractère ? … et à quel point craignons-nous la distance, voire la séparation ultime ?

 C’est ridicule à mon âge de pleurer pour sa mère.

-Au contraire. Je vis dans la terreur de perdre la mienne depuis l’instant de ma naissance, même si elle me rend dingue la moitié du temps, admet Ludmilla.

-A présent, avec sa démence, la vie de ta mère tire indubitablement à sa fin. Es-tu capable d’imaginer comment tu vivras sans elle ?

-Maintenant, non. A l’instant où elle partira, oui… je sens que je saurai faire. En tout cas, je saurai encore me tenir debout, c’est au moins ça.

-Et comment respirer.

-Ça aussi.

 (p. 197)

Habiller le cœur, Michèle Plomer, Marchand de Feuilles