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Quatrième de couverture :

Le Mans, 29 septembre 1933. Maître Germaine Brière prononce les derniers mots de sa plaidoirie. Sur le banc des accusés, les sœurs Papin, les deux bonnes qui ont tué leurs patronnes. Il est minuit passé, les jurés rejoignent la salle des délibérations. Dans le palais désert, Germaine attend le verdict. Elle espère être l’avocate qui aura sauvé les domestiques assassines, et non celle qui a échoué face à une justice d’hommes et de notables. Au cœur d’un fait divers n’ayant jamais cessé de fasciner, Julia Minkowski brosse, dans un premier roman puissant, le portrait d’une femme libre et révoltée, et nous plonge avec maestria dans la psyché de sa consœur, figure oubliée de l’histoire.

Sans le jury du Livre de poche, je ne serais jamais allée vers ce livre, premier roman d’une avocate qui nous intéresse dès les premières pages à maître Germaine Brière, avocate au barreau du Mans dans la Sarthe, à l’heure où les jurés se retirent pour délibérer sur le sort des soeurs Papin, qui ont assassiné leurs patronnes de façon assez sordide (et sidérante). Germaine défend Christine, l’aînée, elle a fait appel à un confrère pour défendre la plus jeune, Léa, sans doute sous la coupe de son aînée. Les circonstances exactes du double meurtre n’ont jamais pu être clairement établies, les soeurs changeant de version, et surtout certains devoirs d’enquête ayant été négligés par une justice essentiellement masculine. Faut-il le préciser, nous sommes en 1933 et Germaine a dû se battre pour obtenir son accréditation au barreau manceau. Fille unique, soutenue par ses parents en tous points, Germaine n’a pas été élevée pour se marier et avoir des enfants, elle a passé son bac et a donc fait des études de droit. Depuis qu’elle est indépendante, elle s’est fait une spécialité de défendre les ouvriers, les paysans, les pauvres de sa région et ce n’est pas la première fois qu’elle plaide en cour d’assises et que son client risque la peine de mort.

La grande force de ce roman, c’est que le récit passe sans cesse du présent – les quelque quarante minutes (quarante minutes seulement) où le jury délibère et où Germaine attend – au passé qu’elle se remémore, qui retrace son enfance, ses études, ses plaidoiries, sa vie privée et bien sûr, le crime qui l’occupe : les expertises médicales des soeurs Papin, son espoir d’obtenir une contre-expertise fondée sur la psychanalyse, sa révolte contre cette justice masculine et bourgeoise qui, peut-être dans sa peur de subir le même sort que les dames Lancelin (la mère et la fille patronnes des soeurs), refuse d’envisager l’affaire comme un cas particulier d’aliénation.

Rythme, construction, thèmes : j’ai tout aimé dans ce roman ! Il y est question du métier d’avocat à travers un personnage bien réel et passionnant, de la peine de mort, d’un crime sidérant, de féminisme, d’amours, le tout en 185 pages ramassées, écrites dans un beau style classique, adapté à l’époque et aux circonstances. Une réussite ! Une très belle découverte qui me donne envie de lire L’avocat était une femme le livre écrit par Julia Minkowski avec Lisa Vignoli.

« Les jurés auraient-ils davantage acheté la revanche sociale que la démence ? Dès le départ, Germaine avait considéré cette pente bien trop abrupte pour s’y attaquer. Y donner un quelconque crédit revenait à abandonner pour toujours la thèse de la folie. Si les sœurs Papin avaient un mobile, qu’il fût social ou passionnel, alors elles avaient tué délibérément et la sauvagerie de leur forfait exclurait tout appel à la clémence. Ce serait l’échafaud pour Christine et Léa. Bien sûr, en suivant cette piste, elle aurait obtenu les faveurs de la presse, les hourras des communistes, et une merveilleuse tribune politique au procès. Toutefois, l’efficacité de l’avocat ne tenait pas au panache, mais à la lucidité. Et à l’humilité. Pas question de sacrifier ces deux pauvres bougresses sur l’autel de la lutte sociale. Sa mission était de sauver leur tête. Ni plus ni moins.« 

« Tous avaient peur. Non pas des sœurs Papin. bien au froid dans leurs étroites cellules de la prison des femmes, mais de leurs propres domestiques. Cette affaire avait révélé aux nantis que leur pire ennemi logeait dans leur demeure. »

« À compter de ce jour, on avait vu Me Germaine Brière sillonner fièrement la Sarthe au volant de la Citroën. De tribunal en tribunal, elle plaidait les petites affaires civiles et commerciales, correctionnelles et criminelles, de cette clientèle insolite. Familière des bureaux des greffes et des parloirs de la prison, elle était devenue incontournable. Dans leurs dépêches, les échotiers locaux soulignaient toujours le talent dont elle faisait montre dans ses plaidoiries. Avec deux ou trois autres, dont Félix, devenu premier adjoint au maire, elle comptait désormais parmi les personnalités du barreau.
Le bâtonnier Simon devait se retourner dans sa tombe, Il était mort un dimanche, étouffé par un morceau de gigot avalé de travers dans une brasserie, deux ans après avoir exigé, devant la cour d’appel d’Angers, que Germaine produise un certificat de virginité pour prouver sa bonne moralité. »

Julia MINKOWSKI, Par-delà l’attente, Le Livre de poche, 2024 (Jean-Claude Lattès, 2022)

Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Février 2024