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Toute passion abolie

Quatrième de couverture :

Le jour même de la mort de son mari Henry Holland, comte de Slane, lady Slane décide de vivre enfin sa vie. Elle a quatre-vingt-huit ans. Lady Slane surprend alors son entourage en se retirant à Hampstead. Dans sa nouvelle demeure, toute passion abolie par l’âge et le choix du détachement, lady Slane se sent libre enfin de se souvenir et de rêver…

Deux livres de poche aux couvertures redessinées par Christian Lacroix traînaient depuis plusieurs mois dans ma PAL. Le premier y restera peut-être encore… longtemps, mais un voyage d’un jour en Angleterre (patience, je vais vous en parler aussi !) m’a donné l’occasion de sortir celui-ci de son oubli. Et voilà, j’ai découvert une nouvelle romancière anglaise, qui, je le sens, va m’accompagner désormais, car je n’en resterai pas à ce premier titre.

Toute passion abolie, c’est l’histoire d’une vieille dame, une lady anglaise dont l’illustrissime mari a été Premier ministre et Vice-roi des Indes. Son existence dorée a été couronnée par la naissance de six enfants dont les quatre aînés s’efforcent de suivre les traces et le rang de leur père, tandis qe les deux plus jeunes semblent un peu plus fantasques. Oh une originalité qui ne se fait pas remarquer, cela ne se fait pas dans ce milieu chic et feutré.

Et voilà qu’à la mort de Lord Henry, Lady Slane, qui s’est toujours montrée une femme réservée,  parfaite maîtresse de maison, merveilleusement accordée à son mari, refuse les propositions plus ou moins bien intentionnées de ses enfants et décide d’aller vivre seule, avec sa fidèle femme de chambre française, à Hampstead. Elle va y retrouver une petite maison qui semble faite pour elle, où elle pourra finir sa vie tranquillement. Elle pourra apprivoiser ce corps qui vieillit et contempler les jours enfuis avec sérénité.

Le propriétaire de la maison, Mr Bucktrout, l’entrepreneur qui arrange la maison, Mr Gosheron, ont deviné que la vieille dame si parfaite cache une passion ancienne, qui va doucement remonter à la surface. Et dans cette retraite qu’elle espérait tranquille, Lady Slane n’est pas au bout de ses surprises… Mais je ne vous en dirai pas plus, à vous de le découvrir si vous le désirez…

Vita Sackville-West, c’est le chic anglais dans toute sa splendeur, une élégance morale doublée d’une finesse d’observation pleine d’humour (voire même d’un brin de férocité). Dans ce roman paru en 1931, cette femme, qui revendiqua elle-même de mener une vie libre, trace le portrait d’une femme dont les aspirations personnelles ont été effacées au profit d’une vie d’épouse et de mère. A l’époque de Lady Slane, on ne souciait même pas de savoir si les jeunes filles envisageaient autre chose que le mariage, il fallait obéir à ses parents et entrer dans le moule. Cela assurait la pérennité de cette haute société anglaise, que personne, et certainement pas les hommes, ne remettait en cause.

Attention, le roman n’est pas un brûlot féministe, tout se fait avec grâce et distinction, et Lady Slane elle-même trouve très vite les codes pour tenir son rang dans cette société. Non, la magie de ce livre tient dans le portrait de cette femme marquée par le grand âge, qui se souvient de sa jeunesse et trouve encore à s’épanouir à quatre-vingt huit ans… et dans le raffinement extrême avec lequel Vita Sackville-West trace son chemin, ses rêves, sa féminité. Quelques vieux messieurs un rien excentriques viennent compléter avec bonheur ce tableau.

Un petit bijou de délicatesse, de chic anglais, empreint de nostalgie et de liberté retrouvée.

« Ceci expliquait sans doute le trouble dans lequel se trouvait FitzGeorge en attendant Kay. Mal à l’aise et agacé, il sentait qu’il devait faire allusion au deuil survenu chez les Holland, mais leur commune discrétion sur toute question personnelle l’en empêchait. D’ailleurs Kay le contrariait. C’était irresponsable de sa part d’avoir perdu son père, et de ne pas avoir annulé son rendez-vous. En même temps, pour M. Fitzgeorge, rien n’était plus impardonnable que d’annuler un rendez-vous. Définitivement contrarié, il attendait l’arrivée de Kay en tapotant la vitre du Boodle. Il dirait quelques mots. Soit. Et tout de suite serait le mieux. Puis on parlerait d’autre chose. Mais si, en plus, Kay était en retard ? En trente ans, cela ne lui était jamais arrivé. Jamais. Il ne s’était jamais décommandé non plus. M. Fitzgeorge sortit un oignon en argent payé trois sous et consulta l’heure. Huit heures dix-sept. Il vérifia l’horloge de St James’s Palace. Kay était donc en retard. Deux bonnes minutes. Mais le voilà qui sortait de son taxi. » (p. 32)

« Assise au soleil d’Hampstead dans l’été finissant, appuyée contre le mur du sud orné de pêches mûres, les mains inoccupées, elle se souvint du jour lointain de ses fiançailles avec Henry. Inlassablement désormais, elle prenait le temps de pénétrer jusqu’au coeur même de sa vie, comme on parcourt l’immensité d’une campagne qui devient ainsi un vaste paysage et non plus une mosaïque de champs, d’années et de jours, pouvant dès lors en saisir l’unicité, en avoir une vue d’ensemble, et peut-être même s rapprocher à son gré d’un des champs, le parcourir en pensée pas à pas, tout en continuant à l’observer de haut, ainsi réintégré dans la totalité des lieux, avec son contour exact dessiné par une haie, et une ouverture permettant de se glisser dans le champ voisin. Le temps était enfin venu de refermer un à un les cercles de sa vie. Lentement elle traversa ce jour, comme on avance dans un étroit sentier d’herbe, avec de l’oseille et des boutons d’or qui ondulent au bord du chemin. Elle ne cessa de le retraverser, du petit déjeuner jusqu’au soir, et à mesure que les aiguilles progressaient sur l’horloge, chaque heure semblait ainsi retrouver son existence propre. » (p. 105-106)

Vita SACKVILLE-WEST, Toute honte abolie, traduit de l’anglais par Micha Venaille, Editions Autrement, 2005 (et cette édition au Livre de poche, en 2010)

L’avis de Valou

Si j’ai lu ce livre (que je place dans le challenge de littérature anglaise), c’est parce que je suis allée visiter les jardins de Vita Sackville-West à Sissinghurst (Kent). Un éblouissement… J’en parlerai à propos du prochain livre qui sera chroniqué ici, mais voici déjà l’une ou l’autre photo qui vous prouvera, s’il en est besoin, le raffinement de la maîtresse des lieux et de son mari, Harold Nicolson…

 

(A l’arrière-plan, la tour où Vita écrivait)

 

 (Dans le domaine du jardin, The Priest’s House. Peut-être a-t-elle inspiré la maison de Hampstead…)