Petit bilan personnel en cette fin de mois belge et je me rends compte qu’un fil rouge a traversé mes lectures et que je suis revenue inconsciemment à mes thèmes de prédilection en littérature : la mère maladroite, adoptive, protectrice, vénérée, envolée, femme… ; le deuil et l’absence de la mère, du père, de l’amant, de l’amoureuse, des relations, des souvenirs, du passé… ; la question du langage, des mots et du silence. Alors, c’est naturellement que je clos ce mois belge avec un dernier départ, un dernier message à l’absent si présent, et avec un poète, amoureux des mots : Mon Père/La Nuit s’achève

Le 26 décembre 2008, Nicolas Crousse – principalement connu pour ses activités de journaliste et de critique cinéma – conduit son père à l’aéroport. Celui-ci part rejoindre son autre fils, Etienne, à Bujumbura. Le 31 décembre le téléphone sonne. Et le temps s’immobilise. Nicolas Crousse, alors aux prises avec un roman dont il ne parvient pas à venir à bout, ressent l’ « irrépressible besoin de lui écrire ». D’écrire à ce père tout ce qu’il n’a pu lui dire, « cet amour inconditionnel [qu’il] lui portait ». Ces lettres sont des bijoux que je vous invite vraiment à découvrir. Et, comme je ne pourrais rien dire de plus qui soit à la hauteur de ces textes, en voici un extrait :

Ce sont les détails qui font pleurer. Un texte distraitement lu de ton vivant m’arrache aujourd’hui des larmes. Qui redoublent quand je repense à la dernière image que je garde de toi vivant. C’était le vendredi 26 décembre, au petit matin. Je t’avais conduit à l’aéroport. Déposé avec tes grandes valises pressentant l’Afrique. Puis, nous avons parlé quelques minutes. Je m’apprêtais à partir et à t’embrasser quand, ô surprise, toi le pudique, toi le mal assuré, tu m’avais attrapé par le cou et serré dans les bras.

J’en fus un instant chamboulé, stupéfait, retourné. Durant une seconde, j’hésitai à te rendre cette soudaine manifestation d’amour. J’allais te prendre dans les bras. Te serrer contre mon cœur. Mais je n’en fis rien.

Je ne savais pas. Ne savais pas qu’il t’arrivait de mourir. Je te croyais au-dessus de tout cela.

La seconde partie de l’ouvrage est une anthologie de poème de Jean-Louis Crousse, repris sous le titre La nuit s’achève. J’aurais envie d’en citer plusieurs, mais je n’en retranscrirai qu’un :

C’était un mutant

C’était un mutant

venu des pays gris perle   des pays

d’étangs   de nuances   d’herbes   où même le cri

s’ombre   se défait en équivalences   en venelles

de nostalgies   en morts

un rien lentes   Il s’y plaisait   Mais

il était un mutant   Et soudain découvrait

des crépuscules

qui se renversent en aurores

en rivières éclatées dans des bruyères

d’été   Il ongeait d’anciens remparts

sous le soleil

pareils

aux plants des oliviers   Il remontait le cours des eaux

Il démontait le fil des ans   C’était

un enfant qui cherchait Dieu sait

quel secret   Ecartelant

doucement les défenses des vieilles forêts

sur des lointains

enfin proches   Et puis là   le dos à la roche

il s’endormait   comme rêvant   Et méditait

C’était un mutant

venu des pays gris perle

des pays d’étangs

Nicolas CROUSSE, Mon père et Jean-Louis CROUSSE, La nuit s’achève, Le Somnambule équivoque, 2009

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