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Quatrième e couverture :

Cette année, les quatre enfants de Rosaleen Madigan retournent fêter Noël en Irlande, dans la maison de leur enfance. Ce sera la dernière fois. Leur mère, veuve depuis quelques années, a décidé de la vendre.
Constance, l’aînée, arrive avec les courses et toute sa famille. Dan rentre de Toronto, sans son copain Ludo, dont il vient pourtant d’accepter la demande en mariage. Leur cadet, Emmet, qui coordonne des opérations humanitaires, traîne un chagrin d’amour. Et la benjamine, Hanna, actrice à la capitale, apporte ses doutes et ses joies face à sa maternité toute récente.
Anne Enright examine cette réunion familiale et le passé de la fratrie avec une formidable acuité psychologique et son franc-parler réjouissant. Elle insuffle dans son roman une profonde empathie pour ces êtres qui négocient chacun un tournant délicat de la vie.

Amateurs d’action et de suspense, passez votre chemin. Par contre, si vous aimez les romans d’atmosphère, si vous aimez la verte Irlande, les études psychologiques, les histoires de famille, ce roman est fait pour vous.

Je découvre l’univers d’Anne Enright avec ce roman dont le titre original est The Green Road, Le chemin vert, qui était peut-être moins attirant en français mais qui représente un peu plus le livre et une de ses héroïnes, Rosaleen, la mère de famille. Au fil des chapitres qui s’intéressent chacun à leur tour à un de ses quatre enfants, à des périodes différents de leur vie, on apprend à connaître cette femme, cette mère devenue veuve et qui est restée attachée à sa maison, ne voyageant jamais, n’entretenant que des contacts épisodiques avec ses enfants, sauf avec Constance, celle qui habite près de chez elle et qui gère sa famille et l’attention à sa mère âgée. On se rend compte que chacun des enfants a du mal à trouver ou à prendre sa place dans sa vie adulte. Est-ce dû à Rosaleen, peut-on qualifier cette mère de toxique ? Ce n’est pas évident, elle semble si tranquille dans sa maison qui vieillit avec elle, elle paraît tellement comprendre de l’intérieur chacun de ses enfants..

En tout cas, Anne Enright dresse de chacun, à travers son destin individuel, un portrait psychologique plein de finesse. Et c’est infiniment touchant. Dan, qui voulait devenir prêtre, a vécu à New York au début des années 1990 alors que le sida faisait encore rage, et il a du mal à nouer une relation solide. Emmett tente de lutter contre la faim dans le monde dans un poste humanitaire et ne parvient pas à exprimer ses sentiments intimes. Constance semble la plus heureuse, mariée, trois enfants, un mari qui lui offre une belle aisance matérielle, mais on la sent submergée par cette famille à qui elle ne sait pas dire non. Hanna, la plus jeune, peine à vivre de son métier d’actrice. Elle est alcoolique et fragilisée par sa maternité toute récente. On sent que les quatre ont une certaine familiarité avec la mort, ou tout au moins qu’ils ont une conscience aiguë que l’on meurt un jour, dans leur vie quotidienne mais aussi dans le souvenir de leur père, mort d’un cancer. Ce qui les relie aussi, c’est la maison familiale dans la lande irlandaise et c’est au moment où leur mère veut la vendre qu’il se passe quelque chose de marquant dans leur vie. Le dernier repas de Noël qu’ils vont y vivre cristallise leurs peines, leurs souvenirs, leur mal être secret et révèle à nos yeux de lecteurs les liens qui unissent inconsciemment la fratrie Madigan. En filigrane, au cours d’un épisode nocturne sur la lande, on comprend aussi que Rosaleen a sans doute été davantage épouse que mère et que cela explique bien des choses.

« Et Dan avait oublié un instant qu’il était un prêtre raté avec une licence en littérature anglaise se préparant à rentrer au pays, après son année à l’étranger, pour y passer un diplôme de bibliothécaire. Il avait oublié qu’il était un vendeur de chaussures, ou un barman, ou même un immigrant. Pendant un instant, Dan avait été un espace ouvert qu’entourait un avenir différent de celui avec lequel il avait franchi la porte. » (p. 63)

« Ils n’étaient pas insensibles à l’humour de la situation, au fait que chacun de ses enfants appelait une femme différente. Ils ne savaient pas qui elle était – leur mère, Rosaleen Madigan – et ils n’avaient pas besoin de le savoir. C’était une femme âgée qui avait désespérément besoin de leur aide et qui, alors même que son absence grandissait au point d’occuper tout le versant glacé de la montagne, rapetissait, n’avait plus que la taille d’un être humain – de n’importe quel être humain – frêle, mortel, vieux. »

Anne ENRIGHT, L’herbe maudite, traduit de l’anglais (Irlande) par Isabelle Reinharez, Acts Sud, 2017

Actes Sud a quarante ans cette année !

Le beau billet de Nadège sur ce roman

Balade irlandaise – 1 – Marilyne m’accompagne dans le voyage, elle vous propose aujourd’hui Rien d’autre sur terre de Conor O’Callaghan.