Quatrième de couverture :

Titouan ne sort plus de sa chambre.
Alix rêve de théâtre.
Luce reste inconsolable depuis la mort de son mari.
Gabrielle tient trop à sa liberté pour s’attacher.
Armand a construit sa vie entière autour de sa fille.
Cinq personnages, cinq solitudes que tout sépare. Il suffira pourtant d’un numéro inconnu s’affichant sur un téléphone pour que leurs existences s’entrelacent…

En septembre, j’ai lu plusieurs romans jeunesse dans le but de trouver un texte à travailler avec mes élèves. Je ne retiendrai pas celui-ci, non par manque de qualité mais parce que certains de mes étudiants de Professionnel seront rebutés par la longueur ou perturbés par la polyphonie. Sinon j’ai dévoré ce roman – encore une couverture bleue ensorcelante – qui sait nous retenir dans ses filets avec ses chapitres courts qui alternent entre les cinq personnages principaux (personnellement j’apprécie beaucoup les romans polyphoniques). La romancière s’est inspirée d’une nouvelle de l’écrivain hongrois Frigyes Karinthy où il imagine en 1929 « qu’une personne sur la planète peut être reliée à n’importe quelle autre par une chaîne de six relations individuelles. » C’est « la théorie des six degrés de séparation ». A notre époque, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, nous sommes reliés presque à l’infini et des rencontres improbables peuvent naître d’un simple clic.

C’est ainsi que grâce à Titouan, Alix, Gabrielle, Armand et Luce, sont abordés les thèmes de la phobie du monde extérieur, la passion du théâtre, la famille monoparentale, la solitude, le deuil. Cinq personnages qui se connaissent parfois étroitement ou se sont éloignés dans la vraie vie ou seulement virtuellement et qui vont se retrouver ensemble à la fin – en vrai – par la magie (ou le simple hasard) d’un numéro de téléphone « erroné ». Et peut-être aussi grâce à un crêpier dans son food-truck ? Le roman polyphonique (du moins il est écrit à la troisième personne en alternant les points de vue de nos cinq protagonistes) est aussi construit comme une pièce de théâtre en cinq actes, avec des entractes commentées par un autre narrateur externe.

J’ai admiré comment Manon Fargetton, née en 1987, capte l’air du temps et de l’adolescence et le retranscrit dans un roman sensible qui fait la part belle aux femmes pionnières et qui n’oublie pas la légèreté de l’humour. J’aime quand un roman me fait toucher du doigt la réalité et l’intimité de certaines personnes et que cela m’aidera dans la vraie vie (oui, même à mon âge – ou peut-être que je suis une éternelle naïve qui découvre certaines réalités ?) La fin est à la fois heureuse et triste, en tout cas pleine d’espoir malgré le chagrin (et c’est bien !)

« Le monde est petit.
Tout petit.
Il y a presque un siècle, un écrivain hongrois a imaginé dans l’une de ses nouvelles qu’une personne sur la planète peut être reliée à n’importe quelle autre par une chaîne de six relations individuelles. La « théorie des six degrés de séparation », il a appelé ça. Imaginez un instant, imaginez-vous, en train de tenir la main d’un proche ou même d’une vague connaissance qui elle-même tient la main d’un de ses amis que vous n’avez jamais croisé, et ainsi de suite jusqu’à former une chaîne de six personnes. On pourrait relier l’humanité entière, comme ça, à partir de vous. Quels que soient la famille ou le pays dans lesquels on est né, quel que soit le métier que l’on exerce, quels que soient nos rêves, nos peurs, nos fantasmes, que l’on passe notre vie sans bouger de notre village natal ou que l’on parcoure le monde, chacun d’entre nous peut être connecté à n’importe qui en six petites étapes, de personne à personne. »
(Lever de rideau)

« Dehors, tout l’agresse. Les obligations, les cadres, les horaires auxquels il doit se soumettre, les conventions sociales auxquelles, les attentes des autres qui le paralysent, les profs qui paniquent lorsqu’il dit qu’il ne sait pas ce qu’il veut faire de sa vie, qu’il a juste envie de la vivre, qu’il n’a pas envie de choisir maintenant, de se projeter en termes de métier, d’études, de stratégie, qu’il refuse cet entonnoir brandi devant lui et dans lequel on lui demande de s’engouffrer un peu plus chaque jour… »

« Alors, qu’est-ce que c’est, être adulte ? Ne plus avoir besoin des autres ? Ne plus avoir besoin de la validation des autres ? Partir de là où on a grandi ? Voter, conduire, faire sa propre lessive ? Une date sur le calendrier, un anniversaire, juste un jour de plus et hop, le grand saut ? Un peu tout ça, ou rien de tout ça peut-être. Être adulte, Alix ne sait pas ce que c’est. Et elle a souvent l’impression que les adultes eux-mêmes l’ignorent. »

« Tout tremble jusqu’aux étoiles qui glissent un œil dans les trouées des nuages. Alix les observe. À quoi rêvent-elles, là-haut dans le fond de la nuit ? Certaines brillent si peu qu’on les distingue à peine. Pourtant, si on s’approchait, on verrai qu’elles brûlent aussi fort que les autres. Même la plus petite constellation du monde contient plusieurs étoiles. Et Alix songe qu’elle est comme ces étoiles minuscules. Qu’elle brûle du même feu, mais qu’il faut s’approcher pour le voir. »

Manon FARGETTON, A qui rêvent les étoiles, Gallimard Jeunesse, collection Pôle Fiction, 2022 (Gallimard Jeunesse, 2020)

Petit Bac 2022 – Verbe 4