Ca commence un jour de grande tempête, de déferlantes, à La Hague, un bout de côte du Cotentin, un village entre falaises et prairies, où la narratrice, dont nous ne connaîtrons jamais le nom, est venue se réfugier après la fin d’un grand amour. Elle habite à La Griffue (« La Griffue, c’est comme une île, mais en plus violent, parce que encore reliée à la terre et incapable d’être ce qu’elle est vraiment« ), elle travaille pour le Centre ornithologique de Caen, à observer, compter les oiseaux sur les landes et les falaises. Pour remplir ses listes, elle prend souvent ses quartiers au bistrot de Lilli. Le jour de la tempête, Lambert revient justement au village, pour vendre la maison de ses parents, naufragés en mer des années auparavant. Il n’a jamais avalé cette disparition, surtout celle de son petit frère Paul dont la mer n’a jamais rendu le corps, il accuse le gardien du phare de l’avoir éteint cette nuit-là…
Je n’ai pas envie d’en raconter beaucoup plus sur l’histoire de ce livre. Ceux qui se laisseront toucher la découvriront bien à temps, ceux qui n’aiment pas ce livre (car il y en a…) n’auront pas envie d’en lire plus. C’est un coup de coeur pour moi, à plusieurs titres, et j’espère ne pas en faire un commentaire trop décousu. Trop d’émotions à essayer de transmettre. (Et je ne pourrai pas m’empêcher de vous donner d’autres éléments du livre, c’est sûr…)
D’abord c’est une hymne à la mer, à la nature, aux oiseaux (et même aux animaux de la ferme) : je ne suis jamais allée aussi haut dans le Cotentin mais je rêve de voir en vrai le cap de La Hague, même si l’usine de retraitement des déchets nucléaires n’est pas loin… Le livre donne vie aussi aux légendes, celles que font vivre les femmes du coin, les esprits soufflent sur la lande, on se méfie des étrangères qui ne sont pas comme tout le monde.
C’est un livre qui parle de création: à La Griffue, vivent aussi Raphaël et sa soeur Morgane. Raphaël, sculpteur tourmenté qui se nourrit sans doute de la vie des gens du pays : « Comment Raphaël osait-il ? Je en sais pas où il puisait cette force, de quelle part obscure lui venait ce besoin de creuser toujours plus profond. Sans concession. J’aurais voulu être capable de vivre comme il sculptait. Au sang et à la chair. Oser ce que j’étais. » (p. 369)
Et cela m’amène à dire les principaux attraits de ce livre : il parle des gens, il parle de gens blessés par la vie, et il en parle en creux, à petites touches. Petit à petit m’est venue l’idée d’un tableau impressionniste où chaque être se révèle petit à petit, suivant la lumière et le vent, et la narratrice est assez sensible pour saisir le moment où chacun est prêt à se dévoiler, sans forcer, sans juger.
A La Hague, on croise non seulement cet artiste tourmenté qu’est Raphaël, mais aussi Max, l’innocent du village, amoureux éconduit de Morgane et amoureux des mots. Monsieur Anselme, vieil homme raffiné épris de Prévert et de compagnie. Nan, que tout le monde prend pour une vieille folle qui cherche partout ses morts et attend le retour de son fils adoptif. Pourtant, avant elle était belle et ardente, elle s’appelait Florelle. Le vieux Théo, celui qui observait les oiseaux avant la narratrice, qui était aussi gardien du phare à ses heures, qui s’occupe de ses chats et rumine avec mélancolie son amour pour Nan, ou plutôt Florelle. Et pourtant il était marié à une autre, il a eu une fille, Lilli. Lilli qui ressasse les manques de son père et ne remâche plus que de l’amertume…
Et bien sûr il y a la narratrice qui se dévoile petit à petit, qui raconte le deuil, le manque, et qui se voit renaître petit à petit, presque sans le vouloir. Et il lui en faut du temps, des jours et des jours de silence sur la lande, pour renouer avec les mots, avec les gens. « Je savais que l’on pouvait rester très longtemps comme ça, les yeux dans la mer, sans voir personne. Sans parler. Sans même penser. Au bout de ce temps, la mer déversait en nous quelque chose qui nous rendait plus fort. Comme si elle nous faisait devenir une partie d’elle. Beaucoup de ceux qui vivaient cela ne repartaient pas. » (p. 303) Pour apprivoiser le manque et oser se remettre à vivre : « Ce regret, toujours, de ne pas aimer suffisamment. De rester en lisière. Lambert aurait voulu pouvoir pleurer encore. Le manque de toi, je l’ai eu. Je ne l’avais plus. J’aurais voulu l’avoir toujours. C’est ce manque qui me manquait, mais ce manque, ce n’était déjà plus toi. » (p. 506) Pour vivre avec la cicatrice : « J’ai ramassé un caillou. Un petit galet de granit noir, sur le côté il y avait une griffure plus claire, un impact en forme d’étoile. J’ai fermé mes doigts, doucement, et je l’ai glissé dans ma poche. » (p. 525)
J’ai trouvé cette dernière image du caillou une belle métaphore de ce que devient la narratrice à la fin du roman, dans un bel apaisement. Pendant ma lecture, fait assez rare, une musique a fini par trotter dans ma tête, le deuxième mouvement du 2e Concerto pour piano et orchestre de Chostakovitch (qu’on entend aussi dans la bande-son du film Une exécution ordinaire de Marc Dugain), une musique à la fois déchirée et apaisée, qui me semblait bien représentatrice de cette héroïne qui m’a vraiment touchée. Dans la simplicité.
Une histoire qui parle de deuil et de renaissance, de blessures et de secrets. Et comme je l’ai terminée le soir de Pâques, et que la fin évoque au passage Arcabas, un peintre que j’apprécie particulièrement, permettez-moi d’y lire aussi une belle histoire de résurrection.
Une chose est sûre : je lirai Dans l’or du temps, L’amour est une île, et je me précipiterai si d’aventure Claudie Gallay passe pas loin d’ici.
Claudie GALLAY, Les Déferlantes, J’ai lu, 2010
Une lecture commune avec Anne (De poche en poche) qui a vraiment aimé aussi, et avec Asphodèle, qui a détesté, dommage ! Merci à elles deux ! Il y a aussi Melo et Alapage qui devraient publier un article.
Un livre qui entre dans les challenges Littérature au féminin et ABC 2011, et qui sera aussi mon objectif PAL de ce mois d’avril.