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Quatrième de couverture :
La fin du livre ? On l’annonce pour demain depuis le berceau des incunables. S’adressant à une lectrice (imaginaire) qui s’inquiète de l’avenir de la lecture, Hubert Nyssen, fort de sa double expérience d’écrivain et d’éditeur, passe au tamis, avec humeur et humour, les craintes, les espérances, les prévisions et les prophéties qu’inspiré le spectre continuellement brandi de la crise du livre. D’autres plumes, sur ce sujet, eussent été sentencieuses, moroses ou usurpatrices. De la sienne, l’encre a coulé de source.
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Cette « Lettre libertine sur la lecture » a été écrite par Hubert Nyssen en réponse à Pascal Durand, professeur à l’Université de Liège (où est conservé le fonds Hubert Nyssen), quand, directeur de la collection « Liberté j’écris ton nom », celui-ci a demandé à l’éditeur arlésien une réflexion sur l’avenir du livre et de la lecture.
De janvier à juin 2004, du creux sombre de l’hiver à l’épanouissement du printemps, Hubert Nyssen a écrit à « Mademoiselle Esperluette », une lectrice imaginaire en laquelle sans doute bien des amoureux du livre se sont reconnus et se reconnaîtront. Du sombre de la crise du livre sur laquelle on ne cesse d’épiloguer à la luminosité d’un hommage aux lecteurs (au sens générique du terme) et à ceux qui les enchantent, l’auteur et éditeur parcourt les métiers du livre, en disant les richesses, en dénonçant les pièges et les écueils, comme il le fit aussi dans La Sagesse de l’Editeur.
Le profit à tout crin ou la qualité, la rapidité commerciale ou la gratuité du temps consacré à la lecture, la vanité de certains auteurs, de certains jeunes loups prêts à se faire les dents dans le monde de l’édition, le livre numérique qui l’emporterait contre les plaisirs charnels du livre de papier, la primauté de la publicité et des paillettes sur la maturation solitaire d’une oeuvre, le fondateur d’Actes Sud n’oublie rien mais nous gratifie aussi au passage de ses propres amitiés et découvertes littéraires. Quel plaisir de partager avec lui le même goût pour la lecture à voix haute, quel bonheur de retrouver les anecdotes concernant la découverte de L’Oratorio de Noël, de Göran Tunström, un auteur qu’il ne connaissait pas du tout et qu’il nous permit de découvrir grâce à la concentration et à l’enthousiasme d’une lectrice croisée dans un avion : immédiatement, Hubert Nyssen acheta les droits de cette oeuvre sans en avoir lu un seul titre !
Quelques jours après la remise du dernier prix Goncourt, quelques semaines après le buzz créé de toutes pièces autour d’un livre censé émoustiller les mères de famille qui s’ennuient au lit, ce petit ouvrage est toujours d’actualité !
Le ton est fin, tantôt léger, tantôt piquant, toujours lucide et serein, à l’image de ce signe typographique qu’est l’esperluette, qui symbolise le lien, l’union. Entre un auteur et son éditeur, entre un auteur et un lecteur, entre un lecteur et un lecteur. Un petit livre qui invite au partage, au partage sur notre sujet de prédilection qu’est la lecture !
Un extrait où Hiubert Nyssen se trouve face à une assemblée de dames dans une salle sans chauffage, à Varsovie : « Une inspiration me vint alors sans que j’eusse pris le temps de la considérer. ‘Je m’en vais vous montrer, dis-je, que le livre peut être un objet érotique », ajoutant à part moi : capable donc d’élever la température. Et, joignant le geste à la arole, tenant à la main un roman récemment paru, je rappelai qu’il nous est habituel de flairer un livre pour en percevoir la discrète odeur de papier, d’encre et de colle, de le presser sur la joe ou de le porter à ses lèvres pour le remercier des émotions qu’il nous a données, de le mettre sous le bras, le fourrer dans la poche, le cacher sous la jupe, de le serrer entre les genoux, voire de le glisser sous les fesses en attendant de l’y reprendre, ou encore de l’emporter au lit et là, de l’ouvrir, le fourrager, le caresser, le peloter, de temps à autre y glisser un doigt et sentir, en tournant la page, le doux grain du papier. » (p. 22-23 – Avouez que c’est aussi bien que Fifty machins, non ?)
« Aujourd’hui, voyez-vous, quand je surprends un enfant ou un adulte absorbé dans la lecture d’une bande dessinée ou d’une brochure à quatre sous, je me dis que, même là, avec l’adresse ou la maladresse de son âge ou de sa formation, il cherche ce qu’il chercherait d’une autre manière s’il était en train de lire Montaigne ou Stendhal. Il se cherche en cherchant à s’identifier au héros et à ses aventures. C’est pourquoi il faut voir dans chaque livre, quel qu’il soit, une invitation à découvrir les interrogation qui stagnent dans les brumes. Il y a là quelque chose comme une volonté de peupler le monde (réel ou imaginaire) de points d’interrogation, d’en faire une pépinière, en lieu et place des points d’exclamation constitués en palissade avec lesquels on tente aujourd’hui de nous enfermer das un monde en voie de sinistre formatage. » (p. 118)
Hubert NYSSEN, Lira bien qui lira le dernier – Lettre libertine sur la lecture, Editions Labor / Espace de libertés, 2004 (et Babel)
Hommage à Hubert Nyssen, décédé il y a un an, chez Bonheur de lire