Quatrième de couverture :
Dans les semaines qui ont suivi la mort de sa fille Camille, 16 ans, emportée une veille de Noël après quatre jours d’une fièvre sidérante, Sophie Daull a commencé à écrire.
Écrire pour ne pas oublier Camille, son regard « franc, droit, lumineux », les moments de complicité, les engueulades, les fous rires ; l’après, le vide, l’organisation des adieux, les ados qu’il faut consoler, les autres dont les gestes apaisent… Écrire pour rester debout, pour vivre quelques heures chaque jour en compagnie de l’enfant disparue, pour endiguer le raz de marée des pensées menaçantes.
Loin d’être l’épanchement d’une mère endeuillée ou un mausolée – puisque l’humour n’y perd pas ses droits –, ce texte est le roman d’une résistance à l’insupportable, où l’agencement des mots tient lieu de programme de survie : « la fabrication d’un belvédère d’où Camille et moi pouvons encore,
radieuses, contempler le monde ».
« Dans les jours d’après, nous distribuerons tes soixante-dix-sept peluches, une par une ou deux par deux, à des fossés dans les campagnes, à des clairières, à des rochers. C’est joli, ces ours, ces lapins, ces petits chats abandonnés sur les tapis de mousse, prenant la pluie sous les marguerites. »
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Il m’a semblé logique d’enchaîner cette lecture avec celle de Chemin Saint-Paul, de Lise Tremblay : proximité de la mort, urgence d’écrire, de mettre des mots sur la souffrance.
J’ai lu ce livre assez vite, mais avec la nécessité de le reposer de temps en temps, tant j’avais une boule dans la gorge. J’ai lu ici ou là qu’il n’y avait pas de pathos, mais je dois avouer que j’ai souvent pleuré à cette lecture. Sophie Daull raconte l’agonie de Camille, ces quatre jours de fièvre terrible, à la maison, où ils reçoivent si peu d’attention des médecins, sauf le soir aux urgences où on continue à leur prescrire froidement du Doliprane, et ce dernier jour, les dernières heures, les dernières minutes où enfin, on s’acharne en vain pour la ranimer. Et puis les jours qui suivent, la sidération, le besoin immédiat d’écrire, les démarches épuisantes pour savoir, autoriser l’autopsie, organiser les funérailles de Camille. Le gouffre innommable qui s’est ouvert sous les pieds de son papa et de sa maman.
Mais attention, c’est vrai que le tragique est tenu à distance par un tas de détails : pas de charge contre le corps médical, juste un constat, et d’ailleurs, comme le dit Sophie Daull, ce n’est pas ça qui fera revenir sa fille ; certaines réactions maladroites, voire grotesques, que l’auteure n’a cessé d’observer et de rendre avec un sens de l’autodérision dont elle rirait encore avec Camille, puisque l’humour est leur marque de fabrique ; le cirque qu’est la tournée des pompes funèbres avant de trouver l’entreprise qui fera les choses dignement, simplement ; l’authenticité de Sophie Daull qui ne craint pas de raconter sans fard les « mauvaises pensées » ou les journées, les soirées qui ont suivi la mort de Camille, noyées dans les larmes, l’alcool et la fumée de marijuana, des soirées pour se mettre un peu de baume au coeur avec les copains. Leur infinie délicatesse aussi, ils attendent le soir de Noël pour prévenir leurs amis, pour ne pas leur plomber définitivement Noël, leur attention l’un à l’autre, entre père et mère. Autant de détails qui nous permettent, comme à elle, cette mère mise à nu, de garder la tête hors de l’eau, de reconnaître un sentiment, une émotion, d’être un peu surpris parfois et de toute façon, de nous sentir infiniment proches de Camille et de sa maman.
C’est du moins ce que j’ai ressenti, avant même de goûter la beauté de l’écriture, l’alternance entre les deux périodes d’écriture (qui participe aussi de l’effort de mise à distance), les images qui touchent, les sonorités qui rythment le récit de cette femme de théâtre. Je ne suis pas mère de famille mais je crois savoir pourquoi ce récit m’a tellement touchée. Vous me permettrez de le garder pour moi, je ne suis pas du genre à étaler ma vie privée, mais vous voudrez bien croire qu’il peut toucher le coeur de nombreux lecteurs. Et si vous n’avez pas (trop) peur de ce sujet, n’hésitez pas à vous plonger dans ce beau premier roman (sous cette magnifique couverture d’Eugène Boudin…) pour, à votre tour, continuer à faire vivre Camille.
« Dans cette maison, on s’aimait, on s’engueulait, on riait : on était délicieusement libres de s’aimer, de s’engueuler, de rire. Ton jeune sang et le nôtre, un peu plus épais formaient un fleuve intranquille où l’avenir battait pavillon.
C’est pour ça que je vivrai ta vie, que mon sang aura désormais toujours 16 ans. Tu me regarderas et me guideras selon ce que tu fus, ce que tu promettais, ce que tu aimais de moi. Je vais exister par en-dessous, par soustraction, par extension de toi, dans la copie de ta pudeur contre mon excentricité, de ta réserve contre mon exubérance, de ton repli contre mes tripes à l’air. » (p. 51)
« Mais je poursuis le récit, la mission. J’écris comme on dépollue les sols rendus infertiles par une catastrophe industrielle. » (p. 106)
« Tu sais, les gens sont terriblement gênés quand ils questionnent notre santé mentale.Ils ont des formules qui bégayent d’euphémismes maladroits. Ils disent: le « drame », la « tragédie », le « grand malheur qui vous est arrivé ». Ca donne des phrases comme: « Et tu arrives à dormir depuis le grand malheur qui vous est arrivé? » Alors de la même manière que je leur ai demandé de prononcer ton nom de temps en temps, je leur dis de simplifier, d’appeler les choses par leur nom, de dire: « La mort de Camille ». Ca donne: « Et tu arrives à dormir depuis la mort de Camille. Ce Grand Malheur s’appelle la Mort de Camille. Point barre. C’est aussi simple que ça. Je sens que ça leur paraît brutal, que ça déforme leur bouche. Mais tu n’es pas soluble dans les généralités. » (p. 176)
Sophie DAULL, Camille, mon envolée, Editions Philippe Rey, 2015
Sophie Daull a présenté son livre à la Grande Librairie en octobre 2015. (Je ne suis pas fan du tout de François Busnel mais qui peut mieux qu’elle parler de son livre, et j’ai bien aimé l’interaction avec Noëlle Châtelet et Yann Queffélec.)
Laure Micmelo a dit:
Je me retrouve énormément dans ton avis, que je trouve donc très juste 😉
anne7500 a dit:
Hihi ! Merci, Laure ! (Et réciproquement, comme on dit)
martine a dit:
Je suis en train de lire ce livre (grâce à toi). Tu te doutes à quel point « il me parle » ! Et j’aime cette écriture, cette mise à distance comme tu le soulignes, qui permet de laisser couler ses larmes en gardant la tête hors de l’eau.
anne7500 a dit:
Et pourtant il y a de quoi se laisser submerger… et qui pourrait le reprocher ?
eimelle a dit:
tu en parles très bien!
anne7500 a dit:
Merci (toi aussi, Eimelle).
kathel2 a dit:
Tu es la première à me donner envie de le lire… et pourtant, j’en avais lu, des avis !
anne7500 a dit:
Je n’en ai pas lu tant que ça… ça m’a sans doute gardé une certaine fraîcheur.
alexmotamots a dit:
Le sujet me fait tout de même un peu peur….
anne7500 a dit:
Oh mais personne n’est obligé de le lire !
Nadège a dit:
Anne, j’admire ton billet. Je ne me serais pas sentie capable d’écrire quoi que ce soit sur ce magnifique livre. J’ai bien tenté de le conseiller quelques fois à la librairie, mais ce n’est pas facile vu le sujet. Je comprends bien sûr, mais je trouve dommage de passer à côté d’un si beau texte.
anne7500 a dit:
J’espère que ceux (celles ?) à qui tu l’as conseillé l’auront apprécié ! Je dos dire que le passage à La Grande Librairie m’a éclairée.
Asphodèle a dit:
Ton billet est superbe et me renforce dans mon envie de le lire (envie quand j’ai vu la maman de Camille à LGL avec sa dignité) même si c’est traité « à distance », on ne peut pas ne pas pleurer je pense…et c’est humain ! Je le lirai…
anne7500 a dit:
Tu y seras forcément très sensible… 😉
aifelle a dit:
Pour l’instant, je ne veux pas le lire. J’ai vu de près ce genre de situation autour de moi et c’est un peu trop lourd, même si je ne doute pas de la qualité de ce témoignage.
anne7500 a dit:
Je comprends très bien…
Louise a dit:
Je l’ai lu, je n’ai fait que pleurer (d’autant plus que j’ai une fille qui s’appelle Camille), lire ce roman c’est comme tu le dis continuer à faire vivre cette Camille, j’ai maintenant en moi un bout de cette fille. J’ai offert le livre à ma Camille car c’est aussi un magnifique roman d’amour.
Je trouve quand même terriblement angoissant que l’on puisse en 2000 mourir si vite d’une telle fièvre en France!!
anne7500 a dit:
Il y a encore des choses inexplicables et cela heurte encore plus notre mentalité « d’hyper civilisés »… J’espère que ta Camille l’aura apprécié malgré la douleur si forte.
Edmée a dit:
Je ne pense pas que je le lirai jamais, sans que ça parte d’une opinion négative, au contraire. Mais le lire me semble partager quelque chose, et j’aurais besoin de le faire – et envie – si j’avais approché une situation semblable; Mais ce n’est pas le cas, et donc je m’abstiendrai. Mais c’est certainement thérapeutique de le lire et de l’avoir écrit…
anne7500 a dit:
Je comprends qu’on n’ait pas envie de lire ce livre ! J’admire comment cette maman a eu besoin tout de suite d’écrire sur ce « désenfantement ».
Lili a dit:
J’attendais avec impatience ton billet depuis que tu l’avais annoncé sur facebook 🙂 Sa lecture est elle-même très émouvante, c’est dire ce qu’il doit en être du livre lui-même… Je verrai donc, prochainement, lorsque j’aurai le coeur suffisamment accroché !
anne7500 a dit:
Ne t’en fais pas si tu ne le sens pas, ma Lili ! 😉
noukette a dit:
Je sens que cette lecture va être très éprouvante pour moi…
anne7500 a dit:
Il ne faut pas le lire si ce n’est pas le moment ou si tu ne t’en sens pas capable.