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Alabama 1963

Quatrième de couverture :

Birmingham, Alabama, 1963. Le corps sans vie d’une fillette noire est retrouvé. La police s’en préoccupe de loin. Mais voilà que d’autres petites filles noires disparaissent…
Bud Larkin, détective privé bougon, alcoolique et raciste, accepte d’enquêter pour le père de la première victime.
Adela Cobb, femme de ménage noire, jeune veuve et mère de famille, s’interroge : « Les petites filles, ça disparaît pas comme ça… »
Deux êtres que tout oppose. A priori.

Une fois que vous vous emparez de ce livre, les pages se mettent à tourner toutes seules, soyez prévenu.e. Le contexte, les personnages, le rythme de l’intrigue, l’humour toujours présent malgré la détresse, voilà quelques-uns des ingrédients de ce premier roman écrit à quatre mains.

Le contexte : nous sommes en Alabama en 1963, et si la déségrégation commence péniblement à se faire concrète, dans cette petite ville du Sud, la peur et le racisme n’ont pas pris une ride. Si le président Kennedy a exprimé ses velléités de changer les choses, il ne parviendra à rien de concret durant son mandat qui se termine brutalement à Dallas le 22 novembre de cette même année 1963. Comme vous le savez, c’est son successeur, Lyndon Johnson, qui en fera plus pour les droits civiques (voir la citation ci-dessous, qui n’est qu’un petit exemple). Ces événements, ainsi que la grande marche sur Washington avec le pasteur Martin Luther King, sont en toile de fond du roman.

Les personnages : une alliance improbable entre un détective blanc, Bud Larkin, viré de la police pour une faute grave, qui a sombré dans l’alcoolisme (là aussi, vous comprendrez pourquoi en lisant le livre) et une femme de ménage noire, Adela Cobb, veuve et mère de trois enfants qui, suite à une « blague », se met à faire le ménage chez Bud et dont le bon sens va aider ce dernier à enquêter sur ces disparitions et meurtres violents de petites filles noires. On peut penser, en moins complexe (mais pas moins intelligent), à La couleur des sentiments de Kathryn Stockett.

Le rythme : les chapitres courts, datés de début août 1963 à début janvier 1964, l’action qui avance grâce aux nombreux dialogues, l’alternance des points de vue font tourner rapidement les pages jusqu’à la révélation finale qui m’a semblé un peu tirée par les cheveux mais tout autant vraisemblable (je sais, ça peut paraître confus mais je ne peux rien vous révéler…)

L’humour : toujours présent malgré la noirceur de la situation, il permet à Adela, avec l’amitié de ses copines femmes de ménage, de passer les épreuves de sa vie de mère et de veuve. Les auteurs Ludovic Manchette et Christian Niemiec ne manquent pas de souligner la dérision du contexte ségrégationniste de l’époque.

Au final, un bon premier roman qui fait ressortir ce qu’il y a de pire et de meilleur dans l’âme humaine.

« Elle [Adela] monta dans le bus pour régler le trajet au chauffeur, avant de redescendre, pour remonter par la porte du fond, réservée aux Noirs. Comme Sid, elle aurait aimé s’assoir, surtout par cette chaleur, mais malheureusement toutes les places étaient prises. Enfin, pas toutes. Ce n’était pas les sièges libres qui manquaient à l’avant, Mais ceux là étaient réservés aux Blancs, et les Noirs ne pouvaient s’y assoir que lorsqu’il n’y avait aucun Blanc. Or il y en avait un ce soir, qui avait dû se perdre… Même si officiellement la loi avait changé sept ans plus tôt, les mœurs avaient la vie dure à Birmingham. La seule chose qui avait changé depuis la déségrégation des bus, c’est que la population blanche les avait désertés au profit des voitures particulières. »

« -Vous préférez qu’on dise de vous que vous êtes une femme noire ou que vous êtes une femme de couleur ?
-Je préfère qu’on dise que je suis une femme bien. »

« Une dame ignora complètement Bud. Alors même qu’il lui parlait, elle resta obstinément tournée vers Adela. Lorsque celle-ci finit par désigner son employeur du doigt, l’autre feignit la surprise, le regardant pour la première fois :
— Oh, un Blanc ! Je vous avais pas vu, en plein jour ! »

« Le nouveau président, Lyndon Johnson passait la soirée au Forty Acres Club, un club privé strictement réservé aux Blancs. Son épouse, fatiguée, ayant préféré décliner l’invitation, Johnson avait débarqué avec à son bras Geraldine « Gerri » Whittington, la jeune secrétaire particulière noire qu’il venait d’engager.
« Monsieur le Président, lui avait-elle demandé quelque peu inquiète en arrivant, est-ce que vous savez ce que vous faites ?
– Bien sûr, avait-il répondu. La moitié de ces gens vont penser que vous êtes mon épouse… et ça me va. »
Plus tard dans la soirée, à la surprise générale, il était allé jusqu’à danser avec elle.
L’événement allait faire grand bruit. Dès le lendemain, le club acceptait les membres de couleur. »

« Si un détective blanc pouvait aider des Noirs, si on pouvait assassiner le président des Etats-Unis, si elle avait pu se débarrasser de Lazarus, si une femme pouvait vivre avec une femme, alors peut-être qu’un jour Elijah pourrait être chirurgien. Ou président. Non, trop dangereux. Chirurgien. »

Ludovic MANCHETTE et Christian NIEMIEC, Alabama 1963, Pocket, 2021 (Le Cherche-Midi, 2020)

Le Mois de l’Histoire afro-américaine chez Enna – C’est une lecture commune avec Enna, Blandine et Natiora.

Petit Bac 2022 – Lieu 2

Les éditions Pocket fêtent leurs 60 ans.