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Pour ce rendez-vous poétique de mas avec Marilyne, je vous propose de lire quelques poèmes extraits du recueil Uiesh Quelque part de Joséphine Bacon, cette amérindienne innue de Betsiamites. A travers ce livre bilingue (français – innu), elle parle du grand âge, de la vieillesse, des saisons qui passent avec leurs rituels, de la Terre des ancêtres, Nutshimit.

Voici d’abord le prologue de ce livre :

« Aujourd’hui, je suis quelque part dans ma vie.

J’appartiens à la race des aînés. Je veux être poète de tradition orale, parler comme les anciens, les vrais nomades. Je n’ai pas marché Nutshimit, la terre.

Ils me l’ont racontée. J’ai écouté mes origines. Ils m’ont baptisée d’eau, de lac pur.

Un à un, ils nous quittent. Avec eux, s’en vont les mots de toundra, les courants des rivières et le calme des lacs.

Je me sens héritière de leurs paroles, de leur récit, de leur nomadisme. Comme eux, j’ai marché la toundra, j’ai honoré le caribou.

Quelque part, une roche sur une grosse roche indique ma présence. »

Et voici quelques textes picorés dans le recueil, avec des peintures de Maurice Cullen (1866-1934), peintre canadien surtout connu pour ses paysages d’hiver.

La saison de la neige

« Je n’ai pas la démarche féline 

J’ai le dos des femmes ancêtres 

Les jambes arquées 

De celles qui ont portagé 

De celles qui accouchent

En marchant »

« J’ai cent mots à te raconter 

Mon vieil âge

Mes rides

Je n’ai plus l’alerte des pas 

Le souffle court 

J’avance dans mon songe 

Sans fatigue

Je sais entendre les feuilles

J’apprends le monde 

Mon âge vieillit avec moi 

Je n’ai pas cent mots 

Je n’ai pas cent ans »

Passion hivernale 1

« Aujourd’hui le printemps s’est mêlé à l’hiver 

Tout fond 

L’hiver n’a pas dit son dernier mot 

Un ancien imite le vent 

Il m’a envoûtée 

Avec des ailes de perdrix 

Puis a disparu 

Tu m’amènes dans un sentier 

Tu écris dans le vent 

J’avance derrière toi 

J’observe le crayon qui dessine 

Ta liberté »

« J’ai souvenir de Shuaushemiss

Grand-père chasseur 

Je le revois avec son tambour 

Il chante une femme aux cheveux blancs 

Son chant pousse à la danse 

Shuaushemiss dépose le tambour tendrement 

Il me regarde puis éclate de rire 

La femme aux cheveux blancs 

C’est sa terre de chasse 

Couverte de neige 

Avec le vent 

Elle tourbillonne »

Passion hivernale 2

« J’ai découpé mes souvenirs 

Et les ai collés sur mon corps 

Un lac calme 

Reflète mon image 

Je suis Innue dans mes veines 

Je suis Innue dans mon cœur rouge 

Mon ombre se confond à mon âme 

Ma vie vieillit au son du tambour 

Qui rejoint mes rêves »

Joséphine BACON, Uiesh Quelque part, Mémoire d’encrier, 2018

Marilyne vous présente aujourd’hui Albane Gellé.

Mars sera essentiellement placé sous le signe de la francophonie et du féminin. Ce billet entre aussi dans le projet de lectures sur les minorités ethniques chez Ingamnic.