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Lea danse, jetée à corps perdu dans la perfection du mouvement. Elle est chorégraphe par nécessité. Lea aime, mais ne peut s’abandonner à Bruno, peintre de l’immobile. En pleine tempête, elle part vers l’océan retrouver sa mère, celle qui s’est toujours tue. Alors ont lieu l’épreuve de la parole et celle de l’écoute. Jusqu’où une mère peut-elle dire ? Jusqu’où une fille peut-elle entendre ? C’est ce péril fertile de la parole partagée qui est au cœur du roman. Il conduira au corps d’une jeune fille de seize ans livré dans une maison close pendant la guerre, à Naples. Il conduira à l’énigme de l’amour qui consent et soumet. il conduira au mystère de l’enfantement. Par le jeu de onze tableaux dévoilant la vie des absents en contrepoint de la ligne narrative, dans une langue retenue et vibrante, Jeanne Benameur chorégraphie les secrets de la transmission et la fervente assomption des mots qui délivrent.
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Laver les ombres est le quatrième titre de Jeanne Benameur que je découvre. L’expression signifie, en photographie, « mettre en lumière un visage pour en faire le portrait ». Mais en matière d’art, il est plutôt question de danse que de photographie dans ce roman qui déroule trois mouvements d’une même partition, le corps, la relation mère-fille et la parole.
Le corps c’est celui de Léa, dominé, assoupli, discipliné, maîtrisé complètement par le travail de la danse, un corps qui pourtant se raidit, se rebelle quand les émotions ne parviennent plus à se tenir à distance. La danse pour creuser le monde, s’en tenir à l’écart, ou tenir debout malgré les secrets qui rongent. C’est aussi celui de cette jeune Italienne, Romilda, soumise au plaisir des autres, tenue elle aussi à distance d’elle-même jusqu’à se croire stérile.
La relation mère-fille se dessine sur fond de tempête, une tempête qui dure toute une nuit, le temps que le mal être de l’une et de l’autre se dévoile, se vide, se purge de l’amertume et de la peur.
La parole s’étire sur un fil ténu, les mots peinent à se dire, tant ils ont longtemps été tenus à l’écart, de peur de trop souffrir. Pourtant ils sont nécessaires, les mots des romans d’amour, s’ils ont apporté du baume en leur temps, ne suffisent plus à présent, ils doivent être crûs, aveuglants, ils doivent fouiller le passé pour qu’un ailleurs, un à-venir puisse se chuchoter doucement.
Léa et sa souffrance de jeune femme farouche, Romilda et sa douleur ambivalente sont deux femmes attachantes. Encore une fois une mère et une fille irrémédiablement attachées par un instinct, une force secrète et sourde, comme dans Les Demeurées. Les éléments déchaînés rythment leur confidence, leur désarroi, mais au matin le vent est tombé, la maison a tenu bon, les ombres ont reculé sous la plume sensible, poétique, à fleur de peau de Jeanne Benameur. Le rythme des phrases, des mots suit de façon parfois un peu éclatée la difficile, la lente révélation que se font la mère et la fille. Mais l’écriture se donne, comme toujours, au plus près de l’émotion.
« Danser c’est attirer le vide.
Le faux pas, elle, c’est tout son art de l’éviter.
Danser, c’est suspendre l’équilibre du monde.
Quand le pied glisse, c’est le danseur ou le monde qui chute ?
Elle était tombée en scène une fois, il y a longtemps. Une fraction de seconde, c’était la salle qui s’était renversée, sous sa paupière. Le soulagement quand elle avait réalisé que ce n’était qu’elle.La douleur dans la jambe, intense, ce n’était rien comparé à l’horreur du monde renversé.
La douleur, ça se dit, ça se partage ; ce vertige-là, non. » (p.94-95)
A écouter en lisant : Les suites pour violoncelle de Bach (que Léa écoute en boucle dans le roman)
Si Les Demeurées garderont pour toujours la fraîcheur et l’émotion de la découverte de l’auteur, ce livre-ci nourrit mon désir de découvrir enfin en vrai la danse contemporaine…
Jeanne BENAMEUR, Laver les ombres, Actes Sud, 2008 (et Babel, 2010)
Cette lecture est ma participation au challenge de Calypso, Un mot, des titres, avec le mot « ombre ». Le livre fait 153 pages, je pense que La Part manquante me l’acceptera dans le challenge 100 pages ! Et voilà un roman très féminin…
Laure a dit:
Ton article est superbe !! je note ce livre dans mon carnet tout de suite merci ! 🙂
anne7500 a dit:
Si tu n’as pas lu Les Demeurées, il faut aussi les découvrir !
Laure a dit:
Merci 🙂 il est dans ma PAL celui là 😉
anne7500 a dit:
Mais qu’attends-tu ?? 🙂
Laure a dit:
Un trou dans mon planning ? 😆 😉
Anis a dit:
Je dois absolument découvrir cette auteure. Cela fait plusieurs billets que je lis sur ses livres et j’ai de plus en plus envie de la lire.
anne7500 a dit:
Ah oui, tu ne peux pas ne pas la lire !
eimelle a dit:
Je ne connais pas non plus cette auteure, j’en lis souvent du bien, il va falloir que je me laisse tenter!
anne7500 a dit:
Elle vient de sortir le dernier, dont je ne lis que du bien aussi : « Profanes ».
eimelle a dit:
ça vient, je viens de succomber à Laver les ombres, et j’ai bcp aimé!
anne7500 a dit:
Je vais venir voir si tu as rédigé un billet !
Aifelle a dit:
Je l’ai beaucoup aimé aussi celui-là et « les insurrections singulières » viennent de sortir en poche, sans compter le broché … aïe aïe, mes résolutions de non-achat sont mises à rude épreuve.
anne7500 a dit:
J’ai bien aimé Les insurrections aussi… (je l’avais emprunté à la bibli). J’adore quand tu es très tentée 🙂
Natiora a dit:
On m’a offert ce roman lors de mon dernier swap. J’avais découvert Jeanne Benameur avec « Les insurrections singulières » et j’étais tombée sous le charme de son écriture. Ton très beau billet me donne envie de m’y replonger dès que possible.
jerome a dit:
Je n’ai pas besoin d’être convaincu avec cet auteur mais je dois avouer que ton billet me donne envie de me précipiter en librairie !
anne7500 a dit:
Ouf, il est en poche, tu ne vas pas y laisser ta quinzaine 😉
kathel2 a dit:
Je viens d’apprendre ce que veux dire « laver les ombres » ! Ton billet me plaît, mais je n’ai pas accroché aux Insurrections singulières, aussi suis-je un peu hésitante vis-à-vis de cet auteur.
anne7500 a dit:
Celui-ci ressemble plus aux Demeurées, mais je peux comprendre qu’on n’accroche pas au style de l’auteur…
Philisine Cave a dit:
C’est la fête de Jeanne aujourd’hui ! Après le billet de Nadael, voici le tien tout aussi sublime : dites, il y a des dessous de table à gagner ? Bises
anne7500 a dit:
Nan mais dis, c’est pas parce que je reviens que tu dois me dire des choses désagréables ! 😉
Valentyne a dit:
Une auteure que je ne connais pas du tout : très tentant ton billet 🙂
anne7500 a dit:
Une femme sensible, une belle personne à découvrir !
antigone a dit:
Bizarrement, j’étais un peu passée à côté de celui-ci… J’avais eu le tort de le lire à la suite du sublime « coeur cousu ».
anne7500 a dit:
J’ai mieux aimé Les Demeurées, c’est certain !
somaja a dit:
Je n’ai jamais lu que des ouvrages jeunesse de cette auteure dont j’aime l’univers et l’écriture. Ce superbe billet me dit qu’il va falloir que j’aille voir côté adulte. Elle n’en a pas fini avec les relations mère-fille !
anne7500 a dit:
J’ai justement acheté « l’intégrale » de ses romans jeunesse chez Thierry Magnier !
alexmotamots a dit:
Une auteure que j’aimee baucoup, je note ce titre.
anne7500 a dit:
Heureusement, j’en ai encore quelques-uns dans la pile à découvrir, notamment en jeunesse.
noukette a dit:
Benameur… Je l’aime d’amour…!
anne7500 a dit:
Je sais 🙂
titoulematou a dit:
j’avais aussi adoré ce livre ( http://lireetrelire.blogspot.fr/2011/10/laver-les-ombres-jeanne-benameur.html ) ainsi que » les demeurés » et « les insurrections singulières ». Cette femme a un don pour dire l’indicible et remontre à chaque fois le pouvoir des mots dans les vies, pouvoir libérateur, destructeur parfois mais en tout cas un pouvoir toujours renouvelé et essentiel dans nos vies d’êtres » de paroles »
anne7500 a dit:
Merci pour le lien !
titoulematou a dit:
oh c’est juste un lien vers mon propre blog.. ça vaut ce que ça vaut… je suis pas douée pour faire partager ce que j’aime
anne7500 a dit:
Ca s’affine au fur et à mesure des billets… J’ai plus de mal à partager un coup de coeur aussi, c’est vrai…