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Présentation de l’éditeur :

Derrière les façades massives de l’hôpital militaire de Craiglockhart, le docteur Rivers a pour mission de soigner, pour les renvoyer au combat, les officiers britanniques revenus, corps blessé et raison ébranlée, des champs de bataille de la Grande Guerre. Parmi les patients se trouve le poète Siegfried Sassoon, auquel ses déclarations pacifistes ont valu d’être « banni » en ce lieu par les autorités militaires malgré sa conduite héroïque au front.
Nuit et jour, de cauchemars en hallucinations, les rescapés de la boucherie, devenus étrangers à eux-mêmes, poursuivent dans leurs chambres d’hôpital leur voyage au bout de la souffrance et de l’horreur. Ces hommes détruits que Rivers et Siegfried Sassoon accueillent chacun à sa manière, avant de prononcer, en leur nom, la condamnation de toute guerre, forment le chœur de l’éternelle et universelle tragédie dont ce roman de Pat Barker offre une illustration romanesque sensible et exigeante.

J’ai lu ce roman, partagée entre intérêt, passion et émotion.

Passion parce que, bien sûr, le cadre, c’est la guerre 14-18 et plus particulièrement l’année 1917, celle où les armées commencent à se révolter contre des généraux et des hommes au pouvoir qui pourraient faire cesser la guerre mais n’ont ni le courage ni la volonté d’entamer des négociations de paix. Le livre commence sur l’appel pacifiste du poète Siegfried Sassoon, qu’un ami officier a fait hospitaliser à Craiglockart, où il pourrait être déclaré inapte au service par le docteur Rivers, en raison d’une santé mentale chancelante, et éviter ainsi la cour martiale. Car on le sait, dans l’armée à l’époque, être contre la guerre, c’était passer en cour martiale. Et être vraisemblablement condamné à mort pour l’exemple.

Intérêt aussi parce que le roman met largement en scène ces soldats aux blessures mentales, psychiques, qui les handicapent lourdement et les couvrent de honte : paralysies, tics, tremblements, cauchemars, bégaiement, aphasie… autant de signes de ces névroses de guerre que les psychiatres tentent de traiter, le but premier étant de renvoyer ces soldats et ces officiers au front. Eh oui, la chair à canon ne peut faire défaut.

Et c’est vraiment intéressant de suivre la relation thérapeutique qui se noue entre le docteur Rivers et ses patients, l’approche humaniste qu’il a envers ses malades. Des hommes qui ne comprennent pas toujours le traumatisme qui les a rendus si fragiles, qui tentent désespérément de le refouler et dont le corps parle de façon criante. Quand, à la fin du livre, on assiste à une séance de « soins » du docteur Yealland, on est révulsé devant sa conception du travail psychiatrique.

Face à Siegried Sassoon (que sa mère a prénommé ainsi par amour pour Wagner !), Rivers, lui-même au bord du burn out, se trouve un peu démuni : le poète refuse de jouer le jeu de la folie mais se rebelle un peu face au médecin. Les deux hommes vont évoluer l’un grâce à l’autre, la relation ne sera pas exempte d’ambiguïté, d’ambivalence et ce face à face donne vraiment de l’épaisseur à ce roman.

L’émotion est venue de ce qu’un des personnages du roman, lui aussi envoyé pour trois mois de repos et de soins à Craiglockart n’est autre que Wilfred Owen, grand admirateur de Sassoon qui va l’aider, lors de ce séjour, à trouver sa voix de poète. Les deux écrivains vont voir leur écriture évoluer, s’améliorer durant ces quelques semaines, et tous deux retourneront en France. (On sait que Siegried Sassoon survivra à la guerre, tandis que Wilfred Owen sera tué une semaine avant l’armistice.)

Vous l’aurez compris, le grand intérêt de ce roman est son côté très bien documenté : les médecins Rivers et Yealland ont vraiment existé et ont publié sur leurs observations et leurs soins des névroses post-traumatiques, et les deux poètes sont bien sûr tout à fait authentiques, de même que l’évolution de leur plume. Quant aux personnages secondaires, comme les soldats Burns et Prior ou la jeune Sarah qui a choisi de travailler à la fabrication des munitions de guerre, ils sont traités avec beaucoup de soin et de respect par Pat Barker, qui brosse ainsi un tableau instructif de ce qui se passait « à l’arrière », en Grande-Bretagne (Craiglockart est en Ecosse). Elle n’oublie pas une petite pointe bienvenue d’humour anglais parfois et j’espère vraiment que ses deux autres romans (car il s’agit, paraît-il, d’une trilogie) seront un jour traduits en français.

J’ai encore trouvé une perle sur (ou plutôt contre) les Belges :

« Une voix de mégère s’éleva du fond de la maison.

– Ma logeuse, dit Sarah en réapparaissant. Une Belge, elle a épousé un Ecossais, le pauvre crétin. J’pense pas qu’il savait quel lot il avait décroché. Enfin, elle me fait payer un shilling pour la lessive et, quand on sait que les draps sortent du lit jaune vif, faut pas se plaindre. » (p. 171)

« Cependant un rétablissement n’était pas impossible. Rivers savait trop bien que les premiers stades de la guérison avaient souvent l’allure d’une détérioration. Ouvrez une chrysalide et vous apercevrez une chenille en train de pourrir. Mais jamais vous ne trouverez cette créature mythique, mi-chenille, mi-papillon, digne emblème de l’âme humaine, pour ceux dont la tournure d’esprit les pousse à chercher de tels emblèmes. Non, le processus de transformation est par essence presque exclusivement un processus de décomposition. Après tout, Burns était jeune. Si aujourd’hui marquait un véritable changement, une volonté de se confronter à ce qu’il avait vécu en France, alors son état s’améliorerait peut-être. On pouvait même imaginer qu’il reprenne ses études dans quelques années, pourquoi pas en cultivant cet intérêt inattendu pour la théologie. Cependant, on le voyait mal à l’université, au milieu d’étudiants de première année. Il avait raté l’occasion d’être ordinaire. » (p. 244)

Pat BARKER, Régénération, traduit de l’anglais par Jocelyne Gourand, Actes Sud, 1995

L’avis de Sandrine, que je remercie infiniment pour le prêt de ce roman, qui est désormais complètement épuisé, hélas ! Sandrine cite d’autres passages plus sérieux dans son billet.

Je publie ce billet aujourd’hui, alors que je vais visiter avec une de mes classes la très belle expo « J’avais 20 ans en 1914 » à Liège-Guillemins.

Poppy Thiepval

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